SOURCE - Christian Terras, Romano Libero - Golias - 13 mars 2007
L’anniversaire que nous ne fêterons pas C’était en 1977 : des troupes de choc envahissent avec violence l’Église Saint Nicolas du Chardonnet.Dans cet beau sanctuaire situé en plein Quartier latin, où a été construit le tombeau de Charles Le Brun, où l’abbé Talleyrand futur évêque d’Autun reçut les ordres mineurs, où Renan était torturé par les doutes, un quarteron d’intégristes s’installa, entouré par trois ecclésiastiques ultra-réactionnaires : Mgr François Ducaud-Bourget, un vieux prêtre excentrique, l’abbé Vincent Serralda et l’abbé Louis Coache. Ces trois francs-tireurs avait demandé à Mgr Marty, cardinal-archevêque de Paris, un lieu de culte.Ils en conquirent donc un et expulsèrent sans ménagement le curé, l’abbé Pierre Bellego.
Sept ans après, l’abbé Philippe Laguérie fut désigné curé (auto-proclamé) de Saint Nicolas du Chardonnet, et pendant quatorze années, il y prononça des sermons davantage politiques que spirituels. Dans cette église, furent notamment célébrées les obsèques de personnalités extrémistes aussi contestées que Marie-France Stirbois, Maurice Bardèche ou…Paul Touvier.
Les occupants bénéficiaient du soutien discret de Jean Tibéri, maire d’arrondissement et de... Bernadette Chirac. Chaque année une messe est célébrée en l’honneur du roi martyr Louis XVI.
Centre de ralliement intégriste, symbole vivant d’une volonté de reconquête agressive, Saint Nicolas du Chardonnet était l’église où célébrait au XIX e siècle l’abbé Félix Dupanloup, un savoyard qui deviendra évêque d’Orléans. En fait c’est l’esprit anti-libéral de Louis Veuillot qui semble surtout hanter les lieux.
Les élus municipaux verts revendiquent une expulsion par la force de l’Église. Ils déplorent généralement un manque de détermination du maire actuel, Bertrand Delanoë lequel voulut, entre parenthèses, consacrer aussi une place à Jean Paul II.
L’église attire aussi des artistes et des esthètes qui se plaisent à réentendre du grégorien où, tel jadis Jacques de Ricaumont, sont fascinés par le ballet érotico-liturgique des aubes et des soutanes : faste qui troublait Oscar Wilde à Naples. Des académiciens comme Jean Dutourd ou Michel Droit, des hommes de théatre comme Jean Piat et Jean-Laurent Cochet ne font pas mystère de leur sympathie envers l’ancienne liturgie. Ils ont d’ailleurs signé une lettre adressée au Pape et demandant à ce dernier l’autorisation de célébrer selon les anciens livres liturgiques pour ceux qui le souhaitent.
Néanmoins, si l’on déambule à Saint Nicolas, on y croise surtout des jeunes gens au crâne rasé confis en dévotion, des dames élégantes avec voilette. A l’évidence, la majorité des "publics" du lieu se situe nettement dans une frange idéologique dure, non seulement au plan théologique, mais au plan politique.
En 1987, le cardinal canadien de curie Edouard Gagnon devait présider au trône une cérémonie. Face au tollé suscité à cette idée, il se fit représenter par un simple "Monsignore", le luxembourgeois Camille Perl, cheville ouvrière de la commission Ecclesia Dei, en charge de la réintégration des intégristes.
Il est certain que l’occupation de cette église revêt différents aspects. Un certain nombre de fidèles ont eu le sentiment de perdre des repères familiers, un certain parfum d’encens. En même temps, il ne faut pas perdre de vue l’enjeu théologique de fond : une vision de Dieu et de l’homme, entre esclavage et liberté. Enfin, comment oublier cette conviction d’un abbé Laguérie, proche du Front National, dont il dit sans vergogne : "c’est le parti le moins éloigné du droit naturel".
Plus inquiétante encore en définitive, cette conviction exprimée par le cardinal Dario Castrillon Hoyos, en charge par Benoît XVI de la réconciliation avec les lefebvristes et qui s’exprime en ces termes à leur sujet : " Ils sont à l’intérieur de l’Église".
Christian Terras, Romano Libero