Aletheia n°117 - 24 décembre 2007
LE CARDINAL MYSTRIEUX - et son réseau - par Yves Chiron
Un cardinal, qui a voulu garder l’anonymat, se serait confié au journaliste français et écrivain religieux Olivier Le Gendre. De leurs conversations a résulté un livre, au titre attirant : Confession d’un cardinal[1]. Le mystérieux cardinal livre ses Mémoires et porte des jugements « sans langue de bois » sur l’Eglise d’aujourd’hui nous dit la 4e de couverture.
Avant de considérer le contenu du livre, on s’interroge sur l’identité de ce mystérieux cardinal qui a pris le temps de longues conversations à Rome, en Avignon et dans un pays d’Asie (il s’agit, vraisemblablement, de la Thaïlande).
On apprend seulement, au fil des pages, qu’il a fait, en partie, ses études à Paris, mais qu’il n’est pas français ; qu’il avait 37 ans au moment de l’ouverture du concile Vatican (p. 247), qu’il a dirigé en tant que Préfet une Congrégation romaine ; qu’il a été créé cardinal en 1988, qu’il a pris « sa retraite » en 2000 (p. 31 et 277) et qu’atteint atteint par la limite d’âge (80 ans), à sept mois près, il n’a pas pu prendre part au dernier conclave (p. 81).
Muni de ces informations, on peut essayer de deviner quel est le prélat qui serait né en septembre 1924, qui aurait été créé cardinal en 1988 et qui aurait été chef de dicastère à Rome jusqu’en 2000. On n’en trouve aucun.
Qui a cherché à brouiller les pistes ? Le journaliste ou son interlocuteur ?
Certains ont cru pouvoir identifier le cardinal Silvestrini derrière le mystérieux interlocuteur d’Olivier Le Gendre. Certains éléments biographiques concordent : Silvestrini a bien été créé cardinal en 1988 et, de 1991 à 2000, il a dirigé la Congrégation pour les Eglises Orientales. D’autres, non : il est né en octobre 1923, il avait donc plus de 81 ans lors du conclave qui a élu Benoît XVI.
On peut émettre l’hypothèse que le mystérieux cardinal n’existe pas en tant que personne et que le livre qui paraît est l’expression d’un courant d’opinion présent dans le Sacré-Collège ; il serait donc l’écho de plusieurs voix cardinalices, dont celle du libéral Silvestrini.
Avant cet ouvrage, un autre livra anonyme était sorti des murs du Vatican : Le Vatican mis à nu par le groupe « Les Millénaires » (Robert Laffont, 2000). C’était la dénonciation, par un groupe subalterne de la Curie, de diverses affaires de mœurs et d’argent qui ont agité le Vatican ces dernières décennies. L’un des rédacteurs de ce livre a été identifié et sanctionné.
D’un niveau nettement plus relevé, cette Confession d’un cardinal n’en est pas moins l’expression, développée et argumentée, d’une opposition à Benoît XVI.
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Sur le plan factuel, on relèvera quelques étrangetés dans ce livre. Il s’ouvre sur un mystérieux personnage, Mgr Mijlk, dont on apprendra qu’il aurait joué un rôle d’intermédiaire financier entre le Saint-Siège et le syndicat polonais Solidarité. Or le nom de ce prélat n’apparaît dans aucune édition de l’Annuario Pontificio.
Autre scorie : on nous parle de Mgr Del Tron (p. 126), appelé ailleurs Mgr Tron (p. 127) ; il s’agit en fait de Mgr Giuseppe Del Ton, qui fut au Secrétariat aux Lettres latines sous Pie XII et Jean XXIII.
Certains ont pris comme des révélations les pages consacrées au financement de Solidarité par le Saint-Siège (qui, lui-même, s’alimentait à d’autres sources). L’information n’est pas nouvelle. Il y a eu de nombreux articles de presse sur le sujet, dans plusieurs pays, et, en France, un livre a évoqué le fait, de manière assez brouillonne il est vrai (Constance Colonna-Cesari, Urbi et Orbi. Enquête sur la géopolitique vaticane, La Découverte, 1992).
Le rôle de l’Eglise dans la fin du régime Marcos, aux Philippines, en 1986, est présenté encore comme une illustration de l’ « influence politique de l’Eglise ». Le fait est, lui aussi, bien connu. L’évêque auxiliaire de Manille, Mgr Bacani, en a fait un récit, très circonstancié et documenté, qui a été traduit en plusieurs langues (Eglise et politique aux Philippines, Cerf, 1987).
Benoît XVI, pape « par défaut »
En revanche, un des points saillants du livre du mystérieux cardinal tient dans la sévérité de son jugement sur Benoît XVI. Le cardinal, qui n’a pu prendre part au conclave à cause de la limite d’âge des 80 ans, a participé aux réunions préparatoires.
Il explique : « Cela faisait des mois et des mois que, nous, les cardinaux, nous nous attendions au décès de Jean-Paul II. Forcément, nous nous préparions à entrer en conclave » (p. 135). Au lendemain de la mort du pape, trois ou quatre noms ont émergé : « Nous évoquions la possibilité d’un pape d’Amérique latine aux racines européennes. Et nous pensions au cardinal Bergoglio […] et dont l’ascendance est italienne. Ou au cardinal Hummes de Sao Paulo qui est d’ascendance allemande. L’avantage de ces cardinaux était que leur origine et leur culture permettaient une sorte de transition entre l’Europe et l’Amérique latine. ».
Nombre des cardinaux jugés papabile par l’opinion ne l’étaient pas ; le cardinal anonyme le dit sans fard : Tettamanzi, de Milan, manquait « d’envergure intellectuelle », Scola, de Venise, « nous semblait un peu jeune », quant à Martini, l’ancien archevêque de Milan, la maladie de Parkinson « le mettait hors course ».
Puis, explique le mystérieux cardinal, « tout est balayé » lors de la messe de funérailles de Jean-Paul II : « les analyses subtiles, les pondérations de critères, le choix d’une nationalité, la question de l’âge, le problème de l’expérience pastorale sur le terrain. Tout disparaît d’un seul coup au profit de la réponse à cette seule question : qui a les épaules assez solides et suffisamment d’autorité pour succéder à ce géant que nous sommes en train de mettre en terre ? » (p. 141-142).
Le nom de Ratzinger s’est alors imposé comme « candidat par défaut […] comme s’il n’y avait plus eu soudain d’autres candidats envisageables ! » Ce mouvement de beaucoup de cardinaux n’a pas échappé à l’intéressé : « Je sais que Ratzinger a souffert de devenir Benoît XVI. Je sais, parce que cela se lisait dans ses yeux, qu’il a vu venir l’inéluctable pendant la vacance du siège, et qu’il en a tremblé. Je crois qu’il a forcé ses discours durant cette période pour que chacun comprenne bien quelles étaient ses convictions, qu’il soit clair pour tous ceux qui commençaient à se tourner vers lui qu’il marcherait dans une direction précise. Que si on voulait de lui, il fallait le prendre comme il était. Il voulait que ce soit clair, qu’il n’y ait pas d’erreur sur la personne » (p. 82).
Le mystérieux cardinal regrette, à mi-voix, l’élection de Benoît XVI. Il espère qu’il ne s’agira que d’un pontificat de transition. Au passage, sans en faire l’essentiel de sa critique, il juge inopportune la restauration liturgique engagée par Benoît XVI : « Je crois qu’il ne sert à rien de renforcer artificiellement les expressions du sacré. […] Je crois qu’il est inutile, voire dommageable, de vouloir restaurer des attitudes et des habitudes » (p. 256).
Le mystérieux cardinal est critique aussi envers les « nouveaux mouvements » qui se sont développés dans l’Eglise ces dernières années (Opus dei, Focolari, Chemin Néocatéchuménal, Légionnaires du Christ) : « leur point commun est une fidélité proclamée au pape, au besoin en se libérant de l’autorité des évêques dans les diocèses où ils se trouvent. Leur pensée est conservatrice et leur théologie parfois approximative. Leur but proclamé est la nouvelle évangélisation, leur intention plus discrète est de peser dans l’Eglise et la société où ils se trouvent. À côté de leur agenda religieux coexiste un agenda politique déterminé » (p. 269).
Le réseau international Sarepta
C’est dans la dernière partie du livre, constituée des conversations qu’Olivier Le Gendre a eues avec le mystérieux cardinal en Thaïlande, que se révèle le véritable objectif poursuivi par cette étrange publication. « En Europe, lit-on, quand on réfléchit sur l’Eglise, on privilégie un point de vue très particulier, trop particulier. Celui de la crise, du divorce entre la culture dite postmoderne et la culture chrétienne, de la baisse d’influence du magistère, toutes ces choses qui empoisonnent la vie et font bien dans les conversations. L’Eglise en Europe est encore sous le choc du traumatisme subi à la suite de l’effondrement de la société chrétienne. Elle n’arrive pas à s’en remettre. Du coup, bon nombre de responsables s’accrochent à l’idée et au projet de recréer une société chrétienne comme elle existait auparavant » (p. 313).
Le mystérieux cardinal non seulement ne croit pas possible une telle restauration, mais il juge nécessaire de proposer une nouvelle « alternative » et de « renouveler la façon d’être chrétien ».
Il évoque un réseau, déjà existant, qui partage le même projet : « Nous sommes un certain nombre de personnes un peu partout dans le monde qui avons appris à nous connaître et qui pensons que des questions doivent être posées et des réponses apportées. Nous jugeons que ces questions n’ont pas été vraiment posées dans l’atmosphère très particulière du dernier conclave et des dernières années de la vie du pape Jean Paul. Nous voulons que ces questions soient entendues. »
Le cardinal se défend d’être partie prenante d’un « complot », d’un « réseau secret », de « consignes », de « stratégies souterraines », mais il convient qu’un certain nombre d’hommes d’Eglise, de responsables de mouvements religieux et d’associations se rencontrent discrètement, échangent des expériences et prennent des « initiatives ».
En note, discrètement, est donné le nom du site qui, depuis quelques mois, fait le lien entre ces hommes d’Eglise et ces chrétiens : sarepta-org.net. Si on consulte ce site, on constate qu’il n’est accessible qu’aux membres du « réseau », et l’on y trouve un exposé succinct des « convictions » de ses membres :
«• la « crise » de l’Eglise n’est pas due à des causes récentes, objets des querelles stériles entre progressistes et traditionalistes,• le message chrétien sera à nouveau audible si des personnes de foi ont le souci d’incarner, là où elles vivent et au service du monde, la tendresse de Dieu,• une myriade d’initiatives individuelles ou collectives sont menées dans cet esprit ,• ces initiatives sont discrètes, vécues dans la prière, l’ouverture aux plus pauvres, le souci de donner à la foi chrétienne une expression aussi proche que possible de l’Evangile.»
Ce langage minimaliste, qui rappelle celui de Taizé ou de l’Arche de Jean Vanier, se double d’une volonté déterminée : « Nous nous connaissons, nous nous reconnaissons, dit le mystérieux cardinal. Nous parlons, nous collaborons, nous essayons de convaincre. Nous agissons sous des formes multiples. Nous pesons autant que nous pouvons sur le déroulement des événements. »
Cette Confession d’un cardinal est visiblement une des « initiatives » du réseau Sarepta.
Yves Chiron
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L’auteur du « Discours du Latran »
Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le jeudi 20 décembre à Rome, dans la basilique du Latran, a suscité des controverses parce que le Président de la République a affirmé : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » et « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses origines chrétiennes ». Faisant référence à l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, le Président de la République a aussi longuement évoqué la nécessité d’une espérance qui ne soit pas que temporelle.
On s’en doute, ce long discours du Latran n’a pas été rédigé, pour l’essentiel, par Nicolas Sarkozy, mais il l’a fait sien en le prononçant[2].
En 2004, Nicolas Sarkozy a publié un livre, La République, les religions, l’espérance (Cerf, 2004), livre d’entretiens avec Thibaud Collin et le P. Philippe Verdin, dominicain.
On retrouve le P. Verdin parmi la délégation qui a accompagné Nicolas Sarkozy au Vatican, on retrouve l’espérance, et d’autres thèmes du livre, dans le discours du Latran. Le P. Verdin ne serait-il pas l’auteur principal du discours du Latran comme Henri Guaino est l’auteur principal du discours de Dakar, qui, lui aussi, a fait controverse ?
Y.C.
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Réabonnement 2008
Avec ce numéro 117, s’achève la septième année de parution d’Aletheia ; année qui aura été marquée par l’événement du 07.07.07, comme dit Jean Madiran.
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[1] Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal, JC Lattès, 2007, 413 pages.
[2] On peut obtenir le texte intégral du « Discours du Latran » (4 pages) auprès d’Aletheia.