31 mars 2007 - Cardinal Bertone - Figaro Magazine - extrait, sur leforumcatholique.org |
Le Figaro :Le cardinal Ratzinger et maintenant le Pape Benoît XVI, ont-ils si souvent condamné les interprétations jugées abusives de la liturgie. Cardinal Bertone : L’application des grandes orientations du concile a malheureusement pu connaître des traductions plus ou moins erronées conduisant à des appauvrissement notables. Les fruits de la réforme liturgique du concile n’en restent pas moins considérables. Il est vrai que ces abus doivent être combattus, car un partie notable du peuple chrétien a pu s’éloigner de l’Eglise en raison de ces errements. Les erreurs ne sont pas dans les textes du concile, mais dans les comportements de ceux qui ont prétendu interpréter à leur propre guise la réforme liturgique de Vatican II.Le Figaro : Un décret élargissant la possibilité de célébrer la messe en latin selon le rite antérieur à Vatican II (la messe dite de Saint Pie V) est-il toujours prévu ? Cardinal Bertone : La valeur de la réforme liturgique conciliaire est intacte. Mais tant pour ne pas perdre le grand patrimoine liturgique donné par saint Pie V que pour accéder au souhait des fidèles qui veulent assister à des messes selon ce rite, dans le cadre du missel publié en 1962 par le Pape Jean XXIII, avec son calendrier propre, il n’y a pas de raison valable de ne pas donner au prêtre du monde entier le droit de célébrer selon cette forme. L’autorisation souverain pontife laisserait évidemment toute sa validité au rite de Paul VI. La publication du motu proprio précisant cette autorisation aura lieu, mais ce sera le pape lui-même qui expliquera ses motivations et le cadre de sa décision. Le souverain pontife donnera personnellement sa vision de l’utilisation de l’ancien missel au peuple chrétien, et en particulier aux évêques. |
In an interview for the cover story (pages 56-60) of Le Figaro Magazine (weekly magazine of the French national daily Le Figaro), published today (not yet available on the newspaper's website); excerpt: Is a Decree widening the possibility of celebrating the Latin Mass according to the rite from before Vatican II (the so-called Mass of Saint Pius V) still expected? |
31 mars 2007
[Cardinal Bertone - Le Figaro] La publication du Motu proprio aura lieu
28 mars 2007
[Aletheia n°107] Lettre ouverte aux candidats - par Mgr Jean-Pierre Cattenoz, Archevêque d’Avignon
Aletheia n° 107 - 28 mars 2007
Lettre ouverte aux candidats - par Mgr Jean-Pierre Cattenoz, Archevêque d’Avignon
MESDAMES ET MESSIEURS LES CANDIDATS, quand je vous écoute, j’ai mal pour mon pays. Bien sûr, je me réjouis devant les germes d’espérance contenus dans les nombreuses propositions énoncées dans vos programmes.
Il y a quelques semaines, je me suis réjoui de vous voir tous unanimes pour inscrire l’abolition de la peine de mort dans notre Constitution. Aujourd’hui, je suis consterné par vos programmes qui portent en eux les germes d’une culture de mort pour notre société.
Certes, comme archevêque d’Avignon, il ne m’appartient pas de prendre position publiquement pour l’un ou l’une d’entre vous. De même, en intervenant, je n’entends nullement porter atteinte à la liberté politique des catholiques de mon diocèse. Je voudrais seulement vous alerter et alerter tous les hommes de bonne volonté sur plusieurs points de la campagne électorale dont les enjeux me semblent majeurs pour l’avenir de notre pays.
DEFENDRE LE PATRIMOINE DE L’HUMANITE
Au nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie. Or je constate combien en laissant fragiliser la famille vous portez atteinte au patrimoine de l’humanité.
La famille est le sanctuaire de la vie, une réalité décisive et irremplaçable pour le bien commun des peuples. Elle est la cellule vitale et le pilier de toute vie en société. L’avenir de l’humanité passe par la famille. Elle est le centre névralgique de toute société, une école d’humanisation de l’homme où il peut grandir et devenir pleinement homme. La famille est le lieu privilégié et irremplaçable où l’homme apprend à recevoir et à donner l’amour qui seul donne sens à la vie. Elle est le lieu naturel de la conception, de la naissance, de la croissance et de l’éducation des enfants. Elle est le milieu naturel où l’homme peut naître dans la dignité, grandir et se développer de manière intégrale.
L’institution du mariage, fondement de la famille échappe à la fantaisie de l’homme ; le mariage plonge ses racines dans la réalité la plus profonde de l’homme et de la femme, il est l’union de l’homme et de la femme. « Impossible de contester cette norme sans que la société ne soit dramatiquement blessée dans ce qui constitue son fondement. L’oublier signifierait fragiliser la famille, pénaliser les enfants et précariser l’avenir de la société » (Benoît XVI, 20 février 2007).
Or la plupart de vos programmes électoraux, loin de protéger et de promouvoir la famille fondée sur le mariage monogame entre l’homme et la femme, ouvrent la porte au mariage entre personnes du même sexe et à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. Aucune autre forme de vie commune que l’union d’un homme et d’une femme ne peut être juridiquement assimilable au mariage ni ne peut recevoir, en tant que telle, une reconnaissance légale. Toute tentative de relativiser le mariage en lui donnant le même statut que d’autres formes d’unions radicalement différentes sont dangereuse pour notre société. Tout cela offense la famille et contribue à la déstabiliser en voilant sa spécificité et son rôle social unique.
Concernant le “mariage homosexuel”, il faut distinguer l’homosexualité comme fait privé et l’homosexualité comme relation sociale prévue et approuvée par la loi. La légalisation d’une telle union finirait par entraîner un changement de l’organisation sociale tout entière qui deviendrait contraire au bien commun. Les lois civiles qui devraient être des principes structurants de l’homme au sein de la société, jouent un grand rôle dans la formation des mentalités et des habitudes. Le respect envers les personnes homosexuelles ne saurait en aucune manière conduire à l’approbation du comportement homosexuel ou à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles (cf. Cardinal Ratzinger, Considération à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, Congrégation pour la Doctrine de la Foin juin 2003).
Le nombre de séparations et de divorces s’accroît, rompant l’unité familiale et créant de nombreux problèmes aux enfants, victimes innocentes de ces situations. La fragilité et le nombre de foyers monoparentaux ne sont pas sans poser question. La stabilité de la famille est aujourd’hui menacée ; pour la sauvegarder, il ne faut pas avoir peur d’aller à contre-courant de la culture ambiante. Les diverses formes de dissolution du mariage sont l’expression d’une liberté anarchique qui se fait passer à tort pour une libéralisation de l’homme. Au contraire, reconnaître et soutenir l’institution du mariage est un des services les plus importants à apporter aujourd’hui au bien commun et au véritable développement des hommes et des sociétés, de même que la plus grande garantie pour assurer la dignité, l’égalité et la véritable liberté de la personne humaine.
Malheureusement bien des projets sur le mariage, le divorce, l’adoption tiennent, certes, compte des désirs des adultes, mais oublient complètement l’intérêt des enfants. Le droit à l’enfant semble prendre le pas sur le droit de l’enfant.
Comme le montre unanimement l’expérience, l’absence d’une maman ou d’un papa au sein d’une famille entraîne bien des obstacles dans la croissance des enfants. Comment des enfants insérés dans des unions homosexuelles où manquent la bipolarité sexuelle et l’expérience conjointe de la paternité et de la maternité pourront-ils grandir et mûrir humainement sans porter les séquelles de cette absence ? Comment assurer l’équilibre de la structure psychologique et sexuelle de l’enfant dans un couple où il n’y a qu’un sexe ?
L’affaiblissement de la cellule familiale est une des causes majeures des difficultés des jeunes. La crise de la famille est une cause directe du mal être des jeunes. La majorité des jeunes en difficultés sont issus de familles humainement et socialement fragilisées
Au nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie, de cette vie qui fait de nous des hommes de l’utérus au sépulcre.
La banalisation de l’avortement et le silence sur les conséquences psychologiques, les blessures et les souffrances cachées qui marquent à jamais les femmes sont intolérables. L’information tronquée sur les séquelles provoquées par l’avortement chez les femmes qui y ont eu recours est insupportable.
La liberté de tuer n’est pas une vraie liberté, mais une tyrannie. Jean-Paul II dans sa lettre encyclique L’Évangile de la vie a eu des mots très vrais et très durs sur la réalité de l’avortement :
« Parmi tous les crimes que l’homme peut accomplir contre la vie, l’avortement provoqué présente des caractéristiques qui le rendent particulièrement grave et condamnable […].
L’avortement provoqué est le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence, située entre la conception et la naissance. La gravité morale de l’avortement provoqué apparaît dans toute sa vérité si l’on reconnaît qu’il s’agit d’un homicide et, en particulier, si l’on considère les circonstances particulières qui le qualifient. Celui qui est supprimé est un être humain qui commence à vivre, c’est-à-dire l’être qui est, dans l’absolu, le plus innocent qu’on puisse imaginer : jamais il ne pourrait être considéré comme un agresseur, encore moins comme un agresseur injuste ! Il est faible, sans défense, au point d’être privé même du plus infime moyen de défense, celui de la force implorante des gémissements et des pleurs du nouveau-né. »
Alors que la peine de mort a été abolie pour une question de principe, l’avortement devrait être considéré comme atteignant la dignité de la personne à naître.
Certes, l’avortement est désormais inscrit dans les lois, mais il n’en demeure pas moins immoral au regard de l’Évangile et de l’Évangile de la vie.
L’acceptation de l’euthanasie fait peser des menaces graves sur les malades incurables et sur les mourants. Certes, le contexte social et culturel actuel augmente la difficulté d’affronter la souffrance à l’approche de la mort. Il rend plus forte la tentation de résoudre ce problème en l’éliminant à la racine par l’anticipation de la mort au moment considéré comme le plus opportun. Pourtant, les médecins affirment aujourd’hui savoir soulager la quasi-totalité des douleurs. La vraie question est donc celle des soins palliatifs.
La vie humaine est sacrée, de son commencement naturel jusqu’à son terme. Tout être humain a le droit au respect intégral de ce bien qui est pour lui primordial. Nous ne pouvons accepter la promotion de lois visant à légaliser l’euthanasie.
La manipulation des embryons fait peser une lourde menace sur notre société. L’embryon est un être vivant qui possède un patrimoine génétique humain. Il est une personne humaine, il faut la protéger parce qu’elle est membre à part entière de l’espèce humaine et mérite notre respect.
Les progrès de la science et de la technique peuvent se transformer en menace si l’homme perd le sens de ses limites. Il faut prendre conscience que la chosification de l’embryon nous conduira tôt ou tard à l’eugénisme.
Effectivement, cette manipulation débouche sur un eugénisme subtil. En effet, le dépistage prénatal a changé de nature, il n’est plus destiné à traiter mais bien à supprimer. Un tel dépistage renvoie à une perspective terrifiante, celle de l’éradication.
Aujourd’hui, la venue au monde de certains enfants est devenue non souhaitable. La science propose même des outils pour réaliser le rêve de l’enfant sans défaut. Plusieurs de vos programmes construisent pas à pas une politique de santé qui flirte avec l’eugénisme.
Les recherches biotechnologiques toujours plus pointues visent à instaurer des méthodes d’eugénisme toujours plus subtiles et qui visent à la recherche de l’enfant parfait, fruit d’une sélection totalement contrôlée. Par leur maladie, par leur handicap, ou plus simplement par leur présence même, ceux qui auraient le plus besoin d’amour, d’accueil, de soin, sont jugés inutiles et considérés comme un poids insupportable dont il faut se débarrasser, qu’il faut éliminer.
Nous voyons se déchaîner comme une sorte de conspiration contre la vie.
Au nom de l’Évangile, je veux défendre la vie, l’Évangile de la vie. Je ne peux fermer les yeux devant tant d’hommes et de femmes aujourd’hui en France qui se sentent blessés, exclus, mis sur le bord de la route pour de multiples raisons personnelles, économiques, sociales, politiques ou même religieuses.
Certes, il appartient aux politiques de gouverner, mais je ne peux m’empêcher de vous rappeler que l’économie se doit d’être au service de l’homme et du bien commun dans le respect de la justice sociale et de la solidarité humaine. La mondialisation des échanges commerciaux et la globalisation de l’économie semblent se fonder sur une conception intégralement libérale de l’économie, de ses mécanismes. L’économie prime sur tout et là encore des conceptions individualistes et libérales dominent au détriment du respect de l’homme et de la solidarité entre les hommes.
OÙ SONT VOS PRIORITES ?
Comment vivre une authentique fraternité humaine dans notre pays ? Comment respecter les plus pauvres ? Comment répondre au droit au logement et à des logements qui n’accentuent pas la déstructuration de la cellule familiale ? Comment prendre en compte l’émigration comme un fait désormais structurel de notre société ? Comment accueillir de manière juste tout en étant généreuse ? Comment lutter contre tous ceux qui exploitent les immigrés clandestins, les marchands de sommeil, les employeurs véreux ? Comment réfléchir à la question de l’emploi, du travail et de sa juste rémunération ? Comment prendre en compte les menaces écologiques ?
Autant de questions pour lesquelles nous attendons des réponses qui ne soient pas des promesses électorales trop souvent sans lendemain, mais des engagements clairement exprimés.
Où sont vos priorités ? Sont-elles du côté de groupes de pression susceptibles de vous apporter des voix le temps d’une élection ou sont-elles vraiment au service de notre pays ?
Au nom de l’Évangile, je ne peux que dénoncer avec les Associations familiales catholiques la racine de tout cela : un individualisme à tout crin qui gangrène notre société.
Nous constatons l’évolution du droit civil qui consacre depuis trente ans l’individualisme des droits. Le droit qui dicte et façonne les normes sociales, privilégie l’individu, la vie privée, considère que les choix affectifs ne peuvent et ne doivent avoir aucune conséquence ni sur les enfants ni sur la vie civique, économique et sociale.
Dans notre culture, on exacerbe souvent la liberté de l’individu conçu comme sujet autonome, comme s’il se suffisait à lui-même, en marge de ses relations avec les autres, étranger à ses relations avec autrui. Beaucoup voudraient organiser la vie sociale seulement à partir des désirs subjectifs et changeants, sans aucune référence à une vérité objective comme la dignité de tout être humain, ses droits et ses devoirs au service desquels doivent se mettre les responsables de notre société.
Ainsi toutes les formes d’union conjugale sont mises sur un pied d’égalité, le droit à l’enfant se substitue au droit de l’enfant. On laisse se propager et se développer des pratiques de contraception abortives, l’avortement et les dérives eugénistes. La famille et les familles ne sont plus considérées comme les corps fondateurs de la société, mais comme une juxtaposition d’individus. Ainsi naissent et prospèrent au gré des gouvernements, des politiques à caractère social, destinées à pallier les effets de cet individualisme qui gangrène la société. Cette conception individualiste de la société soumet notre pays aux dérives d’une opinion aux repères brouillés et aux groupes de pression qui pèsent de tout leur poids en cette période électorale (cf. Déclaration des AFC, « Débats préélectoraux 2007-2008 »).
Au nom de l’Évangile et à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives, je ne peux qu’inviter les hommes politiques, les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté à passer au crible de l’Évangile et de l’enseignement de l’Église vos propositions avant de se déterminer dans leur choix.
Avignon, le 22 mars 2007
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Texte reproduit d’après le site Liberté Politique
24 mars 2007
Motu proprio à l'horizon |
24 mars 2007 - Pro Liturgia |
Selon certaines informations - ou rumeurs - le pape Benoît XVI s'apprêterait à publier le Motu proprio facilitant la célébration du rite romain selon les livres liturgiques en usage avant Vatican II. Mgr Malcolm Ranjith, Secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin avait déjà précisé, il y a quelques temps, que le document se trouvait entre les mains de Benoît XVI, entièrement libre de choisir les modalités de sa publication. Le Motu proprio ne pouvant pas contredire les termes de la récente Exhortation Sacramentum Caritatis, il est évident qu'il ne sera pas en une remise en cause du Concile ou de la liturgie romaine actuelle dite "de Paul VI". Le texte donnera simplement, à des groupes de fidèles, le droit de participer librement à la messe célébrée selon une forme "extraordinaire" du rite romain. Mais cette autorisation apparaît aussi comme une façon habile de taper sur les doigts de l'épiscopat français qui a toujours eu l'aplomb de se dire attaché aux enseignements de Vatican II alors qu'il n'a cessé de refuser aux fidèles la liturgie restaurée à la suite de ce même Concile. Que risque-t-il de se passer après la publication du Motu proprio? Hors de France, pas grand-chose: au-delà de l' "Hexagone", on se sent généralement bien peu concerné par les questions de dentelles et de génuflexions qui secouent une partie du microcosme franco-catholique. En France cependant, cela risque d'être un peu plus agité: on entendra à nouveau nos évêques nous jurer, la main sur le coeur, qu'ils ont tout fait pour que la liturgie conciliaire soit une réalité dans les paroisses... Mais qui va les croire? Sûrement pas les fidèles qui ont lu Sacrosanctum Concilium... il en existe! Il est donc assez probable que, dans le climat de confusion liturgique actuel, le Motu proprio favorisera le transfert de certains fidèles d'un lieu de culte à un autre: délaissant leurs paroisses où la liturgie désacralisée est généralement célébrée de façon aléatoire sur des autels à peine différents d'une table de salon, ils viendront occasionnellement grossir les effectifs des communautés attachées à l'ancienne liturgie romaine. En fait, le Motu proprio va de plus en plus apparaître comme un moyen de piéger les évêques français qui, depuis des années ont exercé, dans les séminaires et les paroisses, un abus de pouvoir évident, visant à refuser aux fidèles la liturgie romaine "réellement" voulue par le Concile. Le 19 avril 1999, notre Association Pro Liturgia adressait à Mgr Billé, alors Archevêque de Lyon et Président de la Conférence des Evêques de France, la demande suivante: "(...) le moment n'est-il pas venu de proposer "aussi", à côté des célébrations en langues courantes, des liturgies en latin selon l'Ordo Missae actuel (...)?" Cette demande, nul le peut le nier, était totalement conforme à la lettre et à l'esprit de Vatican II. Or, le 12 mai 2000 - mieux vaut tard que jamais! - Mgr Bernard Lagoutte, Secrétaire général de la Conférence des Evêques de France, répondait: "(...) je ne suis pas sûr qu'il soit possible et nécessaire de restaurer, au moins de façon habituelle, des liturgies en latin." Avec le Motu proprio, la dignité, le sacré, le latin et le chant grégorien vont réinvestir les célébrations liturgiques d'une façon que les évêques de France n'avaient sûrement jamais prévue. N'est-ce pas une façon polie de leur faire comprendre que, désormais, dans le domaine liturgique, les fidèles se passeront de leurs autorisations pour obtenir ce à quoi ils ont droit: des célébrations dignes par lesquelles le sens du sacré est mis en valeur? Car en fin de compte, qui peut dire que la "désinfection" des liturgies paroissiales actuelles ne se fera pas par le biais de l'exemplarité des célébrations autorisées ponctuellement par le Motu proprio? Le Motu proprio n'est donc pas souhaité uniquement par des fidèles "traditionalistes" attachés à l'ancienne forme de la liturgie romaine: il est aussi souhaité par des fidèles qui en ont par-dessus la tête de ne plus savoir où aller, le dimanche, pour trouver une messe non bricolée par une "équipes d'animation pastorale"ou par un célébrant... ayant mandat de son évêque pour désacraliser et trahir la liturgie. |
23 mars 2007
Le Motu proprio sur la messe en latin bientôt disponible |
23 mars 2007 - Christian Terras, Romano Libero - Golias - golias.ouvaton.org |
Le Motu proprio sur la messe en latin bientôt disponible A vos missels St Pie V ! Nos informations concernant la publication imminente du motu proprio qui permettrait un usage beaucoup plus large du rite pré-conciliaire nous donnent à penser qu’elle pourrait avoir lieu avant Pâques. Le document sera en effet publié avant la fin du carême : en tout cas, le Pape Benoît y serait résolu. Mgr Malcolm Ranjith, le secrétaire de la Congrégation pour le culte divin a toujours bien spécifié que le document se trouvait à présent entre les mains du Pape lui-même qui choisira le moment le plus opportun. Rome redoute certainement une levée de boucliers, se faisant d’ailleurs peut-être des illusions sur la détermination réelle de ceux qui y sont opposés. Le « motu proprio » ne consisterait pas en une remise en cause de la réforme de Paul VI mais en une reconnaissance du droit pour tout prêtre de célébrer en privé la messe tridentine. En outre, le texte octroierait à des groupes de fidèles le véritable droit de voir célébrer une messe selon son rite : ce qui contraindrait en quelque sorte les évêques rétifs. On sait qu’il y eut longtemps un bras de fer à Nanterre entre Mgr François Favreau puis Mgr Gérard Daucourt et un groupuscule de traditionalistes peu nombreux mais déterminés qui obtinrent finalement gain de cause. Un vicaire épiscopal spécial leur a même été donné, le Père Yvon Aybram. Actuellement, un tel bras-de-fer se poursuit entre le groupe traditionaliste rémois et Mgr Thierry Jordan, archevêque. Ce dernier a été un temps secrétaire du cardinal Villot à Rome et partage avec son ancien maître spirituel à Rome une aversion viscérale pour le lefebvrisme. Il était en outre chargé par l’épiscopat français de « recycler » sans trop de bienveillance les jeunes ecclésiastiques sortis d’Ecône. Ce « motu proprio » changerait complètement la donne : il transformerait une concession (ce que l’évêque de Metz, Mgr Pierre Raffin, appelait une « parenthèse miséricordieuse » en un véritable droit). Au plan ecclésiologique, ce « motu proprio » devrait susciter de très vives critiques. En effet, il réduit la responsabilité de l’évêque, garant de la communion authentique pour une Eglise particulière. Il est assez probable que ce « motu proprio « favorise ainsi le développement des communautés ayant recours désormais à l’indult. En outre, la commission « Ecclesia Dei » verrait ses pouvoirs grandir. Dès lors que dans un diocèse un groupe ne trouve pas de prêtre disposé à célébrer la messe à sa demande, elle pourrait imposer une solution et sans doute envoyer un prêtre de son choix. A terme, l’idée caressée par Mgr Perl serait celle de la création d’ un ordinariat pouvant incardiner des prêtres ce qui permettrait aussi d’accueillir des ecclésiastiques gyrovagues. Pour l’anecdote, Mgr Perl pourrait ainsi coiffer la mitre et devenir une sorte d’évêque universel des traditionalistes. Un autre « monsignore » dont le nom revient également pour ce ministère épiscopal éventuel auprès des traditionalistes, Rudolf Michael Schmitz, du diocèse de Cologne et de l’Institut du Christ Roi Souverain (créé par Mgr Gilles Wach) a laissé également entendre qu’une solution très avantageuse pour les traditionalistes serait bientôt trouvée. Dans un entretien accordé à la revue « Enjoy », Schmitz affirme que ce document devrait permettre à tout prêtre de célébrer en public selon le rite tridentin (et donc non seulement en privé). Ce « motu proprio » aurait dû paraître dès la fin janvier. Ce sont les oppositions d’un certain nombres de prélats qui ont incité Benoît XVI à prendre patience. Parmi les opposants à ce « motu proprio » on cite en particulier les cardinaux Karl Lehmann, Jean-Pierre-Ricard (car pressés par ses confrères de l’épiscopat français, lui-même y étant plutôt favorable), Jean-Marie Lustiger, Godfreed Danneels, Giovanni Battista Re pour ne citer que les principaux. L’opposition ou non à ce projet ne recoupe pas toujours les critères habituels de conservatisme. Ainsi, Mgr André Vingt-Trois, l’archevêque de Paris serait-il très hostile au projet même s’il se classe plutôt parmi les conservateurs. D’autres prélats, comme Mgr Angelo Bagnasco, archevêque de Gênes et président de la conférence épiscopale italienne, y sont au contraire acquis. Réimpression de l’ancien missel en cours… Un autre indice de la publication très proche désormais de ce texte serait donné par la décision de maisons éditrices italiennes de … réimprimer l’ancien missel selon le rite de Saint Pie V. De manière implicite, lors d’un entretien accordé au mensuel « Inside the Vatican » (de tendance conservatrice et très romaine), l’archevêque Ranjith a reconnu que ce sont les réticences de beaucoup d’évêques qui ont retardé le projet, même si à l’origine ce sont également elles qui à l’avis du Pape rendaient nécessaires un prise de position d’autorité de la part de Rome. Pour Joseph Ratzinger, comme pour le cardinal Alfons Maria Stickler, la messe de Saint Pie V n’ayant jamais été interdite, il n’y a pas besoin de l’autoriser : il s’agit simplement de reconnaître un droit qui existe déjà. En fait, ce « motu proprio » entend d’abord remédier au problème posé par des évêques qui selon Mgr Ranjith exerceraient un abus de pouvoir. La coexistence de deux étapes du même et unique rite Romain constituerait sans doute une exception. ¿De fait, s’il y a de nombreux rites dans l’Eglise catholique, et s’ils peuvent coexister, il n’existe en général qu’une « étape » de chacun d’eux (même s’il y a des variantes). Ne peuvent ainsi coexister des strates diverses, par exemple un livre liturgique du XVIIIe siècle et un autre du XXe pour le même rite. D’où, l’opposition du courant dit de Solesmes à la coexistence de deux missels qui représentent deux versions du même rite romain, la dernière ayant remplacé celle de Saint Pie V. Cette position est défendue par l’archevêque bénédictin de Toulouse, Mgr Robert LeGall et par Mgr Raffin, déjà cités. A Rome par le cérémoniaire du Pape, Mgr Piero Marini, et par les anciens secrétaires « évincés » de la Congrégation pour la liturgie, Mgr Francesco Pio Tamburrino et Mgr Domenico Sorrentino. La riposte des défenseurs des deux rites, Mgr Ranjith et même….Joseph Ratzinger s’inspire en particulier d’une thèse du liturgiste Klaus Gamber. Pour ce dernier, en raison de l’importance des changements introduits, il ne s’agit pas d’une nouvelle version du même unique rite romain mais d’un nouveau rire, le « rite moderne » différent du rite traditionnel. Par conséquent, leur cohabitation est tout-à-fait possible, légitime et même souhaitable. Dans l’optique pourtant de Joseph Ratzinger, qui demeure celle d’une « réforme de la réforme », à long terme, il serait de parvenir à un unique rite romain, sans doute plus proche de l’ancien rite que du nouveau. Plus réservé et pessimiste que les traditionalistes dits ralliés à Rome, Mgr Bernard Fellay, le Supérieur de la Fraternité Saint Pie X exprime la crainte que le laps de temps ne devienne interminable. Christian Terras, Romano Libero - Golias - L’édito du 23 mars |
22 mars 2007
Benoît XVI joue la montre |
22 mars 2007 - Philippe Clanché - temoignagechretien.fr |
Avec son dernier texte, le pape calme le jeu. Pour mieux poursuivre la restauration traditionaliste ? Benoît XVI joue la montre - par Philippe Clanché Presque deux ans après le changement de pontife, la logique des catholiques progressistes sur les messages romains a changé. Sous Jean Paul II, on espérait des avancées. Sous Benoît XVI, on redoute des régressions. À force de craindre la libéralisation complète de l’usage de la messe « à l’ancienne » (selon le rite de saint Pie V), certains tressautent à chaque publication vaticane. C’est à travers ce prisme qu’il faut considérer la réception, parfois alarmiste, de l’Exhortation apostolique Sacramentum caritatis, publiée le 13 mars. Le document reprend les travaux du Synode des évêques sur l’eucharistie, tenu en octobre 2005. Signé de la main du pape, il est d’abord un document collégial et international. On ne peut donc y voir simplement un diktat romain décalé des réalités du terrain. Dans plusieurs conflits avec le pouvoir central, les Églises locales semblent avoir obtenu gain de cause. Dès le début du texte, Benoît XVI veut rassurer les fidèles attachés à la liturgie de Paul VI : « Les pères synodaux ont rappelé l’influence bénéfique que la réforme liturgique réalisée à partir du Concile œcuménique Vatican II a eue pour la vie de l’Église. Les difficultés et aussi certains abus relevés ne peuvent pas masquer que le renouveau litur- gique, qui contient encore des richesses pas pleinement explorées, est bon et valable. » Plus loin, le pape en remet une couche, en demandant de « demeurer fidèles à l’intention profonde du renouveau liturgique voulu par le concile Vatican II, en continuité avec toute la grande tradition ecclésiale ». Enfin, il recommande la poursuite du processus d’inculturation de la messe, cette indispensable adaptation, formelle, aux traditions locales. Nous voici soulagés. Blocages et crispations Gardant certains bons côtés de son prédécesseur, Benoît XVI consacre deux articles aux liens entre eucharistie et implication sociale des fidèles, ainsi qu’un joli couplet écolo : « La terre n’est pas une réalité neutre, une simple matière à utiliser indifféremment selon l’instinct humain. » Pour le reste, le document réaffirme bien des blocages que l’on désespère voir levés un jour. Les catholiques qui suivent la messe à la télé « ne satisfont pas au précepte dominical ». Les divorcés-remariés, qui constituent « un problème pastoral épineux et complexe, une vraie plaie du contexte social actuel, qui touche de manière croissante les milieux catholiques » demeurent interdits de communion. Les hommes et femmes que leur conjoint a quittés apprécieront d’être autorisés à tout vivre dans leur Église, sauf le plus important. Rien de neuf non plus concernant le célibat des prêtres. On peut simplement s’étonner de l’argument : « Le Christ a vécu sa mission jusqu’au Sacrifice de la croix dans l’état de virginité. » Tous les historiens sérieux disent ne rien savoir de la vie d’adulte du Nazaréen avant sa vie publique… On connaît le faible de Benoît XVI pour les liturgies d’hier. Pour autant, il ne ferme aucune porte. Les assemblées dominicales en absence de prêtre (Adap) sont tolérées, à défaut d’être encouragées. Le pape préconise le latin pour les célébrations internationales principalement, et demande que les séminaristes « soient préparés à comprendre et à célébrer la messe en latin » et à utiliser le chant grégorien. Les communautés catholiques de France continueront de célébrer comme aujourd’hui. Pour fêter leur triomphe, hélas prévisible, les fidèles de l’abbé Laguérie doivent encore patienter. Et le pape demeure tiraillé entre l’envie de voir revenir au bercail de nouvelles troupes prêtes au service et l’angoisse face aux conséquences d’une fronde dévastatrice, notamment en France. |
18 mars 2007
[Aletheia n°106] L’Eucharistie, « principe causal de l’Eglise » par Yves Chiron
Aletheia n°106 - 18 mars 2007
L’Eucharistie, « principe causal de l’Eglise » par Yves Chiron
Les radios, les télévisions et certains journaux n’ont retenu de l’exhortation apostolique Sacramentum Caritatis qu’un liste d’interdictions et de rappels disciplinaires : par exemple, « caractère obligatoire » du célibat des prêtres dans la tradition latine (§ 24) ; refus de la communion aux polygames, aux divorcés remariés et aussi, sauf « situations déterminées et exceptionnelles » (§ 56), aux non-catholiques ; recommandation aux fidèles de « s’agenouiller pendant les moments centraux de la prière eucharistique » (§ 65).
Tout cela se trouve certes dans l’exhortation apostolique publiée par Benoît XVI, mais c’est réduire l’enseignement, dense, du document à quelques normes, qui ne sont que des rappels. Sacramentum Caritatis est, avant tout, un enseignement doctrinal sur l’Eucharistie « principe causal de l’Eglise ».
Je ne prétendrai pas le résumer ici. Je relèverai simplement quelques points qui en font un acte magistériel de continuité, caractéristique de l’esprit et du dessein pastoral de Benoît XVI :
• Le titre même de l’exhortation apostolique, Sacramentum Caritatis, renvoie au titre du premier acte magistériel d’envergure de Benoît XVI : l’encyclique Deus caritas est. La Sainte eucharistie, écrit le Pape, est le « Sacrement de l’amour » où le Christ se donne pour le salut des hommes. La « nouvelle et éternelle alliance » est passée par la Croix. « En instituant le sacrement de l’Eucharistie, Jésus anticipe et intègre le Sacrifice de la croix et la victoire de la résurrection. Dans le même temps, Il se révèle comme le véritable agneau immolé, prévu dans le dessein du Père dès avant la création du monde. » Benoît XVI écrit aussi que « l’institution de l’Eucharistie est devenue en Jésus un acte suprême d’amour et pour l’humanité une libération définitive du mal. »
En lisant Benoît XVI, on est loin de la conception de la messe que diffusent encore certains écrits cléricaux, en France du moins. L’Eucharistie n’est pas une « rencontre d’hommes et de femmes de tous âges » pour former « un seul Corps avec le Christ » et « rompre le pain et boire à la coupe »[1] , elle doit être vécue et célébrée à la lumière de l’histoire du salut.
• Le « banquet eucharistique » n’est certes pas un simple repas commémoratif, il est la « réelle anticipation du banquet final », le banquet eschatologique, « les noces de l’Agneau » (§ 31).
Ce banquet eucharistique prend la forme de la célébration d’un « sacrifice » par le prêtre, au cours duquel l’Esprit-Saint joue un rôle décisif au moment de la « transsubstantiation » (§ 13).
Le caractère sacrificiel de l’Eucharistie, affirmé à plusieurs reprises dans l’exhortation apostolique, imprime au ministère sacerdotal un caractère unique : « Il est nécessaire que les prêtres aient conscience que, dans tout leur ministère, ils ne doivent jamais se mettre au premier plan, eux-mêmes ou leurs opinions, mais Jésus Christ » (§ 23). Cela renvoie à une position philosophique centrale dans la pensée de celui qui était encore le cardinal Ratzinger : « le dépassement de la simple subjectivité [se fait] par le contact entre l’intériorité de l’homme et de la vérité qui vient de Dieu.[2] »
Le dépassement de la subjectivité se traduira, dans le domaine liturgique, par le refus de toute tentation créativiste ou constructiviste. L’exhortation apostolique le dit très clairement : « Toute tentative de se poser soi-même comme protagoniste de l’action liturgique contredit l’identité sacerdotale. Le prêtre est plus que jamais serviteur et il doit s’engager continuellement à être le signe qui, en tant qu’instrument docile entre les mains du Christ, renvoie à Lui. Cela se traduit particulièrement dans l’humilité avec laquelle le prêtre guide l’action liturgique, dans l’obéissance au rite, en y adhérant de cœur et d’esprit, en évitant tout ce qui pourrait donner l’impression d’une initiative propre inopportune. » (§ 23).
• Certains ont regretté que Benoît XVI n’ait rien dit, dans cette exhortation apostolique, de la messe traditionnelle et de sa libération attendue. C’est, sans doute, parce qu’un motu proprio consacré à ce sujet paraîtra dans un délai qu’il serait aventuré de fixer.
Mais, en fait, déjà dans cette exhortation, la messe dite de saint Pie V n’est pas passée sous silence. Il ne pouvait en être autrement puisque, on le sait, le sujet a été abordé lors du synode d’octobre 2005 dont cette exhortation est le prolongement et l’aboutissement.
Ici Benoît XVI insiste sur l’unité du rite romain : « depuis les indications claires du Concile de Trente et du Missel de saint Pie V jusqu’au renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican I : à chaque étape de l’histoire de l’Eglise, la célébration eucharistique, en tant que source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise, resplendit de toute sa richesse multiforme dans le rite liturgique » (§ 3).
Benoît XVI, il l’écrit, n’ignore pas les « difficultés » et les « abus » qui ont surgi dans l’application de la réforme liturgique post-conciliaire. Mais le pape pense aussi que cette réforme « contient encore des richesses qui n’ont pas été pleinement explorées. »
Le propos surprendra, et décevra même sûrement, ceux des traditionalistes qui ont vécu la réforme liturgique comme une rupture. On sera attentif que, pour la réforme liturgique, comme pour le concile Vatican II, Benoît XVI demande de ne pas introduire « de ruptures artificielles ». C’est-à-dire qu’il demande de lire et de vivre la réforme liturgique post-conciliaire dans « une herméneutique de la continuité », comme il l’a demandé déjà pour le concile Vatican II dans son désormais célèbre discours à la Curie romaine du 22 décembre 2005.
Cette exhortation apostolique, dont l’élaboration a été longue – plus d’un an après la fin du Synode des évêques –, confirme l’intuition fondamentale de Benoît XVI, qui n’a rien d’une stratégie : l’Eglise n’est pas « purement humaine », les critiques incessantes proviennent souvent du désir obscur d’une « Eglise faite par nous ». La « vraie réforme » consiste à « laisser place à la lumière très pure qui vient d’en haut »[3]. Cette attention n’est pourtant point passive : elle doit être la rencontre entre l’intériorité et « la vérité qui vient de Dieu ».
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L’ Institutio generalis Missalis romani
Vient de paraître, à la Libreria Editrice Vaticana, un livre fondamental pour la juste appréciation de la messe qu’on peut appeler à bon droit « messe de Paul VI ». Il s’agit de l’édition critique et scientifique de l’Institutio generalis Missalis romani[4].
L’Institutio generalis est l’ensemble des normes générales qui ont accompagné le nouvel Ordo Missæ ( N.O.M.). Dans sa première version, l’Institutio generalis compte 341 paragraphes en huit chapitres. Le N.O.M. et les normes générales sont entrés en vigueur le 30 novembre 1969, il y a près de quarante ans maintenant.
Encore aujourd’hui, beaucoup de prêtres et de catholiques traditionalistes ne connaissent les normes générales du N.O.M. que par les très sévères critiques résumées, dès 1969, par le célèbre Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ présenté au pape Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci[5]. Certains auteurs, néanmoins, ont fait de l’Institutio generalis une étude très attentive : on pense, en premier lieu, à Jean Madiran et à son fameux éditorial « Sous réserve, pas plus » (Itinéraires, janvier 1970, n° 139) et à Louis Salleron dans son livre sur la nouvelle messe et dans ses articles parus dans Itinéraires.
Les cardinaux Ottaviani et Bacci, dans une lettre adressée à Paul VI, le 3 septembre 1969, pour accompagner le Bref examen critique, estimaient que « le nouvel Ordo Missæ, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente. »
Cette conclusion a été indéfiniment reprise jusqu’à aujourd’hui par nombre d’auteurs et de clercs, comme si les (indéniables) fautes et lacunes originelles de l’Institutio generalis n’avaient jamais été corrigées.
Or, après les diverses critiques citées ci-dessus, et d’autres venues d’autres horizons, l’Institutio generalis a été corrigé, et non sans portée. Aussi bien la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, dans Le Problème de la réforme liturgique[6], que l’abbé Barthe et Alexis Campo, dans leur présentation de la dernière édition du Bref Examen[7], minimisent ces corrections de l’édition de 1969. Ces deux derniers auteurs estiment que le Bref examen critique est toujours « en attente de réponse ».
L’affirmation ne fait pas justice des corrections nombreuses et successives apportées à l’Institutio generalis. L’édition procurée par la Libreria Editrice Vaticana devrait permettre une réévaluation de la « réponse » donnée aux critiques du N.O.M. à partir de 1969.
L’Institutio generalis a connu, en effet, plusieurs éditions officielles. Maurizio Barba publie leur texte complet en latin, soit, dans l’ordre :
- l’édition « typica » de 1969,
- l’édition « typica » de 1970,
- l’édition « typica altera » de 1975,
- l’édition « typica tertia » de 2002.
Puis, après cette quadruple édition intégrale, et la publication de textes préparatoires, Maurizio Barba publie sous forme synoptique, en latin toujours, langue de référence, les passages de l’Institutio generalis qui, d’une édition à l’autre, ont subi des corrections. Cette présentation synoptique (sur six colonnes – les quatre versions officielles et deux versions préparatoires) occupe près de trois cents pages, c’est dire si les corrections n’ont pas été occasionnelles.
La correction la plus célèbre est celle du fameux article 7 qui, en 1969, définissait la messe comme « une synaxe, c’est-à-dire le rassemblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. »
La correction apportée à partir de l’édition de 1970 précise que le prêtre « représente la personne du Christ », que le mémorial du Seigneur peut être appelé aussi « sacrifice eucharistique » et surtout, en faisant référence au concile de Trente, rappelle que la Messe « perpétue le sacrifice du Christ », et réaffirme la doctrine traditionnelle de la présence réelle et la transsubstantiation [8].
Ce n’est pas le seul passage où l’Institutio generalis a été corrigée pour réaffirmer le caractère sacrificiel de la messe. Les auteurs du Bref examen critique avaient pointé du doigt d’autres définitions de la messe réduites à une « cène ». On peut, là aussi, voir dans l’édition synoptique les corrections apportées à partir de 1970 (articles 48, 55d).
Le Bref examen critique avait regretté aussi que, dans l’Institutio generalis, il ne soit fait référence qu’une seule fois aux enseignements du concile de Trente sur la messe. Dans la première édition révisée, 1970, on en trouve huit.
On pourrait multiplier les exemples de corrections et de précisions successives entre l’édition typique des « normes » de 1969 et la dernière édition officielle (2002).
Dans le même temps, l’édition typique du missel de 1969 a, elle aussi, connu des modifications et de nouvelles éditions typiques. C’est l’ensemble, normes et Ordo missæ, qui serait à étudier dans leurs évolutions.
Mais on doit ajouter aussi qu’il y a loin entre le rite romain « réformé » dans sa version typique, et ses normes définies en latin par le Saint-Siège, et le rite tel qu’il est traduit (jusqu’à maintenant) et pratiqué dans un grand nombre d’églises de France.
Si, à Rome, dans les textes officiels, la messe « réformée » n’est plus « équivoque », en France, dans nombre d’églises, elle le reste.
En parallèle à cette édition romaine de l’Institutio generalis, on renverra, pour finir, aux justes remarques, plus générales, de Guillaume Tabard dans un intéressant livre sur la messe qui vient de paraître :
« La vérité est qu’aujourd’hui bien peu de catholiques connaissent le sens de la liturgie, la signification des rites qu’ils pratiquent ou suivent. Qui a lu les textes des conciles ? Qui, « tradi » ou « conciliaire », a regardé de près les « rubriques » d’un missel ? Quelle « équipe liturgique » prépare une messe en s’appuyant sur les prescriptions de la Présentation générale du missel romain plutôt que sur ses seules intuitions ? Depuis quelques années, la formation est devenue la priorité des institutions ecclésiales (diocèses, mouvements, communautés, catéchèse…) tant les catholiques ignorent le contenu même de leur foi. En matière liturgique, l’ignorance est abyssale et cela est vrai quelle que soit la sensibilité, quel que soit le rite suivi.
Une formation à la messe s’impose donc. Et cette formation permettrait de dépasser les idées fausses, voire les contresens, sur le rite suivi, mais aussi sur le rite suivi par les autres.
Si la messe de Paul VI était davantage expliquée, elle serait vécue avec plus de ferveur par ceux qui y participent et regardée différemment par ceux qui la critiquent. Si toutes ces splendeurs étaient expliquées, reconnues, et mieux appliquées, on prend le pari que nombre des fidèles de la messe de Pie V s’y retrouveraient.[9] »
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[1] Définition de la messe publiée dans Les Mots des chrétiens, Presses de la Renaissance, 2006, ouvrage réalisé par le Service national de catéchuménat et présenté par Mgr Dupleix, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France.
[2] Cardinal Joseph Ratzinger, « Conscience et vérité », cité in Aidan Nichols, o.p. Coopérateur de la vérité. Brève introduction à la théologie de Benoît XVI, Genève, Ad Solem, 2006, p. 42. Livre fondamental pour saisir l’authentique pensée de Benoît XVI.
[3] Cardinal Joseph Ratzinger, Appelés à la communion. Comprendre l’Eglise aujourd’hui, Fayard, 1993, p. 118 et suivantes.
[4] Maurizio Barba, Institutio generalis Missalis Romani. Textus – Synopsi – Variationes, Cité du Vatican, Libreria Editrici Vaticana, 708 pages, 39,50 euros.
[5] Dernière édition en français : cardinaux Ottaviani et Bacci, Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ, Renaissance catholique, 2004.
[6] FSSPX, Le Problème de la réforme liturgique, Clovis, 2001, p. 15.
[7] Abbé Claude Barthe et Alexis Campo, « Un examen critique en attente de réponse », in Bref examen critique, op. cit., p. 34.
[8] Curieusement, dans son texte cité ci-dessus, l’abbé Barthe ne cite qu’une partie de la correction apportée, il ne cite pas du tout l’ajout essentiel : « In Missæ enim celebratione, in qua sacrificium Crucis perpetuatur, Christus realiter praesens adest i ipso coetu in suo nomine congregato, in persona ministri, in verbo suo, et quidem substantialiter et continenter sub speciebus eucharisticis. »
[9] Guillaume Tabard, Latin or not latin. Comment dire la messe, Seuil, 2007, p. 118.
17 mars 2007
Le Motu proprio est prêt, malgré l'opposition de l'Eglise de France |
17 mars 2007 - paixliturgiquereims.org |
C'est ce qu'affirme le site RORATE COELI (en anglais). Il s'agit ici de la confirmation des informations que nous avions reçues à Rome au début du mois. Nous avons tenté une traduction du texte anglais que nous vous présentons. Nous avons mis en gras les points qui nous semblent importants.Benoît XVI libère la Messe tridentine...... C'est le feu-vert du pape ; le retour de la messe en latin.Chers amis, l'échéance libératrice approche. Redoublons nos prières et tenons nous prêts à pouvoir enfin profiter des largesses que l'Eglise notre Mère, voudra bien nous donner. A la fin de cet article, nous remercions le lecteur maîtrisant mieux l'anglais que nous, de nous avoir transmis une bien meilleure traduction que celle que nous avions d'abord publiée. |
15 mars 2007
[Abbé Brice Meissonnier, fssp - Sedes Sapientiae] In memoriam Abbé Franck Quoëx - 1967-2007
SOURCE - Abbé Brice Meissonnier, fssp - Sedes Sapientiae - mars 2007
Le mardi 2 janvier dernier, en la fête du Saint Nom de Jésus, l’abbé Franck Quoëx était rappelé à Dieu, terrassé par un cancer implacable. Ce prêtre de 39 ans seulement, incardiné dans l’archidiocèse de Vaduz (principauté du Liechtenstein), était d’abord, pour ceux qui eurent l’honneur de l’approcher et de le connaître, un prêtre d’une grande délicatesse et d’une grande courtoisie, élégant et discret, fidèle en amitié et d’une politesse exquise. Mais l’abbé Quoëx était surtout, et c’est en cela qu’il va cruellement manquer à la science ecclésiastique, un grand scientifique, un liturgiste incomparable, spécialiste incontesté de la liturgie romaine, de son histoire et de son cérémonial, un professeur recherché et aujourd’hui regretté. Toute la courte vie de l’abbé Franck Quoëx aura été centrée sur la liturgie.
Né le 21 juin 1967, à Bonneville en Haute-Savoie, d’une ancienne famille savoyarde, il aimait à se définir comme savoyard plutôt que français, signe de sa double culture, mêlant le meilleur de la France et de l’Italie.
Le mardi 2 janvier dernier, en la fête du Saint Nom de Jésus, l’abbé Franck Quoëx était rappelé à Dieu, terrassé par un cancer implacable. Ce prêtre de 39 ans seulement, incardiné dans l’archidiocèse de Vaduz (principauté du Liechtenstein), était d’abord, pour ceux qui eurent l’honneur de l’approcher et de le connaître, un prêtre d’une grande délicatesse et d’une grande courtoisie, élégant et discret, fidèle en amitié et d’une politesse exquise. Mais l’abbé Quoëx était surtout, et c’est en cela qu’il va cruellement manquer à la science ecclésiastique, un grand scientifique, un liturgiste incomparable, spécialiste incontesté de la liturgie romaine, de son histoire et de son cérémonial, un professeur recherché et aujourd’hui regretté. Toute la courte vie de l’abbé Franck Quoëx aura été centrée sur la liturgie.
Né le 21 juin 1967, à Bonneville en Haute-Savoie, d’une ancienne famille savoyarde, il aimait à se définir comme savoyard plutôt que français, signe de sa double culture, mêlant le meilleur de la France et de l’Italie.
En 1986, il entre au séminaire international Saint-Pie X à Ecône. Mais, en 1989, il rejoint le jeune Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, d’abord à Moissac, puis à Gricigliano. Il sera de cet institut l’emblématique cérémoniaire et professeur de liturgie.
Le 21 juin 1992, il est ordonné prêtre, dans et pour le rit tridentin, par le cardinal Pallazzini. Il commence alors des études de théologie à l’université pontificale de l’Angelicum à Rome, tout en assurant un ministère pastoral dans la Ville éternelle, ville plus que toute autre chère à son coeur, ville qui sera la passion de toute sa vie, ville où il aurait tant voulu mourir ! Car l’abbé Quoëx était foncièrement et viscéralement romain, dans ce que cette acception a de plus noble. Ce qui faisait dire à ses amis qu’il était « le plus romain des prêtres français ».
Le souvenir et les amitiés qu’il a laissés dans la capitale de la chrétienté sont à l’image de l’amour et de la passion qu’il portait à Rome.
En mai 2001, il soutient brillamment, dans la prestigieuse université romaine, sa thèse de doctorat, avec pour sujet : Les actes extérieurs du culte dans l’histoire du salut, selon saint Thomas d’Aquin. Ce thème original et riche lui permettra de développer ses talents de théologien et d’historien du culte.
L’alliance de ces deux facettes caractérisera toujours sa démarche intellectuelle, faisant ainsi de lui l’élève des grands liturgistes de la fin du XIXe et du XXe siècles. Parmi eux, citons le père Pierre-Marie Gy, o. p., qui, malgré leurs divergences sur le fond, avait loué à de nombreuses reprises et publiquement l’intelligence, l’érudition et la remarquable qualité des travaux liturgiques de l’abbé Quoëx. Les deux hommes s’estimaient grandement, et restèrent en contact fréquent jusqu’au décès du dominicain.
La thèse de doctorat, dont l’abbé Quoëx préparait la publication aux éditions Ad Solem, fut à l’époque remarquée par le cardinal Ratzinger, à qui elle avait été envoyée. Durant ces dernières années, l’abbé Quoëx reprit son sujet de thèse pour plusieurs articles importants dans diverses revues, comme la Revue thomiste (« Saint Thomas d’Aquin mystagogue : l’expositio missæ de la Somme de théologie ») ou Sedes Sapientiæ, à laquelle il confia cinq grands articles et des recensions (cf. bibliographie).
A partir de 2001, il est de plus en plus sollicité, pour des colloques, pour diverses recherches scientifiques, ou tout simplement pour son enseignement. Il était jusqu’à sa maladie professeur de liturgie au séminaire international Saint-Pierre de Wigratzbad, et au couvent Saint-Thomas d’Aquin de Chémeréle-Roi. Il venait aussi d’être nommé, quelques jours avant son décès, professeur à l’université pontificale Sainte-Croix à Rome, pour la rentrée 2007.
Le professeur Bruno Neveu (+), de l’Institut, président de l’Ecole pratique des Hautes Etudes, l’encourage à passer le diplôme de la prestigieuse institution qu’il dirige, ce qui requiert l’étude d’un sujet jamais exploité. L’abbé Quoëx choisit de faire le catalogue raisonné des manuscrits liturgiques de la Bibliothèque capitulaire de Verceil (Italie). Ce travail d’une folle érudition, qu’il prépare sous la direction du professeur Jean-Loup Lemaître, permet, pour la première fois, une classification et une étude de ces sources liturgiques inestimables et très précieuses pour l’histoire du culte. L’Ecole publiera prochainement le résultat de ce long labeur.
L’abbé Quoëx se spécialise dans l’histoire de la liturgie romaine durant le haut Moyen Age, et en particulier dans la transplantation et l’adaptation de cette liturgie dans l’espace franc. Dans ce domaine, il écrit des articles d’histoire de la liturgie, notamment pour la revue Ævum (université du Sacré-Coeur de Milan). Il participe aussi à plusieurs colloques et séminaires d’étude, comme le séminaire de musicologie médiévale de la Fondation Ars antica à Gênes, le troisième colloque international d’études du chant grégorien à Subiaco, etc. Son autre thème de prédilection est la liturgie papale. En 2005, il reçoit les félicitations du pape Benoît XVI, à qui il a fait parvenir une étude importante sur ce sujet.
Notre ami collabore aussi à plusieurs reprises avec le CNRS, dans le cadre du groupe de travail « Morphogenèse de l’espace ecclésial et religieux au Moyen Age ». Il préparait, toujours sous l’égide du CNRS, un travail à la fois remarquable et considérable : l’étude des diaires manuscrits des maîtres des cérémonies pontificales de l’époque moderne, dont la rédaction s’échelonne de la Renaissance au XIXe siècle, une étude inédite et fondamentale pour l’histoire de la liturgie papale. Ces diaires réglementent également des événements en lien avec le concept de souveraineté temporelle des papes, s’avérant d’une importance particulière pour la connaissance de la cérémonialité baroque en général. L’objectif était de montrer l’influence du cérémonial politico-religieux du pontife romain sur celui des cours européennes catholiques des XVIe et XVIIe siècles. L’abbé Quoëx proposait une étude systématique (catalogation, classification, édition des textes) de ces diaires, en commençant par celui de Paride de Grassi (cérémoniaire de Jules II vers 1520), jusqu’aux contemporains de l’avènement d’Urbain VIII (1623). Hélas ! cette contribution capitale à l’histoire de la liturgie restera inachevée.
Mais l’abbé Quoëx n’était pas qu’un pur intellectuel. Il fut aussi un grand praticien de la liturgie, un incomparable cérémoniaire. C’est peut-être d’ailleurs cette image qu’il laissera au « grand public ». Artisan de la restauration des rites pontificaux, dont il maîtrisait mieux que quiconque la pratique, il sut aussi former et inspirer toute une génération de disciples, qui aujourd’hui dirigent les cérémonies dans la plupart de nos instituts traditionnels. Son immense culture ne faisait jamais défaut, et il savait, non seulement expliquer les arcanes des rites liturgiques, mais aussi communiquer l’amour des cérémonies de l’Eglise.
Historien, théologien, praticien de la liturgie, mais aussi esthète, il était convaincu que « la parfaite beauté de la liturgie permet d’entrevoir la suprême beauté de Dieu », comme il l’écrivait. D’un goût infaillible, il ne confondait pas le beau et le clinquant, le raffiné et le pompeux, le sobre et l’indigent. Tout dans la liturgie doit participer à nous faire entrevoir « la suprême beauté de Dieu ». D’où le soin tout particulier qu’il apportait à retrouver les formes les plus nobles, les plus élégantes et les plus abouties de la paramentique. Inlassablement, à travers les tableaux, les fresques et les gravures, il se mit en quête de l’esthétique parfaite, sa préférence allant à la période de la Réforme catholique à Rome. Il fut le premier à faire réaliser, avec l’aide du célèbre paramentiste de Vérone, Piero Montelli, des ornements, des aubes, des surplis s’inspirant de cette période qui était à ses yeux celle de l’apogée de la liturgie catholique.
Son goût de la perfection le poussait encore à dessiner lui-même ses chandeliers, ses autels, les faisant réaliser par les meilleurs artisans italiens, avec l’aide d’un ami esthète, l’héraldiste romain Maurizio Bettoja.
Ne voulant pas garder pour lui seul le fruit de ses recherches, et voulant participer à sa manière au renouveau liturgique, l’abbé Quoëx avait projeté de fonder une Société pour l’étude et la promotion des traditions et des arts liturgiques (SEPTAL).
L’idée, originale et passionnante, était de rassembler ainsi des spécialistes de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, de la musique, de l’héraldique, de la paramentique et de l’orfèvrerie religieuses, des liturgistes, des esthètes, des philosophes, des historiens de l’art, des théologiens du culte, des biblistes, des patrologues, le tout dans une optique délibérément tridentine.
Désireux d’unir la formation et la recherche, il envisageait la publication de Cahiers, pour transmettre le fruit de tous ces travaux. En excellent pédagogue, il souhaitait que les articles réunis soient scientifiques, précis, inédits, sans toutefois être abscons. Là aussi, sa mort prématurée l’aura empêché de mener à bien cet ambitieux projet, mais ne peut-il espérer que son idée aboutisse un jour ?
En 2005, il avait déjà fondé avec quelques amis et disciples, reprenant une idée du professeur Bruno Neveu, la Société Barbier de Montault, qui a pour objet de faire connaître la personne, l’oeuvre et l’esprit de Mgr Xavier Barbier de Montault (1830-1901). Ce prélat romain, archéologue, liturgiste, canoniste et héraldiste, fut à son époque un modèle atypique d’exceptionnelle érudition ecclésiastique. Dans une France fortement imprégnée de néo-gallicanisme, Mgr Barbier de Montault fut le propagateur inlassable de l’esprit, de la liturgie et des coutumes romaines. Il laissa une oeuvre colossale, livres et articles, se distinguant donc par un goût et une spiritualité profondément romaines. Une partie, encore inédite, pourra désormais être publiée. L’abbé Quoëx, premier président de la Société, était un disciple exemplaire de celui que le bienheureux Pie IX appelait « le plus liturgiste des archéologues et le plus archéologue des liturgistes ».
Le 21 juin 1992, il est ordonné prêtre, dans et pour le rit tridentin, par le cardinal Pallazzini. Il commence alors des études de théologie à l’université pontificale de l’Angelicum à Rome, tout en assurant un ministère pastoral dans la Ville éternelle, ville plus que toute autre chère à son coeur, ville qui sera la passion de toute sa vie, ville où il aurait tant voulu mourir ! Car l’abbé Quoëx était foncièrement et viscéralement romain, dans ce que cette acception a de plus noble. Ce qui faisait dire à ses amis qu’il était « le plus romain des prêtres français ».
Le souvenir et les amitiés qu’il a laissés dans la capitale de la chrétienté sont à l’image de l’amour et de la passion qu’il portait à Rome.
En mai 2001, il soutient brillamment, dans la prestigieuse université romaine, sa thèse de doctorat, avec pour sujet : Les actes extérieurs du culte dans l’histoire du salut, selon saint Thomas d’Aquin. Ce thème original et riche lui permettra de développer ses talents de théologien et d’historien du culte.
L’alliance de ces deux facettes caractérisera toujours sa démarche intellectuelle, faisant ainsi de lui l’élève des grands liturgistes de la fin du XIXe et du XXe siècles. Parmi eux, citons le père Pierre-Marie Gy, o. p., qui, malgré leurs divergences sur le fond, avait loué à de nombreuses reprises et publiquement l’intelligence, l’érudition et la remarquable qualité des travaux liturgiques de l’abbé Quoëx. Les deux hommes s’estimaient grandement, et restèrent en contact fréquent jusqu’au décès du dominicain.
La thèse de doctorat, dont l’abbé Quoëx préparait la publication aux éditions Ad Solem, fut à l’époque remarquée par le cardinal Ratzinger, à qui elle avait été envoyée. Durant ces dernières années, l’abbé Quoëx reprit son sujet de thèse pour plusieurs articles importants dans diverses revues, comme la Revue thomiste (« Saint Thomas d’Aquin mystagogue : l’expositio missæ de la Somme de théologie ») ou Sedes Sapientiæ, à laquelle il confia cinq grands articles et des recensions (cf. bibliographie).
A partir de 2001, il est de plus en plus sollicité, pour des colloques, pour diverses recherches scientifiques, ou tout simplement pour son enseignement. Il était jusqu’à sa maladie professeur de liturgie au séminaire international Saint-Pierre de Wigratzbad, et au couvent Saint-Thomas d’Aquin de Chémeréle-Roi. Il venait aussi d’être nommé, quelques jours avant son décès, professeur à l’université pontificale Sainte-Croix à Rome, pour la rentrée 2007.
Le professeur Bruno Neveu (+), de l’Institut, président de l’Ecole pratique des Hautes Etudes, l’encourage à passer le diplôme de la prestigieuse institution qu’il dirige, ce qui requiert l’étude d’un sujet jamais exploité. L’abbé Quoëx choisit de faire le catalogue raisonné des manuscrits liturgiques de la Bibliothèque capitulaire de Verceil (Italie). Ce travail d’une folle érudition, qu’il prépare sous la direction du professeur Jean-Loup Lemaître, permet, pour la première fois, une classification et une étude de ces sources liturgiques inestimables et très précieuses pour l’histoire du culte. L’Ecole publiera prochainement le résultat de ce long labeur.
L’abbé Quoëx se spécialise dans l’histoire de la liturgie romaine durant le haut Moyen Age, et en particulier dans la transplantation et l’adaptation de cette liturgie dans l’espace franc. Dans ce domaine, il écrit des articles d’histoire de la liturgie, notamment pour la revue Ævum (université du Sacré-Coeur de Milan). Il participe aussi à plusieurs colloques et séminaires d’étude, comme le séminaire de musicologie médiévale de la Fondation Ars antica à Gênes, le troisième colloque international d’études du chant grégorien à Subiaco, etc. Son autre thème de prédilection est la liturgie papale. En 2005, il reçoit les félicitations du pape Benoît XVI, à qui il a fait parvenir une étude importante sur ce sujet.
Notre ami collabore aussi à plusieurs reprises avec le CNRS, dans le cadre du groupe de travail « Morphogenèse de l’espace ecclésial et religieux au Moyen Age ». Il préparait, toujours sous l’égide du CNRS, un travail à la fois remarquable et considérable : l’étude des diaires manuscrits des maîtres des cérémonies pontificales de l’époque moderne, dont la rédaction s’échelonne de la Renaissance au XIXe siècle, une étude inédite et fondamentale pour l’histoire de la liturgie papale. Ces diaires réglementent également des événements en lien avec le concept de souveraineté temporelle des papes, s’avérant d’une importance particulière pour la connaissance de la cérémonialité baroque en général. L’objectif était de montrer l’influence du cérémonial politico-religieux du pontife romain sur celui des cours européennes catholiques des XVIe et XVIIe siècles. L’abbé Quoëx proposait une étude systématique (catalogation, classification, édition des textes) de ces diaires, en commençant par celui de Paride de Grassi (cérémoniaire de Jules II vers 1520), jusqu’aux contemporains de l’avènement d’Urbain VIII (1623). Hélas ! cette contribution capitale à l’histoire de la liturgie restera inachevée.
Mais l’abbé Quoëx n’était pas qu’un pur intellectuel. Il fut aussi un grand praticien de la liturgie, un incomparable cérémoniaire. C’est peut-être d’ailleurs cette image qu’il laissera au « grand public ». Artisan de la restauration des rites pontificaux, dont il maîtrisait mieux que quiconque la pratique, il sut aussi former et inspirer toute une génération de disciples, qui aujourd’hui dirigent les cérémonies dans la plupart de nos instituts traditionnels. Son immense culture ne faisait jamais défaut, et il savait, non seulement expliquer les arcanes des rites liturgiques, mais aussi communiquer l’amour des cérémonies de l’Eglise.
Historien, théologien, praticien de la liturgie, mais aussi esthète, il était convaincu que « la parfaite beauté de la liturgie permet d’entrevoir la suprême beauté de Dieu », comme il l’écrivait. D’un goût infaillible, il ne confondait pas le beau et le clinquant, le raffiné et le pompeux, le sobre et l’indigent. Tout dans la liturgie doit participer à nous faire entrevoir « la suprême beauté de Dieu ». D’où le soin tout particulier qu’il apportait à retrouver les formes les plus nobles, les plus élégantes et les plus abouties de la paramentique. Inlassablement, à travers les tableaux, les fresques et les gravures, il se mit en quête de l’esthétique parfaite, sa préférence allant à la période de la Réforme catholique à Rome. Il fut le premier à faire réaliser, avec l’aide du célèbre paramentiste de Vérone, Piero Montelli, des ornements, des aubes, des surplis s’inspirant de cette période qui était à ses yeux celle de l’apogée de la liturgie catholique.
Son goût de la perfection le poussait encore à dessiner lui-même ses chandeliers, ses autels, les faisant réaliser par les meilleurs artisans italiens, avec l’aide d’un ami esthète, l’héraldiste romain Maurizio Bettoja.
Ne voulant pas garder pour lui seul le fruit de ses recherches, et voulant participer à sa manière au renouveau liturgique, l’abbé Quoëx avait projeté de fonder une Société pour l’étude et la promotion des traditions et des arts liturgiques (SEPTAL).
L’idée, originale et passionnante, était de rassembler ainsi des spécialistes de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, de la musique, de l’héraldique, de la paramentique et de l’orfèvrerie religieuses, des liturgistes, des esthètes, des philosophes, des historiens de l’art, des théologiens du culte, des biblistes, des patrologues, le tout dans une optique délibérément tridentine.
Désireux d’unir la formation et la recherche, il envisageait la publication de Cahiers, pour transmettre le fruit de tous ces travaux. En excellent pédagogue, il souhaitait que les articles réunis soient scientifiques, précis, inédits, sans toutefois être abscons. Là aussi, sa mort prématurée l’aura empêché de mener à bien cet ambitieux projet, mais ne peut-il espérer que son idée aboutisse un jour ?
En 2005, il avait déjà fondé avec quelques amis et disciples, reprenant une idée du professeur Bruno Neveu, la Société Barbier de Montault, qui a pour objet de faire connaître la personne, l’oeuvre et l’esprit de Mgr Xavier Barbier de Montault (1830-1901). Ce prélat romain, archéologue, liturgiste, canoniste et héraldiste, fut à son époque un modèle atypique d’exceptionnelle érudition ecclésiastique. Dans une France fortement imprégnée de néo-gallicanisme, Mgr Barbier de Montault fut le propagateur inlassable de l’esprit, de la liturgie et des coutumes romaines. Il laissa une oeuvre colossale, livres et articles, se distinguant donc par un goût et une spiritualité profondément romaines. Une partie, encore inédite, pourra désormais être publiée. L’abbé Quoëx, premier président de la Société, était un disciple exemplaire de celui que le bienheureux Pie IX appelait « le plus liturgiste des archéologues et le plus archéologue des liturgistes ».
Fervent admirateur de la poétesse italienne Cristina Campo (1923-1977), l’abbé Quoëx traduisit et présenta en 2006, pour les éditions Ad Solem, son recueil de poèmes liturgiques : « Entre deux mondes ». Avec elle, il partageait une conception plutôt « orientale » de la liturgie, vue comme célébration et contemplation des mystères divins. De même, il appréciait sa vision doctrinale de la liturgie : « Le combat de Cristina, s’il est mû par son amour de la beauté, ne se réduit pas à la seule dimension esthétique ou, plus exactement, il sous-tend le beau comme splendeur du vrai. Il suppose la foi et l’amoureux ravissement de tout l’être en Jésus-Christ. La liturgie est la beauté suprême, l’archétype de la poésie, parce qu’elle est théophanie du Verbe fait chair, rayonnement du divin Poète. C’est pourquoi ce combat peut et doit devenir doctrinal, mû non seulement par amour de ce qui est menacé, mais aussi par amour pour ce peuple de Dieu avide de ce sacré et de ces gestes sublimes dont on veut le priver » (1).
Enfin, comment ne pas souligner que l’abbé Quoëx était avant tout un prêtre, un pasteur d’âmes, un directeur spirituel ? Le souvenir qu’il a laissé dans ses divers lieux d’apostolat, Rome, Strasbourg, et, depuis 2004, Genève, Lausanne et Neuchâtel, nous prouve que sa mission sacerdotale était bien ce qui lui importait le plus. Il sut toucher les âmes par son intelligence, sa culture, certes, mais aussi et surtout par sa bonté courtoise et sa délicate charité. Et c’est en prêtre qu’il est mort, le 2 janvier 2007, à l’hôpital d’Aubonne, en Suisse. Laissons la parole aux amis qui l’ont veillé jour et nuit pendant un mois, jusqu’à son dernier soupir :
Notre cher abbé Quoëx est mort, oserais-je dire, comme un saint ! Après quelques mois de maladie implacable et une agonie qui aura duré plus d’un mois, de grandes souffrances, et toujours une grande générosité intérieure, des petits mots délicats, des plaintes détournées et à peine formulées, s’excusant d’être à charge. […] Toujours il a bu la prière comme une eau d’une grande saveur, tandis que tout le corps semblait brûlure. Il aimait particulièrement la prière de Jésus. Combien de fois nous aura-t-il demandé, sur le petit matin, après une nuit de souffrance : « Aidez-moi à me lever, je veux dire la messe... » ? Il fallait alors lui expliquer qu’il ne pourrait pas se lever, et que la messe, il la disait avec le Christ des douleurs, avant de la dire bientôt dans le ciel, cette belle liturgie du ciel dont il nous avait si bien parlé un jeudi saint... Il s’est éteint doucement ce matin, fête du Saint Nom de Jésus, tandis qu’une très proche le veillait.
Celle-ci, après avoir chanté l’hymne Jesu dulcis memoria et récité les laudes dans cette chambre d’hôpital, après lui avoir lu aussi un poème de Cristina Campo (Non si può nascere ma / si può morire / innocenti), s’est approchée, le soutenant, et lui a dit : « C’est la fête du Saint Nom de Jésus. Vous allez la célébrer là-haut, la liturgie du ciel est plus belle que celle que vous avez décrite. Allez-y, monsieur l’abbé, allez-y, la porte du ciel est grande ouverte ». Il a alors pris le souffle à deux reprises, et y est allé...
L’abbé Franck Quoëx avait trente-neuf ans et quinze ans de sacerdoce.
RIP
Brice MEISSONNIER
L’abbé Brice Meissonnier, 37 ans, est prêtre de la Fraternité Saint-Pierre. Ordonné en 1996 à Fontgombault, il a été successivement en ministère à Versailles et à Périgueux. Il est co-fondateur et secrétaire général de la Société Barbier de Montault et chapelain de l’ordre du Saint-Sépulcre. Il est l’exécuteur testamentaire de l’abbé Franck Quoëx.
1. Cristina Campo, Entre deux mondes. Poèmes liturgiques, traduction et présentation de Franck Quoëx, Genève, Ad Solem, 2006, p. 16. Cf. infra, p. 107, le compte rendu de cet ouvrage par Isabelle Solari.
[Abbé Grégoire Celier, fsspx] La messe libérée et Vatican II
SOURCE - Abbé Grégoire Celier, fsspx - Mars 2007
L'annonce d'un (éventuel) Motu proprio libéralisant plus ou moins la messe traditionnelle a produit sur les évêques français l'effet d'un coup de pied dans une fourmilière [ce texte a été publié initialement en mars 2007]. Des dizaines de déclarations épiscopales ont protesté contre cette perspective, ce qui a évidemment obligé Nos Excellences à préciser les raisons de leur refus. La moisson d'arguments est riche, et fort intéressante.
Une ligne de défense simple et efficace
La perspective d'une libéralisation du rite traditionnel de la messe a en effet pris de court les évêques français et, en général, la faction dominante de l'Église de France.
Face aux revendications des « traditionalistes », les évêques campaient depuis des années sur une ligne de défense à la fois simple et assez efficace, en somme.
Leur argument principal était le suivant : ce qu'un concile et un pape ont pu légitimement établir dans l'ordre disciplinaire concernant la forme liturgique, un autre concile et un autre pape pouvaient tout aussi légitimement le modifier.
Ce que le concile de Trente et saint Pie V ont établi, très légitimement à leur époque, le concile Vatican II et Paul VI ont donc pu, très légitimement, le modifier à notre époque.
Si les « traditionalistes » refusent aujourd'hui d'obéir à Paul VI, comme ils ont obéi à saint Pie V auparavant, c'est tout simplement qu'il s'agit de désobéissants, d'adeptes du libre examen, de gens qui n'ont pas l'esprit de l'Église.
L'argument de l'obéissance
La force de cet argument est d'esquiver toute discussion sur le fond, sur le bien-fondé et l'orthodoxie de la réforme liturgique : car, sur ce point, les « traditionalistes » auraient des choses à dire que les évêques n'ont aucune envie d'entendre, encore moins d'écouter.
Aux yeux des évêques (et c'est tout le confort de cet argument de l'obéissance), quoi que les « traditionalistes » opposent, ils ont forcément tort, puisqu'ils dénient de façon incohérente à Paul VI ce qu'ils reconnaissent à saint Pie V : le droit de promulguer un rite liturgique modifié.
L'indult de 1984 et son avatar de 1988, même s'ils agacent les évêques français, ne changent pas fondamentalement la donne : l'évêque diocésain conserve toujours la haute main sur la permission de la messe traditionnelle, et il n'a jamais besoin de se justifier pour l'accorder ou la refuser.
Vent debout contre l'idée d'un Motu proprio
Du fameux Motu proprio annoncé comme l'Arlésienne, personne ne sait à ce jour rien de certain. Les évêques ont donc réagi sur la base de bruits et de rumeurs, que l'on peut résumer de la manière suivante : le Motu proprio, d'une façon ou d'une autre, donnerait aux prêtres, fût-ce de façon encore limitée et restrictive, une liberté de célébrer la messe traditionnelle qui, pour une part, échapperait au contrôle plénier de l'évêque diocésain.
Et cela, de par la volonté et l'institution du pape lui-même (« De Notre propre mouvement… »).
Les évêques français étant en réalité, dans leur grande majorité, profondément opposés à la messe traditionnelle, hostiles à son existence et à sa célébration, se trouvent évidemment vent débout contre la perspective qu'offrirait ce Motu proprio.
Retournement dialectique
Mais malheureusement pour eux, dans les circonstances présentes, l'argument si simple et si efficace qu'ils ont utilisé durant de longues années pour rejeter les revendications « traditionalistes » se retourne brutalement contre eux.
Car les « traditionalistes » sont aujourd'hui fondés à leur dire, en reprenant leur propre position des vingt ou trente dernières années : « Ce qu'un pape, Paul VI, a pu faire légitimement dans le passé, à savoir interdire la messe traditionnelle, un autre pape, Benoît XVI, peut aujourd'hui le défaire légitimement, en autorisant de nouveau cette messe traditionnelle ».
Les évêques français ont très vite senti le danger de ce retournement dialectique à leur détriment. D'autant qu'il s'y adjoignait pour eux une faiblesse médiatique majeure, et dont ils ont viscéralement horreur : celle de passer pour des oppresseurs, des ennemis de la liberté, des persécuteurs.
Faiblesse médiatique
En effet, l'opinion publique ne comprend plus, désormais, pourquoi la « messe en latin » serait encore interdite. Célébrer l'ancienne messe semble aujourd'hui, pour le plus grand nombre, une liberté vraiment innocente.
En réclamant publiquement cette liberté, les « traditionalistes » se rangent aujourd'hui en quelque sorte automatiquement parmi les défenseurs de la liberté.
En la combattant, au contraire, les évêques français se retrouvent à leur grand dam parmi les ennemis de la liberté, les « coincés », les réactionnaires, les autoritaires, les intolérants.
Changement de stratégie
Conscients de ce piège fatal, les évêques français ont entrepris de changer de stratégie. Abandonnant le terrain désormais miné du « pur disciplinaire », ils ont commencé à reprendre et à rajeunir les arguments des années 60-70, les arguments de fond en faveur de la liturgie nouvelle et contre la liturgie traditionnelle, arguments théologiques, ecclésiologiques, liturgiques.
Mais là, évidemment, les « traditionalistes » peuvent se mettre en embuscade et marquer des points. Car si l'argument du « pur disciplinaire » est extrêmement difficile à contrer dans la pratique (que répondre à celui qui ne fait que répéter : « Obéissez, obéissez ! »), les arguments de fond ont été, durant les quarante dernières années, largement travaillés par les « traditionalistes ».
Ceux-ci connaissent donc bien le terrain, possèdent des arguments variés et référencés, et ont l'habitude de manier de telles armes. Ce changement forcé des évêques français est donc incontestablement une bonne nouvelle pour le combat « traditionaliste ».
Nous allons, pour mieux le faire comprendre, présenter quelques-uns des nouveaux terrains où se sont aventurés ces derniers temps, à notre avis assez imprudemment, plusieurs évêques français, ainsi que quelques-uns de leurs pistoleros théologiques.
Une notion erronée du sacré
Le premier reproche avancé contre la liturgie traditionnelle est de véhiculer une notion erronée et non chrétienne du sacré. C'est ce qu'affirme Mgr Pierre Raffin, évêque de Metz : « Le sacré requiert-il que l'on dérobe la célébration des mystères en tenant les fidèles à distance de l'autel ? La messe n'est pas un saint spectacle auquel assisteraient les fidèles recueillis ».
Un courrier présenté avec faveur dans La Croix du 2 novembre va dans le même sens : « N'assistons-nous pas à un retour du "sacré" (cléricalisation intense : le prêtre seul intercesseur entre une divinité plus ou moins menaçante et le peuple ignorant) au détriment du "divin" (découverte et relation avec un Dieu Amour) ? Se replier sur la "boutique", en pratiquant des rites pompeux et mystérieux (avec des vêtements, des ornements et des accessoires surannés), n'est-ce pas une manière de se rassurer en restant entre initiés, une sorte de cocooning catho… de plus en plus loin du monde et de l'Évangile ?»
Peur et repli
Revenir au rite traditionnel constitue également, pour les évêques français, une attitude de peur et de repli. C'est ce que veut démontrer Mgr Bernard Housset, évêque de Montauban : « Toute liturgie est un acte public qui assure une certaine lisibilité de la foi. Comment celle-ci sera-t-elle perçue si l'Église, en mettant sur le même plan la messe de Pie V et celle de Paul VI, donne l'impression qu'elle revient en arrière ? »
Le père Gilbert Caffin, ancien représentant de l'Office international de l'Enseignement catholique au Conseil de l'Europe, a longuement développé cette idée dans L'Humanité du 17 octobre : « Revenir au rite tridentin peut apparaître comme une peur face à cette ouverture au monde, mais également comme le choix d'un repli identitaire. (…)
« Les fidèles ont peur d'un retour à une Église qui se replie dans la nostalgie, d'une Église qui postule que le monde est mauvais, qu'il est sous l'emprise du démon, et qui professe que la meilleure chose est de se réfugier dans la citadelle catholique. Cette décision de revenir à la messe en latin peut être interprétée comme la victoire de ceux qui ont peur d'une perte d'identité sur ceux qui veulent continuer à être proches des hommes et de leur vie ».
Deux accents théologiques opposés
Ces deux critiques, notion erronée du sacré et climat de repli, sous-entendent que les deux messes ne peuvent être mises à égalité : la nouvelle messe est différente, et meilleure. C'est ce que rappelle vivement Mgr Jacques Noyer, évêque honoraire d'Amiens :
« L'enjeu de ce retour aux habitudes d'hier est bien l'image que l'Église se fait d'elle-même et qu'elle veut montrer au monde. Si, comme elle le croit, elle est le Sacrement de l'union des hommes dans l'amour du Père, elle dit mieux et plus fort avec quelques gestes publics qu'avec de lourdes thèses de théologie réservées aux spécialistes. Quand le prêtre tourne le dos au peuple et se met à parler dans une autre langue, il est habité par un autre esprit que lorsqu'il s'assoit au milieu de tous pour partager avec tous sa joie de croire. D'un côté, un Dieu, juge et chef, qui demande à être obéi ; de l'autre, un Dieu qui envoie son Fils pour révéler son coeur de Père. D'un côté, des officiers fiers de la part d'autorité divine qu'il leur a déléguée, de l'autre, des frères choisis pour lire avec eux l'Évangile de Jésus-Christ ».
Le père Gaston Piétri, vicaire épiscopal d'Ajaccio, a résumé nettement l'enjeu dans La Croix du 25 novembre : « Il est clair, pour qui connaît le contexte du concile de Trente et celui de Vatican II, que le rite mis en place après Vatican II représente un certain déplacement d'accents doctrinaux ».
L'engagement d'un abbé bénédictin
Dom Jean-Pierre Longeat, abbé de Ligugé, dans La Croix du 23 octobre, a apporté une justification théologique assez systématique de ce point crucial. Il importe de le citer un peu longuement.
« La liturgie est un lieu théologique. L'Ordo missæ de 1969 met en oeuvre en particulier la théologie de la constitution dogmatique sur l'Église. Lumen gentium présente l'Église à la fois comme Corps mystique du Christ et comme Peuple de Dieu réuni au nom du Christ ; ainsi le Concile dit que l'Église est "en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain". Face aux dangers de l'individualisme lié à l'évolution des mentalités depuis plusieurs siècles, Vatican II et la réforme liturgique qui en est issue insistent sur le rassemblement ecclésial comme sacrement global. (…)
« La priorité théologique du concile de Trente était autre (même si l'aspect ecclésial y était présent) : mettre en valeur la réalité de la présence du Christ dans le pain et le vin eucharistiés, et le rôle sacramentel du prêtre, contre la Réforme protestante. C'est pourquoi l'action sacrée du prêtre y est tant valorisée. Les paroles qu'il prononce in persona Christi permettent la transsubstantiation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ. Certes, dans le rituel de 1969, les ministres gardent bien un rôle essentiel dans ce domaine, mais l'insistance porte aussi sur le fait qu'ils agissent comme ministres de la communauté ecclésiale (in persona Ecclesiæ), ministres "de la Tête et du Corps".
« Avec l'une et l'autre de ces théologies, des abus sont toujours possibles. Cependant, l'Ordo missæ promulgué par Paul VI, établi sur une relecture approfondie de la tradition occidentale, n'est pas attaquable. Le Saint-Siège a engagé son autorité sur la théologie qui s'y déploie et qu'il a jugée, en communion avec les évêques réunis en concile oecuménique, bonne et nécessaire pour la vie de l'Église catholique.
« Vouloir encourager dans l'Église latine le retour à un autre accent théologique, par extension de l'Ordo de 1962, c'est générer un trouble très profond dans le peuple de Dieu, dont les membres seront dangereusement livrés aux choix de leur subjectivité selon leurs goûts et leur sensibilité du moment».
Lien essentiel avec Vatican II
On serait en droit de s'étonner de ces affirmations. Car enfin, la liturgie est-elle l'expression temporaire de la théologie d'un concile déterminé, ou l'expression toujours vivante, car enracinée dans la tradition, du mystère de la foi ?
Mais la solution de cette difficulté est clairement donnée par une rafale de déclarations épiscopales : il y a bien, dans la liturgie nouvelle, un lien essentiel avec le concile Vatican II. Et c'est parce que la liturgie traditionnelle manque de ce lien qu'elle est désormais, aux yeux des évêques de France, radicalement irrecevable.
La Croix du 12 octobre note ainsi : « Le rite actuel, dit "de Paul VI", est selon un adversaire de la réforme en cours de préparation, lié au concile Vatican II. La possibilité de dire la messe en rite tridentin serait alors la conséquence d'une acceptation partielle, et non totale, de ce concile, pourtant dit "oecuménique" ».
La liturgie du Concile
Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, renchérit : « La liturgie de Vatican II, promulguée par les papes successifs, met en prière la foi du Concile. Les deux (foi et prière) sont inséparables, ainsi que le vieil adage le souligne : Lex orandi, lex credendi ».
Quant aux évêques de la province de Besançon, et des évêchés de Strasbourg et de Metz, ils n'hésitent pas à dire dans un communiqué public : « Estimant que la liturgie est l'expression de la théologie de l'Église, les évêques redoutent que la généralisation de l'usage du Missel romain de 1962 ne relativise les orientations du concile Vatican II ».
Mgr Bernard Panafieu, archevêque émérite de Marseille, entreprend alors de débusquer ce qui, aux yeux des évêques de France, se cacherait nécessairement derrière la demande de la liberté de la messe traditionnelle : « La question de la liturgie camoufle une réalité beaucoup plus importante : quelle foi la liturgie exprime-t-elle et quelle Église constitue-t-elle ? »
Porte-drapeau d'une critique du Concile
Et Mgr Marcel Herriot, évêque de Soissons, répond sans ambages à la question posée : « Les prêtres traditionalistes, les responsables de ce courant utilisent la messe en latin comme porte-drapeau d'une vision du monde et de l'homme contraire à l'esprit de la constitution conciliaire L'Église dans le monde de ce temps. La violence et l'arrogance des leaders de ce courant ne sont pas compatibles avec les valeurs de l'Évangile des Béatitudes ».
Le père Gaston Piétri, dans le texte déjà cité, entre dans les détails nécessaires : «L'archevêque de Malines-Bruxelles a comparé la revendication de la messe selon l'ancien rite à une "locomotive" et s'interroge sur ce que cachent les "wagons". C'est sans doute l'inventaire de ces "wagons" qu'il convient d'effectuer.
« Ce n'est pas se réconcilier que de crier "Nous avons gagné". Car, ce qui pourrait gagner, c'est toute une logique dans la conception des rapports de l'homme avec Dieu et de l'Église avec le monde. Cette logique s'était clairement manifestée au XIXe siècle, en France notamment, à travers la manière dont les traditionalistes de l'époque ont rejeté radicalement la société moderne au lieu d'opérer un sain discernement ».
Voici donc quelques-uns des arguments que nous allons devoir désormais affronter. Ils sont graves, ils peuvent paraître impressionnants. Mais en réalité, ils prêtent largement le flanc aux contre-attaques « traditionalistes ».
Car la simple affirmation de Mgr Lafont, par exemple, parlant de « la foi du Concile » et sous-entendant que cette foi se distinguerait de la foi catholique tout court, ouvre des perspectives réellement vertigineuses. Il faudra y revenir.
Abbé Grégoire Celier
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