SOURCE - Le Rocher (n°98) - Lettre circulaire aux fidèles du district de Suisse de la FSSPX - février/mars 2016
Bien chers fidèles,
Fêter les cinquante ans du concile Vatican II sans en faire le bilan, paraît un peu léger ! A moins qu’établir une année de la miséricorde revienne à dire que c’est le moment de l’invoquer, au vu des chiffres calamiteux qui crèvent les yeux de ceux qui peuvent encore voir.
Ces cinquante années consistèrent surtout en la mise en place – au lieu de l’antique Tradition – d’une nouvelle tradition dite vivante… et qui est moribonde. C’est une tradition qui ne transmet plus rien. Un fait assez évident, qui peut être remarqué par la plupart, est qu’il se trouve encore de très bonnes personnes qui fréquentent l’église conciliaire. Mais combien d’entre elles (prêtres ou fidèles) ont réussi à transmettre à leurs enfants la foi catholique dans son intégrité ? Elles sont plus que rarissimes ! La nouvelle messe, si elle n’a pas réussi à anéantir leur foi, les a tout au moins rendues stériles. Leurs enfants ne savent plus prier, plus pratiquer, ignorent tout du catéchisme et de la morale. Parfois quelques traces de religiosité perdurent, mettant encore mieux à nu la carence de la vraie religion transmise depuis deux mille ans. S’ils veulent se ressaisir, le cri envers la Miséricorde doit être lancé, un SOS tonitruant et humble doit éclater vers le Ciel.
Le déficit est manifeste à tous les niveaux. Mon but ici n’est pas de relever les déficiences habituelles, mais bien de mettre en évidence la catastrophe dont vont hériter les générations futures. Bien sûr, il reste passablement d’évêques, mais derrière eux, c’est le vide béant ! Plus de prêtres, plus de vocations… qui va donc transmettre l’héritage ? La famille n’est plus soutenue, et les écoles catholiques sont vidées de leur contenu. Où les principes et les valeurs vont-ils trouver refuge ? Les missionnaires sont encore envoyés mais pour sauver la planète, car le salut des âmes est absolument garanti. La vision qu’ont les 1,254 milliard de catholiques[1] de leur Église est peu réjouissante : pour peu qu’ils y réfléchissent, ils doivent se sentir comme ces millions de protestants au lendemain de la réforme. Les contours de leur religion sont bien vagues, la politique s’y mêle à souhait et les chefs zigzaguent de-ci de-là ! Vraiment tout comme au XVIe siècle ! L’Église comme boussole, comme phare de vérité, comme seul fondement du salut, comme unique portail pour le Ciel, cela s’est comme volatilisé.
L’Église pouvait être comparée à deux tours presque conjointes, merveilleuses et élancées, qui se voyaient de loin. La première était la doctrine, et sa jumelle la morale : toutes deux finement décorées mais extrêmement solides sur leurs assises. En elles, l’art, la philosophie, les sciences humaines et divines se fréquentaient et se fécondaient mutuellement. Certes quelques trompe-l’œil sur les murs, mais aucun dans les vérités essentielles. De mauvais princes, il y en a toujours eu dans ses murs, mais ils se devaient de les raser de près, car la vertu et la sainteté avaient le pas sur eux. Mais voilà, ces deux tours se sont effritées bien avant le 11 du 9 ! Un immense nuage de poussières s’est élevé, mais peu à peu, lorsque celui-ci s’est dissipé… une nouvelle merveille est apparue. Bien plus petites, presque minuscules, mais semblables quasi en tout point à leurs grandes sœurs, deux tours émergeaient ! L’Église ne peut disparaître, et donc sa doctrine et sa morale ne pouvaient partir en fumée. Elles n’ont plus certes le rayonnement ou l’élévation qu’elles ont pu avoir. On ne les voit plus d’aussi loin, mais pour ceux qui les recherchent, elles se devinent assez facilement.
Car l’unique question légitime pour les hommes de bonne volonté reste : où puis-je recevoir l’enseignement de Jésus ? Tout le reste, on s’en moque. Qui peut me garantir que les paroles reçues par les Apôtres me parviennent sans édulcoration ? Les protestants ne le peuvent pas, il y a fracture dans la transmission. Les modernistes non plus, puisque pour eux avant le concile c’était le désert ! Il suffit de prendre les notes d’un cardinal Kasper[2] qui remontent pour la plupart à cette époque. Les documents de Jean-Paul II étaient truffés de références au concile. Les exemples abondent. Dans nos milieux au contraire, tout est traditionnel, c’est d’ailleurs bien ce que l’on nous reproche sans cesse : de ne pas évoluer ! C’est une quasi-canonisation, qui peut en mon sens être acceptée ! Mgr Lefebvre en vrai prince de l’Église, nous a transmis les deux colonnes, et quasi toute la mouvance conservatrice y trouve ses origines. Certains l’oublient quelquefois.
Concrètement, où trouve-t-on dans l’Église des jeunes adolescents capables de chanter le grégorien en suivant la méthode des neumes[3] ? Qui sait donner une définition d’un sacrement ? Qui sait chanter le Credo ? Qui fait la prière avant les repas ? Qui sait utiliser un chapelet sans le laisser constamment pendu dans sa voiture ? Qui sait se confesser en distinguant les fautes graves des vénielles ? Je puis ainsi continuer aisément des lignes durant sur des aspects qui démontrent qu’il y a des lieux de transmission qui perdurent ! Sans omettre non plus les sempiternels trompe-l’œil et les mauvais chrétiens… L’essentiel qui doit être dit, c’est que, grâce à Dieu, l’héritage est conservé et même qu’il se répand. Ainsi une tradition vivante qui se meurt ne peut être dite de Dieu car « l’amour divin est extatique (ex-stare = se tenir hors) et cette extase ne permet pas aux amoureux d’être à eux-mêmes, mais bien à ceux qu’ils aiment »[4]. Dieu se donne, c’est tout le mystère du salut. Sa religion est donc par définition un don parfait. A partir de cela, le respect des religions sort de sens, et il ne reste plus que le désir de réunir respectueusement les hommes dans la religion que le Christ nous a donnée et qui de manière souveraine a traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous.
Alors le chantier est immense, mais l’optimisme aussi. C’est ce que j’aimerais souhaiter à tous afin de continuer cette grande entreprise de reconstruction. Le bon Maître, comme toujours, n’attend que les ouvriers.
Abbé Henry Wuilloud
----------
[1] Statistique fin 2013.
[2] L’exemple est donné lors de ses thèses rendues publiques avant le synode. Il cite abondamment le cardinal Ratzinger : http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350729?fr=y&refresh_ce
[3] La notation neumatique carrée, calquée sur les portées à quatre lignes, reste utilisée dans les éditions modernes de plain-chant, c’est-à-dire essentiellement le chant grégorien.
[4] Pseudo-Denis.