SOURCE - Disputationes theologicae - 24 août 2012
Il
est peut-être temps de démythiser le lieu commun selon lequel les
traditionalistes sont de rigides béguins incapables de facéties
hilarantes. Au contraire, il semblerait vraiment que lorsque la
FSSPX parlait d’« accord pratique » impossible sans la préalable
conversion de Rome, elle était en train de blaguer. Il
se peut qu’avec ces « mensonges joyeux », la FSSPX ait voulu
souligner toute sa catholicité, se proclamant fille de l’allégresse
romaine d’un Saint Philippe Néri plutôt que de la froide
rigueur d’un Cardinal de Bérulle ou, pire encore, d’un Saint-Cyran.
Maintenant en effet la blague est dévoilée, mise noir sur blanc par le
Chapitre Général, qui a juste oublié de reconnaître
qu’il a effectué un demi-tour complet et que la Déclaration de 2006,
approuvée à l’« unanimité », était justement un « mensonge joyeux ».
Selon la morale, des affirmations de
ce genre ne peuvent être faites que si tous en saisissent la nature
ironique (notre revue à vrai dire l’avait compris, c’est pourquoi elle
avait écrit que les blagues de Mgr Fellay n’étaient pas
à prendre trop au sérieux).
L’alternative
à cette « hypothèse de travail » serait que la FSSPX a réalisé que sa
position officielle précédente était
erronée et qu’elle a donc décidé de la corriger : en ce cas en soi,
elle aurait bien fait, c’est du moins notre avis (en effet plusieurs
collaborateurs de cette libre revue restèrent
scandalisés par la Déclaration unanime de 2006) ; mais le silence de
mort qui règne quant à un éventuel changement de direction nous empêche
pour l’instant de l’envisager
sérieusement.
Impossible…
L’actuelle ère d’Internet ayant cette conséquence fâcheuse que la mémoire a plus que jamais besoin d’aide, reprenons certaines
affirmations de la Fraternité que Disputationes avait commentées de façon critique.
Voilà
ce qu’affirmait la déclaration capitulaire de 2006, sans qu’aucune voix
officielle ne se levât contre (exactement comme dans
le camp des ralliés d’ailleurs) :
« En effet, les contacts qu’elle (la FSSPX) entretient épisodiquement avec les autorités romaines
ont pour unique but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Eglise ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour
elle-même, ou d’arriver à un impossible accord purement pratique. Le jour où la Tradition retrouvera tous ses droits, « le problème de la
réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse » »
Mgr Fellay avait dit pire dans la période de préparation dudit Chapitre:
« En tout cas, il est impossible et inconcevable de passer à la troisième
étape, donc d’envisager des accords, avant que les discussions n’aient abouti à éclairer et corriger les principes de la
crise » (Fideliter n. 171, maggio-giugno 2006, pp. 40-41).
« En revanche, il est clair que nous ne signerons pas d’accord si les choses ne sont pas résolues
au niveau des principes (…) Nous ne pouvons pas nous
permettre des ambiguïtés…[L’accord] serait bâti sur des zones grises,
et qu’à peine signés, la crise resurgirait de
ces zones grises. Il faudra donc, pour résoudre le problème que les autorités romaines manifestent et expriment de façon nette en sorte que tout le monde comprenne, que pour Rome
il n’y a pas trente-six chemins pour sortir de la crise, il n’y en a même qu’un seul de valable : que l’Eglise retrouve pleinement sa propre Tradition
bimillénaire. Du jour où cette conviction sera claire chez les autorités romaines, et même si sur le terrain tout est loin d’être réglé, des accords seront très
faciles à réaliser » (Mgr Fellay, ibidem).
Il
n’est pas possible que dans la FSSPX personne ne se souvienne combien de
fois – alors que la situation était moins exaspérée – il
fut répliqué à des argumentations favorables à l’accord (et même
prudemment favorables), que tant que la cause (la crise doctrinale) ne
serait pas changée, l’effet (l’impossibilité d’une
situation d’accord) ne pourrait l’être non plus. Logique
« tardo-guérardienne », à notre avis, mais appuyée – bien que de façon
plus ambigüe – par Mgr Fellay lui-même, souvent
implicitement avec des « déclarations à double sens », « suisses et
pour cela neutres » (comme le disaient en privé des prêtres qui sont
encore aujourd’hui membres de la
FSSPX), mais parfois même de façon plutôt explicite:
«Tant que les principes ne seront pas abordés, les conséquences continueront inéluctablement. Je dois dire que
pour l’instant Rome ne semble pas vouloir remonter aux principes (…) C’est très simple : tant que Rome reste sur une telle position [œcuménisme et liberté religieuse, dont
le prélat venait de parler], aucun accord n’est possible » (Mgr Fellay cité dans l’Editorial de Don Marco Nély, La Tradizione Cattolica, n. 2 (62) –
2006, p. 4).
…au contraire, possible.
Dans
la longue Déclaration du Chapitre 2012 (qui au moins, à la différence de
la précédente, n’a pas été présentée comme exprimée à
l’unanimité, mais, de façon plus générique, avec une empreinte de
réconciliation interne), au sujet de la question de l’accord une note
rapide a été formulée, l’unique peut-être qui pouvait
trouver un large consensus, tout de suite suivie de considérations
pieuses et édifiantes :
« Nous avons défini et approuvé des conditions nécessaires pour une éventuelle normalisation canonique [façon
habile de donner une image de fermeté à ce qui est en réalité une
marche-arrière, comme nous le verrons ; possibilisme qui devrait
satisfaire les récents accordistes ndr]. Il a été établi
que, dans ce cas, un chapitre extraordinaire délibératif serait convoqué auparavant [limitation qui au contraire devrait satisfaire l’autre aile, qui craignait un coup de main
accordiste de Mgr Fellay ndr]. Mais n’oublions jamais que la sanctification des âmes….”
Cependant
Rome a tout de suite laissé entendre qu’une telle Déclaration ne valait
pas grand-chose, affirmant officiellement
(cf. Le communiqué du père Lombardi) qu’elle attendait un autre
écrit. Et de fait, parut bientôt sur Internet un autre texte du Conseil –
texte qui, théoriquement, aurait dû rester interne - qui
a spécifié les conditions pratiques (ou plutôt très pratiques) qu’on
a fait demander par le Chapitre comme « Conditions sine qua non que la Fraternité s'impose et qu'elle réclame des
autorités romaines avant d'envisager une reconnaissance canonique ».
Ces conditions sont ainsi formulées :
1. Liberté de garder, transmettre et enseigner la saine doctrine du Magistère constant de l’Eglise et de la
Vérité immuable de la Tradition divine ; liberté de défendre, corriger, reprendre, même publiquement, les fauteurs d'erreurs ou nouveautés du modernisme, du libéralisme, du
concile Vatican II et de leurs conséquences;
2. User exclusivement de la liturgie de 1962. Garder la pratique sacramentelle que nous avons actuellement (y inclus : ordres, confirmation, mariage) ;
3. Garantie d'au moins un évêque.
Ce
même document présente aussi des requêtes souhaitables, mais non
nécessaires. Notons à ce propos que par rapport aux précédentes
déclarations de Mgr Fellay, il est évident que le pouvoir de
négociation de la FSSPX a chuté de façon vertigineuse : la Fraternité
doit aujourd’hui demander comme « souhaitable»
l’exemption épiscopale pour ses chapelles, alors qu’une solution
canonique sur le modèle de Campos lui avait été proposée par le Cardinal
Castrillon Hoyos il y a seulement six ans. De façon
étonnante cependant, l’ouverture manifestée envers un accord
pratico-canonique semble suivre, au moins chez Mgr Fellay, un parcours
inverse.
Et
l’accord doctrinal ? L’accord pratique impossible, et même inconcevable?
L’indispensable correction préalable des principes de la
crise, avant toute solution de la question canonique ? Où sont-ils
passés ? Ils ont disparus. Ce n’est pas par hasard qu’une voix
autorisée de la FSSPX a récemment affirmé que l’accord
est en ce moment « impraticable » : en bonne logique
aristotélico-thomiste, il est donc possible en soi. Et Mgr Williamson a
pu commenter que l’accord doctrinal a tout simplement
disparu dans le néant sans que cela ne soit déclaré :
« En ce qui concerne les six Conditions pour n’importe quel éventuel accord futur entre Rome et la Fraternité, elles
méritent un examen détaillé, mais qu’il suffise pour le moment de signaler que la demande faite en 2006 par le Chapitre Général de la Fraternité, à savoir qu’un accord
doctrinal est indispensable avant tout accord pratique, paraît avoir été complètement abandonnée » (Mgr Williamson, Commentaire Eleison - 4 aout
2012).
Et les explications du changement ? Il n’y en a aucune trace.
La victoire illusoire de la voie qu’on a voulu (préalables et astuces)
Notre
revue – en cohérence avec la ligne exprimée par certains de ses
rédacteurs avant-même sa fondation – a déjà exprimé sa
position, laquelle pourra être consultée avec profit en lisant les
articles sur ce sujet. Celle-ci avait provoqué des réactions
incontrôlées, comme celles de commentateurs anonymes sur des sites
récents, qui au nom d’un équivoque « œcuménisme de la Messe
traditionnelle » ont une tendance "fourbesque" à penser qu’on puisse
mettre de côté vérité et justice. Notre prise de
position avait même provoqué des demandes de censure
– particulièrement contre
l’article « Accords Rome-Ecône : blaguait-t-on ?» - demandes qui
nous ont été adressées sans que nous y donnions suite. Pour ne pas
parler de la surdité intéressée de nombre
d’opportunistes qui préfèrent se ruer sur des occasions favorables
au lieu d’évaluer les raisons d’un choix : autre façon en plus de
l’autoritarisme jacobin d’imposer sans argumentation une
vision dictée par la commodité.
La
question que nous posons est donc celle-là : les développements des
événements ne confirment-ils pas que les objections que
nous avions essayé de poser – sans omettre des aspects tels que la
complexité de la situation, les responsabilités de Rome, l’abondante
présence (surtout en Italie) de problèmes de nature diverse
voire opposée – étaient fondées?
Le
risque de fractures dans la Fraternité Saint Pie X, qui en réalité a été
un des obstacles à l’accord, a-t-il été réduit, ou
n’a-t-il pas au contraire considérablement augmenté? Parce qu’il est
évident que nous nous trouvons dans la deuxième éventualité, il est
naturel de répliquer: certes, après une décennie
d’interventions incessantes sur l’impossibilité de l’accord! « Qui
sème le vent, récolte de la tempête » dit le proverbe…
De
plus, comment Mgr Fellay peut-il aujourd’hui condamner sans gêne chez
ses confrères ce que lui aussi disait (ou laissait
entendre) jusqu’à hier ? Et si l’« impossible » et « inconcevable »
d’hier a pu aujourd’hui devenir possible et concevable, les scandales
ecclésiaux n’ayant pourtant
malheureusement pas cessé ; alors quelle garantie y a-t-il que ce
qui aujourd’hui encore reste impossible et inconcevable, ne devienne pas
lui aussi possible et concevable
demain ?
Les
divisions internes à la Fraternité Saint Pie X, trop niées hier,
émergent aujourd’hui avec une force encore plus détonante : ce
phénomène, qui découle en bonne partie du "tacticisme" de Mgr Fellay
et de l’« histoire infinie » des interminables oscillations accord
non/accord peut-être, ne risque-t-il pas – plus
qu’un modeste (et reconnu comme tel) accord pratico-canonique
réalisé dans les années où on le refusait – de détourner l’attention du
problème non pas unique mais certainement principal, à savoir
la crise dans l’Eglise ?
«Un avantage pour toute l’Eglise»?
Est-il
bien certain que la liaison, pour ainsi dire directe, de tout le
“traditionalisme” à la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi ait été un bien? A ce propos : les fameux colloques doctrinaux
Rome-Ecône, quel fruit ont-ils apporté ? On s’en souvient Mgr Fellay
disait :
« Le but que l’on cherche à atteindre avec ces discussions doctrinales est une importante
clarification dans l’enseignement de l’Église ces dernières années. En effet, la Fraternité Saint-Pie X, à la suite de son fondateur, Mgr Lefebvre, a de sérieuses objections au sujet du
Concile Vatican II. Et nous espérons que les discussions vont permettre de dissiper les erreurs ou les graves ambiguïtés qui depuis lors ont été répandues à pleines mains dans
l’Église catholique » (Mgr Fellay, Entretien du 19 septembre 2009 à Roodepoort, Afrique du Sud, Dici)
S’est-on
au moins approché de l’objectif? La réponse est évidente pour qui n’est
pas gouverné par l’esprit de faction : bien au
contraire, au sujet du Concile Vatican II, Rome s’est plutôt durcie,
en revenant en partie au climat des années soixante-dix. La chose
est-elle vraiment si surprenante ? Quand Mgr Fellay
déclare sur Internet, alors que les tractations étaient encore
ouvertes, qu’en substance le Saint Siège a cédé face à la FSSPX sur le
Concile, faut-il s’étonner que Rome – qui se trouve
actuellement dans une situation fort délicate et qui a déjà « cédé »
à la FSSPX sur les préalables et les discussions qu’elle exigeait–
réagisse en faisant marche-arrière par rapport aux
disponibilités dont il était précédemment question ? Faut-il
s’étonner qu’elle se durcisse sur la vieille tendance à la dogmatisation
du dernier Concile ?
Sur les triomphes de telles discussions doctrinales, laissons cependant parler un autre évêque de la Fraternité Saint Pie
X :
« Pour me limiter à la « Note préliminaire » et au « Préambule doctrinal », je dois dire d’emblée qu’ils
sont confus, équivoques, faux et mauvais pour l'essentiel. Même l’apparente ouverture à une critique du Concile est sibylline et rusée, un piège bien dressé (…). Ce document est
substantiellement inacceptable. Il est pire que le Protocole de 1988, en particulier par rapport au Concile et au magistère postconciliaire » (Mgr de
Galaretta, Document de réflexion suite à la rencontre d’Albano en octobre 2011)
A ce
propos nous ajoutons que nous attendons avec impatience cette moisson de
discussions doctrinales « de très haut
niveau » (comme on disait aussi, à l’unisson avec Mgr Fellay, dans
les milieux romains) dont on nous a promis qu’elle serait publiée ;
qu’elle soit mise sous les yeux de tous,
afin que tous puissent en tirer un peu de cet avantage qui avait été
promis « à toute l’Eglise ». En espérant que la publication promise ne
soit pas renvoyée sine die par
crainte de gêner d’éventuelles futures manœuvres – auxquelles Mgr
Fellay s’est bien gardé de fermer la porte…quitte à attribuer
l’initiative à des avances unilatérales de la part de Rome…
Passons
sur les affirmations oscillantes de Mgr Fellay, spécialement entre mars
et juin, mais déjà à partir de l’automne 2011 ;
en revanche nous ne pouvons pas taire qu’en cette situation il nous
semblerait un devoir de dire au moins une humble parole de vérité sur le
demi-tour complet qui a eu lieu ; une humble
prise de responsabilité, plutôt qu’un commode autoritarisme exercé
hier sur les accordistes et aujourd’hui sur les anti-accordistes.
La rédaction de Disputationes Theologicae