16 avril 2004

[Aletheia n°56] "La Passion du Christ" par Mel Gibson

Aletheia n°56 - 16 avril 2004
LA PASSION DU CHRIST” PAR MEL GIBSON
La Passion du Christ, écrit et réalisé par l’acteur Mel Gibson, a suscité, en France, et dans le monde entier, une vague d’articles comme aucun autre film sans doute dans l’histoire du cinéma. Ces deux heures de spectacle, fidèles, en partie, à la lettre de l’Evangile, sont deux heures de spectacle. Certainement pas deux heures de méditation. Est-ce deux heures d’apologétique catholique ? On peut en douter. Tout dans ce film est image –  c’est-à-dire représentation –  et volonté d’émouvoir.
Certes, beaucoup des faits rapportés par les Evangiles sont transposés dans ce film avec un sens catholique indéniable mais non sans user et abuser des effets cinétiques d’Hollywood. Et ce, dès les premières images : le brouillard inquiétant qui enveloppe le Jardin des Oliviers, la représentation androgyne du Diable qui accompagnera toutes les scènes du film jusqu’à la fin.
Émouvoir était certes un des objectifs et une des méthodes des grands prédicateurs de jadis. Mais avant et après leur sermon rempli d’images, il y avait le temps de la méditation et du silence. Ici, de bout en bout, dans un rythme trépidant, et hormis quelques flash-backs (par exemple, Jésus, fabriquant une table et plaisantant avec sa mère), on est dans une fureur continue.
Et pourtant, à la fin, Mel Gibson n’a pas osé ou n’a pas su traduire en images la descente aux Enfers, la victoire sur Satan et sur la mort.
L’engagement des épiscopats français et américain
Ce film a été accusé d’antisémitisme. Le Monde, le 31 mars, estimait : “ La régression la plus grave du film de Mel Gibson est dans son antisémitisme larvé. S’il y a une victime, il y a forcément des bourreaux. (…) Comment s’étonner que les soutiens de Gibson se trouvent dans les rangs des catholiques traditionalistes pour qui la culpabilité des Juifs dans la mort de Jésus ne fait aucun doute ? ”
Interrogé sur le sujet, le cardinal Lustiger a déclaré, le 28 mars sur Europe 1, ne pas vouloir “ entrer dans cette polémique ”. Mais il a livré aussi une information qui n’a pas été relevée : “ J’ai signé avec l’une des plus hautes autorités juives des Etats-Unis et en accord avec les évêques américains, qu’en aucun cas nous ne tolérerions que cette polémique puisse toucher à ce que l’Eglise et les Juifs ont dit ensemble à ce sujet. ”
On aimerait savoir quelle est cette autorité juive parmi les “ plus hautes des Etats-Unis ”. Est-ce le B’nai Brith dont on sait les engagements qu’il a fait prendre, sur le plan politique, aux partis de la droite libérale française ?[1] On aimerait connaître aussi le contenu de cet accord qui vaut engagement.
Le refus d’Israël
Le film de Mel Gibson n’est pas antisémite. En fidélité à ce que disent les Evangiles, il montre la responsabilité des autorités juives (“ les grands prêtres et les anciens du peuple ” disent les Evangiles) dans la condamnation à mort du Christ, sans masquer que certains dirigeants de la communauté juive de Jérusalem (Nicodème et Joseph d’Arimathie) ont pris sa défense.
Pourtant, pour réduire l’accusation d’antisémitisme portée contre son film déjà plusieurs semaines avant sa sortie en salle, Mel Gibson avait supprimé certaines scènes qui auraient porté à polémique.
Est-ce à son initiative, ou à celle de son diffuseur en France, qu’une phrase capitale des Evangiles n’a pas été traduite ? Cette phrase, pourtant, est dans le film, en araméen, comme elle est dans l’Evangile selon saint Matthieu (Mt 27, 25) : “ Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! ”.
Or, cette phrase n’est pas traduite dans le sous-titrage en français. L’a-t-elle été dans les sous-titrages en d’autres langues ?
Saint Matthieu est le seul des quatre Evangélistes à rapporter cette réponse du “ peuple ” juif à Ponce Pilate qui se lave les mains en disant : “ Je ne suis pas responsable de ce sang, à vous de voir ! ”.
Il y a près de vingt ans maintenant, un savant bénédictin, supérieur du monastère de Tabgha, en Israël, avait consacré tout un livre à faire l’exégèse de cette terrible réponse. Curieusement, ce livre, édité pourtant par un éditeur “ religieusement correct ”, n’est plus cité aujourd’hui alors que tant d’autres livres sur la Passion sont édités ou remis à la devanture des librairies[2].
Le P. Vincent Mora montrait combien ce verset de l’Evangile selon saint Matthieu reprend une formule traditionnelle de l’Ancien Testament qui signifiait la responsabilité d’un acte. Qu’il s’agisse d’une formule traditionnelle n’enlève rien à son historicité, au contraire. Le P. Mora voit dans cette scène de l’Evangile une déclaration officielle de la communauté juive de Jérusalem, engageant non pas une foule anonyme mais le peuple d’Israël en son entier (ce que marque clairement l’expression : “ Tout le peuple dit… ”).
Il propose de la paraphraser ainsi : “ Nous et nos enfants, toute notre communauté, prenons la responsabilité de cette condamnation que nous réclamons et devant laquelle, vous, Pilate, reculez. Nous assumons la responsabilité de cet acte et de ses suites ” (p. 33).
Ce refus d’Israël traverse d’ailleurs, comme un fil rouge, tout l’Evangile de Matthieu, depuis la fuite de la Sainte Famille et les persécution et mort de Jean le baptiste, préfiguration de celle de Jésus.
Cette analyse exégétique intéressante, qui rappelle la responsabilité des Juifs dans la mort du Christ, est suivie d’un chapitre, contestable, sur “ Les conséquences du refus pour Israël ”. Selon le P. Mora, la destruction du temple de Jérusalem en 70 est bien la réponse de Dieu au refus d’Israël, mais il ne faut pas aller au-delà. L’expression “ nous et nos enfants ” s’appliquerait uniquement à la génération contemporaine de Jésus. Aux yeux de l’auteur, Israël reste toujours le peuple de Dieu, à côté du peuple chrétien.
Le P. Mora, abandonnant tout à coup toute vision surnaturelle de l’Histoire, estime que le refus du peuple juif “ ne met pas totalement en cause l’alliance qui, au vrai, ne dépend que de Dieu. Heurs et malheurs de l’histoire d’Israël ne sont qu’un aspect de l’existence d’Israël ” (p. 116).
La mise à mort de Jésus ne serait, en somme, qu’un des malheurs, parmi d’autres !, qu’a connus Israël. Dès l’époque de Jésus, et aujourd’hui encore, “ les Juifs sont au service d’une cause qui les dépasse ” (p. 133).
Le P. Mora a finement analysé le verset de saint Matthieu, il en a montré l’historicité et sa portée théologique mais son analyse des conséquences de ce refus est contestable. L’interprétation traditionnelle de ce verset terrible est qu’en ne reconnaissant pas la messianité et la divinité de Jésus, en le condamnant à mort, en ne recevant pas son Evangile, les Juifs rompaient leur Alliance avec Dieu et s’engageaient dans une voie de tribulation. Voie obscure dont la seule issue, selon saint Paul, est la conversion : les Juifs, “ branches naturelles que Dieu n’a pas épargnées ” (Rom. 11,21), “ s’ils ne persistent pas dans l’incrédulité, ils seront greffés ; car Dieu est capable de les greffer à nouveau ” (11,24).     
Les visions mystiques et l’Evangile
Dans le film de Mel Gibson, si on retrouve, dans les dialogues, nombre des scènes et des paroles même des récits évangéliques de la Passion, on trouve aussi des scènes qu’on ne lit pas dans l’Evangile et qui sont parmi les plus violentes du film. N’en citons que quelques-unes :
-  le Diable lâche un serpent dans le Jardin de Gethsémani et Jésus l’écrase violemment sous son pied ;
-  après que Jésus ait été cloué sur la Croix, celle-ci est retournée et le Christ se retrouve face contre terre, écrasé par le poids de la croix, avant que celle-ci ne soit élevée et plantée dans le sol ;
-  un corbeau ou quelque oiseau de proie noir vient s’attaquer au mauvais larron et lui perce la tête de coups furieux de son bec.
Un petit livre très bien fait, rédigé aux Etats-Unis pour expliquer le film et qui a été traduit en différentes langues, nous dit de cette dernière scène : “ Divers oiseaux carnivores et oiseaux de proie descendaient souvent sur les condamnés.[3] ”
Dans un film qui se veut un film fidèle aux Evangiles, introduire des scènes imaginaires ajoute-t-il vraiment de la véracité ? N’est-ce pas, plutôt,  ajouter du spectaculaire ?
D’autres scènes, notamment la deuxième des trois que nous avons citées plus haut, sont tirées de visions mystiques. On nous dit quel Mel Gibson, outre les Evangiles, s’est inspiré, pour rédiger son scénario, de La Cité mystique de Dieu de Marie d’Agréda et des Visions d’Anne-Catherine Emmerich.
Ce mélange des genres trouble fatalement l’historicité de la reconstitution. D’autant plus que les deux ouvrages en question n’ont pas été reconnus par l’Eglise comme d’une authenticité complète.
La Cité Mystique figure dans l’Index librorum prohibitorum depuis 1678, avec un dernier décret de condamnation qui date de 1900[4].  Le cas des Visions d’Anne-Catherine Emmerich est plus difficile parce que “ le texte définitif de ses visions a paru deux ans après sa mort et nous a été retranscrit par celui qui s’est attribué le rôle de secrétaire, Clément Brentano. Celui-ci était un poète, ami intime de Goethe, qui s’était converti, tout en restant poète… ”[5].
Les vertus et les grâces mystiques dont Anne-Catherine Emmerich fut favorisée sont indéniables. Aussi sa béatification semble probable et prochaine.  Cette béatification sera l’occasion, sans doute, pour les théologiens, sinon pour le Magistère, de porter un jugement sur le livre de ses Visions. Anne-Catherine Emmerich elle-même jugeait, d’après une révélation, que Marie d’Agréda avait pris dans un sens réel des visions qui n’avaient qu’un sens allégorique et spirituel !
Le R.P. Poulain, s.j., dans son classique traité de théologie mystique, Des grâces d’oraison, soulignait les “ dangers d’illusion ” que peuvent contenir les visions des mystiques :
“ Lorsque les visions représentent des scènes historiques, par exemple celles de la vie ou de la mort de Notre-Seigneur, elles ne le font souvent que d’une manière approximative et vraisemblable, sans qu’on en soit prévenu. On se trompe en leur attribuant une exactitude absolue. […]
Il est imprudent de chercher à reconstituer l’histoire à l’aide des révélations des saints. […] Il peut arriver que, pendant une vision, l’esprit humain garde le pouvoir de mêler, dans une certaine mesure, son action à l’action divine. On se trompe alors en attribuant purement à Dieu les connaissances ainsi obtenues. Tantôt c’est la mémoire qui apporte ses souvenirs, tantôt la puissance d’inventer qui s’exerce.
Les auteurs pensent que ce danger est fort à craindre lorsque la personne parle pendant l’extase. Car puisqu’elle parle, ses facultés sensibles n’ont pas complètement perdu leur activité. Elles peuvent donc avoir leur part dans la révélation. […]
Il y a danger de confondre l’action divine avec la nôtre, même dans une oraison non extatique, lorsque Dieu semble nous envoyer une inspiration un peu forte. Elle a beau être très courte et presque instantanée, nous aimons à croire qu’elle se prolonge, et l’illusion est facile, car nous ne savons pas le moment précis où finit l’influence divine et où la nôtre lui succède. ”[6]
Le premier film gore catholique
La Passion du Christ de Mel Gibson n’est certes pas le fruit d’une vision mystique, mais le résultat d’une interprétation personnelle, d’une vision personnelle, artistique si l’on veut, de la Passion du Christ. C’est la représentation du fait central de l’Evangile que se fait un acteur d’Hollywood, grand adepte des films d’action, qui est aussi un catholique fervent : une mise à mort extrêmement violente – la violence de certains Juifs et de certains Romains – à laquelle répondent l’acceptation sacrificielle, pour la Rédemption de tous, et le pardon.
 Telle qu’elle a été traitée, cette évocation cinématographique de la Passion du Christ est le premier film gore catholique (c’est Mel Gibson lui-même qui reconnaît s’inscrire dans le genre gore, mis au service de la Bonne Cause).
On en arrive ainsi au paradoxe relevé par le philosophe René Girard : “ Tous ceux qui, d’habitude, s’accommodent très bien de [la violence] ou voient même dans ses progrès constants autant de victoires sur la liberté sur la tyrannie, voilà qu’ils la dénoncent dans le film de Gibson avec une véhémence extraordinaire. Tous ceux qui, au contraire, se font d’habitude un devoir de dénoncer la violence, sans obtenir le moindre résultat, non seulement tolèrent ce même film mais fréquemment ils le vénèrent ” (Le Figaro Magazine, 27 mars 2004).
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[1] Le Monde, 28 mars 1986 et Jean Madiran, Ce que l’on vous cache, 1987 (disponible à DPF, B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil).
[2] Vincent Mora o.s.b., Le refus d’Israël, Cerf, 1986.
[3] Guide de la Passion. 100 questions sur La Passion du Christ, Téqui, 2004, p. 62.
[4] Index librorum prohibitorum. 1600-1966, (J.M. De Bujanda éd.), Médiaspaul/Librairie Droz, 2002, p. 586.
[5] Abbé Gérard Herrbach, Des Visions sur l’Evangile, Editions du Communicantes, Shawinigan-Sud (Canada), 1993, p. 50.
[6] P. Augustin Poulain s.j., Des Grâces d’oraison. Traité de théologie mystique, Beauchesne, 1922 (10e édition), p. 342-345, souligné dans le texte.

4 avril 2004

[Aletheia n°55] Bruno Neveu (1936-2004); Mgr Barbier et la FSSPX

Aletheia n°55 - 4 avril 2004


Bruno Neveu est décédé le 24 mars dernier, à l’âge de 67 ans. Archiviste paléographe, membre de l’Institut, cet historien catholique, discret, était un spécialiste de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, notamment du jansénisme et du gallicanisme. Ses recherches l’avaient mené jusqu’à l’époque contemporaine. Un de ses derniers ouvrages parus est consacré aux Facultés de théologie catholique au XIXe siècle. Professeur à l’Ecole pratique des hautes études (IVe section), il l’avait présidée de 1994 à 1998.

Très lié au grand érudit et bibliographe René Rancœur, il partageait avec lui, et avec quelques autres historiens et chercheurs plus jeunes, “ un commun attachement à la romanité ”. Attachement que renforçaient ses séjours à Rome et ses travaux dans le cadre de l’Ecole française de Rome.

Attentif aux évolutions contemporaines des études et méthodes historiques – évolutions qui ont touché aussi l’histoire religieuse –, il regrettait que les travaux universitaires soient souvent tentés de “ préférer à l’étude de l’histoire celle de l’historiographie ”. Une “ histoire au second degré ” jugeait-il, qui a tendance à s’éloigner de l’objectivité, au sens littéral : c’est-à-dire qui risque, en s’enfermant dans la problématique, de perdre de vue l’objet étudié.

En 1981, dans les premières lignes d’une longue étude érudite sur l’autorité du Souverain pontificat au XVIIe et XVIIIe siècle, il notait avec beaucoup de justesse que, dans la modernité, le rapport entre l’Histoire, comme science (ou art) et la Théologie est loin d’être réglé :

Pour se voir reconnaître par le savoir universitaire la respectabilité d’une discipline académique, l’histoire du christianisme a dû peu à peu s’éloigner de la théologie, mais cette séparation laborieuse ne lui a pas assuré, en fin de compte, une complète crédibilité. […] la part du transcendant dans l’histoire décide pourtant de toute orientation critique ultérieure. Suivant que l’on tient l’Eglise pour héritière des promesses évangéliques ou pour une société purement humaine, dès l’époque de son fondateur ou par une altération progressive, les historiographes du christianisme varient du tout au tout. Autant que leur diversité leur luxuriance déconcerte[1].

Bruno Neveu est mort au Liban où il donnait une série de conférences. Depuis longtemps, il était un paroissien assidu de l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Cette paroisse grecque-catholique de Paris, où la liturgie de saint Jean Chrysostome est célébrée en grec et en arabe selon le rite melkite, est depuis les années 1970 le refuge de nombreux catholiques, parisiens ou provinciaux, désorientés par la liturgie romaine “ réformée ” célébrée dans leurs paroisses.

Bruno Neveu, qui avait manifesté, nous a-t-on dit, le désir de mourir au Liban, s’est éteint au siège du Patriarcat grec catholique de Beyrouth, dont il était l’hôte. Il a pu voir là un signe de la Providence.

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Mgr Barbier et la FSSPX

Il y a quelques semaines, deux prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ont été reçus par Mgr Barbier, archevêque de Bourges, diocèse où ils exercent leur apostolat. Le compte-rendu de cette visite a été publié dans le bulletin de la Chapelle Saint-Michel, desservie par les prêtres de la FSSPX (Tradition, Chapelle Saint-Michel, 5 rue du Château, 36250 Niherne). Voici ce texte :

En marge d’un dialogue qu’on espère inachevé

Sans vouloir commenter ce dialogue engagé, quelques remarques peuvent être faites.

Mgr Barbier, archevêque de Bourges depuis le 25 avril 2000, est le pasteur de deux départements : le Cher et l’Indre. Son diocèse connaît, au regard des catholiques attachés à la Tradition, une situation assez paradoxale. Chaque dimanche, on peut y entendre la messe selon le rite traditionnel au sein de plusieurs communautés religieuses mais dans aucune paroisse.

Dans l’antique abbaye de Fontgombault, depuis l’indult de 1984, les fidèles peuvent assister, chaque dimanche, à la messe conventuelle célébrée selon le rite traditionnel. On y vient de loin, d’au-delà du diocèse même.

Le motu proprio de 1988 rappelait : “ On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 ”[2] . En application de cette demande de Jean-Paul II, à Bourges, dans la ville archiépiscopale de Mgr Barbier, une messe selon le rite traditionnel est célébrée dans la chapelle des Franciscaines de la ville “ en principe le 1er & 3e dimanche ” de chaque mois, mais il vaut mieux, prévient-on, “ se renseigner avant ”.

La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, elle, dessert quatre chapelles dans le diocèse de Mgr Barbier : la chapelle de l’Ecole Saint-Michel à Niherne, dirigée par les prêtres de la FSSPX (une ou deux messes y sont célébrées chaque dimanche) ; la chapelle du noviciat des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X à Ruffec ; la chapelle de la Maison-Mère des Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X à Saint-Michel-en-Brenne ; et aussi la chapelle privée du château de La Chapelle d’Angillon.

Enfin, la Fraternité de la Transfiguration, fondée par l’abbé Lecareux, très liée à la FSSPX, assure plusieurs messes chaque dimanche dans le village de Mérigny et aux alentours.

Ce sont donc huit ou dix messes selon le rite traditionnel qui sont célébrées chaque dimanche dans l’archidiocèse de Bourges, mais deux seulement sont célébrées en communion avec le Saint-Siège et celle célébrée en application du motu proprio de 1988 est aléatoire.

Les fidèles du diocèse de Bourges attachés au rite traditionnel se trouvent donc conduits, par la nécessité, à être des catholiques “ gyrovagues ” : soit pérégriner loin de chez eux pour assister à une messe traditionnelle en communion avec le Saint-Siège, soit se rendre aux messes célébrées par les prêtres de la FSSPX, les “ sans-papiers de l’Eglise ” selon l’expression d’Huguette Pérol[3] ; soit encore sacrifier leur attachement à la messe catholique traditionnelle pour des messes selon le nouvel ordo, messes dont la variété, d’une paroisse à l’autre, est infinie.

Face à cette situation, qui existe aussi dans nombre de diocèses français, Mgr Barbier, en poste depuis quatre ans maintenant, n’a pas cherché à répondre davantage à l’appel de Jean-Paul II : “ partout respecter les dispositions intérieures ..., application large et généreuse… ”. Dans son diocèse, la messe traditionnelle n’est célébrée chaque dimanche dans aucune paroisse.

L’édition 2002 du Trombinoscope des évêques, réalisée par les Editions Golias, accorde à Mgr Barbier “ trois mitres ”. Ce classement irrévérencieux des évêques de France va de 5 à 1 : “ cinq mitres ” pour les “ novateurs affirmés ”, “ une mitre ” voire “ un bonnet d’âne ” pour les “ réacs ” et les “ dangereux ”. Mgr Barbier, estimé des rédacteurs irrespectueux et ultra-progressistes de Golias, est classé parmi les “ managers ” qui méritent “ trois mitres ”. Il est présenté comme un évêque aux “ qualités pastorales indéniables ”, “ très partisan de l’Action catholique ”. C’est aussi un évêque qui, dans une déclaration, a dénoncé “ la fausse interprétation du mot ”prochain” ”, lorsque, a-t-il dit, “ l’Evangile sert de caution à la préférence nationale et légitime l’exclusion. ”

Cet évêque hostile à l’ “ exclusion ”, recevant pour la première fois, à leur demande, des prêtres de la FSSPX, s’est montré, semble-t-il, inébranlable dans ses certitudes et assuré d’être dans une voie juste. Dans son diocèse, les fidèles attachés au rite traditionnel garderont le sentiment d’être toujours des “ exclus ”.

Mgr Barbier semble insensible à toutes les justes plaintes et à toutes les interrogations. Fidèle à un enseignement, non officiel, mais quasi-unanimement partagé dans l’Eglise de France, il déclare que “ pour faire partie de l’Eglise ” il faut accepter “ le concile Vatican II ” et que la foi consiste “ dans la réception docile de la doctrine ”.

Cette “ docilité ” réclamée est, qu’on nous en permette la remarque, à l’encontre des vœux exprimés par Jean-Paul II en 1988, au moment du “ schisme ” de Mgr Lefebvre. Le Pape avait en effet demandé aux évêques et aux théologiens d’être “ interpellés par les circonstances présentes ”. Mgr Barbier ne semble guère avoir été “ interpellé ” par les remarques, les interrogations et les doléances des deux prêtres de la FSSPX qu’il a reçus.

Jean-Paul II, dans le motu proprio Ecclesia Dei adflicta cité, demandait aux “ théologiens et autres experts en science ecclésiastique ” de se livrer à “ un effort renouvelé d’approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause de leur nouveauté, n’ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l’Eglise. ”

La doctrine sur la liberté religieuse est de ces “ points de doctrine ” nouveaux.

La liberté religieuse

M. l’abbé Bétin a fait remarquer à Mgr Barbier que “ Monseigneur Lefebvre avait posé des questions sur la liberté religieuse ” et que “ jamais il n’avait eu de réponse ”.

Cette dernière affirmation est erronée. En novembre 1985, Mgr Lefebvre a présenté à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi des “ Dubia ” sur la liberté religieuse[4]. Or, ces “ objections ” ont fait l’objet d’une réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (en une cinquantaine de pages) et Mgr Lefebvre a fait une “ Réponse à la réponse ” ; deux textes qui, à ce jour, n’ont pas été publiés.

Mgr Barbier, lui, semble ignorer et les “ Dubia ”, et la “ Réponse ” de la Congrégation et la “ Réponse à la réponse ” de Mgr Lefebvre. Aussi, à ses interlocuteurs de la FSSPX, il n’a, sur ce sujet, qu’une réponse à donner : “ La réponse est la pratique de l’Eglise ”. On est loin de l’ “ effort renouvelé d’approfondissement ” que demandait Jean-Paul II.

On signalera encore pour terminer que Mgr Tissier de Mallerais, un des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988, et qui a collaboré avec celui-ci pour la rédaction des “ Dubia ” en 1985, vient de revenir longuement sur cette question, sous la forme d’un dialogue didactique : “ Liberté religieuse et conscience religieuse ”, pages 2 à 14 du dernier numéro de la revue Certitudes (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, n° 14, ce numéro 8 euros).

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[1] Bruno Neveu, “ Juge suprême et Docteur infaillible : le pontificat romain de la bulle In Eminenti (1643) à la bulle Auctorem Fidei (1794) ”, in Mélanges de l’Ecole française de Rome, t. 93, 1981, 1, p. 215-275.

[2] Motu proprio “ Eccleia Dei adflicta ”, 2 juillet 1988, D.C., n° 1967, 7/21 août 1988, p. 789.

[3] Huguette Pérol, Les Sans-Papiers de l’Eglise, F.-X. de Guibert, 1996, préface du P. Michel Lelong.

[4] “ Dubia ” sur la liberté religieuse, texte de 138 pages, présenté le 6 novembre 1985, imprimé, dans une version dactylographiée et photocopiée, par le Séminaire d’Ecône en juin 1987 ; publié sous le titre Mes doutes sur la liberté religieuse par les Editions Clovis en 2000.