SOURCE - La Nef - Christophe Geffroy - octobre 2009
Rome et Ecône : quelles discussions?
Ouverture des débats doctrinaux entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X
Geffroy Christophe
Alors que les discussions se mettent en place entre Rome et Ecône, Gérard Leclerc publie un petit essai qui cherche à baliser le terrain du dialogue.
Depuis la rupture de juin 1988 entre la Fraternité Saint-Pie X (FSPX) et Rome, jamais le climat n’a été aussi propice à un rapprochement. Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la FSPX, a toujours souhaité régler le différend doctrinal avant d’envisager une régularisation canonique au sein de l’Église. Mais avant d’engager un véritable dialogue sur le fond, il avait mis deux conditions : la liberté de célébrer la messe selon l’ancien ordo et la levée des excommunications. Le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, dont l’objet dépasse le seul cadre de la FSPX, a néanmoins permis de remplir la première condition ; la levée des excommunications des quatre évêques de la FSPX, le 21 janvier 2009, répond à la seconde demande. Enfin, le motu proprio Ecclesiam unitatem du 2 juillet dernier, en rattachant la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ouvrait la voie à des échanges théologiques en les plaçant clairement au niveau doctrinal. « Comme je l’ai expliqué dans ma lettre du 10 mars dernier à l’épiscopat catholique, écrit Benoît XVI dans ce document, la levée des excommunications constitue une mesure disciplinaire destinée à libérer les personnes du poids de cette grave sanction. Ceci étant, les questions doctrinales demeurent et, tant qu’elles ne seront pas résolues, la Fraternité Saint-Pie X ne jouira d’aucun statut canonique dans l’Église. Ses ministres exercent illégitimement leurs ministères. […] Par cette mesure, j’entends en particulier montrer ma paternelle sollicitude envers la Fraternité Saint-Pie X, dans la perspective de son retour à la pleine communion avec l’Église. »
Face à l’évidente bonne volonté du pape, soucieux de résorber une fracture de nature schismatique, Mgr Fellay ne pouvait plus faire marche arrière et refuser le débat doctrinal. Au demeurant, force est de constater que depuis la levée des excommunications, les propos de Mgr Fellay à l’égard de Rome sont nettement plus ouverts qu’avant – ce n’est pas encore le cas des interventions d’autres responsables de la Fraternité.
Du côté de Rome, on sait déjà que le groupe d’experts comprendra le P. Charles Morerod, dominicain suisse récemment nommé à la tête de la Commission théologique internationale, Mgr Guido Pozzo, nouveau secrétaire de la Commission Ecclesia Dei désormais rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le P. Karl Josef Becker, jésuite allemand, et Mgr Fernando Ocariz-Brana, vicaire général de l’Opus Dei. Ces théologiens réputés sont tous membres de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et ont des compétences dans les domaines controversés sur lesquels porteront les échanges : liberté religieuse, théologie des religions (dialogues œcuménique et inter-religieux), ecclésiologie (collégialité), liturgie… Du côté de la FSPX, c’est Mgr de Galaretta qui mènera le groupe d’experts. La première réunion devrait avoir lieu dans la deuxième quinzaine d’octobre.
Quels sont les désaccords et les rapprochements possibles ? Gérard Leclerc, éditorialiste de France catholique et bon connaisseur de la vie de l’Église, esprit de plus ouvert et cultivé, essaie de répondre à cette question dans un petit essai paru début septembre (1). Ce petit livre stimulant fourmille de pistes intéressantes.
Gérard Leclerc a construit son livre sur une thématique historique pour mettre en lumière les raisons de la rupture entre Mgr Lefebvre et Rome. Il commence par réfuter un amalgame classique : celui qui consiste à lier l’acte schismatique de 1988 à la condamnation de l’Action française en 1926. Certes, il est évident qu’une partie des fidèles de la FSPX est plus ou moins proche de l’Action française ou, plus largement, de la mouvance nationaliste française. Il est vrai que Mgr Lefebvre a lui-même favorisé la confusion par certains de ses propos politiques déplacés – tout le monde se souvient notamment de son soutien à la junte militaire du général Videla en Argentine, lors de la fameuse messe de Lille d’août 1976. Mais se focaliser sur ce point empêche de comprendre les raisons profondes du drame de 1988, dont les origines sont religieuses, théologiques même plus précisément, que non pas politiques. Pour le démontrer, il faut revenir aux travaux d’Émile Poulat qui a donné la genèse de l’intransigeantisme catholique dont la FSPX est héritière et qui se distingue assez nettement des sources maurrassiennes empreintes de positivisme. « Si la dimension politique est prégnante, écrit Gérard Leclerc, elle est toujours subordonnée à des positions de fond. Ce n’est pas l’idéologie qui commande, c’est une certaine culture, celle de l’intransigeance catholique, appelée aussi intégralisme » (p. 22).
La cause de la rupture tient donc à de graves divergences doctrinales qui surviennent après le Concile Vatican II, c’est au demeurant ce que ne cessent d’affirmer les responsables de la FSPX. Pour ces derniers, il y a divergence car le Concile a entraîné un changement radical dans la doctrine catholique, tout particulièrement sur la liberté religieuse, le rapport avec les autres religions, la collégialité et la liturgie. Gérard Leclerc a là-dessus une position intéressante : « la cause première de la dissidence traditionaliste (tient) en une incompréhension radicale de l’évolution théologique qui a amené à l’élaboration de textes aussi importants que Lumen gentium, Dei Verbum, et même la déclaration sur la liberté religieuse » (p. 22). Et plus loin, il ajoute : « Marcel Lefebvre n’admit jamais qu’on pût distinguer des aspects positifs dans la recherche exégétique et doctrinale contemporaine. Tout ce qui échappe aux catégories de la scolastique telle qu’il l’a apprise, est entaché d’erreur. Il n’y a pas de demi-mesures concevables » (p. 30). Cela expliquerait son hostilité au Concile : « Ce qui apparaît mieux encore avec la distance du temps, c’est l’incompréhension radicale qu’il [Mgr Lefebvre] manifeste à l’égard du travail conciliaire. Toutes les données théologiques, patristiques et même scripturaires semblent lui échapper. Nous l’avons dit : il est d’une autre école, celle de la pure scolastique apprise autrefois à la Grégorienne. Il ne comprend que ce langage-là, il est intimement persuadé que tout ce qui s’en éloigne est suspect, contraire à la foi » (p. 37).
Yves Chiron a vigoureusement contesté cette explication qui reprend, selon lui, « de manière irréfléchie, la vulgate anti-lefebvriste d’un prélat d’Écône intellectuellement obtus. Des dizaines de faits montrent le contraire » (2), affirme-t-il. Il n’en cite toutefois qu’un, assez peu convaincant. Quoi qu’il en soit, Gérard Leclerc, à mon sens, force le trait ; il n’empêche qu’il me semble avoir mis le doigt sur une réalité qui aurait certes mérité davantage de développement et plus de nuance, mais qui vise juste cependant. Résumons sa pensée qui rejoint ce que nous avons nous-même développé ailleurs (3).
Une incompréhension de la « nouvelle théologie » ?
A la suite de l’encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris (1879), qui remettait saint Thomas d’Aquin à l’honneur, notamment dans les séminaires, le thomisme a connu au XXe siècle un réel renouveau, grâce notamment à des personnalités comme Jacques Maritain, Charles Journet ou Étienne Gilson, mais aussi grâce à l’école dominicaine qui a alors produit plusieurs grands théologiens. Après la Seconde Guerre mondiale, dans une Eglise ébranlée aussi bien par le conflit que par une sécularisation grandissante, alors même que de nouvelles pistes s’ouvraient en théologie (école de Fourvière, le Saulchoir…), influencée par les précurseurs que furent Moehler (1796-1838) et Newman (1801-1890) dans les domaines patristique et œcuménique, la réaction de Rome a été à la prudence et donc à une défense sans doute trop exclusive de l’école théologique appuyée sur saint Thomas au détriment de toutes les autres. Dans ce contexte, ce que l’on a appelé la « nouvelle théologie », qui comptait dans ses rangs des esprits brillants comme les cardinaux Daniélou, Lubac, Balthasar, Congar ou le P. Bouyer, n’avait pas bonne presse à Rome et était vigoureusement combattu par ceux qui, au Saint-Office, les estimaient trop novateurs et peu dans la ligne de leur thomisme. Une véritable étude de ces oppositions reste à faire, car certaines réserves romaines étaient certainement justifiées (cf. la querelle sur le surnaturel selon Lubac), il ne faudrait donc pas tomber dans la caricature et faire passer d’éminents théologiens comme le P. Garrigou-Lagrange – gardien de la stricte orthodoxie thomiste au Saint-Office –, pire, le pape Pie XII lui-même, comme des esprits simplets et bornés, ce serait absurde (4). Toujours est-il qu’il est indubitable, ainsi que l’affirme Gérard Leclerc, que Mgr Lefebvre appartenait, de par sa formation, à l’école thomiste du cardinal Billot et qu’il partageait la méfiance d’une grande partie de cette mouvance à l’égard de la « nouvelle théologie ». La critique est au demeurant fort légitime dans la recherche théologique et toute avancée passe toujours par le crible d’un examen qui peut donner lieu à des débats passionnés. Signalons que des esprits aussi brillants que Maritain et Journet sont eux-mêmes restés fort dubitatifs à l’égard de ces théologiens.
Mgr Lefebvre était donc peu préparé pour entrer dans l’esprit de la « nouvelle théologie » et recevoir ce qu’il y avait de positif dans ses travaux (sur les plans scripturaire et patristique notamment). A-t-il lu un théologien comme Lubac qui n’a rien d’un « progressiste » ? À lire son biographe, il ne semble pas (5). Même si la formulation de Gérard Leclerc est un peu raide, il a donc raison d’affirmer que Mgr Lefebvre comme beaucoup de traditionalistes n’ont jamais pénétré dans ce monde de la « nouvelle théologie », ne serait-ce que pour la critiquer en connaissance de cause et en décanter les aspects positifs. Ils en sont restés au jugement d’autorité, comme si le Magistère avait condamné une fois pour toutes à travers Humani generis (1950) tout ce qui s’élaborait alors. La réalité est bien plus complexe et, avec le recul du temps, l’Église a fini par réhabiliter et mettre à l’honneur des théologiens hier quelque peu suspects.
Pour appuyer son propos, Gérard Leclerc cite un extrait du Journal du Concile du cardinal Yves Congar : « Je ne reproche pas à ces hommes [l’aile traditionnelle au Concile] d’avoir leur opinion, mais d’être purement négatifs. […] Ils ne cherchent aucun dialogue, aucune collaboration. Ils sont fixés dans un système étroit, dans des formules toutes faites, et ils refusent ou condamnent, sans s’ouvrir à aucun problème. Ils suscitent une réaction aussi simpliste que la leur » (6). Témoignage intéressant, mais certes lui-même très partial. Pour être juste et mieux comprendre la réaction d’un Mgr Lefebvre à l’époque, il faudrait aussi connaître d’autres points de vue. Parmi beaucoup d’autres, on pourrait citer celui du cardinal Antonelli, membre du Consilium de 1964 à 1970 et qui n’appartenait nullement à l’aile traditionnelle. Pourtant, son témoignage sur l’état d’esprit de nombre de membres de Consilium (organe chargé par Paul VI de mettre en œuvre la réforme liturgique voulue par le Concile) est accablant : « Ce qui est triste […] c’est une donnée de fond, une attitude mentale, une position préétablie, à savoir que beaucoup de ceux qui exercent une influence dans le cadre de la réforme […], et d’autres encore, n’ont aucun amour, aucune vénération pour ce qui nous a été transmis. Ils ne ressentent au préalable que du mépris pour tout ce qui existe actuellement. C’est une mentalité négative, injuste et dommageable » (7).
Cela ne justifie sans doute pas une position rigide de refus de toute nouveauté, mais il est essentiel de prendre en compte aussi cette réalité et ne pas rester à la vision quelque peu idéalisée du cardinal Congar avec les « bons » théologiens ouverts d’un côté et les « méchants » « intégristes » bornés et incultes de l’autre. Car il est un facteur primordial sur lequel Gérard Leclerc ne s’arrête guère : c’est la crise qui a secoué l’Église après le Concile avec le fameux « esprit » évoqué par Benoît XVI lui-même à plusieurs reprises et au nom duquel ont été menés les pires excès. Cet esprit a été dans tous les domaines celui d’une rupture radicale, d’un rejet du passé comme si l’Église venait enfin de découvrir la vérité du message évangélique : cette crise interne à l’Église, Benoît XVI en reconnaît donc l’étendue, c’est elle qu’il évoque en parlant d’« herméneutique de la discontinuité et de la rupture » (8).
Or, là où le pape voit bien une crise interne à l’Église, Gérard Leclerc ne voit qu’un « bouleversement de civilisation » (p. 53). Certes, il a tout à fait raison de souligner l’importance de cette « dépression universelle » et il est bien évident que l’Église ne pouvait pas ne pas être touchée par le changement de société qui se produit dans les années soixante et dont Mai 68 est comme le symbole. Cette dimension de la crise de nos sociétés qui est extérieure à l’Église – et sur laquelle elle n’a donc pas de responsabilité – est en effet trop souvent minimisée dans l’analyse traditionaliste. Gérard Leclerc va jusqu’à écrire que « si le Concile Vatican II n’avait pas eu lieu, il n’est nullement avéré que l’Église catholique se serait mieux sortie de la révolution culturelle des années 60 ; c’est même plutôt le contraire qui est vraisemblable. À mon sens, Vatican II a armé l’Église pour répondre aux défis de société ; peut-être incomplètement, mais il n’était pas possible de tout prévoir et de parer d’avance tous les défis » (p. 53-54). Peut-être en effet a-t-il raison, mais il ne faudrait pas tomber dans le travers opposé à celui des traditionalistes excessifs en minimisant ou niant les aspects de cette fameuse crise qui sont internes à l’Église, car c’est finalement sur eux seuls qu’il est possible d’agir ! Ce faisant, Gérard Leclerc évacue d’un seul coup les responsabilités ecclésiales sur lesquels il serait pourtant bon de s’interroger un jour. Pour ne prendre qu’un exemple, autre que celui pourtant significatif de la liturgie, on attend toujours une étude fouillée sur l’abandon du catéchisme qui a caractérisé les années 60 et 70 et qui n’a toujours pas trouvé en France de remède satisfaisant : même si l’air du temps a bien évidemment influencé la dérive, on ne peut imputer aux seuls changements de société ce qui relève avant tout de la responsabilité des évêques. La résistance traditionaliste sur ce point montre qu’il était possible de maintenir contre vents et marées un bon catéchisme qui transmette la foi catholique.
Non-prise en compte de la société moderne ?
Le second aspect souligné par Gérard Leclerc pour expliquer la rupture de 1988 tient au fait que Mgr Lefebvre n’a jamais admis que « Vatican II se trouve tributaire d’une évolution historique dont il s’agit de tirer les conséquences » (p. 69). J’ai moi-même plusieurs fois développé cette analyse ailleurs (9), aussi serai-je bref.
Après l’évolution des esprits qui s’opère par le nominalisme puis la Renaissance et qui culmine avec les Lumières, la Révolution a entraîné partout en Europe un profond changement dans les rapports entre le temporel et le spirituel, entre le politique et la religion : ce mouvement est celui de l’émancipation de l’homme de toute tutelle supérieure, c’est l’affirmation de son autonomie. L’unité qui existait entre les États chrétiens et l’Église – unité toujours instable qui n’a jamais été sans problème –, vole peu à peu en éclats sous la pression d’un long mouvement de sécularisation sans précédent. Après la Première Guerre mondiale, il ne reste quasiment plus rien de l’ancien monde : « l’État chrétien » est en voie de disparition d’autant plus inéluctable que la démocratie, partout, triomphe, et que la société devient pluraliste, les chrétiens étant de moins en moins majoritaires. La « modernité » gagne la partie. Elle s’impose notamment au détriment de l’Église : outre le recul de sa visibilité et de son influence dans la société, elle est également attaquée par un laïcisme anti-chrétien parfois agressif. Mais, cette modernité n’est pas d’un bloc, elle est elle-même issue d’un terreau chrétien et ne manifeste pas qu’un recul par rapport à l’enseignement de l’Église. Elle marque sur certains points un progrès, tout particulièrement dans une plus grande perception de la dignité de la personne humaine qui a permis d’abolir les distinctions aristocratiques fondées sur la naissance ou une conception de la vie politique où plus personne ne risque sa vie ou sa liberté en s’opposant au pouvoir.
Bref, quel que soit le jugement que l’on porte sur cette évolution, il était impensable que l’Église ne la prenne pas en compte un jour ou l’autre ; alors que le dernier grand concile, celui de Trente, remontait au XVIe siècle (Vatican I avait été interrompu par l’invasion des États pontificaux), il était légitime qu’elle cherche à proposer à nouveaux frais les fondamentaux de la foi à ce monde-là. C’est ce qu’a fait Vatican II et cela était nécessaire.
Or, face à la modernité, Mgr Lefebvre en est resté à la position défensive de condamnation des papes du XIXe siècle, condamnation qui demeure certes juste dans ses principes essentiels. Cette position était nécessaire et légitime à l’époque, car l’Église était vivement attaquée et elle avait l’espoir d’influencer l’évolution en cours. Mais au moment du Concile, il était devenu évident qu’on ne pouvait plus revenir à la situation antérieure, le contexte lui-même avait fortement changé et justifiait donc une réflexion nouvelle face au monde actuel, sans brader pour autant les principes jusqu’alors définis, à condition de bien distinguer ce qui relève de la doctrine pérenne ou d’attitudes plus contingentes, la tentation étant forte d’absolutiser ces dernières. On peut penser que la doctrine de l’État chrétien formalisée par Léon XIII – alors que déjà la société ne correspondait plus à ce schéma – est indépassable et demeure un idéal à poursuivre, cela ne dispense pas d’une réflexion sur la place de l’Église dans la société actuelle.
Certes, depuis le Concile – qui s’était déroulé dans un climat d’optimisme qui fait quelque peu sourire aujourd’hui –, la situation s’est dramatiquement dégradée, la loi naturelle ne cesse d’être bafouée et nos sociétés s’enfoncent dans une dérive relativiste mortifère. Mais cela n’invalide nullement les apports du Concile : l’un des enjeux des discussions théologiques entre Rome et Écône ne sera-t-il pas de montrer que l’on peut recevoir ce Concile dans un esprit d’Église, en s’inscrivant dans la grande Tradition vivante, sans adhérer aux principes mauvais de la modernité ?
Il ne faut pas se voiler la face : entre les positions du Magistère et celles de la FSPX, les désaccords doctrinaux sont réels et, sauf miracle, beaucoup de temps sera sans doute nécessaire pour les surmonter complètement. Faut-il attendre cependant que toutes les divergences soient aplanies pour envisager un accord ? L’Église décidera par la voix de ses pasteurs autorisés. Qu’il nous soit permis de penser que moyennant une acceptation minimale par la FSPX d’un certain nombre de points jugés fondamentaux par Rome, et moyennant bien sûr un changement d’attitude à l’égard du Magistère, une solution juridique pourrait être trouvée assez aisément. N’oublions pas les exemples passés comme celui de Campos : la grâce de la pleine communion recouvrée n’a-t-elle pas agi pour transformer les cœurs plus encore que les intelligences ? Il y a eu tant de laxisme en matière doctrinale depuis le Concile qu’il serait absurde d’exiger de la seule FSPX une adhésion inconditionnelle à tous les points controversés sans y mettre les distinctions et nuances nécessaires.
Rome et Ecône : quelles discussions?
Ouverture des débats doctrinaux entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X
Geffroy Christophe
Alors que les discussions se mettent en place entre Rome et Ecône, Gérard Leclerc publie un petit essai qui cherche à baliser le terrain du dialogue.
Depuis la rupture de juin 1988 entre la Fraternité Saint-Pie X (FSPX) et Rome, jamais le climat n’a été aussi propice à un rapprochement. Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la FSPX, a toujours souhaité régler le différend doctrinal avant d’envisager une régularisation canonique au sein de l’Église. Mais avant d’engager un véritable dialogue sur le fond, il avait mis deux conditions : la liberté de célébrer la messe selon l’ancien ordo et la levée des excommunications. Le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, dont l’objet dépasse le seul cadre de la FSPX, a néanmoins permis de remplir la première condition ; la levée des excommunications des quatre évêques de la FSPX, le 21 janvier 2009, répond à la seconde demande. Enfin, le motu proprio Ecclesiam unitatem du 2 juillet dernier, en rattachant la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ouvrait la voie à des échanges théologiques en les plaçant clairement au niveau doctrinal. « Comme je l’ai expliqué dans ma lettre du 10 mars dernier à l’épiscopat catholique, écrit Benoît XVI dans ce document, la levée des excommunications constitue une mesure disciplinaire destinée à libérer les personnes du poids de cette grave sanction. Ceci étant, les questions doctrinales demeurent et, tant qu’elles ne seront pas résolues, la Fraternité Saint-Pie X ne jouira d’aucun statut canonique dans l’Église. Ses ministres exercent illégitimement leurs ministères. […] Par cette mesure, j’entends en particulier montrer ma paternelle sollicitude envers la Fraternité Saint-Pie X, dans la perspective de son retour à la pleine communion avec l’Église. »
Face à l’évidente bonne volonté du pape, soucieux de résorber une fracture de nature schismatique, Mgr Fellay ne pouvait plus faire marche arrière et refuser le débat doctrinal. Au demeurant, force est de constater que depuis la levée des excommunications, les propos de Mgr Fellay à l’égard de Rome sont nettement plus ouverts qu’avant – ce n’est pas encore le cas des interventions d’autres responsables de la Fraternité.
Du côté de Rome, on sait déjà que le groupe d’experts comprendra le P. Charles Morerod, dominicain suisse récemment nommé à la tête de la Commission théologique internationale, Mgr Guido Pozzo, nouveau secrétaire de la Commission Ecclesia Dei désormais rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le P. Karl Josef Becker, jésuite allemand, et Mgr Fernando Ocariz-Brana, vicaire général de l’Opus Dei. Ces théologiens réputés sont tous membres de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et ont des compétences dans les domaines controversés sur lesquels porteront les échanges : liberté religieuse, théologie des religions (dialogues œcuménique et inter-religieux), ecclésiologie (collégialité), liturgie… Du côté de la FSPX, c’est Mgr de Galaretta qui mènera le groupe d’experts. La première réunion devrait avoir lieu dans la deuxième quinzaine d’octobre.
Quels sont les désaccords et les rapprochements possibles ? Gérard Leclerc, éditorialiste de France catholique et bon connaisseur de la vie de l’Église, esprit de plus ouvert et cultivé, essaie de répondre à cette question dans un petit essai paru début septembre (1). Ce petit livre stimulant fourmille de pistes intéressantes.
Gérard Leclerc a construit son livre sur une thématique historique pour mettre en lumière les raisons de la rupture entre Mgr Lefebvre et Rome. Il commence par réfuter un amalgame classique : celui qui consiste à lier l’acte schismatique de 1988 à la condamnation de l’Action française en 1926. Certes, il est évident qu’une partie des fidèles de la FSPX est plus ou moins proche de l’Action française ou, plus largement, de la mouvance nationaliste française. Il est vrai que Mgr Lefebvre a lui-même favorisé la confusion par certains de ses propos politiques déplacés – tout le monde se souvient notamment de son soutien à la junte militaire du général Videla en Argentine, lors de la fameuse messe de Lille d’août 1976. Mais se focaliser sur ce point empêche de comprendre les raisons profondes du drame de 1988, dont les origines sont religieuses, théologiques même plus précisément, que non pas politiques. Pour le démontrer, il faut revenir aux travaux d’Émile Poulat qui a donné la genèse de l’intransigeantisme catholique dont la FSPX est héritière et qui se distingue assez nettement des sources maurrassiennes empreintes de positivisme. « Si la dimension politique est prégnante, écrit Gérard Leclerc, elle est toujours subordonnée à des positions de fond. Ce n’est pas l’idéologie qui commande, c’est une certaine culture, celle de l’intransigeance catholique, appelée aussi intégralisme » (p. 22).
La cause de la rupture tient donc à de graves divergences doctrinales qui surviennent après le Concile Vatican II, c’est au demeurant ce que ne cessent d’affirmer les responsables de la FSPX. Pour ces derniers, il y a divergence car le Concile a entraîné un changement radical dans la doctrine catholique, tout particulièrement sur la liberté religieuse, le rapport avec les autres religions, la collégialité et la liturgie. Gérard Leclerc a là-dessus une position intéressante : « la cause première de la dissidence traditionaliste (tient) en une incompréhension radicale de l’évolution théologique qui a amené à l’élaboration de textes aussi importants que Lumen gentium, Dei Verbum, et même la déclaration sur la liberté religieuse » (p. 22). Et plus loin, il ajoute : « Marcel Lefebvre n’admit jamais qu’on pût distinguer des aspects positifs dans la recherche exégétique et doctrinale contemporaine. Tout ce qui échappe aux catégories de la scolastique telle qu’il l’a apprise, est entaché d’erreur. Il n’y a pas de demi-mesures concevables » (p. 30). Cela expliquerait son hostilité au Concile : « Ce qui apparaît mieux encore avec la distance du temps, c’est l’incompréhension radicale qu’il [Mgr Lefebvre] manifeste à l’égard du travail conciliaire. Toutes les données théologiques, patristiques et même scripturaires semblent lui échapper. Nous l’avons dit : il est d’une autre école, celle de la pure scolastique apprise autrefois à la Grégorienne. Il ne comprend que ce langage-là, il est intimement persuadé que tout ce qui s’en éloigne est suspect, contraire à la foi » (p. 37).
Yves Chiron a vigoureusement contesté cette explication qui reprend, selon lui, « de manière irréfléchie, la vulgate anti-lefebvriste d’un prélat d’Écône intellectuellement obtus. Des dizaines de faits montrent le contraire » (2), affirme-t-il. Il n’en cite toutefois qu’un, assez peu convaincant. Quoi qu’il en soit, Gérard Leclerc, à mon sens, force le trait ; il n’empêche qu’il me semble avoir mis le doigt sur une réalité qui aurait certes mérité davantage de développement et plus de nuance, mais qui vise juste cependant. Résumons sa pensée qui rejoint ce que nous avons nous-même développé ailleurs (3).
Une incompréhension de la « nouvelle théologie » ?
A la suite de l’encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris (1879), qui remettait saint Thomas d’Aquin à l’honneur, notamment dans les séminaires, le thomisme a connu au XXe siècle un réel renouveau, grâce notamment à des personnalités comme Jacques Maritain, Charles Journet ou Étienne Gilson, mais aussi grâce à l’école dominicaine qui a alors produit plusieurs grands théologiens. Après la Seconde Guerre mondiale, dans une Eglise ébranlée aussi bien par le conflit que par une sécularisation grandissante, alors même que de nouvelles pistes s’ouvraient en théologie (école de Fourvière, le Saulchoir…), influencée par les précurseurs que furent Moehler (1796-1838) et Newman (1801-1890) dans les domaines patristique et œcuménique, la réaction de Rome a été à la prudence et donc à une défense sans doute trop exclusive de l’école théologique appuyée sur saint Thomas au détriment de toutes les autres. Dans ce contexte, ce que l’on a appelé la « nouvelle théologie », qui comptait dans ses rangs des esprits brillants comme les cardinaux Daniélou, Lubac, Balthasar, Congar ou le P. Bouyer, n’avait pas bonne presse à Rome et était vigoureusement combattu par ceux qui, au Saint-Office, les estimaient trop novateurs et peu dans la ligne de leur thomisme. Une véritable étude de ces oppositions reste à faire, car certaines réserves romaines étaient certainement justifiées (cf. la querelle sur le surnaturel selon Lubac), il ne faudrait donc pas tomber dans la caricature et faire passer d’éminents théologiens comme le P. Garrigou-Lagrange – gardien de la stricte orthodoxie thomiste au Saint-Office –, pire, le pape Pie XII lui-même, comme des esprits simplets et bornés, ce serait absurde (4). Toujours est-il qu’il est indubitable, ainsi que l’affirme Gérard Leclerc, que Mgr Lefebvre appartenait, de par sa formation, à l’école thomiste du cardinal Billot et qu’il partageait la méfiance d’une grande partie de cette mouvance à l’égard de la « nouvelle théologie ». La critique est au demeurant fort légitime dans la recherche théologique et toute avancée passe toujours par le crible d’un examen qui peut donner lieu à des débats passionnés. Signalons que des esprits aussi brillants que Maritain et Journet sont eux-mêmes restés fort dubitatifs à l’égard de ces théologiens.
Mgr Lefebvre était donc peu préparé pour entrer dans l’esprit de la « nouvelle théologie » et recevoir ce qu’il y avait de positif dans ses travaux (sur les plans scripturaire et patristique notamment). A-t-il lu un théologien comme Lubac qui n’a rien d’un « progressiste » ? À lire son biographe, il ne semble pas (5). Même si la formulation de Gérard Leclerc est un peu raide, il a donc raison d’affirmer que Mgr Lefebvre comme beaucoup de traditionalistes n’ont jamais pénétré dans ce monde de la « nouvelle théologie », ne serait-ce que pour la critiquer en connaissance de cause et en décanter les aspects positifs. Ils en sont restés au jugement d’autorité, comme si le Magistère avait condamné une fois pour toutes à travers Humani generis (1950) tout ce qui s’élaborait alors. La réalité est bien plus complexe et, avec le recul du temps, l’Église a fini par réhabiliter et mettre à l’honneur des théologiens hier quelque peu suspects.
Pour appuyer son propos, Gérard Leclerc cite un extrait du Journal du Concile du cardinal Yves Congar : « Je ne reproche pas à ces hommes [l’aile traditionnelle au Concile] d’avoir leur opinion, mais d’être purement négatifs. […] Ils ne cherchent aucun dialogue, aucune collaboration. Ils sont fixés dans un système étroit, dans des formules toutes faites, et ils refusent ou condamnent, sans s’ouvrir à aucun problème. Ils suscitent une réaction aussi simpliste que la leur » (6). Témoignage intéressant, mais certes lui-même très partial. Pour être juste et mieux comprendre la réaction d’un Mgr Lefebvre à l’époque, il faudrait aussi connaître d’autres points de vue. Parmi beaucoup d’autres, on pourrait citer celui du cardinal Antonelli, membre du Consilium de 1964 à 1970 et qui n’appartenait nullement à l’aile traditionnelle. Pourtant, son témoignage sur l’état d’esprit de nombre de membres de Consilium (organe chargé par Paul VI de mettre en œuvre la réforme liturgique voulue par le Concile) est accablant : « Ce qui est triste […] c’est une donnée de fond, une attitude mentale, une position préétablie, à savoir que beaucoup de ceux qui exercent une influence dans le cadre de la réforme […], et d’autres encore, n’ont aucun amour, aucune vénération pour ce qui nous a été transmis. Ils ne ressentent au préalable que du mépris pour tout ce qui existe actuellement. C’est une mentalité négative, injuste et dommageable » (7).
Cela ne justifie sans doute pas une position rigide de refus de toute nouveauté, mais il est essentiel de prendre en compte aussi cette réalité et ne pas rester à la vision quelque peu idéalisée du cardinal Congar avec les « bons » théologiens ouverts d’un côté et les « méchants » « intégristes » bornés et incultes de l’autre. Car il est un facteur primordial sur lequel Gérard Leclerc ne s’arrête guère : c’est la crise qui a secoué l’Église après le Concile avec le fameux « esprit » évoqué par Benoît XVI lui-même à plusieurs reprises et au nom duquel ont été menés les pires excès. Cet esprit a été dans tous les domaines celui d’une rupture radicale, d’un rejet du passé comme si l’Église venait enfin de découvrir la vérité du message évangélique : cette crise interne à l’Église, Benoît XVI en reconnaît donc l’étendue, c’est elle qu’il évoque en parlant d’« herméneutique de la discontinuité et de la rupture » (8).
Or, là où le pape voit bien une crise interne à l’Église, Gérard Leclerc ne voit qu’un « bouleversement de civilisation » (p. 53). Certes, il a tout à fait raison de souligner l’importance de cette « dépression universelle » et il est bien évident que l’Église ne pouvait pas ne pas être touchée par le changement de société qui se produit dans les années soixante et dont Mai 68 est comme le symbole. Cette dimension de la crise de nos sociétés qui est extérieure à l’Église – et sur laquelle elle n’a donc pas de responsabilité – est en effet trop souvent minimisée dans l’analyse traditionaliste. Gérard Leclerc va jusqu’à écrire que « si le Concile Vatican II n’avait pas eu lieu, il n’est nullement avéré que l’Église catholique se serait mieux sortie de la révolution culturelle des années 60 ; c’est même plutôt le contraire qui est vraisemblable. À mon sens, Vatican II a armé l’Église pour répondre aux défis de société ; peut-être incomplètement, mais il n’était pas possible de tout prévoir et de parer d’avance tous les défis » (p. 53-54). Peut-être en effet a-t-il raison, mais il ne faudrait pas tomber dans le travers opposé à celui des traditionalistes excessifs en minimisant ou niant les aspects de cette fameuse crise qui sont internes à l’Église, car c’est finalement sur eux seuls qu’il est possible d’agir ! Ce faisant, Gérard Leclerc évacue d’un seul coup les responsabilités ecclésiales sur lesquels il serait pourtant bon de s’interroger un jour. Pour ne prendre qu’un exemple, autre que celui pourtant significatif de la liturgie, on attend toujours une étude fouillée sur l’abandon du catéchisme qui a caractérisé les années 60 et 70 et qui n’a toujours pas trouvé en France de remède satisfaisant : même si l’air du temps a bien évidemment influencé la dérive, on ne peut imputer aux seuls changements de société ce qui relève avant tout de la responsabilité des évêques. La résistance traditionaliste sur ce point montre qu’il était possible de maintenir contre vents et marées un bon catéchisme qui transmette la foi catholique.
Non-prise en compte de la société moderne ?
Le second aspect souligné par Gérard Leclerc pour expliquer la rupture de 1988 tient au fait que Mgr Lefebvre n’a jamais admis que « Vatican II se trouve tributaire d’une évolution historique dont il s’agit de tirer les conséquences » (p. 69). J’ai moi-même plusieurs fois développé cette analyse ailleurs (9), aussi serai-je bref.
Après l’évolution des esprits qui s’opère par le nominalisme puis la Renaissance et qui culmine avec les Lumières, la Révolution a entraîné partout en Europe un profond changement dans les rapports entre le temporel et le spirituel, entre le politique et la religion : ce mouvement est celui de l’émancipation de l’homme de toute tutelle supérieure, c’est l’affirmation de son autonomie. L’unité qui existait entre les États chrétiens et l’Église – unité toujours instable qui n’a jamais été sans problème –, vole peu à peu en éclats sous la pression d’un long mouvement de sécularisation sans précédent. Après la Première Guerre mondiale, il ne reste quasiment plus rien de l’ancien monde : « l’État chrétien » est en voie de disparition d’autant plus inéluctable que la démocratie, partout, triomphe, et que la société devient pluraliste, les chrétiens étant de moins en moins majoritaires. La « modernité » gagne la partie. Elle s’impose notamment au détriment de l’Église : outre le recul de sa visibilité et de son influence dans la société, elle est également attaquée par un laïcisme anti-chrétien parfois agressif. Mais, cette modernité n’est pas d’un bloc, elle est elle-même issue d’un terreau chrétien et ne manifeste pas qu’un recul par rapport à l’enseignement de l’Église. Elle marque sur certains points un progrès, tout particulièrement dans une plus grande perception de la dignité de la personne humaine qui a permis d’abolir les distinctions aristocratiques fondées sur la naissance ou une conception de la vie politique où plus personne ne risque sa vie ou sa liberté en s’opposant au pouvoir.
Bref, quel que soit le jugement que l’on porte sur cette évolution, il était impensable que l’Église ne la prenne pas en compte un jour ou l’autre ; alors que le dernier grand concile, celui de Trente, remontait au XVIe siècle (Vatican I avait été interrompu par l’invasion des États pontificaux), il était légitime qu’elle cherche à proposer à nouveaux frais les fondamentaux de la foi à ce monde-là. C’est ce qu’a fait Vatican II et cela était nécessaire.
Or, face à la modernité, Mgr Lefebvre en est resté à la position défensive de condamnation des papes du XIXe siècle, condamnation qui demeure certes juste dans ses principes essentiels. Cette position était nécessaire et légitime à l’époque, car l’Église était vivement attaquée et elle avait l’espoir d’influencer l’évolution en cours. Mais au moment du Concile, il était devenu évident qu’on ne pouvait plus revenir à la situation antérieure, le contexte lui-même avait fortement changé et justifiait donc une réflexion nouvelle face au monde actuel, sans brader pour autant les principes jusqu’alors définis, à condition de bien distinguer ce qui relève de la doctrine pérenne ou d’attitudes plus contingentes, la tentation étant forte d’absolutiser ces dernières. On peut penser que la doctrine de l’État chrétien formalisée par Léon XIII – alors que déjà la société ne correspondait plus à ce schéma – est indépassable et demeure un idéal à poursuivre, cela ne dispense pas d’une réflexion sur la place de l’Église dans la société actuelle.
Certes, depuis le Concile – qui s’était déroulé dans un climat d’optimisme qui fait quelque peu sourire aujourd’hui –, la situation s’est dramatiquement dégradée, la loi naturelle ne cesse d’être bafouée et nos sociétés s’enfoncent dans une dérive relativiste mortifère. Mais cela n’invalide nullement les apports du Concile : l’un des enjeux des discussions théologiques entre Rome et Écône ne sera-t-il pas de montrer que l’on peut recevoir ce Concile dans un esprit d’Église, en s’inscrivant dans la grande Tradition vivante, sans adhérer aux principes mauvais de la modernité ?
Il ne faut pas se voiler la face : entre les positions du Magistère et celles de la FSPX, les désaccords doctrinaux sont réels et, sauf miracle, beaucoup de temps sera sans doute nécessaire pour les surmonter complètement. Faut-il attendre cependant que toutes les divergences soient aplanies pour envisager un accord ? L’Église décidera par la voix de ses pasteurs autorisés. Qu’il nous soit permis de penser que moyennant une acceptation minimale par la FSPX d’un certain nombre de points jugés fondamentaux par Rome, et moyennant bien sûr un changement d’attitude à l’égard du Magistère, une solution juridique pourrait être trouvée assez aisément. N’oublions pas les exemples passés comme celui de Campos : la grâce de la pleine communion recouvrée n’a-t-elle pas agi pour transformer les cœurs plus encore que les intelligences ? Il y a eu tant de laxisme en matière doctrinale depuis le Concile qu’il serait absurde d’exiger de la seule FSPX une adhésion inconditionnelle à tous les points controversés sans y mettre les distinctions et nuances nécessaires.
(1) Gérard Leclerc : Rome et les lefebvristes. Le dossier, Salvator, 2009, 96 pages, 9,90 e.
(2) Aletheia n°146 du 5 septembre 2009 (cf. www.aletheia.free.fr).
(3) Cf. le chap. 5 de Benoît XVI et « la paix liturgique », Cerf, 2008.
(4) Nous renvoyons là-dessus aux dossiers que nous avons consacrés au P. Garrigou-Lagrange dans La Nef n°103 de mars 2000 (notamment l’article de Florent Gaboriau, « Un signe de contradiction ») et au cardinal Henri de Lubac dans La Nef n°172 de juin 2006.
(5) Bernard Tissier de Mallerais : Marcel Lefebvre. Une vie, Clovis, 2002.
(6) Mon journal du Concile, tome II : 1964-1966, Cerf, 2002, cité par Gérard Leclerc, op. cit., p. 38.
(7) Le cardinal Ferdinando Antonelli et les développements de la réforme liturgique de 1948 à 1970, présenté par Nicolas Giampietro, Le Forum, 2004, p. 353.
(8) Discours du 22 décembre 2005 à la Curie romaine.
(9) Cf. le chap. 3 de Benoît XVI et « la paix liturgique », Cerf, 2008 ; ou encore dans « Sécularisation et modernisme », La Nef n°123 de janvier 2002.
(2) Aletheia n°146 du 5 septembre 2009 (cf. www.aletheia.free.fr).
(3) Cf. le chap. 5 de Benoît XVI et « la paix liturgique », Cerf, 2008.
(4) Nous renvoyons là-dessus aux dossiers que nous avons consacrés au P. Garrigou-Lagrange dans La Nef n°103 de mars 2000 (notamment l’article de Florent Gaboriau, « Un signe de contradiction ») et au cardinal Henri de Lubac dans La Nef n°172 de juin 2006.
(5) Bernard Tissier de Mallerais : Marcel Lefebvre. Une vie, Clovis, 2002.
(6) Mon journal du Concile, tome II : 1964-1966, Cerf, 2002, cité par Gérard Leclerc, op. cit., p. 38.
(7) Le cardinal Ferdinando Antonelli et les développements de la réforme liturgique de 1948 à 1970, présenté par Nicolas Giampietro, Le Forum, 2004, p. 353.
(8) Discours du 22 décembre 2005 à la Curie romaine.
(9) Cf. le chap. 3 de Benoît XVI et « la paix liturgique », Cerf, 2008 ; ou encore dans « Sécularisation et modernisme », La Nef n°123 de janvier 2002.