Annonce, le 20 octobre, du retour à l’Église romaine de centaines de milliers de fidèles anglicans, accompagnés de leurs prêtres et de leurs évêques ; deuxième étape du dialogue entre catholiques et orthodoxes sur la primauté du pape, à Chypre, du 16 au 23 octobre ; enfin,ouverture, le 26, de discussions doctrinales très attendues entre Rome et les disciples de Mgr Lefebvre : l’actualité ne manque pas une occasion de nous rappeler à quel point la question de l’unité des chrétiens est pour Benoît XVI un souci brûlant.
Il l’a rappelé dans la lettre adressée aux évêques, en mars dernier, à l’occasion de la levée de l’excommunication des évêques lefebvristes : « Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible : c’est la priorité suprême et fondamentale de l’Église et du successeur de Pierre aujourd’hui.
D’où découle, comme conséquence logique, que nous devons avoir à coeur l’unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition interne, met en doute la crédibilité de ce qu’ils disent de Dieu. C’est pourquoi l’effort en vue du témoignage commun de foi des chrétiens – par l’oecuménisme – est inclus dans la priorité suprême. […] Si donc l’engagement ardu pour la foi, pour l’espérance et pour l’amour dans le monde constitue en ce moment (et, dans des formes diverses, toujours) la vraie priorité pour l’Église, alors les réconciliations petites et grandes en font aussi partie. »
Pour le pape, ce scandale des anathèmes entre disciples du Christ constitue le principal obstacle à l’évangélisation. C’est pourquoi il a fait de ce dossier de l’oecuménisme une priorité de son pontificat.Avec une approche assez différente de celle qui prévalait jusqu’alors : moins de déclarations d’intention, moins de “baisers Lamourette”, remplacés par des gestes qui engagent et par un dialogue sans concessions.
C’est ainsi que Rome n’a pas cherché à masquer l’ampleur de ses dissensions avec l’Église anglicane, soulignant combien les évolutions récentes de celle-ci – l’accès des femmes à la prêtrise et à l’épiscopat et le sacre d’évêques homosexuels, mais aussi les “mariages” entre prêtres – constituaient un obstacle à l’unité des chrétiens. Le cardinal Ivan Dias, observateur catholique à la conférence anglicane de Lambeth, en juillet 2008, n’a pas hésité à mettre en garde ses interlocuteurs contre le risque d’« Alzheimer spirituel » et d’un « Parkinson ecclésial ».
Paradoxalement, cette franchise a permis aux anglicans ne se reconnaissant pas dans l’évolution de leur communion d’envisager avec plus d’audace leur retour à la pleine confession avec Rome, qui leur apparaissait comme l’unique refuge possible. Dès octobre 2007, la Traditional Anglican Communion (TAC), forte de ses 400 000 fidèles et de 20 à 30 évêques, avait demandé son rattachement à Rome.
Plutôt que de les accueillir sans attendre, le Vatican a préféré se souvenir du précédent de 1992, où une pareille vague de ralliements, mal préparée, avait donné des résultats contrastés : renvoyés vers les diocèses catholiques, souvent mal reçus par les évêques du Royaume-Uni « et déprimés par la piètre qualité de la liturgie dans les paroisses », selon le Catholic Herald, alors qu’ils pratiquent pour leur part une forme liturgique très proche du rite catholique pré-Vatican II, nombre de ces convertis ne tardèrent pas à revenir à l’anglicanisme.
Rome a cette fois préféré prendre son temps, afin de trouver une structure juridique propre à accueillir les anglicans qui le souhaitent « dans la pleine communion de l’Église catholique, tout en conservant des éléments de leur patrimoine spirituel et liturgique », comme l’a annoncé le 20 octobre Mgr Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, lors de la conférence de presse annonçant la publication prochaine, par Benoît XVI, d’une constitution apostolique organisant cette conversion de masse.
Elle prendra la forme d’ordinariats, diocèses sans base territoriale comme, par exemple, notre diocèse aux armées. Les anglicans qui reviendront vers Rome auront leurs propres séminaires, leurs propres évêques et conserveront leurs usages propres. Comme c’est le cas dans plusieurs églises catholiques orientales, des membres mariés de l’ex-clergé anglican pourront devenir prêtres catholiques – seuls les évêques étant tenus au célibat.
Primat de l’Église d’Angleterre et autorité honorifique du monde anglican, Rowan Williams, qui peine depuis 2003 à contrer l’éclatement de l’anglicanisme, a salué cette annonce vaticane dans une déclaration commune avec son homologue catholique, Mgr Nichols. Ils y voient « une conséquence du dialogue oecuménique » et une « reconnaissance de la substantielle coïncidence en matière de foi, de doctrine et de spiritualité entre l’Église catholique et la tradition anglicane » – signe que, pour l’oecuménisme anglicano-catholique, ce ralliement de masse n’est pas un point final mais un point de départ.
L’archevêque John Anthony Hepworth, primat de la TAC, ne cache pas son enthousiasme : « Enfin, nous passons de l’incertitude à la certitude, puisque nous sommes désormais sous l’autorité de celui qui a reçu, de la part du Christ, délégation pour établir la vérité.Nous sommes enfin de retour à la maison ! »
Cette annonce, qui aura surpris tout le monde, est intervenue six jours avant l’ouverture, le 26 octobre à Rome, des discussions théologiques tant attendues entre les traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie-X et le Vatican. Comme si Rome avait pressé cette nouvelle pour placer cette rencontre avec les disciples de Mgr Lefebvre sous le signe de la recherche de l’unité et leur montrer, avec la création de ces ordinariats anglicans, quelle solution pourrait s’ouvrir à eux si un accord théologique venait à être trouvé.
Sur ce sujet épineux, Benoît XVI a pris le taureau par les cornes comme personne d’autre, persuadé que les fractures sont d’autant plus difficiles à réduire qu’elles ont plus duré. C’est lui qui, en 1988, alors cardinal Ratzinger, avait mené avec Mgr Lefebvre des négociations qui n’ont échoué que de très peu. Depuis, à part quelques rencontres sans lendemain, peu de chose avaient été tentées pour combler l’abîme creusé par les sacres d’évêques illégalement célébrés par MgrLefebvre en 1988.
Dès son élection, en 2005,Benoît XVI a remis sur le métier la tunique déchirée de l’unité entre catholiques. On en connaît les grandes étapes (lire notre encadré). Aujourd’hui, deux délégations se font face : celle de Rome est dirigée par le secrétaire de la commission Ecclesia Dei, Mgr Guido Pozzo, assisté du vicaire général de l’Opus Dei, Fernando Ocariz Braña, du jésuite allemand Karl Josef Becker et du dominicain suisse Charles Morerod, lequel est déjà aguerri à des disputatio informelles avec les traditionalistes. La Fraternité a délégué l’un de ses évêques, l’Espagnol Alfonso de Galaretta, assisté des abbés Benoît de Jorna, directeur du séminaire d’Écône, Jean-Michel Gleize, qui y enseigne l’ecclésiologie, et Patrick de La Rocque, prieur à Nantes.
La première session, le 26 octobre, s’est tenue « dans un climat cordial, respectueux et constructif » selon le Vatican. Les séances devraient se succéder à un rythme bimensuel. À Rome, on veut croire à un accord rapide, d’ici à un an. Côté Fraternité, comme toujours, le chaud alterne avec le froid. Suivant son état d’esprit, on pourra retenir la réputation de “dur”de l’abbé de Jorna, une phrase de Mgr de Galaretta annonçant : « Nous ne signerons pas de compromis », ou telle déclaration de Mgr Fellay se déclarant optimiste. On peut, surtout, considérer qu’une discussion théologique est par définition un processus dynamique, où le simple fait de poser les problèmes sur une table modifie la donne.
La Fraternité n’a en réalité d’autre choix, pour sa propre survie, que de chercher sincèrement un accord qui lui offre l’occasion inespérée de « dépasser Vatican II », comme le souhaite Mgr Fellay, d’en faire un concile parmi d’autres, et non plus l’alpha et l’oméga de la foi catholique que certains veulent y voir depuis près de cinquante ans.
De manière surprenante, en une quarantaine d’années, ces discussions doctrinales, réclamées par la Fraternité Saint-Pie-X, n’avaient jamais été sérieusement entreprises. Récemment encore, le responsable d’alors de la commission Ecclesia Dei, chargée au Vatican du suivi des traditionalistes, Mgr Castrillón Hoyos, privilégiait la piste d’un règlement juridique préalable. En décidant, le 8 juillet dernier, par le motu proprio Ecclesiae unitatem, de rattacher cette commission à la Congrégation pour la doctrine de la foi, dirigée par le cardinal Levada, Benoît XVI soulignait que la solution définitive de la querelle avec les traditionalistes passait d’abord par une clarification théologique.
Dans sa lettre aux évêques de mars, le pape avait précisé la feuille de route : «On ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 – ceci doit être bien clair pour la Fraternité. Cependant, à certains de ceux qui se proclament comme de grands défenseurs du concile, il doit aussi être rappelé que Vatican II renferme l’entière histoire doctrinale de l’Église. Celui qui veut obéir au concile doit accepter la foi professée au cours des siècles et il ne peut couper les racines dont l’arbre vit. »
On retrouve là la pensée constante de Benoît XVI sur Vatican II : la nécessité d’interpréter celui-ci en termes de continuité et non de rupture, l’impossibilité de l’opposer, comme l’ont fait les tenants d’un faux “esprit du concile”, à la Tradition de l’Église. Aux négociateurs revient donc la délicate mission, comme le disait le cardinal Ricard, membre de la commission Ecclesia Dei, lors d’un discours aux évêques de France, « de faire une relecture paisible de notre réception du concile, d’en relire les grands textes fondateurs, d’en saisir à nouveaux frais les grandes intuitions et d’en repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte ». Il s’agit non seulement de reformuler à la lumière de la Tradition les points qui “fâchent”, mais aussi de discerner ce qui relève du magistère dans le concile et ce qui ressort de simples modes ecclésiales passagères. Et encore de définir la liberté dont dispose un chrétien vis-à-vis de la pastorale en vogue.
Vaste programme, qui dépasse le simple enjeu de la réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie-X. On ne peut s’empêcher de penser que le monde orthodoxe, avec qui les relations se sont notablement réchauffées depuis l’élection de Benoît XVI, regardera d’un oeil attentif ces discussions théologiques et ce que concluront les deux parties sur le magistère de Pierre.