SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 530 - 15 février 2016
Le voyage du pape François au Mexique est l’occasion pour Paix liturgique de faire un point sur la situation de la forme extraordinaire dans ce pays de grande tradition catholique. Nous avons choisi de le faire en nous entretenant avec le tout nouveau président de la Fédération internationale Una Voce et fondateur d’Una Voce Mexique, Felipe Alanis Suárez.
Le voyage du pape François au Mexique est l’occasion pour Paix liturgique de faire un point sur la situation de la forme extraordinaire dans ce pays de grande tradition catholique. Nous avons choisi de le faire en nous entretenant avec le tout nouveau président de la Fédération internationale Una Voce et fondateur d’Una Voce Mexique, Felipe Alanis Suárez.
– Entretien avec Felipe Alanís Suárez, nouveau président d’Una Voce
1- Felipe, vous êtes à l’origine de la naissance d’Una Voce Mexique, en 2009. Quelle était la situation liturgique dans le pays à l’époque ?
La naissance d’Una Voce au Mexique remonte en réalité à 2006 même si c’est effectivement en 2009 que nous avons été reconnus par la Fédération internationale Una Voce (FIUV).
Le Motu Proprio de Benoît XVI n’avait pas encore été publié et il n’y avait encore aucune messe traditionnelle célébrée régulièrement dans un cadre diocésain. Toutefois, la Fraternité saint Pie X, présente dans le pays depuis les années 70, assurait son apostolat auprès de nombreuses communautés de fidèles.
2- Comment avez-vous connu la forme extraordinaire du rite romain ?
En dehors des récits que me faisait ma mère sur son enfance, c’est en lisant le livre-entretien du cardinal Ratzinger avec Vittorio Messori (Entretien sur la Foi, 1985) que j’ai eu connaissance pour la première fois de la messe traditionnelle. L’actuel pape émérite y propose avec le langage clair qui le caractérise des approfondissements théologiques et liturgiques qui ont fait contribué à faire naître en moi une réflexion critique sur la réforme liturgique et un vif intérêt pour une liturgie héritée de génération en génération et non fabriquée de toutes pièces.
Cette quête de sacré me porta vers la messe tridentine, si parfaitement transcendante, si parfaitement ordonnée, si parfaitement catholique.
La Providence me permit d’entrer en contact avec des groupes de catholiques américains de la Fraternité Saint-Pierre et de l’Institut du Christ-Roi, ainsi qu’avec des prêtres latino-américains de l’Institut du Bon Pasteur, venant en pèlerinage à Notre-Dame de Guadalupe ou dans les sanctuaires Cristeros.
Peu à peu, je fis connaissance d’autres personnes attachées à la messe traditionnelle et désireuses de participer à sa diffusion. Pour nous tenir en relation puisque nous habitions des villes différentes, nous utilisions Internet et c’est par Internet aussi que nous sommes entrés en contact avec la FIUV.
3- Quelle a été l’action menée par Una Voce Mexique ?
Notre mission première a été de servir de courroie de transmission entre toutes les personnes intéressées par la liturgie traditionnelle afin de mettre en commun tous les talents que chacun de nous a reçus du Bon Dieu. Sur un plan pratique, il nous a fallu tout d’abord identifier et faire connaissance avec les prêtres prêts à la célébrer. Ensuite, nous avons travaillé à diffuser des missels pour les fidèles et à créer des feuilles de messe avec le propre des dimanches, instruments très prisés.
Les premières célébrations installées, nous avons vite compris qu’il convenait d’aider les communautés à approfondir leurs connaissances sur la théologie de la messe et de la liturgie. Nous avons donc organisé des rencontres qui ont débouché sur la tenue en 2013, dans l’archidiocèse de Guadalajara, d’un congrès national sur le Motu Proprio Summorum Pontificum. Le cardinal émérite Juan Sandoval Iñiguez vint y célébrer la messe de clôture.
Peu à peu, nous avons vu le peuple chrétien réagir à nos déclarations et nous nous sommes aperçus que de nombreux Mexicains, jeunes et anciens, étaient intéressés par la messe traditionnelle. Pour tous ces catholiques il ne s'agit pas de nostalgie ni d'esthétisme mais de la conviction plus ou moins consciente que la forme traditionnelle est intimement liée aux éléments fondamentaux de la Foi (présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, renouvellement du sacrifice de la Croix…).
4- Quelle est aujourd’hui, la situation du Motu Proprio Summorum Pontificum au Mexique ?
Aujourd’hui, à près de 10 ans du Motu Proprio, la forme extraordinaire est célébrée dans 10 diocèses du Mexique. Il y a encore beaucoup de travail à faire mais la direction est juste et les espoirs nombreux.
Les évêques, pour la plupart, continuent de juger la messe traditionnelle avec les œillères des années 70 et 80, comme si elle représentait une opposition aux supposées avancées théologiques modernes et une marque d’insoumission envers la personne du Pape. Paul VI est peu connu au Mexique et les textes de Vatican II guère étudiés. En revanche, la relation des Mexicains avec saint Jean-Paul II est très forte et l’identité catholique de la plupart des fidèles comme des ecclésiastiques s’est construite autour de sa sainte figure. Du coup, les événements douloureux de 1988 sont dans l’esprit de beaucoup quand il s’agit de se pencher sur les conflits liturgiques de la fin du siècle passé.
Toutefois, ce n’est pas le cas partout et la messe traditionnelle a connu un nouveau départ depuis le Motu Proprio dans les sièges cardinalices. À Guadalajara et à Mexico, avec le soutien des cardinaux Sandoval et Rivera, ont été créé des apostolats confiés à la Fraternité Saint-Pierre. À Morelia, l’archevêque, Mgr Alberto Suárez Inda, récemment élevé à la pourpre cardinalice par le pape François, a célébré son jubilé sacerdotal avec le missel de saint Jean XXIII. Enfin, dans un même esprit de bienveillance épiscopale, la forme extraordinaire est célébrée de façon régulière en la cathédrale de Chihuahua.
5- À l’été 2014, une messe traditionnelle a été célébrée au séminaire de Guadalajara, qui est aujourd’hui le plus grand séminaire du monde : la forme extraordinaire a-t-elle droit de cité dans les séminaires mexicains ?
Malheureusement, pas encore. En tout cas pas de façon habituelle. Les images de la messe célébrée par l’abbé Romanosky (FSSP) prouvent qu’elle a été un grand succès et a suscité un grand intérêt chez les séminaristes. Elles montrent que la forme extraordinaire prend peu à peu sa place dans la vie quotidienne de l’Église. Nous savons que de nombreux séminaristes participent, dans la mesure du possible, aux activités des apostolats desservis par la FSSP dans le pays. Toutefois, même à Guadalajara, la forme extraordinaire ne figure officiellement au programme d’aucun de nos séminaires.
6- Un mot pour conclure ?
Le Saint-Siège vient de confirmer la canonisation du jeune José Sanchez del Rio, victime emblématique de la guerre des Cristeros. Ce jeune martyr de 14 ans est la gloire non seulement du Mexique mais de toute l’Église.
Pour obtenir de sa mère la permission de rejoindre les rangs des Cristeros, José lui dit avec allégresse : « Il n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui de gagner le Ciel. » Il avait compris que mener la bonne bataille était un privilège et une opportunité. À notre tour, dans la crise que traverse l’Église, nous avons nous aussi cette grande opportunité de pouvoir combattre pour ce que la vie chrétienne a de plus précieux à nous offrir, pour ce qui en constitue la source et le sommet : la Sainte Liturgie.
À tous ceux qui ont pu être méprisés, marginalisés et même humiliés alors qu’ils souhaitaient simplement louer et honorer Dieu au moyen de la messe traditionnelle, je voudrais proposer l’image du bientôt saint José Sanchez del Rio pour les encourager à ne pas baisser les bras et continuer à lutter avec la joie de celui qui sait que c’est un privilège de mener cette bataille, sans amertume, avec douceur, force et charité ¡Viva Cristo Rey!
II – Les réflexions de Paix liturgique
1- Au Mexique comme en Europe, la réalité nous montre que la résistance liturgique commencée par Mgr Lefebvre en 1970, pour essentielle et universelle qu'elle fut, ne représentait qu’une infime portion de la réaction du peuple chrétien qui souhaitait vivre sa foi au rythme du catéchisme catholique et de la messe traditionnelle. Grâce au Motu Proprio de Benoît XVI, le peuple des Silencieux – de tous ceux qui ont obéi aux oukases liturgiques et doctrinaux paroissiaux ou épiscopaux de ces 50 dernières années sans mot dire ni révolte – se révèle chaque jour un peu plus dans l'Église entière et forme les prémices d’un grand mouvement de réveil spirituel, liturgique et doctrinal. Historiquement, ce mouvement correspond en outre à l'émancipation intellectuelle et culturelle que l'on observe un peu partout dans le monde face à la dictature de l'esprit de 68.
2- Ce peuple des Silencieux, nous le connaissons bien car il a été très concrètement, et même scientifiquement, mis en lumière dans les nombreux sondages internationaux qui, de l’Espagne à l’Allemagne et de la Suisse à l’Italie, ont révélé sans discussion possible que, de façon concordante et cohérente, 40 à 60 % des fidèles pratiquants vivraient volontiers leur foi au rythme de la forme extraordinaire. Au Mexique, où le drame des Cristeros a rendu les fidèles souvent très méfiants vis-à-vis des autorités romaines – ce qui y explique l'importance du phénomène sédévacantiste –, l'essor de la forme extraordinaire en est une nouvelle illustration.
3- Même si la forme extraordinaire, dans son cadre diocésain, n'est offerte pour le moment que dans 10 diocèses mexicains sur quelque 90, il n’est en effet pas douteux que, comme partout où le processus s’enclenche, la vague Summorum Pontificum va gonfler lentement mais sûrement dans tout le pays. Elle le fera d'autant plus que, peu à peu, forte de l’assistance de l’Esprit Saint promise par le Christ à son Église, elle va se nourrir des manifestations de foi et de piété suscitées autour des célébrations de la forme extraordinaire.
4- Il est particulièrement émouvant de voir refleurir au pays des valeureux et saints Cristeros la messe romaine traditionnelle, celle de l'idéal chrétien qu’ils ont défendue au prix de leur sang. La trahison qu’ils ont eu à supporter de la part des autorités ecclésiastiques – l'abandon de la doctrine du Christ-Roi et de ses défenseurs – n’est pas sans analogie avec l’abandon par l'Église de la liturgie antique et des prêtres et fidèles qui n’ont pas accepté qu’elle disparaisse. Dieu soit remercié d’avoir suscité la foi de ses Cristeros ! C’est assurément grâce à leur sainte intercession qu’aujourd’hui, au Mexique, l’espoir liturgique – et, partant, catéchétique – renaît, et que bientôt la paix reviendra. La paix véritable, celle fondée sur la vérité doctrinale et la justice vis-à-vis des âmes chrétiennes, car il est évident que sans réelle réconciliation liturgique, le retour à la paix durable dans l’Église ne sera pas possible.