Le Seignadou - avril 2014
La grande question qui se pose à nous, et à nos supérieurs en premier lieu, est sans aucun doute celle-ci, bien formulée par un ami : « N’y a-t-il aucun danger pour la foi à accepter de se mettre sous une autorité, Pape ou évêque, qui, sans discontinuer depuis 50 ans, œuvre à la destruction de cette foi, et cela sans s’accorder avant sur les questions doctrinales en cause ? »
La grande question qui se pose à nous, et à nos supérieurs en premier lieu, est sans aucun doute celle-ci, bien formulée par un ami : « N’y a-t-il aucun danger pour la foi à accepter de se mettre sous une autorité, Pape ou évêque, qui, sans discontinuer depuis 50 ans, œuvre à la destruction de cette foi, et cela sans s’accorder avant sur les questions doctrinales en cause ? »
La première réponse est
évidemment : Bien sûr, le danger est grand et réel, nous en sommes tous
conscients et nous l’avons toujours dit et même explicité. Il est facile de se
reporter à toutes les études que nous avons faites sur le Concile, le nouveau
catéchisme, Jean XXIII et Jean-Paul II, entre autres. Il est bien évident que,
si aucun « accord » n’est encore intervenu, ainsi que l’a clairement exposé Mgr
Fellay, c’est bien parce que nous ne voulons pas nous soumettre
inconditionnellement à une autorité dont nous ne sommes pas sûrs qu’elle nous
veuille du bien et nous permette de continuer à servir la Tradition de l’Église
sans nous contraindre à accepter Vatican II sans discussion.
Cela dit, peut-on parler d’une
autorité qui œuvre à la destruction de la foi ? Il semble plus juste de parler
d’une autorité qui ne professe pas la foi ou ne la confesse pas dans son
intégrité, et qui professe des vérités dangereuses ou même contraires à la foi.
Car il faut distinguer entre une intention de détruire la foi et un effet non
directement voulu. Que cette perte de la foi soit une conséquence des doctrines
conciliaires professées depuis 50 ans, cela est évident mais peut-on dire que
telle était et demeure l’intention de leurs promoteurs ? Si tel était le cas,
ces autorités n’auraient plus la foi et ne seraient plus formellement
catholiques, et croire cela c’est être implicitement sédévacantiste. Absit.
Si nous en venons à la nécessité
de « s’accorder avant sur les questions doctrinales », nous sommes tous
d’accord pour dire que c’est un idéal vers lequel nous tendons de toute notre
âme. C’est le but ultime de notre résistance et de toutes nos démarches. Nous
pouvons appeler cela la « conversion » de Rome, ou son retour à la Tradition
pleine et entière. Oui, « quand il s'agit de fin, il ne saurait y
avoir de mesure à garder », mais cette mesure est à garder « quand il
s'agit de ce qui est relatif à la fin, dit Aristote. » (Saint Thomas
d’Aquin - IIa-IIae, 184, 3). Et c’est la prudence qui nous inspirera le choix des
moyens à employer pour atteindre cette fin. Il faut donc être réaliste ou
pragmatique ! N’est-il pas utopique, par exemple, d’imaginer (et de demander)
que la Rome d’aujourd’hui rétablisse dès aujourd’hui l’obligation du serment
anti-moderniste, renouvelle les condamnations portées par Quanta Cura et le
Syllabus, Pascendi, Humani Generis, ou réaffirme la doctrine de Quas Primas sur
la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Pouvons-nous imaginer que cela se
fasse dans l’immédiat ? Certes ce serait l’idéal, et nous le désirons tous,
mais pouvons-nous espérer que cela puisse arriver avant plusieurs générations,
et même que cela puisse se faire si le mouvement n’est pas entretenu par des membres
reconnus et admis, dont la foi et l’obéissance ne sont pas mises en doute ?
Cela, nous ne pouvons pas l’attendre des communautés « Ecclesia Dei »,
puisqu’elles ont accepté Vatican II pour être reconnues, et qu’elles se sont
engagées à n’élever aucune objection doctrinale aux thèses en cours. Nous
demeurons les seuls et les derniers témoins de la Tradition de l’Église dans
son intégralité, mais nous ne pouvons pas garder ce trésor pour nous seuls.
Nous devons, au contraire, aspirer à le remettre entre les mains de l’Église,
et donc du Pape, dès que cela sera possible.
Ce désir est le sens des
décisions et des déclarations de nos chapitres généraux de 2006 et de 2012. «
Si, après leur accomplissement (des deux préalables), la Fraternité attend la
possibilité de discussions doctrinales, c’est encore dans le but de faire
résonner plus fortement dans l’Église la voix de la doctrine traditionnelle. En
effet, les contacts qu’elle entretient épisodiquement avec les autorités romaines
ont pour seul but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Église ne
peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour
elle-même, ou d’arriver à un impossible « accord » purement pratique.
Le jour où la Tradition retrouvera tous
ses droits, le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Église
retrouvera une nouvelle jeunesse ». Le
préalable des discussions doctrinales a été ajouté aux deux autres préalables
édictés par Mgr Lefebvre, en 2001-2002, lors de la reprise des échanges avec
Rome. Engagées après la réalisation des deux premiers préalables en 2007 et
2009, ces discussions, menées pendant une année, n’ont abouti à aucun accord.
Sans aucun doute, les conditions nécessaires au rétablissement de relations
normales sont donc encore loin d’être réalisées, et le danger est toujours
réel, cela est vrai, d’un accord canonique, sans accord doctrinal préalable.
Mais devons-nous attendre le miracle sans rien faire pour que l’Église retrouve
une nouvelle jeunesse ?
Et que pouvons-nous attendre et
réclamer raisonnablement en matière d’accord doctrinal actuellement ? La seule
chose que nous puissions espérer et demander, semble-t-il, est la liberté de
discuter Vatican II. Qu’on cesse de nous imposer ce préalable d’une acceptation
inconditionnelle de Vatican II. Qu’il soit admis que ce concile a été et
demeure « pastoral » et non dogmatique, et qu’il peut donc être légitimement
objet de discussions. Cesser de nous imposer d’accepter Vatican II sans
discussion possible, et accorder cette liberté serait déjà une étape
importante, car ce serait reconnaître implicitement que nos arguments ont de la
valeur. Une autorité qui consentirait à cela serait déjà une autorité non
hostile à la Tradition, voire désireuse de la rétablir dans l’Église, et ce
serait déjà une vraie conversion de Rome. Nous n’en sommes pas encore là, et
c’est pourquoi rien n’a été fait. Mais si Rome acceptait de ne plus faire de
Vatican II un super-dogme, cela serait déjà une grande victoire de la grâce, et
pourrait permettre d’envisager alors de rétablir un certain lien canonique.
Quand viendra ce jour ? Nul ne le sait, mais nous l’attendons avec confiance.
C’est alors qu’il faut ouvrir les
yeux sur un autre danger, qui n’est pas hypothétique mais très actuel : celui
de ne plus aspirer à reprendre notre place légitime parmi les sociétés
reconnues par Rome, perdre le désir de l’Église et de Rome. Ne plus désirer le
lien normal avec Rome et l’Église est l’ombre de l’esprit schismatique. Nous
vivons depuis très longtemps indépendamment du Pape et des Évêques, comme si
cela était normal. Nous prétendons défendre la doctrine, mais, tous, nous
risquons de nous établir une doctrine à la carte, en abandonnant certains
dogmes, ceux qui nous gênent, notamment ceux qui sont liés à la primauté de
Pierre. Nous risquons tous de nous habituer à l’anormal, de vivre dans une
situation confortable, comme si cela était juste et conforme à l’esprit de
l’Église. Le Pape et les évêques seraient peu à peu cantonnés dans l’ordre des
êtres de raison, sans répercussion sur la vie concrète ; Rome ne serait plus
qu’un lieu de pèlerinage, et l’Église un corps mystique dont la tête serait
Jésus-Christ, l’âme le Saint Esprit, et les membres les « tradis ». Nos prêtres
peuvent vite devenir des gourous. Chacun pourrait devenir pape le Denzinger à
la main, et tout père de famille serait alors le pape de sa famille. Dans ces
conditions, nos enfants n’auraient plus aucun sens de ce qu’est l’Église réelle
dans son incarnation totale, de la tête jusqu’aux membres, dans toutes les
réalités de la vie quotidienne.
Quant à l’autorité… reconnue en
principe mais non admise dans les faits quand il s’agit du Pape, elle risque de
ne plus être admise à quelque degré que ce soit. Tout supérieur court le risque
d’être contesté, critiqué même publiquement… et les familles elles-mêmes se
disloqueront. Pourquoi obéir à un père qui n’obéit pas au Pape, à l’Évêque, au
prêtre ?
Qui dit ligne de crête dit danger
des deux côtés. Celui d’une reconnaissance mal assurée en est un ; le danger
interne que nous venons de décrire en est un autre. Alors que le premier
demeure fort hypothétique, le second, quant à lui, n’est pas pour demain ; il
n’est même pas à nos portes... Il est déjà présent au-dedans de la cité et de
nos familles !
Avons-nous donc raison de
craindre le premier danger ? Sans doute, mais non au point d’en perdre
l’espérance et la foi dans la grâce de l’Église. Et nous ne pourrons l’affronter
et en triompher, que si nous savons unir nos forces au lieu de nous diviser,
pour faire front sous la sage et prudente direction des chefs que Dieu nous a
donnés. « Tout royaume divisé contre lui-même sera dévasté », et la dialectique
diffusée par les « résistants » n’a d’autre effet que de nous affaiblir dans
notre véritable résistance aux maladies qui rongent l’Église, et dans notre
fidélité à la ligne sagement suivie et définie par Mgr Lefebvre. C’est à croire
que ces résistants n’ont plus d’autre ennemi que Mgr Fellay et la Fraternité.
Ils ont visiblement rejeté toute référence à Rome, et il ne leur reste plus que
nous pour justifier leur résistance ! Et si l’on vient nous dire que ces «
résistants » ont été traités injustement, nous pourrons conseiller la lecture
et la méditation de la vie des saints et des grandes figures de l’Église, lesquels
savaient ce qu’est la vertu d’obéissance, et savaient présenter leurs
difficultés à leurs supérieurs sans prendre à témoin la planète entière, sous
couvert de sauver la foi, la justice et la vérité. Qui est le plus injuste,
entre une autorité qui peut être sévère, voire trop sévère, et un sujet qui
diffuse toutes ses rancœurs sans la moindre prudence, et n’hésite pas à salir
publiquement ses supérieurs ?
Qu’on lise et médite, entre
autres, l’exemple de Mgr Lefebvre. Quand il a quitté sa congrégation des Pères
du Saint-Esprit qui tombait en déliquescence, combien de pères a-t-il appelés à
le suivre ? Aucun. Combien de tracts et de livres a-t-il rédigés pour dénoncer
la dérive de sa congrégation ? Aucun. Il n’est plus reparu au chapitre général
et il est parti avec une simple valise. Qu’on lise également la vie de sainte
Thérèse Couderc, fondatrice et première supérieure des sœurs du Cénacle,
destituée et remplacée par une riche veuve, nouvellement entrée dans la
congrégation, à qui fut donné le titre de fondatrice et supérieure. Sainte
Thérèse, qui n’avait commis aucune faute, se retira sans murmurer contre
l’injustice flagrante, tandis que la congrégation s’effondrait peu à peu (Elle
refleurira après l’épreuve : cf. texte complémentaire, ci-dessous). Quelle
différence avec les départs tonitruants de ces derniers mois qui montrent bien
que les préoccupations de quelques-uns ne ressemblent guère à celles de ces
hommes et femmes épris de Dieu.
Sous prétexte de crise dans
l’Église, faudra-t-il nous résigner à ne plus vouloir imiter les saints ?
Faudra-t-il laisser cette crise décapiter l’espérance en nos cœurs ?
Notre-Dame de la
Sainte-Espérance, convertissez-nous.