19 décembre 1979

[Père Guérard des Lauriers] 3ème réponse à la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n°16

SOURCE - Père Guérard des Lauriers - 19 décembre 1979

3ème réponse du Père Guérard des Lauriers à la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n°16
EINSICHT, février 1980 (pp. 1-9)
Le Père M.L. GUERARD DES LAURIERS
à Monsieur le DIRECTEUR
du Journal EINSICHT

Monsieur le Directeur,

La Lettre N°16 adressée par Mgr Lefebvre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité a suscité, vous le savez, de profonds remous. Votre Journal, Dieu merci, n'y a pas été étranger. Vous estimerez certainement conforme à la Sagesse que, liées dans leur origine, les mêmes causes le soient en leur achèvement.

Il est opportun, si vous y consentez, de préciser quelles furent les phases d'une polémique, dont la violence croissante manifeste tout simplement la gravissime importance.

1. 19 mars 1979. Lettre NI 6, de Mgr Lefebvre, aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité S. Pie X.

2. 12 avril 1979. Première lettre personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le Père Guérard des Lauriers.

3. Mai 1979. Publication de cette lettre, en allemand et en français dans Einsicht.

4. 15 juin 1979. Lettre de Mgr Lefebvre à des amis, publiée seulement en août 1979 dans le N°8 du Bulletin d'Information de la Fraternité sacerdotale S.Pie X de langue allemande.

5. 20 juin 1979. Eclaircissement (Erwiderung) demandé au Père Guérard par Einsicht [par personne interposée]. Cette personne avait-elle eu connaissance de la lettre (4) ? L'Erwiderung demandée a été expédiée par le P. Guérard dans les jours suivants.

6. 29 Juin 1979. Seconde lettre, personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le P. Guérard.

7. Septembre 1979. Publication sur la même page 93, du Journal Einsicht des deux documents (4) et (5).

8. Novembre 1979. Publication dans la revue Itinéraires N°237 (p. 157) du document (4) précédé d’une « introduction » par M. Jean Madiran.

9. 10. etc. [Au niveau « épigone »] Novembre 1979. Commentaire du R.P. Barbara dans « Forts dans la Foi » N° 59-60 (p. 243, quatre premières lignes). Commentaire Ollion, De Pas et compagnie, dans « Lettre de la Péraudière » N° 95 (p. 13).

Mgr Lefebvre n'a pas [encore] répondu aux deux lettres (2,6) que je lui ai personnellement adressées.

Je n'ai eu connaissance de la lettre (4) que par le document (7). Je rends hommage à la loyauté avec laquelle le Journal Einsicht a publié simultanément les deux documents (4) et (5). Et je suis assuré, Monsieur le Directeur, que la même loyauté vous inclinera à accueillir très objectivement les trois arguments que je me permets de vous proposer.

Ils concernent les événements récents ou passés dans lesquels le
Journal Einsicht se trouve impliqué.

Il y a d'abord les faits [1]. En second lieu, les commentaires qui en ont été donnés [2]. Enfin, il y a surtout les très graves questions doctrinales qui sont sous-jacentes à la polémique [3].

Les deux premiers points me concernent plus personnellement, mais il est difficile de les séparer de la question doctrinale à laquelle le Journal Einsicht a déjà apporté de si importantes contributions.

[1] Le premier argument n'a d'importance qu'en raison de la polémique dont il continue d'être le prétexte.

Il s'agit du différend survenu entre Mgr Lefebvre et moi-même concernant la question de savoir si Mgr a célébré la "dite nouvelle messe" promulguée par le cardinal Montini le 3 avril 1969.

J'ai affirmé qu’il en fut ainsi (2); Mgr Lefebvre l'a nié (4).
 
J'ai déclaré (5,6) ne pas mettre en doute la loyauté de Mgr Lefebvre, et j'ai reconnu, dans la lettre (5), que Mgr n'a jamais célébré la dite nouvelle messe. J'ai cependant précisé, dans cette même lettre, et je maintiens, que les observations contenues dans cette lettre sont conformes à la réalité. Je reviens brièvement sur ce point.

Quiconque a pu observer, le 5 mai 1969 et ensuite jusqu'au 24 décembre 1970, que Mgr Lefebvre omettait les deux génuflexions qui sont immédiatement consécutives à chacune des deux consécrations, et antérieures aux Elévations. C'est l'interprétation de cette omission qui est à l'origine de la "contestation".

Je n'ai moi-même suivi aucune des réformes qui ont précédé la promulgation du n.o.m., et je n'en ai eu qu'une connaissance confuse, car la chose ne m'intéressait pas. La Constitution Missale romanum, jeudi saint 3 avril 1969, fut, dans le ciel de Rome, et ailleurs, un coup de foudre. Combien de fois avons-nous entendu, en ces années"conciliaires": "On introduit une modification sans importance; mais le Canon, mais la Consécration... on n’y touchera jamais !" On connaissait le refrain ; on n'y croyait pas trop, et on n'osait pas ne pas y croire. Enfin, ce 3 avril 1969, ce fut la terrifiante réalité. La Messe était atteinte en plein coeur.

Il fallait résister. J’ai cessé de nommer Paul VI "una cum Ecclesia tua sancta catholicá". Quelques amis, soutenus d'ailleurs par Mgr Lefebvre et par le Cardinal Ottaviani, travaillèrent beaucoup, jour et nuit. Nous n'avons certes pas tout vu, puisque nul d'entre nous n’a émis l'hypothèse que le n.o.m. pût être invalide...; les arbres cachèrent la forêt ! Mais enfin les altérations apportées à l'Ordo Missae furent détectées, et elles s'imprimèrent dans nos mémoires comme autant de provocations sacrilèges, comme étant également les critères propres de la dite nouvelle messe.

L'omission des deux génuflexions, immédiatement consécutives aux deux Consécrations, était et demeure, de toutes les altérations visibles [et pas seulement audibles], la plus insidieuse et la plus typique.

Le 5 mai 1969, les quelques amis qui ont assisté à la Messe que Mgr célébrait sur le tombeau de S.Pie V n'ont pas entendu les paroles consécratoires, mais ils ont observé 1'omission des génuflexions. Ce fut un second coup de foudre, certes de moindre module ! mais enfin l'écho du premier. Car, dans ces circonstances, cette Messe était, au moins à Rome, le premier acte public de résistance, et de dévotion. Or cet évêque que nous suivions, ou qui nous suivait, voici que cet évêque suivait le pape, mettant sa dévotion au service du pape et non au service de la Foi.

Mgr Lefebvre affirme n'avoir jamais célébré la dite nouvelle messe. Je le crois sur parole, et le lui ai déjà accordé (6). J'en conclus que Mgr Lefebvre avait adopté, avant le 3 avril 1969, les modifications auxquelles il s'est conformé jusqu'au 24 décembre 1970, modifications qui ont acquis, le 3 avril 1969, la si grave signification qu'elles ont depuis lors conservée. Je reconnais donc avoir erré en affirmant que Mgr Lefebvre a célébré la dite nouvelle messe ; je maintiens que Mgr Lefebvre s'est comporté de telle manière qu'on se trouvait induit à le supposer.

Puisqu'en effet l'omission des dites génuflexions signifia officiellement et canoniquement la dite nouvelle messe, au moins à partir du 30 novembre 1969. C'est ce dont je fais état dans ma seconde lettre (6).

[2] Le second argument me concerne plus personnellement. Mais il intéresse également le journal Einsicht.

Il s'agit en effet du document 8. Or ce document 8, d'une part publie le document 4, d'autre part renvoie au document 3 publié par Einsicht, sans faire état du document 5 également et loyalement publié par Einsicht.

La première observation concerne l'ordre chronologique des documents 3 à 8.

Comment Mgr Lefebvre répond-il, en septembre (document 7), à une accusation dont j'ai précisé la portée au mois de juin (document 5), sans tenir compte de cette précision ? Comment Mgr Lefebvre ose-t-il faire état au mois de septembre (7), d'une accusation qui, prise au sens où il l'entend, a été explicitement retirée par moi le 29 juin (6) ? Je dois supposer que Mgr Lefebvre "a oublié" de rectifier le document (4); lequel est cependant diffusé pour me diffamer (8,9,10). A défaut de cet "oubli", je serais fondé à me demander si Mgr n'est pas de mauvaise foi.

M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance de ma première lettre (2), puisque, dit-il (Cool, elle circulait "sous le manteau", a certainement eu connaissance de ma seconde lettre (6); attendu que ces deux lettres ont été diffusées exactement dans les mêmes conditions. M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance du document (3), puisqu'il y renvoie (Cool, a certainement eu connaissance du document (7); puisque M. Madiran suit le journal Einsicht, il a très probablement lu le numéro de Septembre, tout comme il a lu celui de mai. Comment, dans ces conditions, M. Madiran ose—t-il me faire grief au mois de novembre (Cool d'une accusation que j'ai précisée (5), et que j'ai explicitement retirée (6), si on donne à cette accusation la portée que l'on persiste faussement à m'imputer. Je suis fondé à me demander si M. Madiran ne serait pas de mauvaise foi ?

La seconde observation concerne le contenu des documents.

L'incident du 5 mai 1969 n'est mentionné dans ma première lettre à Mgr Lefebvre (2) que comme un épisode secondaire. Cette lettre traite de graves questions, et comporte six pages. Mg Lefebvre n'y répond que sur un seul point, et M. Madiran en isole une seule phrase. En ne répondant rien, ni à la seconde lettre (6) ni à l'Erwiderung (5, 7), Mgr Lefebvre et M. Madiran visent à "enterrer" la question véritable : la tragique question que pose cependant l'infâme lettre 16 (1), laquelle a seule motivé les deux lettres que j'ai adressées à Mgr Lefebvre (2, 6).

Je le répète, le "procédé" est malhonnête.

Il y a la manière "évangélique", ou plus exactement ecclésiastique, celle de l'évêque Mgr Marcel Lefebvre, "vénéré prélat" intègre et magnanime qui, inculpé, joue spontanément le "Christ aux outrages", en assimilant "les autres" [l'enfer, c'est les autres ?] à la "soldatesque".

Il y a la manière "hépatique" du polémiste M. Jean Madiran, qui vomit toute sa bile: "atroce lettre ouverte, d'insultes et de calomnies", "entre autres infamies ", "odieuse, cette calomnie était d'abord extravagante, délirante" ; "selon le calomniateur délirant"; "la lettre immonde du P. Guérard", "[lettre] que se passaient les uns les autres les amateurs de saleté..."

La manière ecclésiastique, et la manière hépatique sont également infra mentales ; le mépris et l'invective ne sont que passion dévoyée. La colère du polémiste qui explose, et le silence de l'évêque qui ne me répond pas, sont-ils de fines "passes diplomatiques" ? Certainement du moins, ils entraînent les mêmes résultats, à savoir de paraître ignorer ce qu'on devrait loyalement considérer, à savoir surtout de dégrader une question de doctrine en une question de personnes, et de désamorcer l'attention des malheureux fidèles en éludant la véritable question.

C'est cette question, M. le Directeur de "Einsicht", que je me permets de vous rappeler, sachant d'ailleurs qu'elle constitue la vivante inspiration du "bon combat" que vous soutenez.

[3] Le troisième argument a pour objet la question dont la gravité est manifestée par la violence croissante de la polémique qui est engagée.

Cette gravissime question n'est rien moins que la suivante. Peut-on servir par la duplicité l'Eglise de CELUI QUI EST LA VERITE ?

Cette question ne se pose pas certes dans l'ordre théorétique. Quant au principe en effet, la réponse est si évidente que la question est, comme telle, résolue, c'est-à-dire supprimée.

Mais cette question se trouve posée, chaque jour plus tragiquement, dans l'ordre pratique, par Mgr Lefebvre lui-même et par tous ceux qui le suivent en fait inconditionnellement. Comment peut-il être en fait imperturbablement double cet évêque qui, par attachement à la Vérité de la Foi, veut être le témoin de la Tradition ? Telle est, concrètement, la véritable question.

Double, Mgr Lefebvre l'a été le 5 mai 1969. Alors que, considéré
comme étant l'âme d'un minuscule groupe "ami" qui travaillait jour et nuit pour sauver la Messe contre la messe, et manifestant à ce groupe encouragement et sympathie, Mgr Lefebvre infligea à ce même groupe le désaveu public d'une allégeance inconditionnelle à 1'"autorité" qu'il fallait contrer.

Double, Mgr Lefebvre l'a été, en se ménageant 1’"autorité", et en ne signant pas la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI ; alors que, reconnaissant 1'"autorité ", il encourageait cependant très vivement la confection de ce document.

Double, Mgr Lefebvre l'a été depuis 5 ans au moins, à Ecône, en refusant systématiquement, malgré les sollicitations pressantes et réitérées qui lui ont été adressées, d'expliciter clairement les principes qui seuls peuvent fonder et justifier de résister à 1'"autorité".

Double, Mgr Lefebvre l'a été le 24 décembre 1978, d'abord en reconnaissant par la demande qu'il faisait l’"autorité" à laquelle cependant il désobéit ; ensuite et surtout en postulant qu'il y ait, dans l'Eglise, une dualité au coeur même de ce qui y est le principe de l'unité: la Messe et la "messe" faisant "un" de par l'autorité d'évêques... schismatiques évidemment !

Cinq ans au moins durant, on [je ne suis pas le seul !] a interrogé, attendu, espéré. L'inqualifiable lettre adressée au "pape" par Mgr Lefebvre le 24 décembre 1978 passant toute mesure dans la duplicité, il était impossible de ne pas le crier non possumus non loqui(Actes 4.20).

M. l'Abbé Louis Coache, Docteur en droit canon, et autres, ont tourné en dérision les esprits non diplômés qui "n'ont rien compris". Il s'agissait, paraît-il, d'une "passe diplomatique". Or, si Mgr Lefebvre, en des circonstances graves qui engagent en fait même ceux qui ne veulent pas le suivre, peut penser le contraire de ce qu'il écrit, quel cas peut-on faire de ses démentis ? Et si Mgr Lefebvre pense ce qu'il écrit, a—t-il le droit, parce qu'il est évêque, parce qu'il est, quoi qu'il en dise ou en veuille(?), le "panache blanc" des fidèles attachés à la Tradition, a-t-il le droit d'affirmer, pratiquement, une hérésie ?

Je ne suspecte ni la sincérité, ni le zèle, ni le désintéressement de Mgr Lefebvre. Je reconnais, et rends à nouveau hommage à toutes ces qualités. Je dois cependant observer que, du 5 mai 1969 au 24 décembre 1978, et même jusqu'en 1980, Mgr Lefebvre n'a pas changé, et c'est ce point qu'il importait malheureusement de souligner : Monseigneur demeure écartelé entre la Vérité et l’"autorité", entre le désir théologal de servir l'Eglise et la hantise viscérale d'avoir un statut canonique dans 1’"église".

Les fidèles, qui en fait adulent Mgr Lefebvre, le suivent comme s'il était le pape, parce qu'ils éprouvent le besoin d'en avoir un. Il faudrait les dissuader de l'erreur dont ils n'ont pas conscience, au lieu de les y incruster. Tous ces fidèles ont le droit de savoir ce à quoi ils exposent l'Eglise et eux-mêmes, en se soudant à un homme qui sera, qui est déjà, l'instrument inespéré dont l’"autorité" use, en vue de tout perdre, avec une maîtrise consommée. Or, ce que les fidèles ont le droit de savoir, j'estime avoir le devoir de contribuer à le leur faire connaître. Voilà pourquoi j'ai parlé. "Credidi, propter quod locutus sum" (2 Cor 4.13). Se taire, ce serait conspirer dans le "mystère d'iniquité" (2 Thess 2-7).

Je ne juge pas Mgr Lefebvre, ni d'ailleurs qui que ce soit. Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à Pilate, comme m'en accuse faussement M. Madiran. J'ai écrit et je répète que le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Eglise qu'il désire sauver - je n'en doute pas ! - aura et a déjà immanquablement le même résultat que le comportement de Pilate qui voulut très probablement sauver Jésus.

Je n'ai jamais ni dit, ni écrit, ni pensé, que Mgr Lefebvre fût un traître, ainsi que l'a somnanbulé le P. Barbara (Forts dans la Foi N°59-6O, p. 243, quatre premières lignes). J'ai écrit, et je répète, que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron, les sous-Madiran à la sauce Ollion et les sous-sous-Madiran à la manière De Pas et compagnie (Lettre de la Péraudière, N 95, p. 13), tous font, volens nolens l'oeuvre du Traitre, c'est-à-dire de Satan "le père du mensonge"(Jean 8,
44), parce qu'ils sont "doubles".

Vae duplici corde (Eccli 2.14).

Il n'est pas possible d'être, sous quelque rapport que ce soit, avec ce qui est "double", sans le devenir soi-même. Prétendre jouer au plus fin avec Satan, c'est en fait se vouloir plus Rouble qu'il l'est lui-même. C'est lui rendre hommage en tant qu’il profère le mensonge de son propre fonds. Telle est la terrible vérité qui justifie existentiellement l'intransigeante rigueur de Dieu.

"Jusqu'à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si Yaweh est Dieu, allez après Lui; si Baal est dieu, ne suivez que lui" (3 Rois 18.21).

Si 1'« autorité » est l'Autorité, suivez Wojtyla qui est 1'"autorité", et ne suivez que lui. Si l'Autorité est Vérité, ne vous provolutez plus devant ce Wojtyla qui affirme l'hérésie. Telle serait, à l'égard de Mgr Lefebvre, l'impérieuse requête du prophète Elie.

J'ai tout lieu de penser, Monsieur le Directeur, que vous en êtes d'accord. Et c'est la raison pour laquelle j'ose vous demander de bien vouloir publier ces observations dans votre journal Einsicht. Je vous en remercie à l'avance, et vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.

M.L. GUERARD DES LAURIERS

Mercredi des Quatre Temps de l’Avent, 19 décembre 1979.

15 décembre 1979

[Mgr Schmitt, évêque de Metz] A propos du missel de saint Pie V

SOURCE - Mgr Schmitt, évêque de Metz - via La Porte Latine - décembre 1979

Sous ce titre, Mgr SCHMITT, évêque de Metz, a publié dans le bulletin de son diocèse (Eglise de Metz, décembre 1979) la note ci-après à la suite des remous suscités par l'interdiction de messes « traditionalistes » dans une salle prêtée par la municipalité communiste de Thionville (1):
De récentes informations sur des messes dites « traditionalistes » célébrées en notre diocèse ont suscité bien des émotions et des confusions parmi les membres de nos communautés ecclésiales.

Le moment semble vertu de dissiper les malentendus et de dire, au nom de l'Eglise, les véritables enjeux des oppositions à la réforme du missel romain, promulguée par Paul VI. Il n'est pas sain de laisser subsister certaines ambiguïtés.

Les enjeux sont graves. Ils ne concernent pas seulement la prière de l'Eglise. Ils concernent toute notre façon de nous situer dans l'aujourd'hui de l'Eglise et du monde. Notre foi en Jésus-Christ, sauveur des hommes d'aujourd'hui, comme notre foi en la signification de l'Eglise sont en cause.

L'aujourd'hui est difficile. Tout semble aller à la dérive. Les mutations sont si rapides, les changements si profonds, que beaucoup en éprouvent du vertige.

Mais a-t-on le droit de prendre prétexte de cette insécurité pour semer autour de soi le doute sur la fidélité de l'Eglise à son Seigneur et de provoquer une crise de confiance à l'égard de ses légitimes pasteurs? La façon dont l'Eglise vit et célèbre sa foi doit être au-dessus de toute contestation.
Les Conciles et le renouveau de l'Eglise
En période de crise, lorsqu'elle est mise en présence de choix qui engagent gravement sa cohérence avec l'Evangile et son avenir parmi les hommes, c'est toujours par la prière que l'Eglise commence.

Il en fut ainsi à la Pentecôte. Il en fut ainsi au Concile de Trente. Il en fut ainsi à Vatican II.

C'est pour faire aboutir les réformes exigées par la grave crise que l'Eglise traversait au moment de la Renaissance que le Concile de Trente avait demandé une révision des livres liturgiques. C'est saint Pie V qui, reprenant et réorganisant la tradition, a réformé le missel romain. Comme il le dit dans la Constitution Quo primum qui ouvre le missel rénové, sa visée était « la norme et les rites des Saints-Pères ».

Un liturgiste peu suspect de progressisme, Dom Paul Nau, moine de Solesmes, n'hésite pas à reconnaître les limites de cette réforme.

« Limitée par l'insuffisance d'information, par le climat de controverses où elle était accomplie, comme par la perte du sens de l'Eglise et l'individualisme de la « devotio moderna », la réforme de saint Pie V, malgré l'assainissement qu'elle apportait, restait encore loin du retour annoncé « aux normes des anciens Pères »; elle allait même, par la priorité donnée dans ses rubriques à la messe basse, donner un nouvel appui à l'erreur tendant à faire considérer la messe, acte cultuel public par excellence, comme une dévotion privée du prêtre, à laquelle les fidèles seraient invités non à prendre part mais seulement à assister... Ces exemples suffiront pour faire entendre quel long chemin restait encore à parcourir pour atteindre le but assigné par saint Pie V à sa réforme. » (2)

En même temps qu'à l'autorité de saint Pie V, les chrétiens dits « traditionalistes » en appellent volontiers à celle de saint Pie X. Qu'en est-il dans les faits? Dès son élévation au pontificat suprême, saint Pie X envisagea une réforme générale des prescriptions liturgiques. Ses invitations à la communion fréquente et à l'admission précoce des enfants à la première communion sont connues de tous. Mais ses projets étaient bien plus vastes. Dans un Motu proprio de 1913, il écrivait: « Il faudra un grand nombre d'années avant que cet édifice liturgique [...] apparaisse nettoyé de la crasse du temps et de nouveau resplendissant de dignité et de belle ordonnance. »

Interrompue par les deux guerres mondiales, l'oeuvre de saint Pie X fut vigoureusement reprise par Pie XII. C'est à lui que nous devons l'autorisation des messes du soir, l'adoucissement des règles du jeûne eucharistique, la réforme de la vigile pascale et des offices de la Semaine sainte, une simplification des rubriques.

Ce que saint Pie V avait fait pour le Concile de Trente, Paul VI l'a fait pour traduire dans les actes les grandes orientations du Concile de Vatican II. Sa réforme est l'aboutissement de plus de soixante années d'un mouvement liturgique particulièrement riche. Elle est l'aboutissement aussi d'une exploration plus approfondie et plus complète des sources chrétiennes, rendue possible grâce au renouveau biblique, patristique et historique. C'est bien dans la volonté de mieux assumer, dans la prière de l'Eglise, toutes les richesses de la tradition, que Paul VI a réformé le missel romain. C'est aussi pour rejoindre la nouveauté de l'homme et pour permettre à l'Eglise de célébrer sa foi avec un maximum de vérité humaine, mais surtout avec un maximum de vérité évangélique.

Si Paul VI a demandé à tous les membres de l'Eglise d'adopter sa réforme, ce fut, comme saint Pie V; au nom du ministère qu'il assurait au sein de l'Eglise comme successeur de Pierre. Et s'il l'a fait, c'est pour la même raison: l'unité.
Les enjeux ne sont pas ceux que l'on pense
On le pressent: dans les polémiques actuelles il s'agit de tout autre chose que d'une querelle pour ou contre le latin.

Certes, il n'existe pas de langue « sacrée ». Mais comment l'Eglise interdirait-elle le latin? Comment interdirait-elle le grégorien qui, avant de faire partie du patrimoine culturel de l'humanité, fait partie du patrimoine spirituel de l'Eglise?

Tous les dimanches, à la cathédrale et en de nombreuses paroisses du diocèse, la grand-messe continue à être chantée en grégorien, afin de rejoindre tous ceux que la culture et la sensibilité portent à exprimer leur prière dans une langue qui a souvent été identifiée à l'Eglise. Les chants en latin permettent aussi aux fidèles de passage, qui souvent ne parlent pas notre langue, de n'être pas trop dépaysés dans l'assemblée. Cela fait partie de cette très ancienne tradition d'hospitalité eucharistique, qui montre que cette communauté chrétienne, aussi unie soit-elle, n'est jamais aussi unie que lorsqu'elle est capable d'être ouverte à l'universel.

Si l'Eglise permet désormais l'utilisation de la langue courante, c'est en fidélité à l'événement de la Pentecôte. La communauté des disciples de Jésus-Christ est en cohérence avec l'événement qui la fonde lorsqu'elle rejoint tous les hommes, toutes les cultures. Il importe grandement que la parole de Dieu puisse être entendue dans toutes les langues parlées par les hommes. Il importe grandement que l'Eucharistie puisse être célébrée avec un maximum de participation de la part de l'assemblée, dans une grande fête pour Dieu qui soit aussi une grande fête pour l'homme.

Il est faux de prétendre que l'Eglise interdit de célébrer la messe en latin. Elle demande, certes, que désormais on utilise le nouveau missel, mais celui-ci comporte une édition latine. Les prêtres âgés ou infirmes qui sont dans l'impossibilité de s'adapter au nouveau missel peuvent être autorisés par leur évêque à se servir de l'ancien missel. A une condition toutefois, qu'il s'agisse de célébrations privées, c'est-à-dire sans assistance de peuple.
En demandant aux fidèles d'utiliser désormais le Missel de Paul VI il ne s'agit pas de jeter le discrédit sur le Missel de saint Pie V
Il serait monstrueux de prétendre que pendant quatre siècles l'Eglise a célébré sa foi dans l'incohérence. Il serait tout aussi monstrueux de jeter un soupçon sur l'oeuvre de Vatican II, de prétendre que le nouveau missel n'est pas conforme à la foi, ou du moins qu'il est ambigu et favorise l'hérésie. II serait également absurde de prétendre que Paul VI n'a pas le droit de changer les formes de célébration de la messe, sous prétexte que saint Pie V nous les a données à perpétuité.

Comme si le temps de l'Eglise s'était arrêté au XVIe siècle! Comme si le grand fleuve de la tradition s'était épuisé au Concile de Trente! Comme si le Dieu des chrétiens était un Dieu figé! Comme si la foi des chrétiens était vouée à une morne répétition! Comme si l'âge d'or de l'Eglise était dans le passé! Comme si la vivante mémoire de l'Eglise, autant que de son passé, n'était pas chargée d'avenir!...

L'Eucharistie que nous célébrons aujourd'hui est substantiellement la même que celle célébrée par les chrétiens de la Renaissance et ceux des tout premiers siècles de l'Eglise.

Bien loin d'altérer la messe de toujours, la réforme commencée par saint Pie V et continuée par Paul VI est caractérisée par une volonté de ressourcement et de fidélité aux origines qui comporte en elle-même l'adaptation aux besoins des fidèles.

Le Concile de Trente, sans cesse invoqué comme une autorité par les détracteurs de la messe de Paul VI, est très clair à ce sujet. Le saint Concile déclare [...] que l'Eglise a toujours eu le pouvoir, dans l'administration des sacrements, restant sauve leur substance, de statuer et de changer ce qu'elle jugerait selon la variété des temps et des lieux le plus expédient pour l'utilité de ceux qui les reçoivent, ou pour le respect dû aux sacrements. (Session XXI Dz. 931.) Pie XII déclarait dans le même sens, à propos des sacrements: « Tous savent que ce qu'elle a établi, l'Eglise peut aussi le changer et l'abroger. » (AAS, 1948 XL, p. 5.)
Mais alors, pourquoi interdire la messe de saint Pie V?
Avec la masse des catholiques, avec la plupart des évêques, voire le Pape lui-même, nous pourrions être tout disposés à laisser ceux qui le désirent célébrer l'Eucharistie selon l'ancien missel. L'essentiel en est d'ailleurs repris dans la Prière eucharistique n° 1 du nouveau missel.

Le drame est que certains font de l'ancien missel le symbole de leur opposition au Concile, le symbole de leur opposition à l'application qu'en font le Pape et les évêques du monde entier.

Comment ne pas percevoir l'invraisemblable et subtile perversion de la démarche!

Le corps sacrifié de Jésus et son sang versé transformés en moyen de protestation contre l'Eglise: est-ce honnête?

La tradition unanime reconnaît le lien sacramentel entre l'Eucharistie et l'Eglise. « Si l'Eglise fait l'Eucharistie, c'est l'Eucharistie qui fait l'Eglise. »

Utiliser l'Eucharistie, signe de l'unité de l'Eglise, pour mettre en péril cette unité, n'est-ce pas frapper l'Eglise en plein coeur? Depuis des siècles vaut l'adage: « Lex orandi, lex credendi » — la règle de la prière exprime la règle même de la foi.

Le refus de l'autorité d'aujourd'hui au nom de celle d'hier, le désaccord avec l'Eglise d'aujourd'hui au nom d'une tradition à laquelle on ne voue qu'un respect formel: est-ce honnête?

La tradition de l'Eglise en matière d'Eucharistie est attestée dès le IIe siècle par saint lgnace d'Antioche: « Que personne ne fasse rien de ce qui concerne l'Eglise en dehors de l'évêque. Que cette Eucharistie seule soit regardée comme légitime qui est célébrée sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il en a chargé. »

Lorsque des chrétiens se rassemblent pour célébrer l'Eucharistie en Eglise, le lien qui les unit ne réside pas dans leurs options culturelles ou sociopolitiques, mais dans leur foi commune. Dans une authentique communauté eucharistique, il n'y a « ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, ni esclave, ni homme libre », mais des frères dans le Christ.

L'opposition à la messe de Paul VI risque d'entraîner une rupture de la communion ecclésiale, un émiettement de l'Eglise. Ce danger de rupture nous atteint profondément. A l'heure où les appels de l'Evangile se font si pressants dans le monde pathétique et passionnant qui est le nôtre, comment ne ressentirions-nous pas l'urgence, pour nous, de l'ultime prière de Jésus-Christ: « Que tous soient un, afin que le monde croie! »

A ma connaissance, les prêtres qui, en Moselle, célèbrent publiquement des messes dites « traditionalistes » sont étrangers au diocèse. Ils n'ont ni demandé, ni reçu aucune mission de l'évêque de Metz. Les groupes qui se rassemblent autour d'eux se mettent, de fait, en état de rupture avec l'Eglise, quelles que puissent être leurs intentions.

Il est de mon devoir d'inviter à la communion en Eglise tous ceux dont la bonne foi aurait été abusée, tous ceux qui souffrent devant les changements intervenus dans l'Eglise.

Il est également de mon devoir d'inviter à la même communion en Eglise ceux qui, dans leur zèle d'ouvrir des horizons nouveaux, risquent d'imaginer une Eglise à la mesure de leur impatience. J'attire leur attention sur le fait que le ministère de la célébration eucharistique implique une totale fidélité à l'Eglise. C'est à elle que Jésus-Christ a fait don du sacrement de son Corps et de son Sang.

J'ai pleine confiance en la bonne santé spirituelle des fidèles et des prêtres du diocèse. Je sais que la plupart ont déjà pris la mesure des enjeux. J'espère que les autres vont en prendre une meilleure conscience.

Nous avons tous à nous convertir pour être ensemble une Eglise tournée vers l'avenir, une Eglise qui veille dans l'attente de son Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

Paul-Joseph SCHMITT, évêque de Metz.
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Notes

(1) La Croix (11 octobre 1979) a publié à ce propos l'information ci-après :
- Le sous-préfet de Thionville (Moselle) a demandé le 9 octobre au maire de la ville, M. Souffrin (PC), de ne plus mettre un local communal à la disposition des intégristes.
- Deux fois par mois, en effet, « l'Association Saint-Pie-V-Saint-Pie-X », célébrait la messe dans une salle communale, sans l'accord de l'évêque.
- Or cet accord, pour disposer d'un local communal en vue du culte, est requis par le Concordat qui régit l'ancienne Alsace-Lorraine, par la loi du 18 germinal, an X, et par le décret du 22 décembre 1812. Mgr Schmitt, évêque de Metz, a basé la requête adressée aux autorités préfectorales sur ces divers textes.
- Le président de « l'Association Saint-Pie-V-Saint-Pie-X » a déclaré: « C'est un scandale, une preuve d'intolérance. »
(2) Dom Paul NAU, le Mystère du Corps et du Sang du Christ, Solesmes 1976, p. 173-174.

11 octobre 1979

[Mgr Lefebvre - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°17)] "C’est de Montalenghe, de notre nouveau Prieuré et Maison de retraites du Nord de l’Italie, à 20 km de Turin, que je vous écris cette dix-septième lettre..."

SOURCE - Mgr Lefebvre - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°17) - 11 octobre 1979

Bien chers Amis et Bienfaiteurs,
  
C’est de Montalenghe, de notre nouveau Prieuré et Maison de retraites du Nord de l’Italie, à 20 km de Turin, que je vous écris cette dix-septième lettre.
  
C’est la première retraite qui se donne dans cette maison et ceux qui la suivent sont les nouveaux aspirants au Sacerdoce pour le Séminaire d’Ecône, soit 27 sur les 30 qui commencent le séminaire cette année, et sur les 70 qui entrent dans nos quatre grands Séminaires. A ce propos, j’ajoute que nous avons pu acquérir un grand Séminaire aux U.S.A., à Ridgefield dans le Connecticut. A Armada l’ancien Séminaire demeurera un Prieuré pour desservir la région de Détroit.
L’adhésion des prêtres et des fidèles à la tradition augmente régulièrement. La cérémonie occasionnelle de Paris en est un témoignage évident. Je me dois de remercier à nouveau tous ceux qui ont concouru par leurs dons et surtout par leurs prières et leurs sacrifices à la splendeur de cette Messe d’action de grâces. Présents, absents ne faisaient qu’un cœur et qu’une âme autour de l’autel du Sacrifice de Notre Seigneur.
  
Tandis que s’accumulent autour de nous les ruines causées par la corruption des esprits et des cœurs, ce témoignage de la vitalité de l’Eglise de toujours prend une valeur inestimable. Qu’on restaure les autels détruits, qu’on offre à nouveau le vrai Sacrifice de la Messe et tous les espoirs sont permis. Par contre, tant qu’on demeurera à une Eucharistie œcuménique, démocratique et libérale, l’autodestruction continuera, malgré tous les rappels à l’ordre et les discours les plus dignes de respect et les rassemblements les plus spectaculaires.
  
« Nisi Dominus ædificaverit Domum, in vanum laboraverunt qui ædificant eam ». « Si le Seigneur ne construit l’édifice, ceux qui s’efforcent de l’édifier travaillent en vain ». Or l’autel du Sacrifice propitiatoire, l’héritage du nouveau et éternel testament : le corps et le sang de Jésus sont la pierre fondamentale de l’Eglise d’où jaillissent les eaux pour la vie éternelle.
  
Gardons confiance en Dieu, en Jésus et Marie qui obtiendront que les Autorités de l’Eglise restaurent les autels. En attendant ce jour, prions et multiplions les autels et les prêtres pour la célébration de la Sainte Messe où s’offre la Sainte Victime, fournaise ardente de charité, pour la rédemption de nos péchés.
  
Tel est le but de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X qui compte déjà plus de 200 membres.
  
Vous avez déjà remarqué que le nombre des prieurés augmente d’année en année. C’est pourquoi il m’a semblé urgent d’organiser les instances centrales de la Société par une maison généralice où se trouveront le Secrétaire général et l’Econome général et où seront adressées toutes les correspondances destinées au Supérieur Général. Cette manière d’agir nous mettra encore plus en conformité avec le Droit Canon, la législation de l’Eglise, les districts étant les bases de futures Provinces.
  
Vous pourrez remarquer aussi que nous avons divisé les U.S.A. en deux districts ; que désormais la maison de Bruxelles est ouverte, ce qui était souhaité depuis de nombreuses années. La revue « Fideliter » du district de France, comme d’ailleurs les bulletins ou revues des autres districts vous donneront plus d’informations pour les nouveaux prieurés ou nouvelles écoles.
  
Que les jeunes aspirants au sacerdoce ou à la vie religieuse comme frères, ou les jeunes aspirantes à la vie religieuse comme auxiliaires de l’apostolat sacerdotal s’adressent à nos prieurés où ils trouveront toutes les informations utiles pour la réalisation de leur vocation, soit dans la Fraternité, soit dans les nombreuses maisons religieuses actives ou contemplatives qui nous sont unies dans la même foi et les mêmes aspirations.
  
Que Marie, Mère de Jésus, dont nous fêtons la maternité divine aujourd’hui, devienne toujours plus notre Mère par notre identification à Jésus son divin Fils.
  
Que Saint Joseph vous rende au centuple ce dont votre générosité nous gratifie pour le développement de notre Œuvre qui s’efforce de donner au monde ce dont il a le plus besoin aujourd’hui : de saints prêtres.
  
Affectueusement uni à vous dans les Cœurs de Jésus et de Marie.
  
+ Marcel LEFEBVRE
  
11 octobre 1979, Maternité de la Très Sainte Vierge

23 septembre 1979

[Mgr Marcel Lefebvre] Sermon du jubilé sacerdotal (Paris)

SOURCE - Mgr Marcel Lefebvre - 23 septembre 1979

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes bien chers frères,

Permettez-moi, avant de commencer les quelques paroles que je voudrais vous adresser à l’occasion de cette belle cérémonie, de remercier tous ceux qui ont contribué à sa magnifique réussite.

Personnellement, j’avais pensé faire une réunion autour de l’autel d’Ecône, d’une manière discrète, privée, à l’occasion de mon jubilé sacerdotal, mais le cher clergé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et les chers prêtres qui m’entourent m’ont invité avec tellement d’instance à permettre à tous ceux qui le désiraient de s’unir à mon action de grâce et à ma prière, à l’occasion de ce jubilé sacerdotal, que je n’ai pas pu refuser, et c’est pourquoi nous sommes aujourd’hui réunis si nombreux, venus de partout, venus d’Amérique, venus de tous les pays d’Europe libre.

Comment définirais-je cette réunion, cette manifestation, cette cérémonie? Un hommage, un hommage de votre foi dans le sacerdoce catholique et dans la sainte messe catholique.

Je pense réellement que c’est pour cela que vous êtes venus, pour manifester votre attachement à l’Eglise catholique et au plus beau trésor,au plus sublime don que Dieu a fait aux hommes: le sacerdoce et le sacerdoce pour le sacrifice, pour le sacrifice de Notre-Seigneur continué sur nos autels.

Voilà pourquoi vous êtes venus et voilà pourquoi nous sommes entourés aujourd’hui de tous ces chers prêtres, venus de partout également, et beaucoup plus nombreux seraient-ils venus, ces prêtres, si ce n’avait été un dimanche, car, ils sont tenus par leurs obligations de célébrer la sainte messe, sur place, mais ils sont de cœur avec nous, ils nous l’ont dit.

Je voudrais retracer, si vous me le permettez, quelques tableaux dont j’ai été le témoin au cour de cette existence, ce demi-siècle, afin de bien montrer l’importance que la messe de l’Eglise catholique tient dans notre vie, dans la vie d’un prêtre, dans la vie d’un évêque et dans la vie de l’Eglise.

Jeune séminariste à Santa Chiara, au séminaire français de Rome, on nous apprenait l’attachement aux cérémonies liturgiques. J’ai eu, à cette occasion le privilège d’être cérémoniaire, ce que nous appelons "les grands cérémoniaires", précédé d’ailleurs dans cette charge par Mgr Lebrun, ancien évêque d’Autun, et par Mgr Ancel, toujours auxiliaire de Lyon. J’étais donc grand cérémoniaire, sous la direction de ce cher etRévérend Père Haegy, connu pour sa science dans la liturgie. Et nous aimions préparer l’autel et nous aimions préparer les cérémonies et nous étions tout en fête la veille d’un jour où une grande cérémonie allait se dérouler sur nos autels. Nous avons donc appris, jeune séminariste à aimer l’autel.

"Domine dilexi decorem domus tuae et gloriam habitationis tuae." C’est le verset que nous récitons lorsque nous nous lavons les mains à l’autel. "Oui, Seigneur, j’ai aimé la splendeur de votre temple, j’ai aimé la gloire de votre habitation." Voilà ce qu’on nous apprenait au séminaire français de Rome, sous la haute direction du cher et révérend Père Le Floch, père bien-aimé, père qui nous a appris à voir clair dans les événements de l’époque d’alors, en commentant les encycliques des papes.

Et voici que prêtre, ordonné dans la chapelle du Sacré-Cœur de la rue Royale à Lille, le 21 septembre 1929, par celui qui était Mgr Liénart, je partais peu de temps après, deux ans après, en mission, pour rejoindre mon frère qui se trouvait déjà au Gabon, et là j’ai commencé à apprendre ce qu’était la messe.

Certes, je connaissais par les études que nous avions faites ce qu’était ce grand mystère de notre foi, mais je n’en avais pas compris toute la valeur, toute l’efficacité, toute la profondeur. Cela, je l’ai vécu jour par jour, année par année, dans cette Afrique et particulièrement au Gabon, où j’ai passé treize ans de ma vie missionnaire, d’abord au séminaire, ensuite dans la brousse au milieu des Africains, chez les indigènes.

Et là, j’ai vu, oui, j’ai vu ce que pouvait la grâce de la sainte messe, je l’ai vue dans ces âmes saintes qu’étaient certains de nos catéchistes. Ces âmes païennes transformées par la grâce du baptême, transformées par l’assistance à la messe et par la sainte Eucharistie, ces âmes comprenaient le mystère du Sacrifice de la Croix, offraient leurs sacrifices et leurs souffrances avec Notre-Seigneur Jésus-Christ et vivaient en chrétien.

Je puis citer des noms: Paul Ossima, de Ndjolé, Eugène Ndong de Lambaréné, Marcel Mebalé de Donguila, et je continuerai par un nom du Sénégal, Monsieur Forster, trésorier-payeur au Sénégal, choisi à cette fonction si délicate et si importante par ses pairs et même par les musulmans à cause de son honnêteté, à cause de son intégrité.

Voilà des hommes qu’a produit la grâce de la messe, qui assistaient à la messe tous les jours, communiaient avec ferveur et qui sont devenus des modèles et des lumières autour d’eux, sans compter beaucoup de chrétiens et chrétiennes transformés par la grâce.

J’ai pu voir ces villages de païens devenus chrétiens se transformer non seulement, je dirai, spirituellement et surnaturellement, mais se transformer physiquement, socialement, économiquement, politiquement, se transformer parce que ces personnes, de païennes qu’elles étaient, étaient devenues conscientes de la nécessité d’accomplir leur devoir, malgré les épreuves, malgré les sacrifices, de tenir leurs engagements et en particulier les engagements du mariage. Et alors, le village se transformait peu à peu sous l’influence de la grâce, sous l’influence de la grâce du Saint Sacrifice de la messe, et tous ces villages voulaient avoir leur chapelle, tous ces villages voulaient avoir la visite du Père, la visite du missionnaire! Elle était attendue avec impatience pour pouvoir assister à la sainte messe, pouvoir se confesser et communier ensuite. Des âmes se sont consacrées alors à Dieu, des religieux, des religieuses, des prêtres se donnaient à Dieu, se consacraient à Dieu, voilà le fruit de la sainte messe.

Pourquoi cela? Il faut quand même que nous étudions un peu les motifs profonds de cette transformation: c’est le SACRIFICE. La notion du sacrifice est une notion profondément chrétienne et profondément catholique. Notre vie ne peut pas se passer du sacrifice dès lors que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu Lui-même, a voulu prendre un corps comme le nôtre et nous dire: "Suivez-moi, prenez votre croix et suivez-moi si vous voulez être sauvé", et qu’Il nous a donné l’exemple de la mort sur la croix, qu’Il a répandu son Sang ; oserions-nous, nous ses pauvres créatures, pécheurs que nous sommes, ne pas suivre Notre-Seigneur en suivant son sacrifice, en suivant sa croix? Voilà tout le mystère de la civilisation chrétienne, voilà ce qu’est la racine de la civilisation chrétienne, de la civilisation catholique.

La compréhension du sacrifice dans sa vie, dans la vie quotidienne, l’intelligence de la souffrance chrétienne, ne plus considérer la souffrance comme un mal, comme une douleur insupportable, mais partager ses souffrances et sa maladie avec les souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en regardant la Croix, en assistant à la sainte messe qui est la continuation de la passion de Notre-Seigneur sur le Calvaire.

Comprendre la souffrance, alors la souffrance devient une joie, la souffrance devient un trésor parce que ces souffrances unies à celles de Notre-Seigneur, unies à celles de tous les martyrs, unies à celles de tous les saints, de tous les catholiques, de tous les fidèles qui souffrent dans le monde, unies à la Croix de Notre-Seigneur, deviennent un trésor inexprimable, un trésor ineffable, deviennent d’une efficacité extraordinaire pour la conversion des âmes, pour le salut de notre propre âme. Beaucoup d’âmes saintes, chrétiennes, ont même désiré souffrir, ont désiré la souffrance pour s’unir davantage à la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà la civilisation chrétienne.

Bienheureux ceux qui souffrent pour la sainteté,
Bienheureux les pauvres,
Bienheureux les doux,
Bienheureux ceux qui font miséricorde,
Bienheureux les pacifiques.

Voilà ce que la Croix nous enseigne, voilà ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous enseigne sur Sa Croix.

Cette civilisation chrétienne qui a pénétré dans ces pays encore récemment païens, les a transformés, les a poussés à vouloir se donner aussi des chefs catholiques. J’ai pu assister, moi-même, et connaître des chefs de ces pays catholiques. Le peuple catholique désirait avoir des chefs catholiques afin qu’ils soumettent aussi leur gouvernement et toutes les lois du pays à celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, au décalogue.

Si la France, à ce moment-là, la France dite catholique, si elle avait réellement rempli son rôle de puissance catholique, elle aurait autrement soutenu ces pays dans leur foi, et si elle avait soutenu ces pays dans leur foi, ces pays ne seraient pas, comme maintenant, menacés tous par le communisme, l’Afrique ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Cela n’est pas tellement de la faute des Africains eux-mêmes, mais bien plus des pays colonisateurs qui n’ont pas su profiter de cette foi chrétienne qui s’enracinait dans ces peuples africains, pour garder et exercer une influence fraternelle envers ces pays qui les auraient aidés à maintenir la foi et à chasser le communisme.

Si nous jetons nos regards, maintenant, sur l’histoire, eh bien! ce que je vous dis s’est passé dans les premiers siècles après Constantin, dans nos propres pays. Nous nous sommes convertis, nos ancêtres se sont convertis, les chefs des nations se sont convertis, et pendant des siècles ont offert leur pays à Notre-Seigneur Jésus-Christ, ont soumis leur pays à la Croix de Jésus, ont voulu que Marie soit la Reine de leur pays.

On peut lire des lettres admirables de saint Edouard, roi d’Angleterre, de saint Louis, roi de France, de saint Henri, empereur du Saint-Empire, de sainte Elisabeth de Hongrie et de tous ces saints qui ont été à la tête de nos pays catholiques et qui ont fait la chrétienté.

Quelle foi, alors, en la sainte messe! Saint Louis, roi de France, servait deux messes tous les jours et lorsqu’il voyageait et qu’il entendait la cloche qui sonnait la consécration, il descendait de cheval, il descendait de son carrosse pour s’agenouiller et s’unir à la consécration qui se réalisait à ce moment-là. Voilà ce qu’était la civilisation catholique. Ah! nous en sommes bien loin, maintenant!

Un autre événement que nous devons évoquer après ces tableaux de la civilisation chrétienne, soit en Afrique, soit dans notre histoire et particulièrement dans notre histoire de France, c’est celui de cet événement récent qui s’est passé dans l’Eglise, événement considérable: celui de Vatican II. Nous sommes bien obligés de constater que les ennemis de l’Eglise savent, peut-être mieux que nous, ce que vaut une messe catholique. Il y a eu un poème qui a été fait à ce sujet là et où l’on prête des paroles à Satan qui manifestent que Satan tremble chaque fois qu’une messe, une véritable messe catholique est célébrée, car cela lui rappelle la Croix et il sait bien que c’est par la Croix qu’il a été vaincu, et les ennemis de l’Eglise, ceux qui font des messes sacrilèges dans les sectes, et les communistes eux-mêmes savent bien ce que vaut une messe catholique!

On me disait récemment qu’en Pologne, le parti communiste, les inspecteurs des cultes surveillent les prêtres polonais qui disent une messe ancienne, mais laissent libres ceux qui disent la nouvelle messe, persécutent ceux qui disent l’ancienne messe, la messe de toujours ; quant aux étrangers, on les laisse libres de dire la messe qu’ils veulent afin de donner une impression de liberté, mais les prêtres polonais, ceux-là qui veulent s’en tenir à la Tradition, sont persécutés.

Je lisais récemment le document de PAX qui nous a été communiqué par la nonciature en juin 1963, au nom du cardinal Wyszynski. Ce document nous disait en substance: "On croit que nous avons la liberté, on fait croire que nous l’avons et ce sont les prêtres affiliés à PAX qui sont dévots au gouvernement communiste qui répandent ces bruits parce qu’ils ont la presse pour eux, même la presse progressiste française est pour eux. Mais ce n’est pas vrai, nous n’avons pas la liberté."

Le cardinal Wyszynski donnait les points précis, il disait par exemple que dans les camps de jeunesse, organisés par les communistes, les enfants étaient parqués derrière des fils de fer barbelés, le dimanche, pour les empêcher d’aller à la messe, et que les colonies de vacances organisées par les prêtres catholiques étaient surveillées par hélicoptère pour voir si les enfants allaient à la messe.

Pourquoi ce besoin de surveiller les enfants qui vont à la messe? Parce que les ennemis savent que la messe est essentiellement anti-communiste, elle ne peut pas ne pas l’être, car, qu’est-ce que le communisme? Le communisme c’est tout pour le Parti et tout pour la révolution,la messe, c’est tout pour Dieu, ce n’est pas la même chose!

Voilà ce qu’est la messe catholique, elle s’oppose à ce programme des partis, programme qui est un programme satanique.

Or vous le savez bien, nous avons tous des épreuves, nous avons tous des difficultés dans notre vie, dans notre existence et nous avons besoin de savoir pourquoi nous souffrons, pourquoi ces épreuves, pourquoi ces douleurs, pourquoi ces souffrances, pourquoi ces catholiques, ces personnes étendues sur des grabats? Les hôpitaux pleins de malades, pourquoi?

Le chrétien répond: pour unir mes souffrances à celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ au saint Autel ; les unir au saint Autel et ainsi participer à l’œuvre de la rédemption de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mériter pour moi et pour ces âmes le salut du ciel.

Alors, au concile, les ennemis de l’Eglise se sont infiltrés, et le premier objectif qu’ils ont eu a été de démolir et de détruire d’une certaine façon et dans une certaine mesure la messe. Vous pouvez lire les livres de Monsieur Michel Davies (1), catholique anglais qui a fait des livres magnifiques pour montrer comment la réforme liturgique de Vatican II ressemble exactement à celle qui s’est produite au temps de Cranmer, dès le naissance du protestantisme anglais.

De même, en lisant l’histoire de la transformation liturgique faite par Luther, on s’aperçoit que c’est exactement le même procédé, le même processus qui a été suivi, lentement, mais sous des dehors encore apparemment bons, apparemment catholiques. On a enlevé justement de la messe ce qui fait son caractère sacrificiel, son caractère de rédemption du péché par le sang de Notre-Seigneur Jésus-christ. On a fait de la messe une pure assemblée présidée par le prêtre. Ce n’est pas cela la messe.

Aussi n’est-il pas étonnant que la Croix ne triomphe plus, parce que le sacrifice ne triomphe plus, et que les hommes ne pensent plus qu’à augmenter leur standing de vie, qu’à rechercher l’argent, les richesses, les plaisirs, le confort, les facilités d’ici-bas et perdent le sens du sacrifice.

Que nous reste-t-il à faire, mes bien chers frères, si nous approfondissons ce grand mystère de la messe? Je pense pouvoir dire que nous devons faire une croisade, appuyée sur le Saint Sacrifice de la messe, sur le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, appuyée sur ce roc invincible et sur cette source inépuisable de grâces qu’est le Saint Sacrifice de la messe.

Vous êtes là parce que vous aimez le Saint Sacrifice de la messe, ces jeunes séminaristes sont au séminaire d’Ecône, des Etats-Unis, d’Allemagne, ils y sont venus pourquoi? Ils viennent dans nos séminaires pour la sainte messe, pour la sainte messe de toujours qui est la source des grâces, la source de l’Esprit-Saint, la source de la civilisation chrétienne. C’est cela le prêtre.

Il nous faut faire une croisade, une croisade appuyée précisément sur cette notion de sacrifice, afin de recréer la chrétienté, refaire une chrétienté telle que l’Eglise la désire, l’a toujours faite avec les mêmes principes, le même sacrifice de la messe, les mêmes sacrements, le même catéchisme, la même Ecriture Sainte.

Nous devons recréer cette chrétienté, c’est vous, mes bien chers frères, vous qui êtes le sel de la terre, vous qui êtes la lumière du monde, vous auxquels Notre-Seigneur Jésus-Christ s’adresse en vous disant: "Ne perdez pas le fruit de mon Sang, n’abandonnez pas mon Calvaire, n’abandonnez pas mon Sacrifice". Et la Vierge Marie, qui est tout près de la Croix, vous le dit aussi. Elle qui a le cœur transpercé, rempli de souffrances et de douleurs, également rempli de joie de s’unir au Sacrifice de son divin fils, Elle vous le dit aussi: "Soyons chrétiens, soyons catholiques!"

Ne nous laissons pas entraîner par toutes ces idées du monde, par tous ces courants qui sont dans le monde et qui nous entraînent vers le péché, vers l’enfer. Si nous voulons aller au ciel, nous devons suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ, porter notre croix, et suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’imiter dans sa Croix, dans sa souffrance, dans son sacrifice.

Alors, je demande aux jeunes, aux jeunes qui sont ici, dans cette salle, de demander aux prêtres de leur expliquer ces choses si belles, si grandes, de manière à ce qu’ils choisissent leur vocation, et que dans toutes les vocations qu’ils peuvent choisir, qu’ils soient prêtres, religieux, religieuses, mariés, mariés par le sacrement de mariage et donc dans la Croix de Jésus-Christ et dans le Sang de Jésus-Christ, mariés sous la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’ils comprennent la grandeur du mariage et qu’ils s’y préparent dignement par la pureté, la chasteté, par la prière, par la réflexion. Qu’ils ne se laissent pas entraîner par toutes ces passions qui agitent le monde. Croisade des jeunes qui doivent rechercher le véritable idéal!

Croisade aussi des familles chrétiennes! Familles chrétiennes qui êtes ici, consacrez vos familles au Cœur de Jésus, au Cœur Eucharistique de Jésus, au Cœur Immaculé de Marie. Priez en famille! Oh! Je sais que beaucoup d’entre vous le font, mais qu’il y en ait toujours de plus en plus qui le fassent avec ferveur. Que vraiment Notre-Seigneur règne dans vos foyers!

Eloignez, je vous en supplie, tout ce qui empêche les enfants de venir dans votre foyer. Il n’y a pas de plus beau don que le bon Dieu puisse faire à vos foyers que d’avoir de nombreux enfants. Ayez des familles nombreuses, c’est la gloire de l’Eglise catholique que la famille nombreuse. Elle l’a été au Canada, elle l’a été en Hollande, elle l’a été en Suisse, elle l’a été en France, partout les familles nombreuses étaient la joie de l’Eglise et la prospérité de l’Eglise. Ce sont autant d’élus pour le ciel. Alors ne limitez pas, je vous en supplie, les dons de Dieu, n’écoutez pas ces slogans abominables qui détruisent la famille, qui ruinent la santé, qui ruinent le ménage et qui provoquent les divorces!

Et je souhaite que dans ces temps si troublés, dans cette atmosphère si délétère dans laquelle nous vivons dans les villes, vous retourniez à la terre quand c’est possible. La terre est saine, la terre apprend à connaître Dieu, la terre rapproche de Dieu, elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail.

Et s’il le faut, vous ferez vous-mêmes l’école à vos enfants, si les écoles corrompent vos enfants, qu’allez-vous faire? Les donner aux corrupteurs? A ceux qui enseignent ces pratiques sexuelles abominables dans les écoles? Ecoles catholiques de religieux, de religieuses où l’on enseigne le péché, ni plus ni moins! Dans la pratique, on enseigne cela aux enfants, on les corrompt dès leur plus jeune âge. Et vous supportez cela? C’est impossible! Mieux vaut que vos enfants soient pauvres, mieux vaut que vos enfants soient éloignés de toute cette science apparente que le monde possède, mais qu’ils soient de bons enfants, des enfants chrétiens, des enfants catholiques, des enfants qui aiment leur sainte religion, qui aiment à prier et qui aiment le travail, qui aiment la nature que le bon Dieu a faite.

Enfin, croisade des chefs de famille. Vous qui êtes chef de famille, vous avez une grave responsabilité dans votre pays. Vous n’avez pas le droit de laisser votre pays envahi par le socialisme et le communisme. Vous n’en avez pas le droit ou vous n’êtes plus catholique. Vous devez militer au moment des élections pour que vous ayez des maires catholiques, des députés catholiques et qu’enfin la France redevienne catholique. Ce n’est pas faire de la politique cela, c’est faire de la bonne politique, la politique comme l’ont faite les saints, comme l’ont faite les papes qui se sont opposés à Attila, comme saint Rémi qui a converti Clovis, comme Jeanne d’Arc qui a sauvé la France du protestantisme. Si Jeanne d’Arc n’avait pas été suscitée en France, nous serions tous protestants! C’est pour garder la France catholique que Notre-Seigneur a suscité Jeanne d’Arc, cette enfant de 17-18 ans, qui a bouté les Anglais hors de France. C’est de la politique cela aussi!

Alors, oui, cette politique nous en voulons, nous voulons que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne. Vous l’avez chanté tout à l’heure, "Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat!". Est-ce que ce sont des mots? Seulement des mots? Des paroles, des chants? Non! Il faut que ce soit une réalité. Chefs de famille, c’est vous qui êtes responsables de cela, pour vos enfants, pour les générations qui viennent. Alors, vous devriez vous organiser, vous réunir, vous entendre pour arriver à ce que la France redevienne chrétienne, redevienne catholique. Ce n’est pas impossible, ou alors il faut dire que la grâce du Saint Sacrifice de la messe n’est plus la grâce, que Dieu n’est plus Dieu, que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est plus Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il faut faire confiance en la grâce de Notre-Seigneur, car Notre-Seigneur est tout-puissant. J’ai vu cette grâce à l’œuvre en Afrique, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas aussi agissante ici, dans nos pays.

Et vous, chers prêtres qui m’écoutez, faites aussi une union sacerdotale profonde pour répandre cette croisade, pour animer cette croisade afin que Jésus-Christ règne. Et pour cela, vous devez être saints, vous devez rechercher cette sainteté, montrer cette sainteté, cette grâce qui agit dans vos âmes et dans vos cœurs, cette grâce que vous recevez par le sacrement de l’Eucharistie et par la sainte messe que vous offrez. Vous seuls pouvez l’offrir.

Je terminerai, mes bien chers frères, par ce que j’appellerai, un peu, mon testament. Testament, c’est un bien grand mot, parce que je voudrais que ce soit l’écho du testament de Notre-Seigneur, novi et aeterni testamenti.

"Novi et aeterni testamenti", c’est le prêtre qui récite ces paroles à la consécration du précieux Sang. "Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti", l’héritage que Jésus-Christ nous a donné, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civilisation chrétienne et de ce qui doit nous mener au ciel.

Aussi je vous dis:

Pour la gloire de la Très Sainte Trinité,
pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
pour la dévotion à la Très Sainte Vierge Marie,
pour l’amour de l’Eglise,
pour l’amour du pape,
pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles,
pour le salut du monde,
pour le salut des âmes,
gardez ce testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
Gardez le Sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
Gardez la messe de toujours!

Et vous verrez la civilisation chrétienne refleurir, civilisation qui n’est pas pour ce monde, mais civilisation qui mène à la cité catholique, et cette cité catholique, c’est la cité catholique du ciel qu’elle prépare. Elle n’est pas faite pour autre chose, la cité catholique d’ici-bas, elle n’est pas faite pour autre chose que pour la cité catholique du ciel.

Alors en gardant le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en gardant son Sacrifice, en gardant cette messe, messe qui nous a été léguée par nos prédécesseurs, messe qui a été léguée depuis les Apôtres jusqu’à aujourd’hui – et dans quelques instants je vais prononcer ces paroles sur le calice de mon ordination, et comment voulez-vous que je prononce, sur le calice de mon ordination, d’autres paroles que celles que j’ai prononcées il y a cinquante ans sur ce calice, c’est impossible, je ne puis pas changer ces paroles – alors nous continuerons à prononcer les paroles de la consécration, comme nos prédécesseurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos éducateurs nous l’ont appris, afin que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne et que les âmes soient sauvées par l’intercession de notre Bonne Mère du ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. 

+ Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X

27 juin 1979

2eme réponse du Père Guérard des Lauriers à la lettre aux Amis et Boenfaiteurs n°16
Lettre ouverte à Son excellence Mgr Marcel Lefebvre
26 juin 1979 - mise en ligne: sodalitium.eu
2ème RÉPONSE DU PÈRE GUÉRARD DES LAURIERS
A LA LETTRE AUX AMIS ET BIENFAITEURS n°16

LETTRE OUVERTE À SON EXCELLENCE MGR. MARCEL LEFEBVRE
DU RÉVÉREND PÈRE M.L. GUÉRARD DES LAURIERS, o.p.
LE 29 JUIN 1979


Excellence,

Votre lettre n° 16 "aux Bienfaiteurs" continue de susciter beaucoup de remous. Telle est la raison pour laquelle nous croyons devoir écrire une seconde fois sur ce même sujet.

Le dossier publié dans le n° 233 d'Itinéraires est d'un très grand intérêt. Vos plus fidèles amis, ceux qui osent vous dire la Vérité, sont en plein accord et en résonance profonde avec vous, en ce qui concerne la majeure partie de votre lettre au Cardinal SEPER, du 28.2.78. Dans ces lignes, vous êtes "vous", vous êtes l'Evêque qui proclame et défend la Foi. Vous ne craignez pas d'appeler "blasphème et apostasie" (p.46) ce qui est blasphème et apostasie.

Mais ces mêmes "bienfaiteurs et amis", au nom de qui le signataire de ces lignes écrit, ont été et demeurent profondément scandalisés par la lettre que vous avez écrite au pape le 24 décembre 1978 ; lettre rendue encore plus incompréhensible par contraste avec la doctrine que vous exposez au Cardinal SEPER avec tant de lucide fermeté.

Quoi qu'il en soit d'une intention dont Dieu Seul est Juge et que nous croyons bonne, en fait, vous adoptez, concernant la Messe, une attitude qui tombe sous le coup des critiques que vous adressez fort justement à Vatican II au sujet du Droit civil de 1'Eglise.

Car vous admettez comme étant pour le moins possible en droit puisque vous le souhaitez en fait, qu'il y ait, "pour le bien de l'Eglise", la Messe et la messe, "l'unité se retrouvant immédiatement au niveau de l'Evêque du lieu" (p. 139).

Or cela, Monseigneur, vous deviez, non pas le demander à la "pseudo-autorité" qu'ainsi vous accréditez, mais le condamner même si cette pseudo-autorité l'avait imposé.

Vous deviez, vous devez, le condamner, en vertu même des principes que vous exposez.

En effet, ce que les papes ont condamné "le demeure" (p.5 1). Ce que S. Pie V a canonisé demeure à jamais canonisé ; et d'ailleurs, cela vous le croyez et le professez.

"Un état de fait qui tend de plus en plus à être contraire à l'état de droit laisse néanmoins intact cet état de droit" (p.54). Qu'une pseudo-autorité ait tenté d'obroger la Messe traditionnelle, par une "pseudo-messe", aussi fausse dans l'acte de promulgation que dans le rite innové, laisse néanmoins intact que la Messe traditionnelle est la seule Messe.

"On assiste donc, à Vatican II, à un renversement complet des conceptions, par rapport à la doctrine catholique" (p.55). Ce renversement, Monseigneur, vous le condamnez avec autant de force que de droit en ce qui concerne le Droit public de l'Eglise. Comment se peut-il qu'en fait vous acceptiez pour le Sacrifice de l'Eglise ce que vous refusez pour le Droit public de l'Eglise ?

Vous demandez en effet l'"autorisation" (p. 139) de célébrer la Messe traditionnelle à une pseudo-autorité qui exemplifie typiquement le renversement complet de la conception de la Messe par rapport à la doctrine catholique. Or, en vous adressant à cette pseudo-autorité, au lieu d'attendre qu'elle s'adressât à vous, vous la reconnaissez comme étant l'"autorité", vous reconnaissez en fait quoique vous en vouliez le point de vue qui est celui de cette "autorité", et qui d'ailleurs seul justifie qu'une "autorisation" soit demandée. Vous défendez avec ardeur le Droit public de l'Eglise, même contre la pseudo-autorité. Pourquoi sacrifiez-vous le Sacrifice de l'Eglise au caprice de la pseudo-autorité?

La situation dans l'Eglise, quant à la Messe, supposé qu'on la considère objectivement au point de vue de la Foi, est actuellement la suivante. La Messe traditionnelle est célébrée en de multiples lieux ; le Sacrifice continue d'être offert, et il le sera sur terre jusqu'à la fin du temps. Mais ces célébrations sont pour le moins désavouées, et en général condamnées, par l'église officielle. Il y a d'autre part, sous la mouvance plus ou moins lâche de cette même église officielle, de multiples "fidèles" qui manifestent leurs croyances originellement catholiques dans un culte qu'on peut désigner génériquement sous le nom officiel de "messe innovée", et qui en fait dégénère en multiples innovations. Disons, pour simplifier, que se trouvent en présence deux religions: l'une, catholique, s'exprime dans la Messe traditionnelle ; l'autre, protestantisée, se manifeste dans la messe innovée.

La question, évidemment, se pose de déterminer quel doit être le rapport entre ces deux religions. Or cette question, il importe de la poser, conformément à la doctrine de l'Eglise, en respectant la primordialité de la Vérité. Il faut donc situer la messe innovée en fonction de la Messe traditionnelle, et non pas l'inverse.

Il faut affirmer que, si la messe innovée peut être provisoirement tolérée pour les fidèles qui s'y trouvent attachés, célébrer ce culte n'est un droit pour personne et doit, de l'Eglise qui est sainte, être rejeté.

Que ces fidèles protestantisés soient les plus nombreux, et qu'ils soient appuyés par une pseudo-autorité, c'est un état de fait qui est contraire à l'état de droit, "mais qui laisse intact cet état de droit" (p.54). Et ce serait un "renversement complet par rapport à la doctrine catholique" de situer la Messe traditionnelle en fonction de la messe innovée, et de poser en conséquence qu'il y aurait un droit à ce que la messe innovée soit célébrée, la Messe traditionnelle pouvant seulement être tolérée.

Ce "complet renversement", Monseigneur, vous paraissez l'abhorrer. Ayant cité la clause litigieuse : "La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine", vous ajoutez: "Aucun catholique digne de ce nom ne peut souscrire une pareille infamie"(p.61).

Or cette infamie, Monseigneur, que vous stigmatisez à propos du Droit public de l'Eglise, c'est vous-même qui y souscrivez à propos du Sacrifice de l'Eglise, "Laissez faire" (p. 139); vous demandez que la Messe traditionnelle soit tolérée. A qui le demandez-vous ? à la pseudo-autorité qui érige abusivement en droit que la messe innovée soit célébrée. Par cette demande, Monseigneur, vous consentez que ce qui est de droit divin n'ait dans l'église que le droit d'être toléré ; et vous reconnaissez que ce qui, dans l'église, pourrait tout au plus, en vue d'éviter un trop grand scandale. . . une "perturbation de l'ordre ecclésial", être provisoirement toléré, y jouirait d'un droit absolu en vertu de la pseudo-autorité. Nous louons votre zèle pour le Droit public de l'Eglise. Nous déplorons votre capitulation pour le Sacrifice de l'Eglise.

Enfin, vous notez fort justement: "Le pluralisme finit toujours par profiter à l'erreur. Les Documents Pontificaux sont formels à ce sujet" (p.64). Et, en vertu de cette doctrine, vous condamnez à bon droit et sévèrement le faux principe de la "liberté des cultes" (p.64). Or, en fait, vous admettez ce même principe "intra muros", dans 1'"église" que vous assimilez à l'Eglise, puisque vous en reconnaissez l’"autorité".

Vous admettez en fait le principe de la liberté des cultes, puisque c'est en reconnaissant la liberté de droit pour la messe protestantisée que vous demandez, pour la Messe qui est la Messe, une liberté diminuée. "Un catholique digne de ce nom peut-il souscrire pareille infamie" ?

Un catholique digne de ce nom croit à l'enseignement de l'Eglise ; il tient par conséquent pour certain, que "le pluralisme finit toujours par profiter à l'erreur", que la dualité de rites finira par profiter à la messe innovée, à la complète évanescence de 1'"adoration en esprit et en vérité" (Jean 4.24). Un catholique digne de ce nom, et plus encore 1'"Evêque de la Tradition", se doit donc de rejeter un compromis aussi funeste par les conséquences que sacrilège dans le principe même.

Nul, Monseigneur, ne suspecte ni la droiture de votre intention ni le désintéressement de votre zélé. Mais on est contraint d'observer que votre comportement spontané est bien différent selon qu'il s'agit, d'une part du Droit public de l'Eglise, d'autre part du Sacrifice de l'Eglise.

"C'est une question de Foi ! L'Eglise peut-elle renoncer, hésiter à proclamer sa foi en la royauté sociale de NSJC ? qui est bien une vérité de foi catholique ! Pas davantage elle ne doit hésiter à proclamer son Droit public ; c'est-à-dire sa primauté, sa souveraineté dans la cité humaine!" (p.41). Ce qui porte atteinte à cette doctrine, vous le tenez pour une apostasie (p.41). Et vous concluez cette page toute vibrante d'irrésistible conviction : "La bouche du prêtre, de l'évêque, ne doit avoir aujourd'hui une plus grande vérité de foi à clamer que celle-ci: "oportet illum regnare". Voilà qui est parfait, et même exaltant.

Mais comment peut-il se réaliser dans le monde, le Règne de Celui qui a Lui-Meme affirmé : "Mon Royaume n'est pas de ce monde. . . mon Royaume n'est pas d'ici-bas [c'est-à-dire: ne provient pas d'ici-bas]" (Jean 18.36) ? A cette question, S .Paul répond : "Il faut qu'il règne, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi d é t r u i t , c'est la mort" (1 Cor 15.25-26). Voilà l'affirmation du Règne, à laquelle vous vous référez : "Oportet illum regnare". Comment se peut-il que ce Règne qui n'est pas de ce monde, puisse et doive cependant se réaliser dans le monde ?

La raison en est que le principe même de ce Règne est en radicale opposition avec l'esprit du monde. Et S. Paul, qui proclame le Règne, a pris garde d'en poser le principe, lequel n'est rien autre que l'Amour crucifié : "Je ne prétendais rien savoir de plus, au milieu de vous, que Jésus-Christ, et crucifié" (1 Cor 2-3).

Le principe, sans lequel le Règne se dissoudrait dans le monde au lieu d'en être le ferment, c'est le Sacrifice de la Croix. Le fondement qui doit demeurer immanent au Règne jusqu'à la fin du temps, c'est le Sacrifice de la Messe. Ce que l'on affirme de "la Royauté sociale de NSJC, qui est une vérité catholique", il faut donc l'affirmer, d'abord et a fortiori, de la Messe catholique qui est la "source jaillissante" de ce Règne du Christ dans la société humaine. Si ce qui porte atteinte à la Royauté sociale de NSJC est, comme vous le dites justement, apostasie, A FORTIORI, ce qui porte atteinte au Sacrifice de NSJC est APOSTASIE !

Sur terre, in via et dans l'ardeur du combat, "la plus haute vérité de foi à clamer" n'est pas celle qui bercera la Victoire de demain; mais c'est que rien de saint ne peut se réaliser que dans le Sacrifice du Christ crucifié. "Parvus error in principio fit magnus in fine".

On est donc profondément édifié, Monseigneur, que vous vous montriez si lucide et si intrépide, pour "clamer" 1'"oportet illum regnare", et pour rappeler que "l'Eglise doit proclamer son Droit public". Mais toutes les vérités de Foi sont également de Foi. Et, le Sacrifice étant au principe même du Règne, on ne comprend pas, pas du tout, que vous plaidiez devant 1'"autorité", en vue d'obtenir pour la Messe, comme pour un parent pauvre, un droit de cité auprès de la messe innovée ; alors que, dans 1'"admirable Lumière" dont vous développez inexorablement la logique en faveur de la Royauté sociale de NSJC et du Droit public de l'Eglise, il faudrait, il faut, tout simplement affirmer que, conçue en vue d'obroger la Messe qui est la Messe, LA MESSE INNOVEE EST UNE APOSTASIE.

Cette non-cohérence est si manifeste qui nombre de fidèles l'ont observée.

Ils s'efforcent de la résoudre en estimant que la " lettre au pape" (24.12.7Cool n'est qu'une "passe diplomatique".

Vous favorisez vous-même, Monseigneur, cette hypothèse, en répondant oralement à la question posée par l'un des prêtres de vos prieurés : "Je ne demande pas l'autorisation de célébrer la Messe traditionnelle, je demande que soit proclamé par le pape le droit de célébrer la Messe qui existe depuis toujours". Telle est, très probablement, Dieu merci, votre intention profonde. Mais alors, vous adressant au pape, vous écrivez toute autre chose ; et même, en un sens, vous écrivez le contraire de ce que vous pensez.

Semblablement, vous affirmez n'avoir jamais célébré la messe innovée. J'en rends grâce à Dieu, et j'en suis très heureux. Je maintiens cependant la véracité des faits observés que j'ai relatés dans la "Réponse à la lettre n° 16", en rectifiant une erreur de date : l'incident de Noël a eu lieu en 1970 et non en 1971. Mais je dois conclure que, célébrant la Messe traditionnelle, vous avez accompli les gestes extérieurs qui induisaient à penser que vous célébriez la messe innovée. Je ne me suis permis de communiquer ces choses que j'avais tues, que parce que la lettre n° 16 vous révèle inchangé ; et plus encore parce que cette lettre est l'occasion d'un très grave scandale pour les très nombreux fidèles qui vous suivent quasi aveuglément, et qui, sans même en prendre clairement conscience, "canonisent" en vous, par vénération pour votre personne, un comportement qui ruine insidieusement la proclamation de la très sainte Foi.

Feindre, soit en actes soit en paroles, fût-ce avec les meilleures intentions, est incompatible, surtout dans le domaine du "Sacré", avec l'authentique Témoignage que Seul peut inspirer l'Esprit de Vérité, avec la Royauté que "le Christ exerce sur l'esprit des hommes, [principalement] parce qu'il est la Vérité" (Pie XI., Encyclique Quas primas, 11 décembre 1925).

Monseigneur, vous vous défendez d'être le chef des fidèles attachés à la Tradition. Vous accueillez cependant très largement leurs suffrages ; et, au regard de "Rome", tout se passe comme si vous les représentiez.

Nous nous trouvons donc contraints de déclarer que nous ne pourrons être de nouveau "avec vous", que si vous revenez, pour témoigner de la Foi, à la manière d'être, d'agir, de dire, que conseille expressément 1'"Auteur et Consommateur de la Foi" : EST, NON (Mat 5,37). SIC CLAM, SIC PALAM.

13 avril 1979

[R.P. Guérard des Lauriers O.P.] Réponse publique à Mgr Lefebvre

SOURCE - Mgr Guerard des Lauriers - 12 avril 1979

“Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix” 
« Monseigneur,
Vous précisez, dans cette lettre, quel pourrait être un protocole d’accord entre "Ecône" et "Rome" : Ecône que jusqu’à présent nous soutenons ; Rome à qui, en même temps que vous, nous résistons.

La loyauté qu’exige le service de la Vérité nous contraint de vous le déclarer : nous ne voulons pas de cette paix. Elle paraît être sage. Elle l’est en effet, comme Pilate voulut l’être. Jésus est déféré à Pilate, parce qu’il est censé avoir dit : « Je suis le Roi des Poldèves » Jean XIX, 21 ; alors que les Poldèves « n’ont pas d’autre roi que César » Jean XIX, 15.

En réalité, Jésus n’a pas à être soumis à Pilate pour une royauté « dont l’origine n’est pas de ce monde » Jean XVIII, 36. Et Jésus n’entend pas mourir pour conserver quoi que ce soit. Jésus entend ne mourir que pour « rendre témoignage à la Vérité » Jean XVIII, 35. Parce que Jésus «est la Vérité » Jean XIV, 6, quoiqu’il en paraisse, Pilate dépend de Jésus, non pas Jésus de Pilate. Excellence, vous soumettez la Messe au Pape, parce qu’elle trouble la célébration de la messe "innovée" (Paul VI dixit), comme Jésus troubla l’ordre pharisaïque «en enseignant dans toute la Judée » Luc XXIII, 5.

Or, EN RÉALITÉ, LA MESSE N’A PAS À ÊTRE SOUMISE AU PAPE, parce que le pape doit la respecter. Nous voulons, avec la grâce de Dieu, témoigner jusqu’au bout de la Vérité ; nous ne voulons pas d’une paix qui «diminue la Vérité » Psaume XI, 2.

Pilate use d’expédients pour sauver Jésus. Il échoue. Trois fois il échoue, afin de mettre providentiellement en évidence que témoigner de la Vérité n’est possible que dans l’absolue conformité à la Vérité.Pilate croit pouvoir s’en remettre à Hérode. Il est doublement joué : en escomptant que Jésus soit sauvé par qui voulait le faire mourir ; en «devenant l’ami d’Hérode » Luc XXIII, 12 : fausse unité, parce qu’unité contre Celui qui est la Vérité.

Monseigneur, vous vous en remettez au pape pour conserver la Messe. Et vous admettez qu’il puisse y avoir, dans l’Eglise, et inévitablement en fait dans la même église, la Messe qui est LA MESSE et la "messe innovée". Et vous escomptez que : « L’unité se retrouverait immédiatement au niveau de l’Evêque du lieu ».

Ainsi, l’unité de l’Eglise ne serait plus le rayonnement de l’unique Sacrifice «que le Christ a commis à son Epouse bien aimée » ? L’unité ne serait plus celle de «la Jérusalem céleste qui est libre et qui est notre mère » Gal IV, 26 ; elle se trouverait dégradée en juxtaposition sous la férule de l’inconditionnalité. Parodie de l’unité ! Sacrilège contre l’unité ! Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix, nous ne voulons pas de cette unité, qui seraient contraires à la Vérité, contraires à la sainteté de l’Eglise, contraires à la Liberté que seul donne l’Esprit de Vérité. Pilate, pour "sauver" Jésus, le compare à Barrabas (Marc XV,9). Comment Pilate, moquant la Justice dont il est censé être le représentant a-t-il pu compter qu’une foule indécise imposerait la justice à ceux qui la menaient ? Pilate ne put que se laver les mains (Matt. XXVII, 24).

Monseigneur, pour sauver la Messe qui est la Messe, vous la comparez à la messe "innovée", au nom de la Religion dont vous faites profession. Comment pouvez-vous compter qu’instruits par votre exemple les panurges aussi conciliants qu’oscillants qui vous suivent à moitié plutôt que la Vérité, vont restaurer le sens de la Religion vraie dans l’Eglise occupée par les "grands prêtres" du dieu de ? On ne soupe pas avec Satan. C’est l’enfer qui est pavé de ces bonnes intentions qui justifient le moyen par la fin, un mal certain par l’illusion du bien.

Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix qui sacrifie les exigences de la Religion « en Esprit et en Vérité » Jean IV, 23, aux éphémères satisfactions d’une possessive tranquillité.Pilate « n’a rien trouvé en Jésus qui méritât la mort » Luc XXIII, 15. C’est cependant bien « en faisant châtier Jésus » Luc, XXIII, 16, que Pilate escompte acheter aux Poldèves la libération de leur Prisonnier. L’ordre public vaut bien, n’est-ce pas, quelques coups de fouets, même immérités. Pilate échoue. Le seul résultat est que la Chair du Verbe incarné est déchirée, son Sang répandu, Lui-même humilié.

Monseigneur, s’il y avait dans l’Eglise, quod Deus avertat mais comme vous le souhaitez, la Messe qui est LA MESSE et la messe "innovée", les astucieuses consultations du "peuple de Dieu", chauffé à point et bien travaillé, tourneraient en dérision la Messe de la minorité. Le seul résultat serait que les pratiques sacrilèges fort répandues mais actuellement privées d’objet, auraient toute leur odieuse portée eu égard à la Présence réelle recouvrée. Monseigneur, y avez-vous songé ? La fausse sécurité, illusoirement fondée sur la soumission inconditionnelle à ceux qui ont tout fait pour détruire l’Eglise, devrait-elle donc être payée en infligeant au Christ crucifié l’achèvement d’une flagellation plus insolente qu’elle l’a jamais été ?

Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix qui serait chargée de tant de péchés. C’est à nous, à nous et non au Christ crucifié, qu’il incombe «d’achever » ( Col. I,24 ) ce dont, sans nous, la flagellation demeurerait privée. Monseigneur, votre protocole de paix donne le coup de grâce à la confiance qu’il ne nous est plus possible d’avoir en vous, ni pour la question de la Messe ni pour celle de l’ "autorité".

Vous avez célébré la "messe innovée", depuis le début d’avril 1969 jusqu’au 24 décembre 1970 .

Le 5 mai 1969, quelques amis qui vous vénéraient, dont faisait partie le signataire de ces lignes, étaient venus assister à la messe que vous célébriez à l’autel où repose la chasse de St Pie V, en la basilique romaine de Sainte Marie Majeure. Stupeur, scandale, douleur ! Sur le tombeau de St Pie V, c’est la "messe innovée" que vous avez célébrée ! A la sortie, sur le parvis, contraint par un questionnement à la fois respectueux et attristé, vous avez déclaré : « Si on voyait que Monseigneur Lefebvre célèbre la Messe traditionnelle, cela risquerait de scandaliser ».

"A ces mêmes amis, qui par vous encouragés travaillaient à l’élaboration du texte devenu ensuite la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI , vous avez donné de réconfortantes assurances : « Nous aurons six cents évêques ». Il y avait certes de quoi émouvoir le pape ! Or il n’y eut pas un seul évêque, pas un et même pas vous.

En fait, en réalité, vous étiez plus préoccupé de "ne pas scandaliser", que de défendre la Vérité. Nous nous prenons à craindre que votre lettre n°16 vous révèle inchangé.

Vous avez continué de célébrer la "messe innovée" à Fribourg, à Ecône. Les premiers espoirs cependant se concrétisaient : Bernard Tissier de Mallerais, Paul Aulagnier, Bernard Walz, trois autres. Le 24 décembre 1969, à la fin du repas de midi, le Père dominicain qui signe ces lignes et qui séjournait alors à Ecône, affectueusement ironisa :

« Monseigneur, il est dommage que, soutenant la Tradition, vous célébriez une dite "nouvelle messe" qui n’est pas la messe de la Tradition ». Cette simple observation mit littéralement le feu aux poudres. Les "six", tout votre vivant espoir, explosèrent. Chacun à sa façon, et tous ensemble, vous redirent la même chose : « comment fonder la fidélité à la Tradition, sur une "messe" qui a été "innovée" contre la Tradition ? » L’incident fut très véhément, et d’ailleurs très vite clos. Or, quoi qu’il en soit d’un lien causal qui relève du Saint Esprit et du for interne, en cette nuit du 24 au 25 décembre 1970, à la Messe de minuit, vous avez repris à la très grande joie de tous, le rite promulgué par saint Pie V.

Vous avez certainement suivi le Saint Esprit. Tout s’est passé comme si, hélas, vous aviez suivi vos troupes. Et, depuis lors, vous avez suivi la même tactique. Si vous ne souteniez la Messe traditionnelle, le Séminaire d’Ecône serait privé de finalité ; et ceux qui vous soutiennent se trouveraient dans l’obligation de vous déserter.

Mais jamais vous n’avez procédé sérieusement à un examen doctrinal de la "messe innovée". Vous en affirmez la validité, sans le justifier. Et vous avez donné des "consignes" dont nombre de fidèles et même de séminaristes formés à Ecône, ont pu tout tirer. Et voici que maintenant – tout cela n’est malheureusement que trop cohérent – vous admettez qu’il puisse y avoir, dans l’Eglise, Messe et messe. C’est l’œcuménisme "intra muros", le paroxysme du faux œcuménisme qui substitue une trompeuse union à la véritable unité, la soumission inconditionnelle à la Liberté normée par la Vérité.

Et pareillement, Monseigneur, vous admettez qu’il puisse y avoir une "interprétation traditionnelle de Vatican II", alors que vous avez écrit, Deo gratias et merci à vous, J’accuse le Concile.

Pourquoi refusez-vous d’énoncer clairement, au sujet de l’ "autorité", les principes auxquels renvoient inéluctablement vos judicieuses accusations ? alors qu’imitant à votre corps défendant les faux prophètes qui «conduisent dans la fosse » (Matt. XV, 14), vous annoncez une fausse paix suivie d’une fausse prospérité ! Il faut : soit se taire, soit parler. Et non pas, clamer l’erreur et taire la vérité. C’est avec une profonde douleur, croyez-le Monseigneur, que nous sommes obligés, en conscience, de vous le faire observer.

Nous ne pouvons plus vous faire confiance. Nous ne sommes pas "contre vous", et sommes encore "pour vous" ; nous ne pouvons plus "être avec vous". Vous comptez tout sauver par la Fraternité Saint Pie X ; toute l’Eglise, certes, vous saura gré de ce que vous avez fait. Mais, Monseigneur, vous promettez trop pour que ce soit vrai . Souvenez-vous des six cents évêques, dont vous n’avez pas été. Souvenez-vous que si, « le 5 mai 1975 vous avez tenu coûte que coûte [contre Rome] » ce fut en vous opposant à ceux sur qui maintenant vous pensez pouvoir vous appuyer, ceux dont vous êtes la victime parce que vous les suivez.

Nous ne pouvons plus, Monseigneur, "être avec vous".
Nous ne sommes "inconditionnels" que de la Vérité !

Jeudi Saint 12 avril 1979
M.L. Guérard des Lauriers o.p.
In memoriam :
pour un groupe de fidèles attachés à la Tradition
Jeudi Saint 3 avril 1969"