« Où en sont les relations entre le Vatican et la Fraternité ? »
Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette question de la part de nos fidèles. Voici deux ans, une nouvelle phase de ces relations commençait lorsque le cardinal Darío Castrillón-Hoyos fut chargé par le Saint-Père de régler la situation. Depuis la lettre de Mgr Fellay au cardinal Castrillón-Hoyos du 22 juin 2001 et les accords passés par l’Association Saint Jean–Marie Vianney en janvier 2002 [i], les choses ont peu évolué. [ii] Il est donc important de profiter de cet intermède pour réfléchir un peu et dresser un bilan. En effet, les négociations commencées en l’année jubilaire 2000 ne sont pas les premières à avoir eu lieu. L’histoire de la Fraternité, des origines à nos jours, en est parsemée. Il nous a paru nécessaire et intéressant de revenir sur ces diverses propositions romaines : nécessaire pour ne pas oublier d’où nous venons ; intéressant pour jauger d’autres propositions, actuelles ou futures, et savoir où nous allons. L’objectif de notre travail, outre le rappel de documents parfois oubliés des anciens ou inconnus des plus jeunes, sera de chercher le fil conducteur qui relie toutes ces propositions romaines. Nous les comparerons donc, en soulignant leurs différences mais aussi leurs constantes. De la sorte, s’établira une grille de lecture pour le futur, car nous saurons ce que l’Eglise conciliaire comme telle ne sacrifiera jamais, prolongeant d’autant la crise actuelle. Nous saurons aussi à quels indices reconnaître le retour de l’autorité ecclésiastique à la profession intégrale de la foi catholique, retour qui coïncidera avec l’expulsion de « la fumée de Satan entrée dans le temple de Dieu. » [iii]Il faut noter que les documents mentionnés, souvent longs, ne seront cités que pour ce qui concerne les relations entre Rome et la Fraternité. Pour situer les choses dans leur contexte, nos lecteurs se reporteront avec fruit à notre article sur l’histoire des 30 premières années de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X [iv]. La commission cardinalice : Une capitulation sans conditions On se souvient que la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, érigée canoniquement le 1er novembre 1970 par Mgr François Charrière, évêque de Fribourg en Suisse, dut subir dès 1972 des attaques, particulièrement de la part des évêques français. Une visite canonique du séminaire d’Ecône fut diligentée pour les 11-13 novembre 1974. La fameuse déclaration de M gr Marcel Lefebvre qui y fit suite le 21 novembre [v] devait déclencher la réaction romaine sous forme d’une commission cardinalice, composée des cardinaux Garrone (Congrégation pour l’Education Catholique), Wright (Congrégation pour le Clergé) et Tabera (Congrégation pour les Religieux), qui publiait le 6 mai 1975 la sentence suivante : « Une telle déclaration nous apparaissait en tous points inacceptables. Il est impossible de concilier la plupart des affirmations contenues dans ce document avec une fidélité authentique à l’Eglise, à celui qui en a la charge et au Concile où la pensée et la volonté de l’Eglise se sont exprimées. » « C’est avec l’entière approbation de Sa Sainteté que nous vous faisons part des décisions suivantes : 1. Une lettre sera envoyée à Mgr Mamie, lui reconnaissant le droit de retirer l’approbation donnée par son prédécesseur à la Fraternité et à ses Statuts. (…) 2. Une fois supprimée la Fraternité, celle-ci n’ayant plus d’appui juridique, ses fondations, et notamment le séminaire d’Ecône, perdent du même coup le droit à l’existence. 3. Il est évident – nous sommes invités à le notifier clairement – qu’aucun appui ne pourra être donné à Mgr Lefebvre tant que les idées contenues dans le Manifeste du 21 novembre 1974 resteront la loi de son action. » Sans parler ici des nombreuses illégalités commises au cours d’un procès inique, notons les éléments mis en avant par les 3 cardinaux dans leur résolution. Au niveau doctrinal, il est reproché à Mgr Lefebvre de contredire dans sa déclaration du 21 novembre 1974 la fidélité à l’Eglise, la fi délité à Paul VI et la fi délité au concile Vatican II. Il est remarquable que la question du rite traditionnel, en usage dans la Fraternité dès le début, ne soit pas mise en exergue par les 3 cardinaux. De ces prémisses doctrinales, suivent les conséquences pratiques : la suppression de la Fraternité, la fermeture du séminaire d’Ecône et des autres fondations, la suspension de toute aide à Mgr Lefebvre tant qu’il ne rétracterait pas sa déclaration. En réalité, c’est une capitulation sans condition qu’on attend du prélat et de ses collaborateurs. La Secrétairie d’Etat : « Mgr Lefebvre, combien de divisions ? » Au vu de l’illégalité des mesures prises contre lui par la commission cardinalice, Mgr Lefebvre décide de passer outre : il procède à 3 ordinations sacerdotales le 29 juin 1975 à Ecône et continue l’oeuvre de la Fraternité et du séminaire d’Ecône, illégalement supprimée. À l’approche des ordinations sacerdotales de l’été 1976, alors que les premières générations de séminaristes allaient commencer à sortir du séminaire au terme de leurs 5 années d’étude, les pressions vaticanes en vue d’un règlement de la situation reprennent. Le cardinal Jean Villot, Secrétaire d’Etat du Vatican, ayant été récusé par Mgr Lefebvre, c’est Mgr Benelli, substitut de la même Secrétairie d’Etat, qui est chargé du dossier. Le 21 avril 1976, il écrivait au fondateur de la Fraternité : « Vous vous souvenez certainement, en effet, de la démarche envisagée comme la plus propre pour parvenir à ce résultat [le retour à la communion effective avec le pape Paul VI]. Après avoir réfléchi, seul devant Dieu, vous écrivez au Saint-Père pour lui dire votre acceptation du concile Vatican II et de tous ses documents, affirmer votre plein attachement à la personne de Sa Sainteté Paul VI et à la totalité de son enseignement, en vous engageant comme preuve concrète de votre soumission au successeur de Pierre, à adopter et à faire adopter dans les maisons qui dépendent de vous, le missel qu’il a lui-même promulgué en vertu de sa suprême autorité apostolique. » Deux mois plus tard, à quelques jours des ordinations sacerdotales, il précisait son propos en vue d’une solution du différend dans une lettre à Mgr Lefebvre du 25 juin 1976 : « Le 19 mars, je vous avais dit très franchement ce qui, dans vos jugements négatifs sur le Concile, dans vos propos fréquents sur les organismes du Saint-Siège et leurs directives en application du Concile, dans votre façon de procéder à l’encontre de la responsabilité des autres évêques dans leurs diocèses respectifs, était inadmissible pour Sa Sainteté, contraire à la communion ecclésiale et dommageable pour l’unité et la paix de l’Eglise. Il vous était seulement demandé d’admettre clairement votre tort sur ces points nécessaires pour toute âme catholique, après quoi on aurait étudié la façon la meilleure de faire face aux problèmes pendants posés par vos oeuvres. Le Saint-Père me charge aujourd’hui même de confirmer la mesure qui vous a été intimée en son nom, de mandato speciali : vous abstenir actuellement d’ordonner des séminaristes ; c’est justement l’occasion de leur expliquer, ainsi qu’à leurs familles, que vous ne pouvez les ordonner au service de l’Eglise contre la volonté du Pasteur suprême de l’Eglise. Il n’y a rien de désespérant dans leur cas : s’ils sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fi délité véritable à l’Eglise conciliaire, on se chargera de trouver ensuite la meilleure solution pour eux, mais qu’ils commencent d’abord, eux aussi, par cet acte d’obéissance à l’Eglise. » Les nouvelles propositions faites par Mgr Benelli dans ces deux documents ne sont guères différentes, quant à la substance, des conclusions de la commission cardinalice de 1975 : acceptation du concile Vatican II ; attachement à Paul VI ; utilisation du Missel de Paul VI. En réalité, sous couleur de précisions, les exigences romaines tournent à la démesure : on exige maintenant l’adhésion à “tous” les documents d’un concile présenté comme pastoral ainsi que l’attachement à la “personne” du Pontife régnant et à “l’ensemble” de ses enseignements. Dès ce moment, apparaît l’exigence d’adopter la liturgie nouvelle dans la Fraternité comme preuve concrète de soumission. La lettre du 25 juin 1976 reprend les mêmes éléments mais de manière négative, en stigmatisant les doutes de M gr Lefebvre concernant le concile Vatican II, les réformes qui en sont issues et les organismes romains chargés de les appliquer. Conséquence de cette attitude : Mgr Lefebvre doit confesser ses erreurs, moyennant quoi une solution sera cherchée aux problèmes pendants. Ceci dit, au niveau concret, il faudra suspendre les ordinations et réexaminer la possibilité de réinsérer ces séminaristes dans « l’Eglise conciliaire », entité nouvelle juxtaposée ou substituée à l’Eglise catholique. La prise en main du problème de la Tradition dans l’Eglise par la Secrétairie d’Etat, chargée de la politique vaticane, est symptomatique d’une approche plutôt étrange du problème : il ne s’agit plus de la foi ou du culte ou de la formation du clergé, mais bien de la politique. Dans cette perspective politique des choses, la seule question à laquelle on s’attend est : « Mgr Lefebvre, combien de divisions ? » Le pape Paul VI : La bombe à neutrons Or, Mgr Lefebvre, lui, continue à poser le problème au niveau de la foi et ne cesse de stigmatiser l’union adultère de l’Eglise et de la révolution. Il passe outre l’interdiction d’ordonner et, par le fait même, encourt le 1er juillet 1976 la suspense a collatione ordinum (interdiction d’ordonner) et le 22 juillet 1976 la suspense a divinis (interdiction d’administrer les sacrements). Devant la gravité des faits, c’est le pape Paul VI lui-même qui prend en charge cette situation. Après avoir concédé une audience à Mgr Lefebvre à Castel Gandolfo le 11 septembre 1976, il lui adresse une longue lettre dactylographiée le 11 octobre 1976 : « Concrètement qu’est-ce que Nous vous demandons ? A. – D’abord et surtout, une déclaration qui remette les choses au point, pour Nous-même et aussi pour le peuple de Dieu qui a droit à la clarté et ne peut plus supporter sans dommage de telles équivoques. Cette déclaration devra donc affirmer que vous adhérez franchement au concile oecuménique Vatican II et à tous les textes – sensu obvio [vi] – qui ont été adoptés par les pères du Concile, approuvés et promulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a toujours été la règle, dans l’Eglise, depuis les origines, en ce qui concerne les conciles oecuméniques. Il doit être clair que vous accueillez également les décisions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour le mettre en oeuvre, avec l’aide des organismes du Saint-Siège ; entre autres, vous devez reconnaître explicitement la légitimité de la liturgie rénovée, notamment de l’Ordo Missæ, et notre droit de requérir son adoption par l’ensemble du peuple chrétien. Vous devez admettre aussi le caractère obligatoire des dispositions du droit canonique en vigueur qui, pour la plus grande part, correspondent encore au contenu du code de droit canonique de Benoît XV, sans en excepter la partie qui a trait aux peines canoniques. En ce qui concerne notre personne, vous aurez à coeur de cesser et de rétracter les graves accusations ou insinuations que vous avez portées publiquement contre Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et notre fi délité à la charge de successeur de Pierre, et contre notre entourage immédiat. En ce qui concerne les évêques, vous devez reconnaître leur autorité dans leurs diocèses respectifs, en vous abstenant de prêcher et d’y administrer les sacrements : eucharistie, confirmation, ordres sacrés, etc., lorsque ces évêques s’y opposent expressément. Enfin vous devez vous engager à vous abstenir de toutes les initiatives (conférences, publications…) contraires à cette déclaration, et à réprouver formellement toutes celles qui se réclameraient de vous à l’encontre de la même déclaration. Il s’agit là du minimum que doit souscrire tout évêque catholique : cette adhésion ne peut souffrir de compromis. Dès que vous aurez manifesté que vous en acceptez le principe, Nous vous proposerons les modalités pratiques de présenter cette déclaration. C’est la première condition pour que la suspense a divinis soit levée. B. – Ensuite restera à résoudre le problème de votre activité, de vos oeuvres et notamment de vos séminaires. Vous comprendrez, Frère, que, vu les irrégularités et ambiguïtés passées et présentes affectant ces oeuvres, Nous ne pouvons pas revenir sur la suppression de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. Elle a inculqué un esprit d’opposition au Concile et à sa mise en oeuvre telle que le vicaire de Jésus-Christ s’appliquait à la promouvoir. Votre déclaration du 21 novembre 1974 est un témoignage de cet esprit ; et sur un tel fondement, comme l’a jugé à juste titre notre commission cardinalice, le 6 mai 1975, on ne peut bâtir d’institution ou de formation sacerdotale conforme aux exigences de l’Eglise du Christ. Cela n’infirme point ce qui existe de bon dans vos séminaires, mais il faut aussi considérer les lacunes ecclésiologiques dont Nous avons parlé et la capacité d’exercer un ministère pastoral dans l’Eglise d’aujourd’hui. Devant ces réalités malheureusement mêlées, Nous aurons le souci de ne pas détruire, mais de corriger et de sauver autant que possible. C’est pourquoi, en tant que garant suprême de la foi et de la formation du clergé, Nous vous demandons d’abord de remettre entre nos mains la responsabilité de votre oeuvre, et notamment de vos séminaires. C’est assurément pour vous un lourd sacrifice, mais c’est un test aussi de votre confiance, de votre obéissance, et c’est une condition nécessaire pour que ces séminaires, qui n’ont pas d’existence canonique dans l’Eglise, puissent éventuellement y prendre place. Ce n’est qu’après que vous en aurez accepté le principe que Nous serons en mesure de pourvoir le mieux possible au bien de toutes les personnes intéressées, avec le souci de promouvoir les vocations sacerdotales authentiques et dans le respect des exigences doctrinales, disciplinaires et pastorales de l’Eglise. À ce stade, Nous pourrons entendre avec bienveillance vos demandes et vos souhaits, et prendre en conscience, avec nos dicastères, les mesures justes et opportunes. En ce qui concerne les séminaristes ordonnés illicitement, les sanctions qu’ils ont encourues conformément aux canons 985, 7° et 2374 pourront être levées, s’ils donnent une preuve de résipiscence en acceptant notamment de souscrire à la déclaration que Nous vous avons demandée. Nous comptons sur votre sens de l’Eglise pour leur faciliter cette démarche. Quant aux fondations, maisons de formation, “prieurés” et autres institutions diverses créées sur votre initiative ou avec votre encouragement, Nous vous demandons également de vous en remettre au Saint-Siège, qui étudiera leur cas, dans ses divers aspects, avec l’épiscopat local. Leur survie, leur organisation et leur apostolat seront subordonnés, comme il est normal dans toute l’Eglise catholique, à un accord qui devra être passé, dans chaque cas, avec l’évêque du lieu – nihil sine episcopo [vii] – et dans un esprit qui respecte la déclaration mentionnée plus haut. » Ce document, écrit voici plus de 25 ans, révèle une volonté totalitaire d’écraser toute opposition sans aucun recours au dialogue, à la démocratie, aux aspirations du peuple de Dieu et à l’oecuménisme, devenus pourtant les nouveaux principes d’action de l’après-concile. Il est exigé de Mgr Lefebvre une déclaration où il adhérera au Concile, acceptera les décisions des organismes romains, reconnaîtra la légitimité du Novus Ordo, se soumettra au Droit Canon (spécialement en matière de peines ecclésiastiques), confessera l’orthodoxie et la fi délité à sa charge de Paul VI, reconnaîtra l’autorité des évêques dans leurs diocèses respectifs et s’abstiendra de toute initiative contraire au contenu de la dite déclaration. Celle-ci, indispensable à la levée des peines canoniques encourues à l’été 1976, n’est pas négociable dans son contenu. De ce préambule théorique, on passe au point de vue pratique dont les conclusions sont tout aussi extrêmes : confirmation de la suppression de la Fraternité, remise des séminaires et de toutes les autres oeuvres dans les mains de Paul VI, pardon des peines canoniques encourues par les séminaristes ordonnés. Et lorsque Mgr Lefebvre n’aura plus rien : ni Fraternité, ni séminaire, ni séminaristes, ni maisons, ni apostolat, le Pape pourra « écouter avec bienveillance [ses] demandes et [ses] souhaits » ! La solution de Paul VI c’est la bombe à neutrons : son explosion fait disparaître toute vie, mais, après un temps de décontamination, les infrastructures industrielles et immobilières sont réutilisables par l’envahisseur ! La congrégation pour la Doctrine de la Foi : La solution biologique du problème Lefebvre La Secrétairerie d’Etat continuera ses gestions dans toute cette affaire jusqu’à la fi n de l’année 1977, en la personne de Mgr Benelli. À partir du 28 janvier 1978, le Card. Franjo Seper notifi e à Mgr Lefebvre que c’est lui, en tant que préfet de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, qui est chargé de trouver un arrangement. Des discussions théologiques ont lieu en février et mars 1978, mais la mort de Paul VI et celle prématurée de Jean-Paul I paralysent tout. Élu le 16 octobre 1978, Jean-Paul II reçoit Mgr Lefebvre le 18 novembre 1978. Après deux ans d’efforts sans grand résultat, le Card. Seper présente à Mgr Lefebvre, dans une lettre du 20 octobre 1980, une déclaration préalable à un accord pratique : « Tout en attendant de vous une claire manifestation de regret pour les attaques injustes que vous avez formulées à l’encontre du Concile, des évêques et même du Siège Apostolique, ainsi que pour les difficultés et même le trouble que votre action a suscité parmi les fidèles, le pape Jean-Paul II demeure à votre égard dans des sentiments de paternelle charité. C’est selon ses indications que je vous présente maintenant d’ultimes propositions : 1. En ce qui concerne l’adhésion aux enseignements du concile Vatican II, – que vous vous déclarez prêt à accepter dans le sens indiqué par le pape Jean-Paul II, c’est-à-dire “compris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Eglise”… – le Saint-Père attend de vous ce qui est aussi requis de chacun dans l’Eglise, à savoir ce “religiosum voluntatis et intellectus obsequium [viii]” dû au magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas “ex cathedra” et à l’enseignement sur la foi et les moeurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n°25). Bien entendu, une telle adhésion doit tenir compte de la qualification théologique que le Concile lui-même a voulu donner à ses enseignements… 2. En ce qui concerne la Liturgie, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez sans restrictions la légitimité de la réforme demandée par le concile Vatican II, aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège Apostolique. Il attend aussi de vous que vous vous engagiez à cesser de jeter la suspicion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ promulgué par le pape Paul VI. Vous comprendrez que c’est là une condition préalable et indispensable. Celle-ci remplie, le Saint-Père pourrait envisager d’autoriser la célébration de la Sainte Messe selon le rite du Missel romain antérieur à la réforme de 1969. 3. En ce qui concerne enfin le ministère pastoral et les oeuvres, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez de vous conformer aux normes du droit ecclésiastique commun, notamment pour tout ce qui concerne les ordinations, les confirmations,… Dans cette perspective, le Saint-Père serait prêt à désigner un délégué personnel directement responsable devant lui, qui aurait pour mission d’étudier avec vous la régularisation de votre propre situation ainsi que celle des membres de la Fraternité St-Pie X par un statut apte à régler une question de soi assez complexe (…) Une fois enfin acceptés par vous ces points précis – et ce devrait être dans une déclaration pouvant être rendue publique – le Souverain Pontife serait disposé à lever les censures canoniques et les irrégularités qui ont été encourues par vous-même et par les prêtres que vous avez illégitimement ordonnés depuis 1976 (pour ces derniers, bien sûr, s’ils adhèrent à votre propre démarche). » Cette proposition est précisée et confirmée dans une seconde lettre du 19 février 1981 : « Pour clarifier la situation, permettez-moi de vous proposer ici d’une manière précise les points que le Saint-Père estime indispensables dans votre déclaration ; pour la plupart d’entre eux, je ne puis d’ailleurs que reprendre l’essentiel de ma lettre précédente : 1. Claire manifestation de regrets pour la part que vous avez eue dans la situation de rupture objective qui s’est créée (notamment du fait des ordinations) et pour vos attaques successives, dans le contenu et dans les termes, contre le Concile, contre de nombreux évêques et contre le Siège Apostolique. 2. Adhésion aux enseignements du concile Vatican II, “compris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Eglise” (cf. Allocution de S.S. Jean-Paul II, 5 novembre 1979, A.A.S. LXXI (1979/II), p. 1452), et compte tenu de la qualifi cation théologique que ce Concile a voulu donner à ses enseignements (cf. Notifi cation faite au cours de la 123e congrégation générale, 16 novembre 1964 – Acta Synodalia S. Concilii OEcumenici Vaticani II, vol. III, pars VIII, p. 10) ; reconnaissance du “religiosum voluntatis et intellectus obsequium” dû au magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas “ex cathedra”, et à l’enseignement sur la foi et les moeurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n° 25) ; cessation de toute polémique qui viserait à discréditer certains des enseignements du concile Vatican II. 3. Acceptation sans restrictions non seulement de la validité de la Messe selon le Novus Ordo dans son édition latine originale, mais encore de la légitimité de la réforme demandée par le concile Vatican II – aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège Apostolique –, et abandon de toute polémique tendant à jeter la suspicion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ promulgué par le pape Paul VI. 4. Acceptation des normes du droit ecclésiastique commun pour tout ce qui concerne votre ministère pastoral et vos oeuvres ainsi que pour la Fraternité St-Pie X. Le délégué pontifical, nommé comme vous le souhaitez pour un temps limité et pour un but bien déterminé, aura pour mission de traiter avec vous des problèmes concrets découlant d’une normalisation des rapports entre vous-mêmes et la Fraternité St-Pie X d’une part et le Siège Apostolique de l’autre. D’une manière plus précise, il devra régler avec vous les questions de la levée officielle des censures, de rites liturgiques pour la Fraternité, enfin du statut juridique futur de la Fraternité. » L’empreinte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se fait sentir dès qu’elle prend en charge cette affaire. Aux discussions théologiques et aux explications demandées à Mgr Lefebvre succède le texte d’une déclaration doctrinale préalable à tout accord pratique. Cette déclaration porte sur : l’adhésion aux enseignements du concile Vatican II “interprété à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Eglise” ; l’acceptation de la légitimité de la réforme liturgique, dans son principe comme dans son application, ainsi que de son orthodoxie ; la conformité avec le Droit Canon en matière d’apostolat et de formation ecclésiastique. De cette première partie théorique, on passe ensuite à la nomination d’un délégué apostolique chargé de régulariser la situation de la Fraternité St-Pie X et d’arriver à la levée des censures canoniques encourues par Mgr Lefebvre et ses prêtres. Dans sa seconde lettre, le cardinal Seper rajoute un préambule aux conditions signalées dans la première : Mgr Lefebvre devra manifester clairement son repentir pour la situation objective de rupture due à son fait ainsi que pour les attaques contre le Concile, les évêques et le Siège Apostolique. Le lecteur attentif s’en sera déjà rendu compte : la suppression de la Fraternité, la fermeture des séminaires, la dispersion des séminaristes et la remise de toutes les oeuvres au Saint-Siège ne sont plus à l’ordre du jour. Il s’agit dès lors de donner un statut canonique à ce qui existe, ce qu’en terme canonique on appelle une sanatio in radice [ix]. Par contre, Mgr Lefebvre reste désespérément seul dans son combat : il pourrait voir son oeuvre reconnue, mais aucun successeur ne lui serait donné. C’est la réintégration dans le grand courant conciliaire qui l’attendent, lui et son oeuvre. L’heure est à la guerre des tranchées : chacun campe sur ses positions, et Rome attend la “solution biologique du problème Lefebvre”, c’est-à-dire la mort de l’archevêque. En fait, c’est le cardinal Seper qui devait mourir le premier, le 31 décembre 1981. Son remplaçant à la tête de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, le Card. Joseph Ratzinger hérite par le fait même des négociations avec la Fraternité. L’année 1982 ne devait pas se terminer sans une nouvelle proposition romaine, envoyée par le cardinal Ratzinger à Mgr Lefebvre le 23 décembre 1982 : « Je précise immédiatement que ces propositions ont été approuvées par le Souverain Pontife et que c’est sur son ordre que je vous les communique. 1. Le Saint-Père nommera au plus tôt un Visiteur Apostolique pour la Fraternité St-Pie X si vous acceptez une déclaration sous la forme suivante : • Moi, Marcel Lefebvre je déclare avec soumission religieuse de l’âme, que j’adhère à tous les enseignements du concile Vatican II, c’est-à-dire la doctrine “comprise à la lumière de toute la sainte Tradition et du magistère constant de l’Eglise” (cf. Discours de Jean-Paul II au Sacré Collège, 5 de novembre de 1979, AAS LXXI (1979/55), p. 1452). Cette soumission religieuse doit s’entendre en prenant en compte la qualification théologique que le Concile lui-même voulut donner à ses enseignements (cf. Notification faite au cours de la 123° congrégation générale le 16 novembre 1964). • Moi, Marcel Lefebvre, je reconnais le Missel romain instauré par le Souverain Pontife Paul VI pour l’Église universelle et promulgué par la suprême et légitime autorité du Saint-Siège à qui revient légiférer en matière liturgique dans l’Eglise, et donc qu’il est en soi légitime et catholique. C’est pourquoi je n’ai jamais nié ni ne nierai que les Messes célébrées selon le Novus Ordo soient valides ; de même je ne saurais aucunement insinuer qu’elles sont hérétiques ou blasphématoires ou qu’elles doivent être évitées par les catholiques. Ces deux paragraphes ont été mûrement étudiés de la part du Siège Apostolique, et il ne peut être envisagé de les modifier. Par contre, on admettra que vous ajoutiez, à titre personnel, un complément dont le contenu pourrait être le suivant : • En conscience je me sens obligé d’ajouter que l’application concrète de la réforme liturgique pose de graves problèmes qui doivent préoccuper l’autorité suprême. C’est pourquoi je désire une nouvelle révision des livres liturgiques dans le futur de la part de l’autorité elle-même. Vous pouvez éventuellement modifier ce dernier paragraphe, sous réserve naturellement que votre formulation soit acceptée par le Saint-Père. 1. Si vous déclarez votre disponibilité à souscrire la déclaration ci-dessus, il sera possible de fixer la date de l’audience que le Saint-Père vous accordera, et qui pourrait marquer le début de la Visite Apostolique. 2. La suspens a divinis dont vous avez été frappé ne dépend pas des problèmes concernant l’acceptation du concile Vatican II et de la réforme liturgique (c’est-à-dire des deux points touchés dans la déclaration prévue), mais du fait que vous avez procédé à des ordinations malgré la prohibition du Saint-Siège. Cette suspens sera donc levée dès lors que vous aurez déclaré votre intention de ne plus faire d’ordinations sans l’autorisation du Saint-Siège. Logiquement du reste, la question devrait se résoudre à l’issue de la Visite Apostolique. 3. La situation des prêtres que vous avez ordonnés depuis juin 1976 sera réglée cas par cas s’ils acceptent de signer personnellement une déclaration ayant le même contenu que la vôtre. Je dois ajouter enfin que, pour ce qui concerne l’autorisation de célébrer la Sainte Messe selon l’Ordo Missæ antérieur à celui de Paul VI, le Saint-Père a décidé que la question serait résolue pour l’Eglise universelle et donc indépendamment de votre propre cas. » La formulation du document reprend la division bipartite. D’abord une partie doctrinale qui exige la reconnaissance du concile et du missel de Paul VI. On concède à Mgr Lefebvre d’exprimer certaines réserves sur la réforme liturgique tout en laissant l’autorité suprême juge des corrections éventuelles à apporter. Ensuite, la lettre passe aux aspects pratiques : la possibilité d’une audience avec le Souverain Pontife, la levée des censures sous réserve de ne pas procéder à des ordinations sans l’autorisation du Saint-Siège, l’organisation d’une Visite Apostolique, le règlement de la situation des prêtres déjà ordonnés. La reconnaissance de la légitimité et de l’orthodoxie du Novus Ordo, ici comme dans la lettre du cardinal Seper du 20 octobre 1980, est une condition sine qua non à l’autorisation de célébrer la Sainte Messe selon le rite traditionnel. On sait que l’Indult du 3 octobre 1984, qui se voulait la solution à cette question pour l’Eglise universelle, mettra comme condition à la demande d’autorisation ponctuelle de célébration du rite traditionnel de « n’avoir aucune part avec ceux qui mettent en doute la légitimité et l’orthodoxie du Missel romain promulgué par le pape Paul VI [x] ». Autant dire que l’Indult permettant la Messe traditionnelle était fait pour ceux qui n’en avaient nul besoin puisqu’ils confessaient au préalable la légitimité et l’orthodoxie de la nouvelle Messe. Les choses n’évolueront pas jusqu’à ce que Mgr Lefebvre remette les choses sur le terrain pratique : l’âge avançant, le prélat se devait de penser à sa succession. L’annonce par Mgr Lefebvre d’un possible sacre d’évêque amena le cardinal Ratzinger à le recevoir (14 juillet 1987), à organiser une Visite Apostolique de la Fraternité par le Card. Edouard Gagnon (8 novembre-8 décembre 1987) et à finaliser des pourparlers par un protocole d’accord signé le 5 mai 1988. On y lisait dans la partie doctrinale : « Moi, Marcel Lefebvre, Archevêque-Evêque émérite de Tulle, ainsi que les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X par moi fondée : 1. Nous promettons d’être toujours fidèles à l’Eglise catholique et au Pontife romain, son Pasteur Suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du Corps des Evêques. 2. Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le numéro 25 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du concile Vatican II sur le magistère ecclésiastique et l’adhésion qui lui est due. 3. A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique. 4. Nous déclarons en outre reconnaître la validité du sacrifice de la Messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel et des Rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II. 5. Enfin, nous promettons de respecter la discipline commune de l’Eglise et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le code de droit canonique promulgué par le pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière.» On retrouve ici la volonté de partir d’une base doctrinale avant d’en venir aux solutions concrètes. Il est demandé à Mgr Lefebvre d’adhérer au concile Vatican II et au magistère ecclésiastique ; d’avoir une attitude positive et non polémique sur les points litigieux du Concile, de la liturgie et du Droit Canon ; de reconnaître la validité de la Nouvelle Messe et de recevoir le Droit Canon de 1983. En contrepartie, le Vatican reconnaissait l’existence de la Fraternité, la spécificité de son charisme, le droit de Mgr Lefebvre d’avoir un successeur, la levée des censures encourues par Mgr Lefebvre et ses prêtres ainsi qu’une amnistie générale pour les maisons fondées irrégulièrement. On se souviendra que devant le refus romain de déterminer la date du sacre épiscopal et la présentation par Mgr Bovone, secrétaire de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, d’une lettre où Mgr Lefebvre devait reconnaître ses erreurs, ce dernier dénonça sa signature du protocole d’accord dès le lendemain. L’avenir devait donner raison sur ce point à l’archevêque car la Fraternité Saint-Pierre, bénéficiaire de l’accord du 5 mai, ne devait jamais voir la couleur de l’évêque promis. Sa reconnaissance juridique dans l’Eglise, sa dépendance de la commission “Ecclesia Dei”, l’obligation de dépendre des évêques conciliaires pour les ordinations de ses sujets devaient conduire la Fraternité Saint-Pierre à un bi-ritualisme, de droit et de fait, et à l’acceptation des principales nouveautés conciliaires. La congrégation pour le Clergé : Le chèque en blanc Rien ne bougera dans les relations entre Rome et la Fraternité jusqu’au pèlerinage de la Tradition à Rome en août 2000. Les approches antérieures du problème ayant échoué, il fallait innover. D’où, l’approche, plus pragmatique que doctrinale, du cardinal colombien Castrillón-Hoyos : il fallait arriver au plus vite à un accord pratique, sans s’arrêter aux différences doctrinales. Pour dire les choses clairement, il s’agissait de signer au plus vite un chèque en blanc dont le montant ne serait établi que plus tard, sans doute trop tard [xi]. Or, la Fraternité St-Pie X, par la bouche de son Supérieur Général, remit les choses en place, en deux temps. D’abord, Mgr Fellay posa comme préalable l’assainissement du climat dans l’Eglise en demandant au cardinal Castrillón-Hoyos, le 21 janvier 2001, la liberté de la liturgie traditionnelle dans l’Eglise pour tout prêtre de rite latin ainsi que la déclaration de nullité des censures frappant les évêques traditionnels. Puis, dans une lettre du 22 juin 2001 adressée au même prélat, il devait rappeler la dimension proprement doctrinale du combat en cours : deux traditions théologiques s’affrontent dans l’Eglise depuis le Concile et les nouveautés (concile, messe, droit canon, catéchisme) sont les fruits amers d’une nouvelle théologie, déjà amplement condamnée du temps de Pie XII. Les deux lettres restèrent longtemps sans réponse, mais certains continuèrent malgré tout à rêver de réconciliation. C’est le cas de Mgr Licinio Rangel et du clergé traditionaliste du diocèse brésilien de Campos qui formalisa un accord avec le cardinal Castrillón-Hoyos. L’accord comprenait une déclaration doctrinale que Mgr Rangel signa au nom de tous, le 18 janvier 2002 : « Je déclare, en union avec les prêtres de l’Administration Apostolique “Saint Jean-Marie Vianney” de Campos, au Brésil, les poins suivants : 1. Nous reconnaissons le Saint-Père, le pape Jean-Paul II, avec tous ses pouvoirs et prérogatives, lui promettant obéissance filiale et offrant nos prières pour lui. 2. Nous reconnaissons le concile Vatican II comme l’un des conciles oecuméniques de l’Eglise catholique, l’acceptant à la lumière de la sainte Tradition. 3. Nous reconnaissons la validité du Novus Ordo Missæ, promulgué par le pape Paul VI, chaque fois qu’il est célébré correctement et avec l’intention d’offrir le véritable sacrifice de la sainte messe. 4. Nous nous engageons à approfondir toutes les questions encore ouvertes, prenant en considération le canon 212 du code de droit canonique et avec un sincère esprit d’humilité et de charité fraternelle envers tous. » On retrouve les points doctrinaux déjà spécifiés dans l’ensemble des propositions et accords antérieurs : reconnaissance du pape Jean-Paul II ; reconnaissance du concile oecuménique Vatican II interprété à la lumière de la Tradition ; reconnaissance de la validité du Novus Ordo ; volonté d’approfondir les questions non résolues avec humilité et charité. Quant aux points pratiques, sont concédées : une structure de type épiscopal à l’Association S. Jean-Marie Vianney dans les strictes limites du diocèse de Campos et la promesse d’un successeur pour Mgr Licinio Rangel. Le choix de cet évêque sera révélateur, à lui seul, des intentions romaines en la matière, mais on peut augurer sans être prophète que tout sera mis en oeuvre pour que le concile Vatican II et la nouvelle messe deviennent à terme la norme dans cette Association. Le dernier élément connu des démarches en cours est la lettre de 15 pages que le cardinal Castrillón-Hoyos adressait à Mgr Fellay le 5 avril 2002. Elle confirme, si besoin était, le caractère pratique de la solution recherchée : « J’ai cru que ces débats théologiques, certes importants et non dépourvus de difficultés, pourraient se dérouler au sein de l’Eglise, après avoir atteint la pleine communion substantielle qui, cependant, n’exclut pas une saine critique. » On ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en constatant que la lettre de Mgr Fellay du 21 janvier 2001 n’est même pas mentionnée dans l’historique des évènements qui couvre le premier quart de la missive cardinalice. Ce malaise augmente lorsqu’on s’aperçoit que l’étude remise aux autorités sur Le problème de la réforme liturgique ne fait l’objet d’aucun commentaire. Or, comme nous l’avons remarqué plus haut, il s’agit là de deux points clé de la position actuelle de la Fraternité, l’un au niveau pratique, l’autre au niveau spéculatif. Alors, quand le cardinal Castrillón-Hoyos écrit à Mgr Fellay que « la critique requiert une compréhension de la pensée authentique d’autrui et doit se fonder sur la vraie foi catholique », c’est le « medice, cura te ipsum [xii] » de Notre Seigneur qui nous vient à l’esprit. Pour le reste, ce long plaidoyer laisse clairement entrevoir qu’il ne saurait être question de mettre en cause, sur des points essentiels, ni le concile Vatican II : « … comme si la promesse du Seigneur n’était plus valide depuis le concile Vatican II », ni la Messe de Paul VI : « Le secrétaire [de la Fraternité] s’exprima d’une façon extrêmement dure à propos du rite actuel de la sainte Messe auquel participent les fidèles unis au Vicaire du Christ et à leurs Evêques, affirmant qu’un tel rite est “mauvais”. » Nihil novi sub sole. LEÇONS DU PASSÉLEÇONS DU PASSÉ, ORIENTATIONS POUR L’AVENIR Avant de conclure, qu’il nous soit permis de présenter en un tableau synoptique l’ensemble des propositions romaines faites à ce jour à la Fraternité Sacerdotale St-Pie X. A la lecture du tableau synoptique (ci-dessous), il appert clairement que si les propositions romaines cédèrent peu à peu sur la question disciplinaire et canonique (existence de la Fraternité, des séminaires, des prieurés, etc.), en revanche l’acceptation du Concile et de la Messe de Paul VI sont des préalables non négociables, exigés par les autorités actuelles dans l’Eglise. Rien d’étonnant à cela puisque ces deux points définissent le caractère conciliaire de ces autorités ecclésiastiques. Ôtez-les et l’Eglise “conciliaire” cesse d’exister ! Si au commencement de l’histoire de la Fraternité, Mgr Lefebvre penchait pour une solution pratique et un modus vivendi concret, la profondeur de la crise et sa prolongation dans le temps lui firent voir l’impossibilité d’un accord pratique, sans un fondement doctrinal commun. Certes, l’autorité conciliaire depuis une quinzaine d’années n’a cessé de vouloir faire signer à Mgr Lefebvre et à ses successeurs des formules doctrinales portant sur le Concile et la nouvelle Messe. Il est toutefois évident que ces textes sont équivoques dans la mesure où ils ne signifient pas la même chose des deux côtés. Ce qui favoriserait nécessairement la secte moderniste qui s’est emparé des postes de commande dans l’Eglise. Il semble donc indispensable de continuer le combat doctrinal contre les erreurs contemporaines : tels Mgr Lefebvre présentant à Rome ses dubia sur la liberté religieuse [xiii] ou Mgr Fellay présentant à Jean-Paul II ses doutes sur la réforme liturgique [xiv]. Tout accord véritable devra se faire sur la base de la doctrine traditionnelle, seule voie de salut. À l’inverse, il faudra rejeter tout accord tendant à déterminer la dose de libéralisme et de modernisme que les défenseurs de la Tradition seraient prêts à avaler pour être réintégrés dans le périmètre visible de l’Eglise officielle. Lorsque qu’existera la communion dans la profession de la doctrine traditionnelle, il n’y aura plus aucun différend à régler. Tant qu’un tel accord fera défaut, les formules pseudo doctrinales seront des accords de dupes et leur volet pratique une tentative de plus pour que le petit reste, lui aussi, lui enfin, sacrifie à la révolution.
[i] Revue Dios nunca muere, n° 8, p. 4-7 [ii] Le 5 avril dernier, le cardinal Castrillón a adressé une réponse à la lettre de Mgr Fellay. Nous en dirons un mot. [iii] Paul VI, Discours du 30 juin 1972. [iv] Revue Dios nunca muere, n° 3, p. 13-21 [v] Il s’agit du texte qui commence par ces paroles : « Nous adhérons de tout coeur, de toute notre âme à la Rome catholique…» et poursuit : « Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante… » [vi] Dans leur sens obvie. [vii] Qu’on ne fasse rien sans l’évêque. [viii] Soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté. [ix] Figure du Droit Canon qui permet, après la disparition d’un empêchement, de donner validité à une action passée, en la considérant comme valide depuis le commencement par une fiction juridique. [x] Indult Quattuor abhinc annos. [xi] Aux dires de Mgr Lefebvre, un autre préfet de la S.C. pour le Clergé, le cardinal Silvio Oddi, avait eu avec lui une attitude pragmatique similaire : « On m’a conseillé une fois : “Signez, signez que vous acceptez tout, et puis vous continuez comme avant !” – Non ! On ne joue pas avec sa foi ! » ( Ils l’ont découronné, Fideliter, 1987, p. 230) [xiii] Dubia sur la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, présentés à la S.C.R. pour la Doctrine de la Foi, par Mgr Marcel Lefebvre, en octobre 1985 [xiv] Etude théologique et liturgique Le problème de la réforme liturgique, préfacé par Mgr Fellay, le 2 février 2001. |