SOURCE - Bertrand Y. (blog) - 28 février 2016
Une attitude défectueuse provoque quasi inévitablement, par réaction, son opposée par excès. Ainsi en est-il du «libéral catholique » et du « catholique intégriste ».
Ceux, qui se dénommèrent eux-mêmes « libéraux catholiques », sont, au départ, ces catholiques qui, dès le lendemain de la Révolution sanglante ou comme pris de panique, se sont empressés de manifester leur sympathie pour les idées à la mode, les « libertés » modernes dans l'esprit de 1789, et qui provoquèrent la réaction et les condamnations vigoureuses et répétées du Saint-Siège: Grégoire XVI dans « Mirari vos », du 15 août 1832, contre les thèses de F. de La Mennais ; Pie IX dans « Quanta Cura » et le fameux « Syllabus », du 8 décembre 1864, contre la thèse du « droit commun » ou des propositions comme « l'Eglise doit être séparée de l'Etat et l'Etat séparé de l’Eglise », « à notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion d'Etat, à l'exclusion de tous les autres cultes », « il est faux que la liberté civile de tous les cultes et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des moeurs et de l'esprit; et propagent la peste de l'indifférentisme » etc. ; Léon XIII dans « Humanum genus », en 1884, contre la Franc-maçonnerie et dans « Libertas », du 20 juin 1888, contre les libertés modernes.
Cela n’a pas malheureusement pas calmé ces « libéraux catholiques » dont les disciples ont même, un siècle après, à la faveur de Vatican II, réussi à prendre tous les pouvoirs dans l’Eglise!
Leur caractéristique est qu’ils vivent dans un état d'incohérence mentale. En effet, ils prétendent avoir des principes - la foi catholique - mais en pratique n'en ont pas vraiment puisqu'ils les remettent en question au contact de circonstances qui leur sont hostiles comme depuis la Révolution. Cette contradiction interne en fait des êtres tourmentés [i] car tiraillés par, d’un côté, la voix des principes ou de leur conscience encore quelque peu catholique et, de l’autre côté, leur faiblesse et leur laxisme pratiques qui les entraînent à les ignorer [ii] et deviennent une habitude de conduite [iii] puis de pensée.
En réalité, ils semblent ne plus avoir qu’un seul principe, si on peut dire car il sonne plutôt comme les slogans creux des agitateurs révolutionnaires, sans signification réelle ou pour le moins confus: « il faut être de son temps » ou « ouverture au monde » présent. Jésus a certes dit : « vous êtes dans le monde » ; mais aussi : « vous n’êtes pas du monde ». Or n’est ce pas être « du monde » que d’épouser son esprit qui pourtant, surtout depuis le XVIIIème siècle, flatte beaucoup trop le penchant fondamental ou originel de la nature humaine qui n’est malheureusement ni bon, ni noble, loin s’en faut, et quasi irrésistible: l’engouement pour la « liberté » (plutôt la licence), c.à.d. pour l'esprit d’indépendance, d'autonomie, d'affranchissement, d'émancipation de l'homme par rapport à toute autorité même divine (ou de l’Etat par rapport à l’Eglise), l'affirmation insolente des droits de l'homme contre ceux primordiaux de Dieu ?
L’attitude à l’extrême opposé ou « catholique intégriste » a été bien montrée, lors de la crise de 1892 en France, celle du fameux « ralliement » sous et contre Léon XIII, par un observateur des plus autorisés et qualifiés :
« M. Piou (catholique simplement romain ou « ultramontain » ; donc, à l’époque, ni gallican, ni libéral) et ses amis formèrent à la Chambre un groupe de députés qui prit le nom de « droite constitutionnelle »; quelqu'un leur donna le nom de « ralliés » et on désigna ensuite sous ce nom tous ceux qui adoptèrent la politique du St Siège (…) Mais il fut âprement combattu par les monarchistes et spécialement par le comte d'Haussonville dans son discours de Nîmes (…) La lutte soutenue pendant quinze ans par le parti catholique (monarchistes etc.) pour la défense des libertés religieuses avait été presque entièrement stérile parce qu'elle était en même temps dirigée contre la forme de gouvernement. Le groupe de M. Piou, parce qu'il s'appuyait sur les indications et les directions du St Siège, se maintint malgré les attaques et exerça une grande influence tant à la Chambre que sur le terrain électoral (…) (Mais) les calomnies les plus acerbes, les sarcasmes, les injures plurent sur la « droite constitutionnelle ». Ses membres furent appelés des hypocrites, des traîtres, des infidèles, des lâches, des sépulcres blanchis capables de trahir la république comme ils avaient trahi la monarchie (…) L'adhésion de M. Piou et de ses amis à la république aurait été une vraie capitulation sur les principes religieux, une acceptation non seulement de la forme républicaine mais encore de la législation hostile à l'Eglise. P. de Cassagnac dans « l'Autorité » fit pendant plusieurs années le métier de dénigrement à jet continu, prétendant donner des leçons à tous, au pape, au secrétaire d'Etat, au nonce et aux évêques, s'arrogeant modestement le rôle de vrai et héroïque défenseur de la religion catholique (…) Il scinda l'encyclique n'acceptant que ce qui lui convenait et omettant tout le reste (…) Malheureusement beaucoup d'autres monarchistes suivirent son pernicieux exemple. La fureur radicale et l’exaspération monarchique se coalisèrent de nouveau contre les directions pontificales: au fond, l'encyclique rencontrait les mêmes adversaires qu’avait rencontré le toast du Cardinal Lavigerie » [iv].
Porter un jugement de fond sur cette question du « ralliement », encore très sensible en France, n’est pas l’objet de cet article [v]; mais juger la façon de réagir des « intégristes », à supposer même que le pape ait commis là une faute majeure. La caractéristique de « l'intégriste » est donc, comme on le voit ci-dessus, exactement à l’opposé de la grande faiblesse du libéral sur les principes : il est ferme [vi] mais avec des manières très excessives et par conséquent non moins nuisibles au bien commun (comme à son âme...). Car il est incapable de tolérer (au sens catholique et non libéral du terme) ou de souffrir que la réalité soit contraire à l’idéal à atteindre. Il se cabre, il se révolte par impatience contre la première et voudrait de force ou par violence (et par faiblesse...) la rendre conforme au second [vii]. Il applique de façon raide ou rigoriste les principes ; il confond le domaine de la contingence, qu’est le concret, et celui du nécessaire qu’est le théorique ou le spéculatif. Il ne distingue plus la remise en cause des principes eux mêmes et leur application plus ou moins limitée par les circonstances concrètes et continuellement changeantes qui y font souvent obstacle. Il a une interprétation tellement rigide de « vous n’êtes pas du monde » qu'il n'est pour ainsi dire plus « dans le monde » mais dans « son » monde! De même du « proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, menace » [viii] dont il oublie la suite: « toujours avec patience »... ; et dont il fait une façon de parler ou d’agir sans discernement, sans tenir compte ou trop peu des circonstances.
A l'ouverture au monde obsessionnelle du libéral, il oppose un rejet total ou non moins déséquilibré du monde présent qu’il confond avec la haine légitime du péché. Il dénigre cette juste ouverture d'esprit, effet de l'humilité, qui consiste à savoir honnêtement reconnaître ce qu'il y a de bien, voire de mieux, chez autrui, fût-il notre adversaire, que chez soi; en ne voyant donc que du mal. Ainsi borné et orgueilleusement renfermé sur sa manière à lui de voir le réel, si on peut dire..., il est incapable de prendre vraiment conseil, comme le veulent les vertus de prudence et d'humilité, sinon qu'auprès de ceux qu'il sait d'avance penser exactement comme lui... Il ne peut donc prendre les décisions pratiques vraiment sages, éclairées ou équilibrées, même dans un sens favorable à ses propres principes.
Il veut tout et tout de suite dans l’application sociale, comme dans la profession personnelle, de la foi [ix]; ou rien. Il tombe ainsi dans la fameuse « politique du pire »[x], signe de faiblesse, de désespoir ou suicidaire, qui, face à la « politique du moindre mal » du libéral, n’est qu’une autre de ses réactions excessives. Cette dernière politique est, certes, pusillanime et inacceptable car on ne peut jamais vouloir le mal aussi léger soit il ; mais il est incapable d'envisager la seule vraie politique, la « politique du possible » qui, sans renier du tout les principes, tient compte avec soin, prudence et vrai courage de chacune et de toutes les circonstances [xi]; qui est la politique vraiment réaliste. Son côté paradoxal et cocasse est que lui, qui se réclame, en général, à cor et à cri de la philosophie réaliste (aristotélico-thomiste), se comporte de fait en idéaliste pur et dur; alors qu'à l'inverse, celui qui se range philosophiquement plutôt dans le camp moderne, idéaliste ou utopiste, pèche finalement par cet excès de réalisme qu’est le pessimisme (en se décourageant d’emblée face à l’adversité)!
Un autre paradoxe est que celui qui tient tant au triomphe immédiat, voire violent, de ses principes ou de sa foi dans la sphère de la vie publique comme dans celle de sa vie privée, obtient l'effet exactement inverse car, par son faux zèle apostolique ou par son zèle amer, il agit comme un épouvantail [xii] et provoque une réaction opposée, comme le montre l'histoire où l'on ne voit pas qu'un tel état d'esprit ait jamais contribué au progrès des bonnes causes ainsi défendues, au contraire (cf. ci-dessus).
La vertu morale est un juste et difficile milieu car elle consiste à se maintenir sur un sommet ou sur une ligne de crête d'où l'on peut glisser soit dans un défaut, soit dans un excès.
Le défaut est ici la lâche présomption du libéral qui ne cherche même plus à éloigner ou à combattre autant que possible le mal, dans la vie publique comme dans la vie privée. Car il est au fond pusillanime, il baisse vite les bras donc s’en arrange facilement et finalement ne le considère même plus comme tel mais comme un bien !
L’excès opposé est la crainte de l'intégriste face au mal avec la fébrilité qui est toujours à l’affût de l’actualité – on branché sur internet... - à laquelle il prend l’habitude de réagir sans le recul nécessaire donc de façon superficielle, émotionnelle, irrationnelle et inefficace ; mais aussi avec aigreur, discourtoisie, dureté (à ne pas confondre avec la fermeté) et, en un mot, avec manque de charité; ce qui en définitive ressemble fort à la pusillanimité du libéral et explique qu’on puisse voir sans trop de problème passer d’un extrême à l’autre... Car, au fond, l’un et l’autre manquent de foi ou de confiance en J.-C. qui a dit que Dieu « ne permet jamais qu'on soit tenté au delà de nos forces »; qu’à tout instant, quelles que soient les circonstances indépendantes de notre volonté, Il veille autant sur chacun en particulier, comme s'il était unique au monde ou la prunelle de ses yeux, que sur l'ensemble de tout l'univers; donc qu’Il proportionne ses secours à la difficulté permise par Lui et tant qu'Il la permet.
L’attitude vertueuse et surnaturelle - les précédentes ne sont que trop naturelles et humaines ! - , la ligne de crête est donc, en l'occurrence, la juste, douce et paisible [xiii] confiance à avoir envers la Providence, en la suivant pas à pas, sans la précéder ou sans impatience, grâce à ses indications que sont toutes les circonstances indépendantes de nos volontés mais voulues ou permises par Elle afin de nous exercer justement à la patience, la vertu maîtresse des forts, hors de laquelle il n’y a pas de salut, aucune vraie réussite au temporel comme au spirituel, comme aucune vraie charité!
Bertrand Y.
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[i] cf. « Libéralisme et catholicisme », Abbé A. Roussel, 1926
[ii] à bien distinguer de la fragilité de tout homme pécheur qui l’entraîne à ne pas toujours agir en accord avec ses propres principes mais sans y avoir renoncé.
[iii] nier par ses actes un seul principe de la foi ou de la morale catholiques revient à ne plus être catholique car tout homme agit naturellement ou doit agir en conformité avec ses convictions intimes. Le catholique doit donc professer ses convictions intimes de foi, éventuellement jusqu'au péril pour sa vie, sous peine de perdre ou de renier la foi catholique. Ainsi semble t il plus juste de parler de « libéral catholique » que de « catholique libéral » puisque libéral « substantiellement » (philosophiquement et analogiquement parlant); et catholique par « accident » (de même).
[iv] Cal Ferrata, nonce à Paris
[v] cf. notre autre article « Le pape Léon XIII et « la plus grande des nations »»
[vi] à l’inverse, il semble plus juste de parler de « catholique intégriste » que d’ « intégrsite catholique » puisque catholique « substantiellement », la foi étant le fondement et la substance de l’identité catholique ; et intégriste par « accident » (ce qui peut néanmoins être aussi par habitude).
[vii] peut donc user concrètement des mêmes moyens que ceux qu'il condamne en théorie chez les révolutionnaires
[viii] Ep. à Timothée, 2, 4
[ix] alors que l'histoire montre au contraire que le bien – à commencer par sa propre sanctification - s'accomplit toujours de façon progressive, lente, non violente ou sans bruit, à moins de miracles par définition exceptionnels (le déluge, par ex.) sur lesquels il ne faut donc a priori pas compter; ce qui n'empêche pas de les demander parfois dans la prière.
[x] le mot « intégrisme » serait apparu en Espagne, au XIX, lors de l’opposirion entre les « carlistes » (monarchistes d'Ancien Régime et « intégristes ») et les « alphonsistes » (monarchie constitutionnelle au pouvoir). A la politique « du moindre mal » de ces derniers, les premiers opposèrent la politique « du pire » : refuser de soutenir électoralement le parti au pouvoir (somme toute légitime en soi) contre le péril révolutionnaire en espérant ainsi une réaction salvatrice en leur faveur, cad en prenant sciemment le risque d'une guerre civile (la fin ne justifie pas le moyen!). D’où l’accepttion péjorative qu’aurait prise le mot chez les esprits cultivés puis dans l’inconscient collectif « formaté » par eux.
[xi] et compte tenu du principe moral dit du « volontaire indirect »
[xii] qui peut malheureusement justifier l'amalgame avec certains fanatiques musulmans, qualifiés « d'intégristes »
[xiii] « Je vous laisse la paix; Je vous donne ma paix. Ce n'est pas comme le monde la donne que je vous la donne. Que votre coeur ne se trouble pas, ne s'effraie pas ! », St Jean, 14, 23