SOURCE - Père Guérard des Lauriers - 19 décembre 1979
3ème réponse du Père Guérard des Lauriers à la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n°16
EINSICHT, février 1980 (pp. 1-9)
Le Père M.L. GUERARD DES LAURIERS
à Monsieur le DIRECTEUR
du Journal EINSICHT
du Journal EINSICHT
Monsieur le Directeur,
La Lettre N°16 adressée par Mgr Lefebvre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité a suscité, vous le savez, de profonds remous. Votre Journal, Dieu merci, n'y a pas été étranger. Vous estimerez certainement conforme à la Sagesse que, liées dans leur origine, les mêmes causes le soient en leur achèvement.
Il est opportun, si vous y consentez, de préciser quelles furent les phases d'une polémique, dont la violence croissante manifeste tout simplement la gravissime importance.
1. 19 mars 1979. Lettre NI 6, de Mgr Lefebvre, aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité S. Pie X.
2. 12 avril 1979. Première lettre personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le Père Guérard des Lauriers.
3. Mai 1979. Publication de cette lettre, en allemand et en français dans Einsicht.
4. 15 juin 1979. Lettre de Mgr Lefebvre à des amis, publiée seulement en août 1979 dans le N°8 du Bulletin d'Information de la Fraternité sacerdotale S.Pie X de langue allemande.
5. 20 juin 1979. Eclaircissement (Erwiderung) demandé au Père Guérard par Einsicht [par personne interposée]. Cette personne avait-elle eu connaissance de la lettre (4) ? L'Erwiderung demandée a été expédiée par le P. Guérard dans les jours suivants.
6. 29 Juin 1979. Seconde lettre, personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le P. Guérard.
7. Septembre 1979. Publication sur la même page 93, du Journal Einsicht des deux documents (4) et (5).
8. Novembre 1979. Publication dans la revue Itinéraires N°237 (p. 157) du document (4) précédé d’une « introduction » par M. Jean Madiran.
9. 10. etc. [Au niveau « épigone »] Novembre 1979. Commentaire du R.P. Barbara dans « Forts dans la Foi » N° 59-60 (p. 243, quatre premières lignes). Commentaire Ollion, De Pas et compagnie, dans « Lettre de la Péraudière » N° 95 (p. 13).
Mgr Lefebvre n'a pas [encore] répondu aux deux lettres (2,6) que je lui ai personnellement adressées.
Je n'ai eu connaissance de la lettre (4) que par le document (7). Je rends hommage à la loyauté avec laquelle le Journal Einsicht a publié simultanément les deux documents (4) et (5). Et je suis assuré, Monsieur le Directeur, que la même loyauté vous inclinera à accueillir très objectivement les trois arguments que je me permets de vous proposer.
Ils concernent les événements récents ou passés dans lesquels le
Journal Einsicht se trouve impliqué.
Il y a d'abord les faits [1]. En second lieu, les commentaires qui en ont été donnés [2]. Enfin, il y a surtout les très graves questions doctrinales qui sont sous-jacentes à la polémique [3].
Les deux premiers points me concernent plus personnellement, mais il est difficile de les séparer de la question doctrinale à laquelle le Journal Einsicht a déjà apporté de si importantes contributions.
[1] Le premier argument n'a d'importance qu'en raison de la polémique dont il continue d'être le prétexte.
Il s'agit du différend survenu entre Mgr Lefebvre et moi-même concernant la question de savoir si Mgr a célébré la "dite nouvelle messe" promulguée par le cardinal Montini le 3 avril 1969.
J'ai affirmé qu’il en fut ainsi (2); Mgr Lefebvre l'a nié (4).
J'ai déclaré (5,6) ne pas mettre en doute la loyauté de Mgr Lefebvre, et j'ai reconnu, dans la lettre (5), que Mgr n'a jamais célébré la dite nouvelle messe. J'ai cependant précisé, dans cette même lettre, et je maintiens, que les observations contenues dans cette lettre sont conformes à la réalité. Je reviens brièvement sur ce point.
Quiconque a pu observer, le 5 mai 1969 et ensuite jusqu'au 24 décembre 1970, que Mgr Lefebvre omettait les deux génuflexions qui sont immédiatement consécutives à chacune des deux consécrations, et antérieures aux Elévations. C'est l'interprétation de cette omission qui est à l'origine de la "contestation".
Je n'ai moi-même suivi aucune des réformes qui ont précédé la promulgation du n.o.m., et je n'en ai eu qu'une connaissance confuse, car la chose ne m'intéressait pas. La Constitution Missale romanum, jeudi saint 3 avril 1969, fut, dans le ciel de Rome, et ailleurs, un coup de foudre. Combien de fois avons-nous entendu, en ces années"conciliaires": "On introduit une modification sans importance; mais le Canon, mais la Consécration... on n’y touchera jamais !" On connaissait le refrain ; on n'y croyait pas trop, et on n'osait pas ne pas y croire. Enfin, ce 3 avril 1969, ce fut la terrifiante réalité. La Messe était atteinte en plein coeur.
Il fallait résister. J’ai cessé de nommer Paul VI "una cum Ecclesia tua sancta catholicá". Quelques amis, soutenus d'ailleurs par Mgr Lefebvre et par le Cardinal Ottaviani, travaillèrent beaucoup, jour et nuit. Nous n'avons certes pas tout vu, puisque nul d'entre nous n’a émis l'hypothèse que le n.o.m. pût être invalide...; les arbres cachèrent la forêt ! Mais enfin les altérations apportées à l'Ordo Missae furent détectées, et elles s'imprimèrent dans nos mémoires comme autant de provocations sacrilèges, comme étant également les critères propres de la dite nouvelle messe.
L'omission des deux génuflexions, immédiatement consécutives aux deux Consécrations, était et demeure, de toutes les altérations visibles [et pas seulement audibles], la plus insidieuse et la plus typique.
Le 5 mai 1969, les quelques amis qui ont assisté à la Messe que Mgr célébrait sur le tombeau de S.Pie V n'ont pas entendu les paroles consécratoires, mais ils ont observé 1'omission des génuflexions. Ce fut un second coup de foudre, certes de moindre module ! mais enfin l'écho du premier. Car, dans ces circonstances, cette Messe était, au moins à Rome, le premier acte public de résistance, et de dévotion. Or cet évêque que nous suivions, ou qui nous suivait, voici que cet évêque suivait le pape, mettant sa dévotion au service du pape et non au service de la Foi.
Mgr Lefebvre affirme n'avoir jamais célébré la dite nouvelle messe. Je le crois sur parole, et le lui ai déjà accordé (6). J'en conclus que Mgr Lefebvre avait adopté, avant le 3 avril 1969, les modifications auxquelles il s'est conformé jusqu'au 24 décembre 1970, modifications qui ont acquis, le 3 avril 1969, la si grave signification qu'elles ont depuis lors conservée. Je reconnais donc avoir erré en affirmant que Mgr Lefebvre a célébré la dite nouvelle messe ; je maintiens que Mgr Lefebvre s'est comporté de telle manière qu'on se trouvait induit à le supposer.
Puisqu'en effet l'omission des dites génuflexions signifia officiellement et canoniquement la dite nouvelle messe, au moins à partir du 30 novembre 1969. C'est ce dont je fais état dans ma seconde lettre (6).
[2] Le second argument me concerne plus personnellement. Mais il intéresse également le journal Einsicht.
Il s'agit en effet du document 8. Or ce document 8, d'une part publie le document 4, d'autre part renvoie au document 3 publié par Einsicht, sans faire état du document 5 également et loyalement publié par Einsicht.
La première observation concerne l'ordre chronologique des documents 3 à 8.
Comment Mgr Lefebvre répond-il, en septembre (document 7), à une accusation dont j'ai précisé la portée au mois de juin (document 5), sans tenir compte de cette précision ? Comment Mgr Lefebvre ose-t-il faire état au mois de septembre (7), d'une accusation qui, prise au sens où il l'entend, a été explicitement retirée par moi le 29 juin (6) ? Je dois supposer que Mgr Lefebvre "a oublié" de rectifier le document (4); lequel est cependant diffusé pour me diffamer (8,9,10). A défaut de cet "oubli", je serais fondé à me demander si Mgr n'est pas de mauvaise foi.
M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance de ma première lettre (2), puisque, dit-il (Cool, elle circulait "sous le manteau", a certainement eu connaissance de ma seconde lettre (6); attendu que ces deux lettres ont été diffusées exactement dans les mêmes conditions. M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance du document (3), puisqu'il y renvoie (Cool, a certainement eu connaissance du document (7); puisque M. Madiran suit le journal Einsicht, il a très probablement lu le numéro de Septembre, tout comme il a lu celui de mai. Comment, dans ces conditions, M. Madiran ose—t-il me faire grief au mois de novembre (Cool d'une accusation que j'ai précisée (5), et que j'ai explicitement retirée (6), si on donne à cette accusation la portée que l'on persiste faussement à m'imputer. Je suis fondé à me demander si M. Madiran ne serait pas de mauvaise foi ?
La seconde observation concerne le contenu des documents.
L'incident du 5 mai 1969 n'est mentionné dans ma première lettre à Mgr Lefebvre (2) que comme un épisode secondaire. Cette lettre traite de graves questions, et comporte six pages. Mg Lefebvre n'y répond que sur un seul point, et M. Madiran en isole une seule phrase. En ne répondant rien, ni à la seconde lettre (6) ni à l'Erwiderung (5, 7), Mgr Lefebvre et M. Madiran visent à "enterrer" la question véritable : la tragique question que pose cependant l'infâme lettre 16 (1), laquelle a seule motivé les deux lettres que j'ai adressées à Mgr Lefebvre (2, 6).
Je le répète, le "procédé" est malhonnête.
Il y a la manière "évangélique", ou plus exactement ecclésiastique, celle de l'évêque Mgr Marcel Lefebvre, "vénéré prélat" intègre et magnanime qui, inculpé, joue spontanément le "Christ aux outrages", en assimilant "les autres" [l'enfer, c'est les autres ?] à la "soldatesque".
Il y a la manière "hépatique" du polémiste M. Jean Madiran, qui vomit toute sa bile: "atroce lettre ouverte, d'insultes et de calomnies", "entre autres infamies ", "odieuse, cette calomnie était d'abord extravagante, délirante" ; "selon le calomniateur délirant"; "la lettre immonde du P. Guérard", "[lettre] que se passaient les uns les autres les amateurs de saleté..."
La manière ecclésiastique, et la manière hépatique sont également infra mentales ; le mépris et l'invective ne sont que passion dévoyée. La colère du polémiste qui explose, et le silence de l'évêque qui ne me répond pas, sont-ils de fines "passes diplomatiques" ? Certainement du moins, ils entraînent les mêmes résultats, à savoir de paraître ignorer ce qu'on devrait loyalement considérer, à savoir surtout de dégrader une question de doctrine en une question de personnes, et de désamorcer l'attention des malheureux fidèles en éludant la véritable question.
C'est cette question, M. le Directeur de "Einsicht", que je me permets de vous rappeler, sachant d'ailleurs qu'elle constitue la vivante inspiration du "bon combat" que vous soutenez.
[3] Le troisième argument a pour objet la question dont la gravité est manifestée par la violence croissante de la polémique qui est engagée.
Cette gravissime question n'est rien moins que la suivante. Peut-on servir par la duplicité l'Eglise de CELUI QUI EST LA VERITE ?
Cette question ne se pose pas certes dans l'ordre théorétique. Quant au principe en effet, la réponse est si évidente que la question est, comme telle, résolue, c'est-à-dire supprimée.
Mais cette question se trouve posée, chaque jour plus tragiquement, dans l'ordre pratique, par Mgr Lefebvre lui-même et par tous ceux qui le suivent en fait inconditionnellement. Comment peut-il être en fait imperturbablement double cet évêque qui, par attachement à la Vérité de la Foi, veut être le témoin de la Tradition ? Telle est, concrètement, la véritable question.
Double, Mgr Lefebvre l'a été le 5 mai 1969. Alors que, considéré
comme étant l'âme d'un minuscule groupe "ami" qui travaillait jour et nuit pour sauver la Messe contre la messe, et manifestant à ce groupe encouragement et sympathie, Mgr Lefebvre infligea à ce même groupe le désaveu public d'une allégeance inconditionnelle à 1'"autorité" qu'il fallait contrer.
Double, Mgr Lefebvre l'a été, en se ménageant 1’"autorité", et en ne signant pas la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI ; alors que, reconnaissant 1'"autorité ", il encourageait cependant très vivement la confection de ce document.
Double, Mgr Lefebvre l'a été depuis 5 ans au moins, à Ecône, en refusant systématiquement, malgré les sollicitations pressantes et réitérées qui lui ont été adressées, d'expliciter clairement les principes qui seuls peuvent fonder et justifier de résister à 1'"autorité".
Double, Mgr Lefebvre l'a été le 24 décembre 1978, d'abord en reconnaissant par la demande qu'il faisait l’"autorité" à laquelle cependant il désobéit ; ensuite et surtout en postulant qu'il y ait, dans l'Eglise, une dualité au coeur même de ce qui y est le principe de l'unité: la Messe et la "messe" faisant "un" de par l'autorité d'évêques... schismatiques évidemment !
Cinq ans au moins durant, on [je ne suis pas le seul !] a interrogé, attendu, espéré. L'inqualifiable lettre adressée au "pape" par Mgr Lefebvre le 24 décembre 1978 passant toute mesure dans la duplicité, il était impossible de ne pas le crier non possumus non loqui(Actes 4.20).
M. l'Abbé Louis Coache, Docteur en droit canon, et autres, ont tourné en dérision les esprits non diplômés qui "n'ont rien compris". Il s'agissait, paraît-il, d'une "passe diplomatique". Or, si Mgr Lefebvre, en des circonstances graves qui engagent en fait même ceux qui ne veulent pas le suivre, peut penser le contraire de ce qu'il écrit, quel cas peut-on faire de ses démentis ? Et si Mgr Lefebvre pense ce qu'il écrit, a—t-il le droit, parce qu'il est évêque, parce qu'il est, quoi qu'il en dise ou en veuille(?), le "panache blanc" des fidèles attachés à la Tradition, a-t-il le droit d'affirmer, pratiquement, une hérésie ?
Je ne suspecte ni la sincérité, ni le zèle, ni le désintéressement de Mgr Lefebvre. Je reconnais, et rends à nouveau hommage à toutes ces qualités. Je dois cependant observer que, du 5 mai 1969 au 24 décembre 1978, et même jusqu'en 1980, Mgr Lefebvre n'a pas changé, et c'est ce point qu'il importait malheureusement de souligner : Monseigneur demeure écartelé entre la Vérité et l’"autorité", entre le désir théologal de servir l'Eglise et la hantise viscérale d'avoir un statut canonique dans 1’"église".
Les fidèles, qui en fait adulent Mgr Lefebvre, le suivent comme s'il était le pape, parce qu'ils éprouvent le besoin d'en avoir un. Il faudrait les dissuader de l'erreur dont ils n'ont pas conscience, au lieu de les y incruster. Tous ces fidèles ont le droit de savoir ce à quoi ils exposent l'Eglise et eux-mêmes, en se soudant à un homme qui sera, qui est déjà, l'instrument inespéré dont l’"autorité" use, en vue de tout perdre, avec une maîtrise consommée. Or, ce que les fidèles ont le droit de savoir, j'estime avoir le devoir de contribuer à le leur faire connaître. Voilà pourquoi j'ai parlé. "Credidi, propter quod locutus sum" (2 Cor 4.13). Se taire, ce serait conspirer dans le "mystère d'iniquité" (2 Thess 2-7).
Je ne juge pas Mgr Lefebvre, ni d'ailleurs qui que ce soit. Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à Pilate, comme m'en accuse faussement M. Madiran. J'ai écrit et je répète que le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Eglise qu'il désire sauver - je n'en doute pas ! - aura et a déjà immanquablement le même résultat que le comportement de Pilate qui voulut très probablement sauver Jésus.
Je n'ai jamais ni dit, ni écrit, ni pensé, que Mgr Lefebvre fût un traître, ainsi que l'a somnanbulé le P. Barbara (Forts dans la Foi N°59-6O, p. 243, quatre premières lignes). J'ai écrit, et je répète, que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron, les sous-Madiran à la sauce Ollion et les sous-sous-Madiran à la manière De Pas et compagnie (Lettre de la Péraudière, N 95, p. 13), tous font, volens nolens l'oeuvre du Traitre, c'est-à-dire de Satan "le père du mensonge"(Jean 8,
44), parce qu'ils sont "doubles".
Vae duplici corde (Eccli 2.14).
Il n'est pas possible d'être, sous quelque rapport que ce soit, avec ce qui est "double", sans le devenir soi-même. Prétendre jouer au plus fin avec Satan, c'est en fait se vouloir plus Rouble qu'il l'est lui-même. C'est lui rendre hommage en tant qu’il profère le mensonge de son propre fonds. Telle est la terrible vérité qui justifie existentiellement l'intransigeante rigueur de Dieu.
"Jusqu'à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si Yaweh est Dieu, allez après Lui; si Baal est dieu, ne suivez que lui" (3 Rois 18.21).
Si 1'« autorité » est l'Autorité, suivez Wojtyla qui est 1'"autorité", et ne suivez que lui. Si l'Autorité est Vérité, ne vous provolutez plus devant ce Wojtyla qui affirme l'hérésie. Telle serait, à l'égard de Mgr Lefebvre, l'impérieuse requête du prophète Elie.
J'ai tout lieu de penser, Monsieur le Directeur, que vous en êtes d'accord. Et c'est la raison pour laquelle j'ose vous demander de bien vouloir publier ces observations dans votre journal Einsicht. Je vous en remercie à l'avance, et vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.
M.L. GUERARD DES LAURIERS
Mercredi des Quatre Temps de l’Avent, 19 décembre 1979.
La Lettre N°16 adressée par Mgr Lefebvre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité a suscité, vous le savez, de profonds remous. Votre Journal, Dieu merci, n'y a pas été étranger. Vous estimerez certainement conforme à la Sagesse que, liées dans leur origine, les mêmes causes le soient en leur achèvement.
Il est opportun, si vous y consentez, de préciser quelles furent les phases d'une polémique, dont la violence croissante manifeste tout simplement la gravissime importance.
1. 19 mars 1979. Lettre NI 6, de Mgr Lefebvre, aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité S. Pie X.
2. 12 avril 1979. Première lettre personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le Père Guérard des Lauriers.
3. Mai 1979. Publication de cette lettre, en allemand et en français dans Einsicht.
4. 15 juin 1979. Lettre de Mgr Lefebvre à des amis, publiée seulement en août 1979 dans le N°8 du Bulletin d'Information de la Fraternité sacerdotale S.Pie X de langue allemande.
5. 20 juin 1979. Eclaircissement (Erwiderung) demandé au Père Guérard par Einsicht [par personne interposée]. Cette personne avait-elle eu connaissance de la lettre (4) ? L'Erwiderung demandée a été expédiée par le P. Guérard dans les jours suivants.
6. 29 Juin 1979. Seconde lettre, personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le P. Guérard.
7. Septembre 1979. Publication sur la même page 93, du Journal Einsicht des deux documents (4) et (5).
8. Novembre 1979. Publication dans la revue Itinéraires N°237 (p. 157) du document (4) précédé d’une « introduction » par M. Jean Madiran.
9. 10. etc. [Au niveau « épigone »] Novembre 1979. Commentaire du R.P. Barbara dans « Forts dans la Foi » N° 59-60 (p. 243, quatre premières lignes). Commentaire Ollion, De Pas et compagnie, dans « Lettre de la Péraudière » N° 95 (p. 13).
Mgr Lefebvre n'a pas [encore] répondu aux deux lettres (2,6) que je lui ai personnellement adressées.
Je n'ai eu connaissance de la lettre (4) que par le document (7). Je rends hommage à la loyauté avec laquelle le Journal Einsicht a publié simultanément les deux documents (4) et (5). Et je suis assuré, Monsieur le Directeur, que la même loyauté vous inclinera à accueillir très objectivement les trois arguments que je me permets de vous proposer.
Ils concernent les événements récents ou passés dans lesquels le
Journal Einsicht se trouve impliqué.
Il y a d'abord les faits [1]. En second lieu, les commentaires qui en ont été donnés [2]. Enfin, il y a surtout les très graves questions doctrinales qui sont sous-jacentes à la polémique [3].
Les deux premiers points me concernent plus personnellement, mais il est difficile de les séparer de la question doctrinale à laquelle le Journal Einsicht a déjà apporté de si importantes contributions.
[1] Le premier argument n'a d'importance qu'en raison de la polémique dont il continue d'être le prétexte.
Il s'agit du différend survenu entre Mgr Lefebvre et moi-même concernant la question de savoir si Mgr a célébré la "dite nouvelle messe" promulguée par le cardinal Montini le 3 avril 1969.
J'ai affirmé qu’il en fut ainsi (2); Mgr Lefebvre l'a nié (4).
J'ai déclaré (5,6) ne pas mettre en doute la loyauté de Mgr Lefebvre, et j'ai reconnu, dans la lettre (5), que Mgr n'a jamais célébré la dite nouvelle messe. J'ai cependant précisé, dans cette même lettre, et je maintiens, que les observations contenues dans cette lettre sont conformes à la réalité. Je reviens brièvement sur ce point.
Quiconque a pu observer, le 5 mai 1969 et ensuite jusqu'au 24 décembre 1970, que Mgr Lefebvre omettait les deux génuflexions qui sont immédiatement consécutives à chacune des deux consécrations, et antérieures aux Elévations. C'est l'interprétation de cette omission qui est à l'origine de la "contestation".
Je n'ai moi-même suivi aucune des réformes qui ont précédé la promulgation du n.o.m., et je n'en ai eu qu'une connaissance confuse, car la chose ne m'intéressait pas. La Constitution Missale romanum, jeudi saint 3 avril 1969, fut, dans le ciel de Rome, et ailleurs, un coup de foudre. Combien de fois avons-nous entendu, en ces années"conciliaires": "On introduit une modification sans importance; mais le Canon, mais la Consécration... on n’y touchera jamais !" On connaissait le refrain ; on n'y croyait pas trop, et on n'osait pas ne pas y croire. Enfin, ce 3 avril 1969, ce fut la terrifiante réalité. La Messe était atteinte en plein coeur.
Il fallait résister. J’ai cessé de nommer Paul VI "una cum Ecclesia tua sancta catholicá". Quelques amis, soutenus d'ailleurs par Mgr Lefebvre et par le Cardinal Ottaviani, travaillèrent beaucoup, jour et nuit. Nous n'avons certes pas tout vu, puisque nul d'entre nous n’a émis l'hypothèse que le n.o.m. pût être invalide...; les arbres cachèrent la forêt ! Mais enfin les altérations apportées à l'Ordo Missae furent détectées, et elles s'imprimèrent dans nos mémoires comme autant de provocations sacrilèges, comme étant également les critères propres de la dite nouvelle messe.
L'omission des deux génuflexions, immédiatement consécutives aux deux Consécrations, était et demeure, de toutes les altérations visibles [et pas seulement audibles], la plus insidieuse et la plus typique.
Le 5 mai 1969, les quelques amis qui ont assisté à la Messe que Mgr célébrait sur le tombeau de S.Pie V n'ont pas entendu les paroles consécratoires, mais ils ont observé 1'omission des génuflexions. Ce fut un second coup de foudre, certes de moindre module ! mais enfin l'écho du premier. Car, dans ces circonstances, cette Messe était, au moins à Rome, le premier acte public de résistance, et de dévotion. Or cet évêque que nous suivions, ou qui nous suivait, voici que cet évêque suivait le pape, mettant sa dévotion au service du pape et non au service de la Foi.
Mgr Lefebvre affirme n'avoir jamais célébré la dite nouvelle messe. Je le crois sur parole, et le lui ai déjà accordé (6). J'en conclus que Mgr Lefebvre avait adopté, avant le 3 avril 1969, les modifications auxquelles il s'est conformé jusqu'au 24 décembre 1970, modifications qui ont acquis, le 3 avril 1969, la si grave signification qu'elles ont depuis lors conservée. Je reconnais donc avoir erré en affirmant que Mgr Lefebvre a célébré la dite nouvelle messe ; je maintiens que Mgr Lefebvre s'est comporté de telle manière qu'on se trouvait induit à le supposer.
Puisqu'en effet l'omission des dites génuflexions signifia officiellement et canoniquement la dite nouvelle messe, au moins à partir du 30 novembre 1969. C'est ce dont je fais état dans ma seconde lettre (6).
[2] Le second argument me concerne plus personnellement. Mais il intéresse également le journal Einsicht.
Il s'agit en effet du document 8. Or ce document 8, d'une part publie le document 4, d'autre part renvoie au document 3 publié par Einsicht, sans faire état du document 5 également et loyalement publié par Einsicht.
La première observation concerne l'ordre chronologique des documents 3 à 8.
Comment Mgr Lefebvre répond-il, en septembre (document 7), à une accusation dont j'ai précisé la portée au mois de juin (document 5), sans tenir compte de cette précision ? Comment Mgr Lefebvre ose-t-il faire état au mois de septembre (7), d'une accusation qui, prise au sens où il l'entend, a été explicitement retirée par moi le 29 juin (6) ? Je dois supposer que Mgr Lefebvre "a oublié" de rectifier le document (4); lequel est cependant diffusé pour me diffamer (8,9,10). A défaut de cet "oubli", je serais fondé à me demander si Mgr n'est pas de mauvaise foi.
M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance de ma première lettre (2), puisque, dit-il (Cool, elle circulait "sous le manteau", a certainement eu connaissance de ma seconde lettre (6); attendu que ces deux lettres ont été diffusées exactement dans les mêmes conditions. M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance du document (3), puisqu'il y renvoie (Cool, a certainement eu connaissance du document (7); puisque M. Madiran suit le journal Einsicht, il a très probablement lu le numéro de Septembre, tout comme il a lu celui de mai. Comment, dans ces conditions, M. Madiran ose—t-il me faire grief au mois de novembre (Cool d'une accusation que j'ai précisée (5), et que j'ai explicitement retirée (6), si on donne à cette accusation la portée que l'on persiste faussement à m'imputer. Je suis fondé à me demander si M. Madiran ne serait pas de mauvaise foi ?
La seconde observation concerne le contenu des documents.
L'incident du 5 mai 1969 n'est mentionné dans ma première lettre à Mgr Lefebvre (2) que comme un épisode secondaire. Cette lettre traite de graves questions, et comporte six pages. Mg Lefebvre n'y répond que sur un seul point, et M. Madiran en isole une seule phrase. En ne répondant rien, ni à la seconde lettre (6) ni à l'Erwiderung (5, 7), Mgr Lefebvre et M. Madiran visent à "enterrer" la question véritable : la tragique question que pose cependant l'infâme lettre 16 (1), laquelle a seule motivé les deux lettres que j'ai adressées à Mgr Lefebvre (2, 6).
Je le répète, le "procédé" est malhonnête.
Il y a la manière "évangélique", ou plus exactement ecclésiastique, celle de l'évêque Mgr Marcel Lefebvre, "vénéré prélat" intègre et magnanime qui, inculpé, joue spontanément le "Christ aux outrages", en assimilant "les autres" [l'enfer, c'est les autres ?] à la "soldatesque".
Il y a la manière "hépatique" du polémiste M. Jean Madiran, qui vomit toute sa bile: "atroce lettre ouverte, d'insultes et de calomnies", "entre autres infamies ", "odieuse, cette calomnie était d'abord extravagante, délirante" ; "selon le calomniateur délirant"; "la lettre immonde du P. Guérard", "[lettre] que se passaient les uns les autres les amateurs de saleté..."
La manière ecclésiastique, et la manière hépatique sont également infra mentales ; le mépris et l'invective ne sont que passion dévoyée. La colère du polémiste qui explose, et le silence de l'évêque qui ne me répond pas, sont-ils de fines "passes diplomatiques" ? Certainement du moins, ils entraînent les mêmes résultats, à savoir de paraître ignorer ce qu'on devrait loyalement considérer, à savoir surtout de dégrader une question de doctrine en une question de personnes, et de désamorcer l'attention des malheureux fidèles en éludant la véritable question.
C'est cette question, M. le Directeur de "Einsicht", que je me permets de vous rappeler, sachant d'ailleurs qu'elle constitue la vivante inspiration du "bon combat" que vous soutenez.
[3] Le troisième argument a pour objet la question dont la gravité est manifestée par la violence croissante de la polémique qui est engagée.
Cette gravissime question n'est rien moins que la suivante. Peut-on servir par la duplicité l'Eglise de CELUI QUI EST LA VERITE ?
Cette question ne se pose pas certes dans l'ordre théorétique. Quant au principe en effet, la réponse est si évidente que la question est, comme telle, résolue, c'est-à-dire supprimée.
Mais cette question se trouve posée, chaque jour plus tragiquement, dans l'ordre pratique, par Mgr Lefebvre lui-même et par tous ceux qui le suivent en fait inconditionnellement. Comment peut-il être en fait imperturbablement double cet évêque qui, par attachement à la Vérité de la Foi, veut être le témoin de la Tradition ? Telle est, concrètement, la véritable question.
Double, Mgr Lefebvre l'a été le 5 mai 1969. Alors que, considéré
comme étant l'âme d'un minuscule groupe "ami" qui travaillait jour et nuit pour sauver la Messe contre la messe, et manifestant à ce groupe encouragement et sympathie, Mgr Lefebvre infligea à ce même groupe le désaveu public d'une allégeance inconditionnelle à 1'"autorité" qu'il fallait contrer.
Double, Mgr Lefebvre l'a été, en se ménageant 1’"autorité", et en ne signant pas la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI ; alors que, reconnaissant 1'"autorité ", il encourageait cependant très vivement la confection de ce document.
Double, Mgr Lefebvre l'a été depuis 5 ans au moins, à Ecône, en refusant systématiquement, malgré les sollicitations pressantes et réitérées qui lui ont été adressées, d'expliciter clairement les principes qui seuls peuvent fonder et justifier de résister à 1'"autorité".
Double, Mgr Lefebvre l'a été le 24 décembre 1978, d'abord en reconnaissant par la demande qu'il faisait l’"autorité" à laquelle cependant il désobéit ; ensuite et surtout en postulant qu'il y ait, dans l'Eglise, une dualité au coeur même de ce qui y est le principe de l'unité: la Messe et la "messe" faisant "un" de par l'autorité d'évêques... schismatiques évidemment !
Cinq ans au moins durant, on [je ne suis pas le seul !] a interrogé, attendu, espéré. L'inqualifiable lettre adressée au "pape" par Mgr Lefebvre le 24 décembre 1978 passant toute mesure dans la duplicité, il était impossible de ne pas le crier non possumus non loqui(Actes 4.20).
M. l'Abbé Louis Coache, Docteur en droit canon, et autres, ont tourné en dérision les esprits non diplômés qui "n'ont rien compris". Il s'agissait, paraît-il, d'une "passe diplomatique". Or, si Mgr Lefebvre, en des circonstances graves qui engagent en fait même ceux qui ne veulent pas le suivre, peut penser le contraire de ce qu'il écrit, quel cas peut-on faire de ses démentis ? Et si Mgr Lefebvre pense ce qu'il écrit, a—t-il le droit, parce qu'il est évêque, parce qu'il est, quoi qu'il en dise ou en veuille(?), le "panache blanc" des fidèles attachés à la Tradition, a-t-il le droit d'affirmer, pratiquement, une hérésie ?
Je ne suspecte ni la sincérité, ni le zèle, ni le désintéressement de Mgr Lefebvre. Je reconnais, et rends à nouveau hommage à toutes ces qualités. Je dois cependant observer que, du 5 mai 1969 au 24 décembre 1978, et même jusqu'en 1980, Mgr Lefebvre n'a pas changé, et c'est ce point qu'il importait malheureusement de souligner : Monseigneur demeure écartelé entre la Vérité et l’"autorité", entre le désir théologal de servir l'Eglise et la hantise viscérale d'avoir un statut canonique dans 1’"église".
Les fidèles, qui en fait adulent Mgr Lefebvre, le suivent comme s'il était le pape, parce qu'ils éprouvent le besoin d'en avoir un. Il faudrait les dissuader de l'erreur dont ils n'ont pas conscience, au lieu de les y incruster. Tous ces fidèles ont le droit de savoir ce à quoi ils exposent l'Eglise et eux-mêmes, en se soudant à un homme qui sera, qui est déjà, l'instrument inespéré dont l’"autorité" use, en vue de tout perdre, avec une maîtrise consommée. Or, ce que les fidèles ont le droit de savoir, j'estime avoir le devoir de contribuer à le leur faire connaître. Voilà pourquoi j'ai parlé. "Credidi, propter quod locutus sum" (2 Cor 4.13). Se taire, ce serait conspirer dans le "mystère d'iniquité" (2 Thess 2-7).
Je ne juge pas Mgr Lefebvre, ni d'ailleurs qui que ce soit. Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à Pilate, comme m'en accuse faussement M. Madiran. J'ai écrit et je répète que le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Eglise qu'il désire sauver - je n'en doute pas ! - aura et a déjà immanquablement le même résultat que le comportement de Pilate qui voulut très probablement sauver Jésus.
Je n'ai jamais ni dit, ni écrit, ni pensé, que Mgr Lefebvre fût un traître, ainsi que l'a somnanbulé le P. Barbara (Forts dans la Foi N°59-6O, p. 243, quatre premières lignes). J'ai écrit, et je répète, que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron, les sous-Madiran à la sauce Ollion et les sous-sous-Madiran à la manière De Pas et compagnie (Lettre de la Péraudière, N 95, p. 13), tous font, volens nolens l'oeuvre du Traitre, c'est-à-dire de Satan "le père du mensonge"(Jean 8,
44), parce qu'ils sont "doubles".
Vae duplici corde (Eccli 2.14).
Il n'est pas possible d'être, sous quelque rapport que ce soit, avec ce qui est "double", sans le devenir soi-même. Prétendre jouer au plus fin avec Satan, c'est en fait se vouloir plus Rouble qu'il l'est lui-même. C'est lui rendre hommage en tant qu’il profère le mensonge de son propre fonds. Telle est la terrible vérité qui justifie existentiellement l'intransigeante rigueur de Dieu.
"Jusqu'à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si Yaweh est Dieu, allez après Lui; si Baal est dieu, ne suivez que lui" (3 Rois 18.21).
Si 1'« autorité » est l'Autorité, suivez Wojtyla qui est 1'"autorité", et ne suivez que lui. Si l'Autorité est Vérité, ne vous provolutez plus devant ce Wojtyla qui affirme l'hérésie. Telle serait, à l'égard de Mgr Lefebvre, l'impérieuse requête du prophète Elie.
J'ai tout lieu de penser, Monsieur le Directeur, que vous en êtes d'accord. Et c'est la raison pour laquelle j'ose vous demander de bien vouloir publier ces observations dans votre journal Einsicht. Je vous en remercie à l'avance, et vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.
M.L. GUERARD DES LAURIERS
Mercredi des Quatre Temps de l’Avent, 19 décembre 1979.