SOURCE - Abbé P-M Gainche, fsspx - St-Nicolas - 21 janvier 2016
L’anniversaire funèbre que nous célébrons ce soir n’a bien sûr rien d’ordinaire car la dignité du défunt n’y a rien de commun. En parler ne peut donc se faire de façon ordinaire ou en ne s’arrêtant qu’aux qualités et mérites de sa personne. Plus de deux cents ans après cette mort aussi fameuse qu’affreuse, une littérature abondante existe dans laquelle on peut trouver de bonnes évocations de la personnalité de ce prince la rendant tantôt aimable car non enclin à l’autoritarisme d’un Louis XIV, tantôt méprisable car non autoritaire et grand quand il aurait fallu, comme ce même aïeul, pour sauver son royaume de grands périls.Qu’on nous permette donc de nous arrêter plutôt à la signification, aux causes de cette atteinte on ne plus grave à la dignité royale, à ce crime de suprême lèse majesté !
Parmi les causes il y eut bien sûr le climat de terreur instauré par une relativement petite mais très résolue bande de révolutionnaires qui, après s’en être pris de la façon ignoble et cruelle que l’on sait à de nombreux représentants des deux ordres majeurs et piliers de la société d’ancien régime pour la seule raison qu’ils étaient clerc, noble ou riche[i], sans épargner toutefois le bon peuple,s’en est pris aussi logiquement à la pierre angulaire sans laquelle cet édifice ne peut tenir et qu’est le roi, le lieutenant de Jésus-Christ pour le royaume de France, comme aimait à le considérer Ste J. d’Arc.
Rappeler cette hostilité extrême éveille la curiosité quant à ses raisons qui sont aussi celles de ce régicide. Mais leur étude est elle en général aussi objective que celles déjà évoquées ? Ne doit on pas la craindre forcément partisane, partiale et très partielle puisque, depuis le très lamentable événement que nous commémorons ce soir, à peu près tous les régimes politiques, qui ont présidé et président encore aux destinées de notre pauvre patrie,et en particulier de son enseignement public, se réclament plus ou moins de la pensée de leurs auteurs ? Pour tenter d’y voir clair, en si peu de temps, nous ne donnerons que les faits historiques suivants, incontestables et peut être rarement soulignés.
Tout le monde sait que la cause immédiate de la fin tragique de Louis XVI fut, le 18 janvier 93, le vote de la Convention, comprenant plus de 700 votants, avec finalement 1 seule voix de majorité dont on peut dire qu’elle fut celle du cousin du roi, le duc d’Orléans,surnommé Philippe-Egalité. Mais sait-on que celui-ci déclara alors : « convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteraient à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort » [ii] ? Et sait-on d’où lui venait ce principe nouveau en politique et fort peu orthodoxe aux yeux de l’Eglise ? Ce prince appartenait à la Grande Loge de France. Il en était même devenu, depuis 1771, le grand maître. Était-ce par réelle conviction ou par simple opportunisme ? On sait bien, par contre, que pour arriver à ses fins la Franc-maçonnerie a l’habitude de flatter, exciter et satisfaire les mauvais penchants de la nature humaine : notamment celui de l’ambition ou pour le pouvoir dont était frustré ce prince du sang; et celui pour l’argent, surtout quand le rang social oblige à mener grande vie avec tous les plaisirs dispendieux qu’on se permettait dans la haute société de cette fin de siècle décadente. Or était-il le seul représentant de cette société secrète à la Convention ? Et quelle était sa pensée ? Que voulait-elle ?
Dans une histoire de Paris de la fin du siècle dernier qui n’a rien de réactionnaire, on lit : « au début de 1771, la Grande Loge compte 174 loges en France dont 71 à Paris »[iii]. Et dans une revue d’aujourd’hui qui ne cache pas ses sympathies pour elle: « de nombreux frères relaient évidemment les nouvelles idées démocratiques au cours du siècle des « Lumières »: Montesquieu puis Mirabeau sont de ceux la »[iv]. Il apparaît donc très clairement que, comme le confirme,aussi à notre époque, un directeur de la bibliothèque et du musée du Grand Orient de France (issu de la scission de la Grande Loge, en 1774, pour un différend sur les statuts internes) : « à la fin du XVIIIème, la Franc-maçonnerie se situe globalement dans le sillage des « Lumières ». Les dignitaires du Grand Orient, qui sont des notables, se reconnaissent dans l'héritage intellectuel du frère Voltaire»[v]dont le mot d’ordre fameux était« écrasons l’Infâme! », c.a.d. Jésus-Christ…Pour préciser encore un peu plus le contexte, voici ce que déclarait en loge, en 1877 (mais déjà valable un siècle plus tôt), le frère et sénateur belge, également du Grand Orient, Goblet d’Aviello: « dîtes aux néophytes que la Maçonnerie est avant tout une école (...) ; dîtes leur en un mot que nous sommes la philosophie du libéralisme » [vi]. Il est donc évident que cette société est opposée, sinon au régime lui-même, en tout cas à sa forme du moment qu’est la monarchie absolue ; qu’elle ne veut plus de ce lieutenant de Jésus-Christ, nécessairement soutien de la seule religion catholique, de ses principes immuables, que sont les dogmes et la morale, car ils sont rejetés par ces libres penseurs. Ils ne veulent tout au plus, surtout avec les Bourbons, qu’une monarchie sous contrôle, avec de puissants contre-pouvoirs, dits démocratiques mais plutôt oligarchiques, et fondée sur le principe de leur libéralisme philosophique - soit déiste, soit athée - selon lequel la liberté humaine, individuelle ou de l’ensemble du peuple, est érigée en vraie souveraine absolue donc n’a pas à se soumettre à une règle supérieure, imposée soit par un roi « très chrétien », soit par l’Eglise elle-même.
Même si, fin 1792 et début 93 au procès du roi, les Conventionnels maçons ne songeaint pas nécessairement à abattre la monarchie elle-même, ils n’avaient en tout cas plus la conviction suffisante pour empêcher cela et étaient donc prédisposés à la trahir, face aux quelques extrémistes enragés et sanguinaires qui s’étaient emparés du pouvoir et surtout si leur propre tête était menacée. Ils ont ainsi sans aucun doute apporté cette on ne plus courte majorité simple en faveur de la mort immédiate, sans sursis, de Louis XVI. En n’échappant pas cependant et paradoxalement, à commencer par notre prince-traître, à l’obligation de présenter leurs hommages sanglants à la charmante créature sortie des mains du cher M. Guillotin [vii],comme d’ailleurs bien d’autres hautes figures de la Révolution... Retenons enune double leçon, en passant, pour notre époque ou ne nous berçons pas trop d’illusions : si la terreur islamiste s’aggravait, ce ne seraient pas, cette fois, quelques dizaines, voire centaines, de députés mais d’innombrables foules de français de souche éduqués sans-foi-ni-loi, élites en tête, qui pourraient s’applatir devant les nouveaux maîtres et barbares en trahissant l’héritage spirituel de leurs pères mais à leurs risques et périls!...
Nous ne rappelons et déplorons donc, ce soir, la mort tragique pas seulement d’un roi mais surtout d’une royauté(non de la royauté, à laquelle la plupart restaient encore attachés; d’où la Restauration, ou même l’Empire, quelques années après) ou de tout autre régime politique qu’on peut dire de droit divin dans la mesure où elle - où il - se référe avant tout aux lois divines, où elle a - où il a - un caractère vraiment catholique qui est seul indispensable.
En effet, si l’on dit devoir ne pas être plus royaliste que le roi, il faut aussi ne pas l’être plus que l’Eglise qui, avec St Thomas d’Aquin, n’admet pas que la monarchie comme bon régime politique [viii]. Pour preuve, l’Eglise n’a jamais condamné un Etat ou un gouvernement pour avoir préféré la république, par exemple, à la monarchie ; mais seulement parceque telle république s’opposait à ses principes intangibles soit, par exemple, en prétendant régenter l’Eglise elle-même (la Constitution civile du clergé), soit, autre exemple, en considérant que l’autorité politique qu’elle possède ne vient que des hommes ou de leur seule raison (divinisée...) et nullement de Dieu. Il ne faut pas également l’être plus que Dieu lui-même qui, pour son propre peuple dont il était, au début, le vrai roi au temporel comme au spirituel, par l’intermédiaire de Moïse et de ses successeurs, d’où le mot « théocratie » pour désigner ce régime, a accepté plus tard la demande des hébreux de passer au régime vraiment monarchique, ce qui signifiait que Dieu en personne dut abandonner totalement le gouvernement du domaine temporel à un roi humain. Mais attitude divine figurant et annonçant sans aucun doute celle à venir de Jésus qui a déclaré : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu ; et à César ce qui est à César ! »
Il n’est donc pas catholique de ne nourrir qu’une pure et vaine nostalgie pour le régime absolument ou exclusivement monarchique! La vocation de la Fille aînée de l’Eglise vient avant tout de ce qu’elle a été la première grande nation catholique ; et secondairement une monarchie car c'était tout simplement, à l’époque, le régime partout en vigueur sous une forme ou sous une autre. Le devoir du catholique d’aujourd’hui, pour que sa patrie revienne à sa vocation trahie, est donc de travailler de toutes ses forces, et non d’attendre seulement que cela tombe tout cuit du Ciel par la seule prière, à doter son pays, certes, du meilleur régime possible et réaliste, en fonction des circonstances dans lesquelles la Providence l’a placé, mais surtout en plein accord avec l’Eglise, comme l’ont fait des saints tels, par exemple, St Nicolas de Fluë pour la Suisse ou Garcia Moreno pour l’Equateur : dans les deux cas des démocraties. Or depuis 200 ans et dans tous les pays des parties du monde, ancien et nouveau, qui constituaient il y a encore peu la Chrétienté véritable - mais plus maintenant - il y a là un immense chantier que trop délaissé par les catholiques et non sans faute morale en soi grave, il faut le dire, soit en se désintéressant du bien politique de leur pays (tendance « intégriste »), soit en accommodant bien trop facilement des gouvernements partout en place (tendance libérale) et régis par les principes dénoncés plus haut, à savoir ceux de la Franc-maçonnerie devenue ainsi toute puissante. Ne serait ce qu’au regard des résultats que celle ci a obtenus, plus patents et choquants chaque jour sous nos yeux, les plus désastreux, au matériel mais surtout au moral, et qui nous valent le plus grand mépris de toutes les contrées non chrétiennes qui autrefois au moins nous admiraient, il faut en finir avec elle!
Mais la vraie contre-révolution n’utilise pas les mêmes procédés immoraux que la Révolution comme la subversion ou la violence illégitime. Commençons par prendre ceux déjà recommandés par l’un des grands papes du XIX : « refuser de prendre aucune part aux affaires publiques, écrivait il, serait aussi répréhensible que de n’apporter à l’utilité publique ni soin, ni concours (les laissant aux mains de ceux dont les opinions n’offrent certes pas grand espoir de salut pour l’Etat) ; d’autant plus que les catholiques, en vertu même de la doctrine qu’ils professent, sont obligés de remplir ce devoir en toute intégrité et conscience » [ix] ! Et c’est ainsi, étant dans la vie politique dans une juste mesure, qu’ils pourront contribuer à la mise en place du régime idéal dans chaque paysde façon avisée mais très probablement progressive. Ce qui suppose, en plus ou en même temps, un travail sérieux et profond de recherche effectué, notamment par les juristes catholiques et en particulier par les constitutionnalistes, afin de l’élaborer de façon réaliste, compte tenu des circonstances, des aspirations actuelles et légitimes de chaque peuple ; compte tenu aussi de l’enseignement du docteur commun. Or, pour lui, l’ideal est en soi un régime mixte [x] : d’une part,monarchique ou oligarchique, cad avec un seul homme ou quelques hommes sages ayant un véritable pouvoir souverain de gouvernement mais qu’ils considèrent détenir et dépendre de Dieu (pas comme dans toutes les soit disant monarchies d’aujourd’hui où le roi a en réalité totalement abandonné son pouvoir) ; d’autre part,avec en même temps une composante démocratique mais en se départissant du principe actuel faux selon lequel la souveraineté appartiendrait au peuple, donc composante justement à inventer ou à définir de façon précise par les spécialistes catholiques du droit, pour tempérer la monarchique ou l’oligarchique qui, dit très sagement le saint docteur et comme cela se vérifie très aisément, dégénère très facilement en abus de pouvoir, voire en tyrannie, même, de nos jours, dans nos Etats dit démocratiques mais, en réalité, plutôt oligarchiques.
Nous vous invitons donc à prier,spécialement au cours de cette messe, pour que Dieu suscite une génération de tels esprits généreux, féconds et très utiles à leur patrie afin de contribuer à ou de préparer sur des bases viables et solides son redressement pour la prospérité ou le salut à la fois temporel et spirituel de tous ses vrais enfants, si bien assuré dans les temps ancienspar les Rois Très Chrétiens, même si, en pratique,pas de façon toujours parfaite, loin s’en faut. Mais rien ne l‘est ici bas, même dans l’Eglise, pourtant seule société encore dotée, depuis la fin du peuple élu, sa figure, d’un régime ou gouvernement d’institution vraiment divine et absolument immuable ; et, en plus,assurée que les forces de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle... Plaise à Dieu que re-vive ainsi la France catholique !Ainsi soit il
PMG+, le 21 janvier 2016, à St-Nicolas
----------
[i] massacres de fin 1792, entre autres
[ii] in « Louis XVI » de Jean-Christian Petitfils, Perrin, 2007
[iii] in « Histoire et dictionnaire de Paris », A. Fierro, R Laffont, 1997
[iv] in L’Express, Grand format, n° 6
[v] Pierre Mollier dans Le Point du 26 janvier 2012
[vi] in « Ils l'ont découronné », Mgr Marcel Lefebvre, Fideliter, 1987, p 11
[vii] qu’on aurait dû anoblir en M. de La Guillotine pour le grand service rendu à l’humanité par sa technique de mise à mort propre et presque douce...
[viii]cf. Somme Théologique, IaIIae, q 95, a4
[ix] cf. Léon XIII dans « Immortale Dei »
[x] cf. Somme Théologique, IaIIae, q 105, a1 ; s’oppose à la « monarchie absolue » dans laquelle tous les pouvoirs sont réunis entre les seules mains du roi : comme sous Louis XIV qui avait notamment réduit le pouvoir de remontrance des Parlements quasi à néant ; et qui avait réussi à faire disparaître toute fronde chez la oisive et remuante noblesse en l’attirant à la cour de Versailles pout l’amuser et ainsi la contrôler ; s’oppose aussi en soi à la « démocratie absolue » dans laquelle tous les pouvoirs sont en théorie réunis entre les mains du peuple mais qui n’est qu’une vue de l’esprit ou qui est irréalisable en pratique: comme dans toutes les « démocraties populaires » qui n’avaient, c’est bien connu, absolument rien de monarchique... Il semble que Louis XVI, qui avait déjà effectué bien des réformes importantes, était disposé à faire évoluer le régime de la monarchie absolue vers celui d’une monarchie avec une certaine démocratie(in « Louis XVI » de Jean-Christian Petitfils) : par sa mort injuste, effet de viles passions déchaînées et déraisonnables, nous avons donc perdu au moins de 2 à 3 siècles pour l’inventer et le mettre en place !