30 juillet 2002

[Aletheia n°29] Anniversaires - Nouvelles - Revues - A propos des "Frères de Jésus" - A propos d'Alain de Benoist, de Présent et de Maurras.

Yves Chiron - Aletheia n°29 - 30 juillet 2002
Anniversaires
Nouvelles
Revues
A propos des "Frères de Jésus"
A propos d'Alain de Benoist, de Présent et de Maurras.
Anniversaires
. Le 10 août 1972, le Père Eugène de Villeurbanne, de la Province capucine de Lyon, et le Père Elzéar des Étables fondaient, à Verjon, dans l’Ain, une “communauté capucine d’observance traditionnelle”. Elle a entretenu, au fil des années, des relations de plus en plus étroites avec Mgr Lefebvre et la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. En 1988, non sans quelque réticence, cette communauté a approuvé les sacres épiscopaux accomplis par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer.
Aujourd’hui, le Couvent Saint-François prospère dans la discrétion et l’humilité, à Morgon où il est établi depuis 1983. Une fondation à Aurenque, dans le Gers, est en préparation.
Pour célébrer le 30e anniversaire de leur fondation, les Capucins d’observance traditionnelle ont publié un modeste album photographique qui raconte l’histoire de leur fondation et montre la vie des frères au couvent. Ce petit livret peut être obtenu, contre une modeste offrande ou quelques timbres, en écrivant au Couvent Saint-François, Morgon, 69910 Villié-Morgon.
On renverra aussi à la biographie du fondateur, publiée en 1997 aux Éditions Clovis (B.P. 88, 91152 Etampes cedex) : Veilleur avant l’aube. Le père Eugène de Villeurbanne, 510 pages.
. La revue trimestrielle Sedes Sapientiae, publiée par la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, de spiritualité dominicaine, fête son 20 e anniversaire. Son numéro 80 vient de paraître. La revue se veut “un instrument de culture générale catholique, au service de l’intelligence de la foi, dans un format modeste et un prix... plus que raisonnable !”. Elle entend oeuvrer dans l’esprit de saint Thomas d’Aquin, avec ces règles de conduite : “harmonie de la foi et de la raison, piété filiale envers l’être historique de l’Eglise, adhésion et obéissance au Magistère vivant : sans le dissentiment qui s’érige en magistère parallèle, sans “la complaisance d’esprit, qui tend à faire de l’autorité, dans des matières de soi soumises à la raison et à la conscience, la règle de la vérité” (abbé Berto). Enfin respect des personnes dans la controverse, et absence de complexes par rapport aux schémas de la modernité."
Un abonnement découverte pour l'année 2002 est proposé : 18 euros pour les quatre numéros de l'année. Sedes Sapientiae, Couvent Saint-Thomas-d'Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi.

Nouvelles
. Après un mandat de six ans comme supérieur du district de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, l'abbé Laurençon rejoint, comme professeur d'Ecriture sainte et de patristique, le séminaire de Flavigny. Il est remplacé par l'abbé Régis de Cacqueray, qui dirigeait depuis huit ans l'école Saint-Joseph des Carmes à Montréal-de-l'Aude.
. Le Saint-Siège a approuvé l'office propre de sainte Madeleine que le Père Emmanuel, du Barroux, avait préparé pour son monastère.
. Mgr Ricard, archevêque de Bordeaux et nouveau Président de la Conférence épiscopale française, a été nommé membre de la Commission Ecclesia Dei. Les traditionalistes français devraient trouver auprès de lui un accueil attentif et non prévenu.
. Le 18 août prochain, le Père Fernando Arêas Rifan, qui est le collaborateur le plus proche de Mgr Licinio Rangel, sera sacré évêque par le cardinal Castrillon Hoyos et par Mgr Rangel. Mgr Rangel, qui avait été excommunié pour avoir reçu, en 1991, sans mandat pontifical, la consécration épiscopale d'évêques sacrés par Mgr Lefebvre, accomplit lui aussi un sacre, mais cette fois en pleine communion avec le Saint-Siège. Sont démenties ainsi les craintes de ceux qui redoutaient que l'Accord intervenu entre le Saint-Siège et l'Union sacerdotale Saint-Jean-Marie-Vianney ne garantisse en rien une continuité de l'oeuvre de Mgr de Castro Mayer et de Mgr Rangel.
. Le 6 octobre prochain, aux éditions Clovis, paraîtra une biographie de Mgr Lefebvre par Mgr Tissier de Mallerais. Mgr Tissier de Mallerais est un des évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988. L'ouvrage qu'il va publier est très attendu. Il comptera quelque 730 pages.
Sans encore avoir pu lire le livre, on peut déjà estimer qu'il devrait retenir l'attention par son ampleur et sa rigueur documentaire. Par exemple, à l'encontre de ce qu'ont affirmé longtemps diverses publications de la FSSPX, Mgr Tissier de Mallerais admet que Mgr Lefebvre a bien signé toutes les constitutions et déclarations du concile Vatican II, y compris celle sur la liberté religieuse. Plusieurs auteurs et publications, extérieurs à la FSSPX, avaient déjà établi ce point d'histoire.
Il semble que sur de nombreux autres points de la biographie du fondateur de la FSSPX, Mgr Tissier de Mallerais apporte des informations, des rectifications et des éclaircissements ; tout en restant fidèle à l'esprit de Mgr Lefebvre.

Revues
. Une nouvelle revue vient de paraître : Kephas. Elle est publiée par les éditions Ad Solem. Trimestrielle, elle en est à son deuxième numéro. Elle émane de la Fraternité Saint-Pierre, puisque le directeur de la publication en est l'abbé Le Pivain. Mais elle n'est pas la revue de la dite-Fraternité, qui possède sa propre revue, Tu es Petrus. Son comité de rédaction compte des prêtres, un religieux dominicain et des laïcs.
A l'origine du projet, il s'agissait de ressusciter la Pensée catholique, qui avait dû s'interrompre en 1996, après cinquante années de publication. Finalement, si l'esprit de la revue de l'abbé Lefèvre - "la romanité"- a été maintenu, le titre a été changé. On relèvera encore que le lien entre l'ancienne Pensée catholique et Kephas est assuré par la collaboration d'Hervé Kerbouc'h qui fut le successeur de l'abbé Lefèvre à la Pensée catholique.
Kephas, quatre numéros par an, abonnement : 50 euros. Revue Kephas, B.P. 21, 89150 Saint-Valérien.
. L'abbé Aulagnier, qui a dû abandonner D.I.C.I., qu'il avait fondée, et les Nouvelles de Chrétienté, qu'il avait ressuscitées, continue à s'exprimer dans Pour qu'Il règne, la revue de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X en Belgique (district dont l'abbé Aulagnier est toujours supérieur). Dans le n° 50 de cette revue, numéro de mai-juin, il publie un article important consacré à l'érection de l'Union sacerdotale Saint-Jean-Marie Vianney en administration apostolique. L'événement a déjà fait couler beaucoup d'encre. Le propos de l'abbé Aulagnier porte principalement sur la "facultas" accordée à cette Union sacerdotale de célébrer la messe selon le rite traditionnel. A l'encontre de voix autorisées qui, dans la FSSPX, ne voient dans cette autorisation qu'une "concession" fragile qui peut être retirée du jour au lendemain, l'abbé Aulagnier estime que cette "facultas" concédée par Rome aux prêtres de l'Union sacerdotale donne un droit qui engage pour l'avenir. Et donc : "l'exclusivité du NOM est finie (...) Demain, cette facultas le sera pour d'autres églises, pour nous... je l'espère. Et après-demain "pour tous", pour l' "ensemble des églises"."
Pour qu'Il règne, 2,5 euros le numéro (abonnement d'un an : 15 euros + 7,5 euros pour les frais d'envoi hors de Belgique). Prieuré du Christ-Roi, Rue de la Concorde 37, B- 1050 Bruxelles.

A propos des "Frères de Jésus"
. La revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé, 14 euros le numéro) publie, dans son numéro 41, un article du P. Emmanuel-Marie consacré aux "frères" de Jésus. Cet article n'est pas inutile. Dans sa dernière partie, il critique l'étude d'Alain de Benoist sur le sujet parue dans Nouvelle École, recensée ici il y a plus d'un an. A l'évidence, le Révérend Père n'a pas lu cette étude - comme il ignore que, depuis, elle a été éditée en volume - ; il ne la connaît que par ce qu'en a dit Alètheia.
Cette pratique - faire comme si on avait lu, alors que l'on en a une connaissance indirecte - est hélas répandue, dans le monde de la presse comme dans celui de l'édition. Mais, ici, elle se double d'une vilenie. Le P. Emmanuel-Marie, faisant référence à l'article d'Alètheia sur l'étude d'Alain de Benoist, écrit : "la critique est très réservée, se contentant de déclarer "décevante" l'étude sur les "frères de Jésus" parue dans le n° 52 de Nouvelle École."
Non, je ne me contentais pas de déclarer "décevante" l'étude d'Alain de Benoist. Après avoir parlé des très nombreuses références bibliographiques de l'étude parue dans Nouvelle École et d'un ouvrage récent qui, lui aussi, soutient la thèse de l'existence historique de frères et soeurs de Jésus, j'ajoutais : "Tout ceci, pourtant, ne doit pas impressionner le catholique fidèle" et je citais longuement un grand exégète contemporain qui avait résumé "très clairement la position catholique sur le sujet". Le Révérend Père ne dit rien de tout cela à ses lecteurs.

A propos d'Alain de Benoist, de Présent et de Maurras
Dans l'article cité ci-dessus, le Père Emmanuel-Marie reproche encore au quotidien Présent, dans son numéro du 18 mai 2002, d'avoir cité "avec une complaisance manifeste" une lettre d'Alain de Benoist pour les 20 ans de Présent. Le Révérend Père estime que dans Présent "on cherche en vain la moindre réserve sur les idées d'A. de Benoist" et il reproche au journal de le considérer "comme une autorité très recommandable".
Sans répondre au nom de Présent, dirigé par Jean Madiran, je rappellerai néanmoins au P. Emmanuel-Marie qu'il m'est arrivé à plusieurs reprises, depuis plus de quinze ans que je collabore à ce journal, de recenser des ouvrages d'Alain de Benoist et, toujours, je n'ai pas manqué de faire les réserves qui s'imposent et de manifester les désaccords qui existent, même si d'autres aspects du livre méritaient de retenir l'attention. Par exemple, il aura peut-être échappé au Révérend Père que, le 1er décembre 2001, dans la dernière recension faite d'un ouvrage d'Alain de Benoist dans Présent (la réédition de Vu de droite), j'avais relevé, pour la regretter, ce qui m'apparaît comme une caractéristique essentielle de sa pensée : "l'anomie".
Ces critiques et réserves n'empêchent pas Alain de Benoist d'apprécier Présent, journal catholique et national, et de manifester publiquement cette appréciation. Présent, qui continue à exister depuis vingt ans dans des conditions héroïques que ne connaissent peut-être pas les religieux du Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, ne trie pas dans les encouragements qui lui sont prodigués. Catholique et national, il n'est pas le journal d'un parti ou d'une faction.
J'ajouterai que, de la même manière qu'Alain de Benoist ne méconnaît pas tout ce qui le sépare de Présent, les rédacteurs de Présent et ses lecteurs savent tout ce qui les sépare des idées d'Alain de Benoist. Son appui à un journal qui n'est pas de ses idées n'en a que plus d'éclat.
Le Père Emmanuel-Marie, encore, reproche au Bulletin Charles Maurras d'avoir édité une bibliographie de Charles Maurras et de l'Action française établie par Alain de Benoist et d'en faire "un éloge très flatteur". Le Révérend Père n'a pas lu l'ouvrage. S'il l'avait lu, il aurait constaté que cet ouvrage, qui s'en tient à une bibliographie exhaustive, ne saurait encourir la moindre réserve de la part d'un catholique. La bibliographie est une science ingrate mais ô combien utile. Alain de Benoist a fait la preuve, par d'autres publications de ce genre, qu'il maîtrisait cette science bibliographique. Pourquoi les Éditions BCM auraient-elles repoussé cette compétence qu'on mettait au service d'un homme que saint Pie X a qualifié de "beau défenseur de la foi" ?
Minute a consacré à cette Bibliographie de Maurras par Alain de Benoist une recension très élogieuse. Probablement, elle aussi aura échappé au Révérend Père. Je crois savoir que son auteur est un éminent prêtre de la FSSPX, directeur de publications fort estimées...

15 juillet 2002

[Abbé Didier Bonneterre, fsspx - Congrès théologique SiSiNoNo] La guerre des missels a déjà eu lieu

SOURCE - Abbé Didier Bonneterre, fsspx - Congrès théologique SiSiNoNo - via Nouvelles de Chrétienté - n°76 - Juillet-août 2002

L’introduction d’un nouveau missel après 2000 ans d’Eglise a été un coup de force longuement préparé par des hommes et une famille d’esprit. L’abbé Bonneterre retrace les principales étapes et évoque les acteurs de la guerre des missels, une guerre qui ne fut autre chose qu’une adaptation du Cheval de Troie. Cette conférence donnera au lecteur une idée de la qualité des interventions faites au Congrès théologique de SiSiNoNo, en avril dernier. Les Actes de ce congrès sont dès à présent disponibles.
Chers participants à ce congrès,

Émergeant laborieusement du ministère paroissial, la vieille amitié de M. l’abbé du Chalard m’appelle à me replonger dans mes lointaines études sur le Mouvement liturgique. Je le ferai d’autant plus volontiers que la querelle des missels est au centre de l’actualité religieuse. J’en voudrais pour preuve, et pour témoignage significatif, qu’un évêque de France, connu pour sa modération et son esprit dit conservateur, confiait à L’Homme nouveau un texte presque pathétique appelant à la paix des braves les fidèles attachés à l’un ou l’autre missel dit romain: Non à la guerre des missels, titrait Mgr Lagrange, évêque de Gap. Je le cite dans son entier, tant son témoignage a valeur d’archives dans la guerre des missels qui se révèle plus violente que jamais. Que l’on se souvienne simplement de la passe d’armes entre Mgr Raffin, évêque de Metz, et le cardinal Ratzinger (L’Homme nouveau du 3 février 2002). Je cite intégralement l’intervention de Mgr Lagrange, parue dans L’homme nouveau (du 17 février 2002) sous le titre: «Non à la guerre des missels !»

«Comment, alors que l’évangélisation est urgente, dépasser la querelle liturgique? D’abord, en excluant l’exclusion.

«Les divisions actuelles, au sein de l’Église, au sujet de liturgie, sont évidemment affligeantes: alors que la tâche d’évangélisation est urgente et immense, et les évangélisateurs si peu nombreux, il y aurait mieux à faire que d’user nos forces dans ces querelles. Mais aussi elles témoignent de l’importance que l’on accorde, de part et d’autre, à la liturgie, même si l’immense majorité de la population demeure totalement étrangère à ces problèmes, et cela même au sein de la petite minorité que représentent les catholiques pratiquants. De plus, ces discussions amènent malgré tout un certain nombre de catholiques à être informés et à réfléchir, bien sûr à des degrés divers, sur l’histoire de la liturgie, sur sa signification et son importance dans la vie de l’Église.

«Que faire cependant pour avancer vers l’unité dans la vérité?

«Exclure les exclusions. Il semble d’abord qu’il faudrait exclure les exclusions. A en croire des spécialistes, le missel dit tridentin, serait en fait mieux nommé grégorien. Il aurait donc été pendant environ 1 500 ans la colonne vertébrale de la célébration eucharistique dans l’Église catholique de rite latin. Pour le moins, cela mérite le respect, et il semble évident qu’il ne peut être purement et simplement rangé au placard des livres proscrits. Le missel dit de Paul VI, lui, même si son âge n’est pas aussi vénérable, est célébré depuis trente ans par l’immense majorité des prêtres et la quasi-totalité des évêques catholiques de rite latin, à commencer par celui de Rome: comment peut-on l’exclure totalement de l’Église d’aujourd’hui? Mais il y aurait aussi des progrès à faire dans la façon dont il convient de célébrer ce nouvel Ordo Missæ. Il faudrait pour cela tenir davantage compte de la constitution Sacrosanctum Concilium de Vatican II et de la lettre apostolique de Jean-Paul II publiée le 4 décembre 1988 à l’occasion du 25 anniversaire de cette constitution. L’élimination presque totale des chants latins (Gloria, Credo, Sanctus, Agnus), par exemple, n’est pas conforme aux vœux de l’Église, ni même à celui d’une partie des fidèles.

«Retrouver l’esprit du concile. Derrière le problème des rites, il y a chez la plupart des fidèles (et parfois même chez les prêtres), un problème de formation spirituelle et de compréhension de ce qui est vraiment célébré dans les sacrements, la dimension proprement surnaturelle et théologale étant souvent étouffée par les dimensions affective, psychologique et sociologique, diverses modes l’emportant sur les exigences fondamentales de la vie chrétienne en Église.

«Pour certains, le concile semble avoir essentiellement consisté à supprimer la soutane et le latin, alors qu’il n’a jamais parlé de la soutane, et qu’il a demandé que la langue latine garde une place dans la liturgie (cf. par exemple § 36 et 54 de la constitution sur la liturgie). Dans sa lettre Novo millennio ineunte du 6 janvier 2001, Jean-Paul II demandait avec insistance: “En préparation au grand jubilé, j’avais demandé que l’Église s’interroge sur la réception du concile. Cela a-t-il été fait? Aussi bien parmi ceux qui se réclament ardemment du concile Vatican II que parmi ceux qui l’accusent de tous les maux, nombreux sont, en effet, ceux qui ne l’ont pas lu, ou qui auraient grand besoin de le relire de plus près...”

«Mais derrière ce qu’on appelle pudiquement les sensibilités diverses, il y a très souvent, surtout en France, un fond culturel issu de notre histoire où des complots politico-religieux ont constitué des familles d’esprit souvent difficilement définissables (que signifie exactement être de droite ou être de gauche). Ce fut la Révolution française, puis l’opposition des classiques et des romantiques, des monarchistes et des républicains, le ralliement, l’ACJF, le Modernisme, le Sillon, l’Action française, l’Action catholique, Pétain, les maquis, les prêtres ouvriers et tant d’autres affaires douloureuses que l’on a parfois oubliées, ou que l’on garde en silence au fond de soi par crainte de raviver les querelles, mais qui cependant laissent des traces au fond des cœurs. Au-delà des arguments historiques, philosophiques ou théologiques, il y aurait à faire une véritable psychanalyse, ou mieux un sérieux examen de conscience, en toute loyauté et sérénité, pour mieux comprendre les autres... et se comprendre soi-même !»

Longue citation qui a valeur d’aveu: on nous demande la paix entre un missel qualifié de grégorien vieux de 1 500 ans, et un missel de trente ans d’âge. Il ne m’appartient pas ici de commenter cette déclaration de Mgr Lagrange. Je n’en retiendrai que l’appel à la psychanalyse et à l’examen de conscience.

L’évêque de Gap s’arrête à l’évocation des problèmes franco-français de politique religieuse du XXe siècle. J’ai essayé, il y a plus de vingt ans, une psychanalyse religieuse du Mouvement liturgique qui a amené le Novus Ordo Missae, ce missel dit de Paul VI, apparu en 1969, sans que l’on s’y attende vraiment, et que l’on a imposé par la force, et même la violence, à l’univers catholique. J’étais alors relativement libre de mon temps à Ecône, nommé professeur de liturgie après mon ordination sacerdotale. Fideliter naissait, et le cher abbé Aulagnier me demandait ma collaboration. La bibliothèque d’Ecône, admirablement aménagée par Dom Guillou, était immense, vrai trésor pour tout esprit un tant soit peu curieux.

Et quelle ne fut pas ma surprise de voir apparaître, puis grandir dès la première moitié du XX siècle une véritable force de pression visant à réformer le missel romain que Mgr Lagrange reconnaît vieux de quinze siècles.
I - Les pionniers du nouveau mouvement liturgique
Ce qui allait devenir le Mouvement liturgique commençait bien, et sous les meilleurs auspices avec les travaux de Dom Guéranger et l’impulsion de saint Pie X. Il s’agissait, selon la définition de Dom Rousseau, du «renouveau de ferveur du clergé et des fidèles pour la liturgie [1].» Il fallait, selon saint Pie X, «trouver le véritable esprit chrétien à sa source première et indispensable: la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église [2].»

Hélas bien vite, les premières déviations se firent sentir. Dom Lambert Beauduin privilégia l’aspect apostolique de la liturgie sur son caractère essentiellement cultuel. Il envisagea, avec son aventure de Chevetogne, de mettre au service de l’œcuménisme le Mouvement liturgique. Et c’est ainsi, à côté des vrais succès du Mouvement, qu’augmentaient en nombre et en gravité les déviations.

En Allemagne, Dom Herwegen veut débarrasser le missel de ses éléments médiévaux pour le ramener à la pureté patristique. Plus grave, pour Dom Odon Casel, il y a une justification théologique à ce présupposé archéologique: le Moyen Age, et surtout l’âge baroque, ont altéré le sens du mystère du culte chrétien. Laissons le père Bouyer nous expliquer de quoi il s’agit: «Disons d’un mot le contenu du “mystère”. C’est la réactualisation dans, par et pour l’Église, de l’acte de Notre- Seigneur qui a accompli notre salut, c’est-à-dire sa Passion et sa mort dans la plénitude de leur effet ultime: la Résurrection, la communication de la grâce salvatrice à l’humanité et la consommation finale de toutes choses. Dans cette perspective, la propriété centrale de la liturgie, et donc ce qu’il faut saisir avant tout pour la comprendre, c’est le mode unique par lequel l’acte rédempteur du Christ est renouvelé et distribué de façon permanente par l’Église. Bien comprendre ce mode, qui est entièrement différent de celui d’une représentation théâtrale ou imaginative, ou de toute répétition physiquement réaliste, c’est la clef de l’intelligence de toute la liturgie dont la perte commença pendant le Moyen-Age. Et c’est cette clef que la période baroque a si profondément perdue qu’elle n’a plus gardé sous son regard que l’écorce vide de la liturgie, une écorce d’autant plus décorée et surchargée extérieurement que la réalité intérieure tendait à être oubliée [3]». De la sorte, «Dom Casel nous a fait sortir des impasses des théories post-tridentines du sacrifice [4].»

Dom Pius Parsch, à côté d’études de valeur (comme L’année du Seigneur) entraîna la jeunesse allemande dans une participation activiste à la messe. La présence du Seigneur dans sa parole devenait de plus presque aussi importante que sa présence eucharistique.

En France, les efforts conjugués du jésuite Doncœur et des dominicains Maydieu et Duployé entraînèrent une succession d’expériences liturgiques et de publications. Les Pères Congar et Chenu abritaient de leur aura intellectuel tous ces travaux. L’aboutissement de ces efforts fut la fondation, en 1943, sous la présidence de Dom Beauduin, du Centre de pastorale liturgique, dont les travaux allaient être publiés par les éditions du Cerf.

C’est encore Dom Beauduin qui met au point la méthode subversive:

• Faire découvrir et apprécier tous les aspects de la liturgie antique, et influencer la section historique de la Sacré congrégation des rites créée par Pie XI en 1930.

• Faire présenter toutes les requêtes de réformes par les évêques, et les avancer sous raison d’avantages pastoraux.
II – La préparation des réformes
L’encyclique Mediator Dei du 20 novembre 1947 n’allait pas décourager les réformateurs. L’admirable document que l’on ne se lasse pas de relire allait être habilement dépassé. C’est Mgr Martimort qui a noté la remarque de Dom Beauduin: «L’encyclique Mediator Dei a donné dans le monde le branle à un essor liturgique inouï [5].»

Une commission pontificale pour la réforme liturgique était créée en 1948. Présidée par le cardinal Micara, nous trouvons parmi ses membres le R.P. Fernando Antonelli dont la vie et l’œuvre viennent d’être retracées par Nicola Giampietro [6]. Parmi les La guerre des missels a déjà eu lieu plus célèbres membres, notons le R.P. Agostino Béa, et surtout le secrétaire qui sera de toutes les commissions, Annibale Bugnini, directeur des Éphémérides liturgiques.

Et oui déjà, Mgr Bugnini qui, dès juillet 1946, était invité aux réunions du CPL (Centre de Pastorale Liturgique), et qui confiait au Père Duployé sur le chemin du retour: «J’admire ce que vous faites, mais le plus grand service que je puisse vous rendre est de ne jamais dire à Rome un mot de tout ce que je viens d’entendre» [7].

Ce furent la réforme du jeûne eucharistique, puis celle de la Semaine sainte, et une réforme des rubriques et du bréviaire [8]. Les experts romains ne réalisaient sans doute pas que toute réforme allait dans le sens des éléments les plus avancés du Mouvement liturgique, par le simple fait qu’elle ébranlait l’édifice. C’est ce qu’observait le Père Duployé en France: «Si nous parvenons à restaurer dans sa valeur première la vigile pascale, le Mouvement liturgique l’aura emporté ; je me donne dix ans pour cela [9].

C’était justement en 1956, tandis que le Père Louis Bouyer répandait dans le grand public les thèses de Dom Casel [10]. L’oratorien écrivait dans La vie de la liturgie: «Ainsi l’élément de “communion”, écrit-il, signifie que l’Eucharistie est un repas, un repas de communauté dans lequel tous les participants sont rassemblés pour participer en commun à des biens communs.» Et un peu plus loin: «L’emploi de ces termes sacrificiels ne vient pas, comme on pourrait le supposer, de l’idée que la croix est représentée d’une certaine manière à la messe. Tout au contraire, les données historiques nous conduisent plutôt à penser que l’Église en est arrivée à appliquer habituellement à la croix la terminologie sacrificielle parce que l’on comprenait que la croix est au cœur du sacrifice offert par l’Église dans la célébration eucharistique.» L’action de grâces, telle que la comprend l’oratorien, nous laisse déjà entrevoir les modifications de l’offertoire que nous savons: «C’est une action de grâces à Dieu pour tous ses dons, écrit-il, qui inclut en une seule perspective tout l’ensemble de la création et de la Rédemption, mais qui prend toujours comme point de départ le pain et le vin, représentatifs de toutes les choses créées, et dont la consommation est l’occasion effective du repas comme de la célébration qui y est attachée.» Le mémorial envisagé dans sa relation à la Parole de Dieu permet au P. Bouyer d’écrire, dans la tradition ouverte par Dom Pius Parsch: «La célébration eucharistique tout entière est aussi un mémorial (...) Il y a une connexion nécessaire entre les deux parties de la synaxe chrétienne, entre les lectures de la Bible et le repas. Car les lectures conduisent au repas (...) Et les lectures sont indispensables au repas, pour nous montrer de quelle manière il faut l’envisager, non pas comme un événement d’aujourd’hui qui vaudrait par lui-même, mais comme un événement qu’on ne peut comprendre que par référence à une action décisive accomplie une fois pour toutes dans le passé. Cette considération nous amènera, le moment venu, à voir que toute la messe n’est qu’une seule liturgie de la Parole, qui a commencé par parler à l’homme, qui lui a parlé de façon de plus en plus intime, qui finalement lui a parlé au cœur en tant que Parole faite chair, et qui maintenant, du cœur même de l’homme, s’adresse à Dieu le Père par l’Esprit.» «Il est évident, ose-t-il encore écrire, que cette notion équilibrée de la célébration eucharistique peut nous permettre d’embrasser pleinement la présence réelle du Christ dans son Église. En un mot, nous ne devons pas concentrer notre contemplation exclusivement sur le pain et le vin sacramentels mais aussi bien sur deux autres réalités (...) Sa présence en tant que grand-prêtre de toute la hiérarchie. D’autre part, le Christ doit finalement être présent dans tout le corps de l’Église, car l’Église ne jouit de la présence eucharistique que pour être faite une dans le Christ et avec le Christ, par la célébration eucharistique, et spécialement par la consommation de celui- ci dans le repas sacré.» C’est dans la liturgie juive que le P. Bouyer trouve cette «conception équilibrée de la célébration eucharistique». La liturgie des repas sacrés lui fournit la formule eucharistique idéale: «Béni, sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de toute éternité, qui as fait produire le pain à la terre ; Béni, sois-tu, Ô Seigneur notre Dieu, roi de toute éternité, qui as créé le fruit de la vigne.» Là encore, redisons-le, les studios Lercaro-Bugnini qui ont réalisé la nouvelle messe ont trouvé leur scénario dans les ouvrages du Mouvement liturgique des années 1950-1960. Le nouvel offertoire n’est que la reprise des bénédictions juives tant vantées par le P. Bouyer.

1956 connaît également la fondation de l’Institut supérieur de liturgie de Paris, dirigé par Dom Bernard Botte avec, pour sous- directeur, le Père Gy et pour secrétaire, l’abbé Jounel. C’était aussi l’époque des réunions internationales d’études liturgiques qui réunissaient chaque année l’intelligentsia liturgique du monde entier [11].
III – Vers le concile Vatican II
La mort de Pie XII et l’élection de Jean XXIII furent une explosion de joie dans les milieux du Mouvement liturgique [12]: «S’ils élisaient Roncalli, tout serait sauvé: il serait capable de convoquer un concile et de consacrer l’œcuménisme» confiait Dom Beauduin au R.P. Bouyer [13].

En attendant le Concile, Jean XXIII se contenta de faire aboutir les travaux de la commission pour la réforme de la liturgie, fondée en 1948. L’ensemble était très en retrait des aspirations des leaders du Mouvement qui attendaient avec impatience le Concile. Ce fut le motu proprio Rubricarum instructum du 25 juillet 1960 qui entra en vigueur le 1er janvier 1961.

Et c’est sans doute ici le lieu de citer l’ouvrage de Dom Adrien Nocent, professeur à St-Anselme de Rome et lauréat de l’Institut liturgique de Paris: L’avenir de la liturgie. Ce livre montre l’état des travaux des réformateurs de l’ombre à cette époque. Don Nocent y énonce tout d’abord le “principe et fondement” du culte nouveau: «Une grande variété de célébrations serait donc permise autour du noyau central toujours respecté et qui serait célébré seul aux jours simples.» L’autel doit être face au peuple, sans nappe en dehors des célébrations, les prières de préparation doivent être simplifiées, les lectures multipliées, la prière universelle restaurée. L’offertoire, après le Credo récité seulement le dimanche, est très raccourci. Le célébrant ne fait qu’élever les oblats en silence. Le calice est posé à droite de l’hostie, la pale facultative, l’encensement rapide. Le lavabo n’a lieu que si le célébrant a les mains sales, car «il faut éviter ce symbolisme facile et sans intérêt majeur». L’Orate fratres est récité à voix haute, ainsi que la secrète. Le Canon est dépouillé de toute prière d’intercession, des per Christum Dominum nostrum, moins de signes de croix et de génuflexions, Canon récité à haute voix, même en langue vernaculaire, Pater récité par tous ; on se serre la main à l’Agnus Dei, pendant lequel a lieu la fraction de l’hostie. La fraction de toutes les hosties a lieu à partir du même pain ordinaire. Communion sous les deux espèces, debout et dans la main. Bénédiction, Ite missa est, plus de dernier évangile, ni prières de Léon XIII. Notre réformateur passe ensuite en revue tous les sacrements et propose également des réformes qu’il nous serait trop long de reprendre ici, mais qui sont en substance les sacrements réformés de l’Église conciliaire [14].

Pendant ce temps, se préparait le document de Vatican II sur la liturgie. Il est regrettable, à notre avis, que le cardinal Stickler n’émette aujourd’hui aucune réserve sur ce texte du concile [15]. Certes, de tous les schémas préparatoires du concile, le seul à ne pas avoir été repoussé fut celui sur la liturgie. C’est que l’aile progressiste ne pouvait qu’être satisfaite d’un texte dont l’auteur principal était le R.P. Bugnini, c.m., secrétaire de la Commission préparatoire de liturgie. Citons les noms de quelques membres de cette commission: Dom Capelle, Dom Botte (il avait soixante-dix ans en 1963), le chanoine Martimort, l’abbé Hängi (ancien évêque de Bâle, alors professeur à Fribourg en Suisse), le Père Gy, l’abbé Jounel. Le président de cette commission était le vieux cardinal Gaetano Cicognani, qui s’opposa de toutes ses forces à ce schéma qu’il jugeait très dangereux. Le projet de schéma, pour être présenté dans l’aula conciliaire, devait être revêtu de la signature du cardinal... Jean XXIII l’obligea à le signer: «Plus tard, écrit le P. Wiltgen, un expert de la commission pré- conciliaire de liturgie affirma que le vieux cardinal était au bord des larmes, qu’il agitait le document en disant “On veut me faire signer ça, je ne sais que faire”. Puis il posa le texte sur son bureau, prit une plume et signa. Quatre jours plus tard, il était mort.»

C’est le 22 octobre 1962 que ce schéma préparatoire fut présenté dans l’aula conciliaire, et c’est le 4 décembre 1963 que le nouveau pape Paul VI promulgua la constitution Sacrosanctum concilium. Elle avait été approuvée par 2 151 voix contre 4! Pour une étude détaillée de cette constitution, nous renvoyons nos auditeurs aux ouvrages de MM. Pierre Tilloy et Jean Vaquié. Nous résumons simplement ici, à leur suite, les caractéristiques de cette constitution:

1. Elle une loi-cadre, c’est-à-dire qu’elle énonce seulement les grandes lignes d’une doctrine liturgique dont le Consilium et les commissions liturgiques nationales et diocésaines s’inspireront pour élaborer la nouvelle liturgie (a. 44- 45).

2. Elle inaugure une transformation fondamentale de la liturgie; en particulier, elle annonce la révision du rituel de la messe (a. 50), un nouveau rite de la concélébration (a. 58), la révision des rites du baptême (a. 66), de la confirmation (a. 71), de la pénitence (a. 72), des ordinations (a. 76), du mariage (a. 77), des sacramentaux (a. 79), etc.

3. Elle constitue un compromis entre le traditionalisme et le progressisme qu’elle cherche à équilibrer l’un par l’autre. Pour satisfaire la majorité traditionaliste sans principe ferme, on respectera les principes fondamentaux de la liturgie, mais sans aucune application pratique. Pour la minorité progressiste agissante, on assurera l’évolution ultérieure dans le sens du progressisme. Cela en particulier pour les questions si importantes des rapports culte-pédagogie dans la liturgie (a. 33), et de l’emploi du latin (a. 36, 54, 101).

Telle est donc la constitution Sacrosanctum concilium: «Une loi cadre, inaugurant une transformation fondamentale, écrit M. Vaquié, et s’inspirant de deux doctrines contradictoires, ainsi se présente la constitution liturgique du 4 décembre 1963.»
IV – Les étapes d’une agonie
Ainsi le vœu de Jean XXIII, émis en 1960, était-il réalisé, les La guerre des missels a déjà eu lieu Pères du Concile s’étaient prononcés sur les principes fondamentaux concernant la réforme liturgique. La révolution liturgique était engagée ; la nouvelle liturgie issue de la constitution allait être didactique, évolutive, démocratique et libre. Restait à mener à bien cette réforme ; le pape Paul VI allait y consacrer toutes ses énergies, soutenant sans cesse le parti ultra-réformiste contre l’aile traditionaliste dans l’interprétation de la constitution. Acceptée par une bonne majorité d’évêques fidèles, mais manquant de convictions ou, tout au moins, de connaissances liturgiques, la constitution conciliaire sur la liturgie va servir à la destruction de la liturgie catholique. Mais voyons les étapes de cette agonie. La machine mise en branle aboutira au Novus Ordo Missae.

Le 25 janvier 1964, Paul VI, par le motu proprio Sacram liturgiam, met en application immédiate certaines dispositions de la constitution et annonce la création d’une commission spéciale chargée de mettre en application cette constitution.

Le 29 février 1964, le pape crée le Consilium ad exsequendam constitutionem de sacra liturgia ; il en confie les postes aux éléments les plus avancés du Mouvement liturgique, en particulier la présidence au cardinal Lercaro et le secrétariat au R.P. Bugnini. Le Consilium peut très exactement être comparé au Comité de salut public de la Révolution française ; il va fonctionner, jusqu’en 1969, comme un véritable tribunal d’exception, dépossédant la Sacrée Congrégation des Rites de presque tous ses pouvoirs. Paul VI intervient personnellement le 20 octobre 1964 et le 7 janvier 1965 pour soutenir le Consilium alors en conflit avec la Congrégation romaine. Laissons Dom Botte nous expliquer la structure de cet organe révolutionnaire: «Le Conseil, écrit-il, était constitué de deux groupes différents. Il y avait tout d’abord une quarantaine de membres proprement dits – pour la plupart cardinaux ou évêques – qui avaient voix délibérative. Ensuite, il y avait le groupe des consulteurs, beaucoup plus nombreux, chargés de préparer le travail. Les séances se tenaient le plus souvent au palazzo Santa Marta, derrière la basilique Saint-Pierre, dans la grande salle du rez-de-chaussée.»

Plusieurs experts étaient groupés et travaillaient ensemble, sous la direction d’un relator. Dom Botte fut chargé de la révision du premier tome du pontifical, et nous lui devons, en grande partie du moins, la disparition des ordres mineurs ainsi que le nouveau rituel des ordinations et le nouveau rite de la confirmation. Mgr Wagner, directeur de l’Institut liturgique de Trèves, fut le relator du groupe chargé de la réforme de la messe, dont les membres les plus actifs furent: le professeur Fischer, Mgr Schnitzler, le Père Jungmann, le Père Louis Bouyer, le Père Gy, Dom Vaggagini et Dom Botte.

Le 26 septembre 1964, le Consilium autorise l’usage facultatif de la langue vulgaire dans tous les rites sauf la préface et le Canon de la messe ; le psaume Judica me et les prières après la messe disparaissent, de nombreuses rubriques de la messe sont modifiées et, enfin, pour la première fois, des pouvoirs liturgiques sont confiés aux conférences épiscopales. Le décret entra en vigueur le 7 mars 1965.

La révolution se radicalise encore, le 4 mai 1967, avec l’instruction Tres abhinc annos, qui autorise la récitation du Canon de la messe à haute voix et en langue vulgaire.

Mais cela ne suffisait pas aux novateurs, la messe tridentine, même mutilée et réformée, demeurait un obstacle à l’œcuménisme, à ce christianisme universel tant désiré. Le cardinal Lercaro et le P. Bugnini, qui n’avaient pas perdu leur temps depuis le Concile, avaient réussi en trois ans à mettre au point une nouvelle liturgie de la messe, conforme en tous points aux desiderata du Mouvement liturgico-œcuménique. La quintessence de l’hérésie anti-liturgique allait voir le jour. On baptisa ce culte nouveau messe normative, et on le présenta aux évêques réunis à Rome en synode le 14 octobre 1967.

Voici la relation que le Courrier de Rome donna de l’événement: «Une “première” à la chapelle Sixtine: c’est de la messe normative, montée dans les studios de la commission Lercaro-Bugnini, dont nous voulons parler. Par une délicate attention, les producteurs avaient tenu, avant de soumettre leur invention au vote du synode, à exécuter devant eux une représentation générale. Il fallait “tester”. On avait expliqué, avant de tourner, aux 183 prélats qu’ils devaient s’imaginer jouer le rôle de paroissiens assistant à la nouvelle messe, active, consciente, communautaire, simplifiée. Six séminaristes feraient la schola cantorum, un lecteur lirait les deux plus une lectures, et le Père Annibal Bugnini lui-même se dévouerait pour célébrer et prononça l’homélie. Cette “messe normative” serait appelée à remplacer celle que saint Grégoire le Grand, saint Thomas d’Aquin, saint Philippe de Néri, Bossuet, le Curé d’Ars ont célébrée sans jamais se douter qu’ils célébraient une messe passive, inconsciente, individualiste et compliquée. La messe normative supprime le Kyrie, le Gloria et l’offertoire. Elle pulvérise le Confiteor. Elle glisse sur l’intercession des saints, sur le souvenir des âmes du purgatoire, sur tout ce qui exprime l’offrande personnelle du prêtre humain. Elle propose quatre canons de rechange. Elle corrige les paroles de la consécration. Et, bien entendu, elle remplace le latin par l’idiome national. Afin de lever tout doute dans l’esprit de nos lecteurs, nous devons préciser que cette messe “expérimentale” voulait être une messe véritable, un vrai sacrifice, avec présence réelle de la Victime sainte du Calvaire.»

Les évêques refusèrent cette messe lors du vote du 27 octobre 1967. A la question: «La structure générale de la messe dite normative, telle qu’elle a été décrite dans le rapport et la réponse, a-t- elle l’accord des Pères?», les réponses furent: Placet: 71 ; non Placet: 43 ; Placet juxta modum: 62 ; abstentions: 4. L’échec relatif de la Missa Normativa ne découragea pas le Consilium... Le pape mettrait son autorité dans la balance. En effet, le 3 avril 1969, Paul VI proclamait la constitution apostolique Missale romanum par laquelle il réformait le rite de la messe et introduisait de force la messe normative à peine retouchée. Le 6 avril 1969, la Sacrée Congrégation des Rites promulguait le Novus Ordo Missae, avec son Institutio generalis ; le nouveau missel devait entrer en vigueur le 30 novembre 1969.

Le Consilium avait mené à terme la révolution liturgique, il pouvait disparaître. Le 8 mai 1969, Paul VI, par la constitution apostolique Sacra rituum congregatio, substitua à l’antique Congrégation des Rites deux nouvelles congrégations intitulées, l’une pour la Cause des Saints, l’autre pour le Culte Divin, cette dernière héritant des compétences de l’ancien dicastère et absorbant le Consilium. Le préfet de la Congrégation pour le Culte Divin était le cardinal Gut, le secrétaire, l’âme damnée de cette réforme, Annibal Bugnini.

Notons au passage le jugement très modéré du Père Antonelli sur le P. Bugnini: «Je pourrais dire beaucoup de choses sur cet homme, toujours soutenu par Paul VI. Je ne voudrais pas me tromper, mais la lacune la plus notable chez le P. Bugnini est le manque de formation et de sensibilité théologiques. Manque et lacune grave, parce que dans la liturgie chaque parole et chaque geste traduisent une idée qui est une idée théologique. J’ai l’impression qu’il y a eu beaucoup trop de concessions, surtout en matière de sacrements, à la mentalité protestante. Non pas que le Père Bugnini ait fait lui-même ces concessions, non en fait, il ne les a pas créées ; mais il s’est servi de beaucoup de monde, et je ne sais pas pourquoi, il a introduit dans le travail des gens habiles, mais de coloration progressiste. Et, ou il ne s’en est pas rendu compte, ou il n’a pas résisté, comme il aurait dû résister à ces tendances [16].»

Grâce à Dieu, les réformateurs étaient allés un peu loin, et un peu vite, ce qui entraîna la salutaire réaction traditionaliste. Saisissant enfin où on les menait, les catholiques fidèles réagirent. Le 3 septembre 1969, les cardinaux Ottaviani et Bacci écrivirent à Paul VI leur célèbre lettre ouverte, présentant au pape le Bref examen critique du Novus Ordo Missæ. A partir de cette date, la résistance catholique allait devenir ce que l’on sait, grâce surtout à la fermeté et au zèle intrépide de S.E. Mgr Lefebvre.

Démasqué par cette lettre ouverte, le R.P. Bugnini annonça le 18 novembre 1969 une nouvelle rédaction de l’Institutio generalis, «pour une meilleure compréhension pastorale et catéchistique» ; nouvelle rédaction qui demeure aussi mauvaise que la première, et qui laisse inchangé le rite lui- même. De son côté, les 19 et 26 novembre, Paul VI s’efforça de tranquilliser les fidèles. Déjà, le 20 octobre 1969, la Congrégation pour le Culte Divin avait publié l’instruction De constiutione missale romanum gradatim ad effectum deducenda par laquelle l’introduction du N.O.M. était reportée au 28 novembre 1971, et latitude était laissée aux conférences épiscopales de fixer une date ultérieure. On sait que plusieurs épiscopats européens profitèrent de cette occasion pour déclarer interdite la messe traditionnelle. Le pape Paul VI ne déclara-t-il pas la même chose au Consistoire de mai 1976?
V – La Nouvelle liturgie, moteur d’une ample révolution
C’est donc avec la promulgation du Nouvel Ordo Missæ que nous achevons notre étude du Mouvement liturgique. Cette Nouvelle Messe est, effet, comme la synthèse de toutes les erreurs et déviations de ce grand courant d’idées.

Brisés par saint Pie X, les modernistes ont compris qu’ils ne pouvaient pénétrer l’Église par la théologie, par un exposé clair de leurs doctrines. Ils ont utilisé la notion marxiste de praxis, et ont compris que l’Église pourrait devenir moderniste par l’action, par l’Action sacrée par excellence qu’est la liturgie. La révolution utilise toujours les forces vives d’un organisme, elles les investit peu à peu et, finalement, les fait servir à la destruction du corps à abattre. C’est le processus bien connu du cheval de Troie. Le Mouvement liturgique de Dom Guéranger, de saint Pie X et des monastères belges, au moins à leurs origines, était une force considérable dans l’Église, un moyen prodigieux de rajeunissement spirituel, qui d’ailleurs produisit de bons fruits. Le Mouvement liturgique était donc le cheval de Troie idéal pour la révolution moderniste. Il fut facile à tous les révolutionnaires de se cacher à l’intérieur de cette grande carcasse... Avant Mediator Dei, qui se souciait de liturgie dans la hiérarchie catholique? Quelle vigilance apportait- on à déceler cette forme particulièrement subtile de modernisme pratique? La guerre des missels a déjà eu lieu.

C’est ainsi que, dès les années 1920, et surtout pendant et après la deuxième guerre mondiale, le Mouvement liturgique est devenu «l’égout collecteur de toutes les hérésies». Dom Beauduin privilégia tout d’abord de façon excessive l’aspect pédagogique et apostolique de la liturgie, il conçut ensuite l’idée de la faire servir au Mouvement œcuménique auquel il se dévoua corps et âme. Dom Parsch lia le Mouvement au renouveau biblique. Dom Casel en fit le véhicule d’un archéologisme forcené et d’une conception toute personnelle du Mystère chrétien. Ces premiers révolutionnaires furent largement dépassés par la génération des néo-liturges des divers CPL.

Après la deuxième guerre mondiale, le Mouvement était devenu une force que plus rien n’arrêterait. Protégés en haut lieu par d’éminents prélats, les néoliturges investirent peu à peu la Commission de réforme de la liturgie, fondée par Pie XII, ils influencèrent les réformes élaborées par cette commission, à la fin du pontificat de Pie XII et au début de celui de Jean XXIII. Déjà maîtres, grâce au pape, de la Commission préconciliaire de liturgie, les néo-liturges firent accepter aux Pères du concile un document contradictoire et plein d’ambiguïté, la constitution Sacrosanctum concilium. Le pape Paul VI, le cardinal Lercaro et le P. Bugnini, eux-mêmes membres très actifs du Mouvement liturgique italien, dirigèrent les travaux du Consilium, qui aboutirent à la promulgation de la nouvelle messe.

Ce rite nouveau reprend à son compte toutes les erreurs émises depuis le commencement des déviations du Mouvement. Ce rite est œcuménique, archéologique, communautaire, démocratique, presque totalement désacralisé ; il se fait aussi l’écho des déviations théologiques modernistes et protestantes: atténuation du sens de la présence réelle, diminution du sacerdoce ministériel, du caractère sacrificiel et surtout propitiatoire de la messe. L’eucharistie y devient une agape communautaire, bien plus que le renouvellement du sacrifice de la croix.

Par ce rite nouveau, les modernistes et les révolutionnaires de toute espèce, veulent transformer la foi des fidèles. Mgr Dwyer l’avouait, dès 1967: «La réforme liturgique est, déclarait-il, dans un sens très profond, la clé de l’aggiornamento. Ne vous y trompez pas, c’est là que commence la révolution.» Déjà, en 1965, Paul VI n’avait pas caché ses intentions aux fidèles: «Vous prouvez par-là, leur disait-il, que vous comprenez comment la nouvelle pédagogie religieuse, que veut instaurer la présente rénovation liturgique, s’insère pour prendre la place de moteur central dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l’Eglise de Dieu.»

Aussi donc, cela est sûr, la révolution et le modernisme ont pénétré la Cité de Dieu par la liturgie. Le Mouvement liturgique a été le cheval de Troie au moyen duquel les disciples de Loisy ont occupé l’Église.
VI – Conclusion
Et je voudrais, pour conclure cette trop longue conférence, vous citer le jugement que Mgr Lefebvre portait sur cette nouvelle messe. Nous étions au début du pontificat de Jean-Paul II, je me permettais de demander à Mgr Lefebvre si nous ne pourrions pas parler de liturgie dégradée pour entamer un dialogue avec les autorités romaines. Il me répondit dans une lettre inédite du 17 avril 1979:

«Quant à l’expression de “liturgie dégradée”, je trouve qu’elle ne répond pas à la réalité, elle est trop faible. L’influence protestante et moderniste a rendu ces messes dangereuses pour la foi. C’est pourquoi je préfère dire qu’elles sont empoisonnées. C’est ce que j’ai dit à l’ex Saint-Office. Il est de plus en plus évident que la réforme liturgique a pour résultat de communiquer l’esprit protestant sur le sacerdoce, sur la messe, sur l’Eucharistie, sur l’Église, sur les vérités dogmatiques et morales, sur l’Ecriture sainte, sur l’œcuménisme et la liberté religieuse.

Que d’assister à la nouvelle messe dite avec dévotion une fois ou deux par an ne produise pas cet effet, c’est évident. Mais je suis persuadé qu’une assistance régulière même une fois par mois est très nocive, car la résistance au poison diminue dès lors qu’on accepte cette fréquence!

Nous sommes obligés en conscience d’être très fermes à ce sujet. Les réformateurs savent qu’ils ont eu tort, ils constatent comme nous les effets. Tenir ferme dans le refus de ces réformes est un devoir et le seul remède pour la restauration de l’Église et le salut des âmes.»
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NOTES

1 L’ Église en prière - AG. Martimort, 1961, p. 51

2 Saint Pie X, Tra le sollecitudini du 22 novembre 1903

3 Louis Bouyer, La vie de la liturgie, Cerf. 1956, p. 33 ; cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 44 à 45

4 Cf. Le Mouvement liturgique, page 45, note 18

5 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 82, note 19

6 Nicola Giampietro, Il card. F. Antonelli et gli sviluppi della riforma liturgica dal 1948 al 1970, Studia Anselmiana, Roma 1998

7 Les origines du CPL par le P. Duployé, éditions Salvator, p. 320

8 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 104 à 111

9 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 110, note 7

10 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 85 à 94

11 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 99 et 100.

12 Cf. Abbé D. Bonneterre, Le Mouvement liturgique, p. 112 à 115.

13 Un homme d’Église, éditions Castermann, 1964, p. 180

14 A. Nocent, L’avenir de la liturgie, éditions Universitaires, 1961, p. 119 à 171

15 Cardinal Stickler, conférence publiée en 1995 dans The latin mass, et reprise par le CIEL (Centre International d’Études Liturgiques) en mai 2000.

16 Il Card. Fernando Antonelli et gli sviluppi della riforma liturgica dal 1948 al 1970 par Nicola Giampietro - O.F.M. Cap., Studia Anselmiana, Roma 1998
Histoire d’une longue patience : 32 ans de relations entre le Vatican et la Fraternité St-Pie X par M. l’abbé François Knittel
Nouvelles de Chrétienté, n°76 (juillet-août 2002) - Repris du site DICI, qui propose une version PDF agrémentée (page 11) d'un tableau comparatif des différents accords envisagés.
« Où en sont les relations entre le Vatican et la Fraternité ? »
Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette question de la part de nos fidèles. Voici deux ans, une nouvelle phase de ces relations commençait lorsque le cardinal Darío Castrillón-Hoyos fut chargé par le Saint-Père de régler la situation. Depuis la lettre de Mgr Fellay au cardinal Castrillón-Hoyos du 22 juin 2001 et les accords passés par l’Association Saint Jean–Marie Vianney en janvier 2002 [i], les choses ont peu évolué. [ii] Il est donc important de profiter de cet intermède pour réfléchir un peu et dresser un bilan.
En effet, les négociations commencées en l’année jubilaire 2000 ne sont pas les premières à avoir eu lieu. L’histoire de la Fraternité, des origines à nos jours, en est parsemée.
Il nous a paru nécessaire et intéressant de revenir sur ces diverses propositions romaines : nécessaire pour ne pas oublier d’où nous venons ; intéressant pour jauger d’autres propositions, actuelles ou futures, et savoir où nous allons.
L’objectif de notre travail, outre le rappel de documents parfois oubliés des anciens ou inconnus des plus jeunes, sera de chercher le fil conducteur qui relie toutes ces propositions romaines. Nous les comparerons donc, en soulignant leurs différences mais aussi leurs constantes.
De la sorte, s’établira une grille de lecture pour le futur, car nous saurons ce que l’Eglise conciliaire comme telle ne sacrifiera jamais, prolongeant d’autant la crise actuelle.
Nous saurons aussi à quels indices reconnaître le retour de l’autorité ecclésiastique à la profession intégrale de la foi catholique, retour qui coïncidera avec l’expulsion de « la fumée de Satan entrée dans le temple de Dieu. » [iii]
Il faut noter que les documents mentionnés, souvent longs, ne seront cités que pour ce qui concerne les relations entre Rome et la Fraternité. Pour situer les choses dans leur contexte, nos lecteurs se reporteront avec fruit à notre article sur l’histoire des 30 premières années de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X [iv].
La commission cardinalice : Une capitulation sans conditions
On se souvient que la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, érigée canoniquement le 1er novembre 1970 par Mgr François Charrière, évêque de Fribourg en Suisse, dut subir dès 1972 des attaques, particulièrement de la part des évêques français. Une visite canonique du séminaire d’Ecône fut diligentée pour les 11-13 novembre 1974. La fameuse déclaration de M gr Marcel Lefebvre qui y fit suite le 21 novembre [v] devait déclencher la réaction romaine sous forme d’une commission cardinalice, composée des cardinaux Garrone (Congrégation pour l’Education Catholique), Wright (Congrégation pour le Clergé) et Tabera (Congrégation pour les Religieux), qui publiait le 6 mai 1975 la sentence suivante : « Une telle déclaration nous apparaissait en tous points inacceptables. Il est impossible de concilier la plupart des affirmations contenues dans ce document avec une fidélité authentique à l’Eglise, à celui qui en a la charge et au Concile où la pensée et la volonté de l’Eglise se sont exprimées. »
« C’est avec l’entière approbation de Sa Sainteté que nous vous faisons part des décisions suivantes :
1. Une lettre sera envoyée à Mgr Mamie, lui reconnaissant le droit de retirer l’approbation donnée par son prédécesseur à la Fraternité et à ses Statuts. (…)
2. Une fois supprimée la Fraternité, celle-ci n’ayant plus d’appui juridique, ses fondations, et notamment le séminaire d’Ecône, perdent du même coup le droit à l’existence.
3. Il est évident – nous sommes invités à le notifier clairement – qu’aucun appui ne pourra être donné à Mgr Lefebvre tant que les idées contenues dans le Manifeste du 21 novembre 1974 resteront la loi de son action. »
Sans parler ici des nombreuses illégalités commises au cours d’un procès inique, notons les éléments mis en avant par les 3 cardinaux dans leur résolution. Au niveau doctrinal, il est reproché à Mgr Lefebvre de contredire dans sa déclaration du 21 novembre 1974 la fidélité à l’Eglise, la fi délité à Paul VI et la fi délité au concile Vatican II. Il est remarquable que la question du rite traditionnel, en usage dans la Fraternité dès le début, ne soit pas mise en exergue par les 3 cardinaux.
De ces prémisses doctrinales, suivent les conséquences pratiques : la suppression de la Fraternité, la fermeture du séminaire d’Ecône et des autres fondations, la suspension de toute aide à Mgr Lefebvre tant qu’il ne rétracterait pas sa déclaration. En réalité, c’est une capitulation sans condition qu’on attend du prélat et de ses collaborateurs.
La Secrétairie d’Etat : « Mgr Lefebvre, combien de divisions ? »
Au vu de l’illégalité des mesures prises contre lui par la commission cardinalice, Mgr Lefebvre décide de passer outre : il procède à 3 ordinations sacerdotales le 29 juin 1975 à Ecône et continue l’oeuvre de la Fraternité et du séminaire d’Ecône, illégalement supprimée. À l’approche des ordinations sacerdotales de l’été 1976, alors que les premières générations de séminaristes allaient commencer à sortir du séminaire au terme de leurs 5 années d’étude, les pressions vaticanes en vue d’un règlement de la situation reprennent. Le cardinal Jean Villot, Secrétaire d’Etat du Vatican, ayant été récusé par Mgr Lefebvre, c’est Mgr Benelli, substitut de la même Secrétairie d’Etat, qui est chargé du dossier. Le 21 avril 1976, il écrivait au fondateur de la Fraternité :
« Vous vous souvenez certainement, en effet, de la démarche envisagée comme la plus propre pour parvenir à ce résultat [le retour à la communion effective avec le pape Paul VI]. Après avoir réfléchi, seul devant Dieu, vous écrivez au Saint-Père pour lui dire votre acceptation du concile Vatican II et de tous ses documents, affirmer votre plein attachement à la personne de Sa Sainteté Paul VI et à la totalité de son enseignement, en vous engageant comme preuve concrète de votre soumission au successeur de Pierre, à adopter et à faire adopter dans les maisons qui dépendent de vous, le missel qu’il a lui-même promulgué en vertu de sa suprême autorité apostolique. »
Deux mois plus tard, à quelques jours des ordinations sacerdotales, il précisait son propos en vue d’une solution du différend dans une lettre à Mgr Lefebvre du 25 juin 1976 :
« Le 19 mars, je vous avais dit très franchement ce qui, dans vos jugements négatifs sur le Concile, dans vos propos fréquents sur les organismes du Saint-Siège et leurs directives en application du Concile, dans votre façon de procéder à l’encontre de la responsabilité des autres évêques dans leurs diocèses respectifs, était inadmissible pour Sa Sainteté, contraire à la communion ecclésiale et dommageable pour l’unité et la paix de l’Eglise. Il vous était seulement demandé d’admettre clairement votre tort sur ces points nécessaires pour toute âme catholique, après quoi on aurait étudié la façon la meilleure de faire face aux problèmes pendants posés par vos oeuvres.
Le Saint-Père me charge aujourd’hui même de confirmer la mesure qui vous a été intimée en son nom, de mandato speciali : vous abstenir actuellement d’ordonner des séminaristes ; c’est justement l’occasion de leur expliquer, ainsi qu’à leurs familles, que vous ne pouvez les ordonner au service de l’Eglise contre la volonté du Pasteur suprême de l’Eglise. Il n’y a rien de désespérant dans leur cas :
s’ils sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fi délité véritable à l’Eglise conciliaire, on se chargera de trouver ensuite la meilleure solution pour eux, mais qu’ils commencent d’abord, eux aussi, par cet acte d’obéissance à l’Eglise. »
Les nouvelles propositions faites par Mgr Benelli dans ces deux documents ne sont guères différentes, quant à la substance, des conclusions de la commission cardinalice de 1975 : acceptation du concile Vatican II ; attachement à Paul VI ; utilisation du Missel de Paul VI. En réalité, sous couleur de précisions, les exigences romaines tournent à la démesure : on exige maintenant l’adhésion à “tous” les documents d’un concile présenté comme pastoral ainsi que l’attachement à la “personne” du Pontife régnant et à “l’ensemble” de ses enseignements.
Dès ce moment, apparaît l’exigence d’adopter la liturgie nouvelle dans la Fraternité comme preuve concrète de soumission.
La lettre du 25 juin 1976 reprend les mêmes éléments mais de manière négative, en stigmatisant les doutes de M gr Lefebvre concernant le concile Vatican II, les réformes qui en sont issues et les organismes romains chargés de les appliquer. Conséquence de cette attitude : Mgr Lefebvre doit confesser ses erreurs, moyennant quoi une solution sera cherchée aux problèmes pendants.
Ceci dit, au niveau concret, il faudra suspendre les ordinations et réexaminer la possibilité de réinsérer ces séminaristes dans « l’Eglise conciliaire », entité nouvelle juxtaposée ou substituée à l’Eglise catholique. La prise en main du problème de la Tradition dans l’Eglise par la Secrétairie d’Etat, chargée de la politique vaticane, est symptomatique d’une approche plutôt étrange du problème : il ne s’agit plus de la foi ou du culte ou de la formation du clergé, mais bien de la politique. Dans cette perspective politique des choses, la seule question à laquelle on s’attend est : « Mgr Lefebvre, combien de divisions ? »
Le pape Paul VI : La bombe à neutrons
Or, Mgr Lefebvre, lui, continue à poser le problème au niveau de la foi et ne cesse de stigmatiser l’union adultère de l’Eglise et de la révolution. Il passe outre l’interdiction d’ordonner et, par le fait même, encourt le 1er juillet 1976 la suspense a collatione ordinum (interdiction d’ordonner) et le 22 juillet 1976 la suspense a divinis (interdiction d’administrer les sacrements).
Devant la gravité des faits, c’est le pape Paul VI lui-même qui prend en charge cette situation.
Après avoir concédé une audience à Mgr Lefebvre à Castel Gandolfo le 11 septembre 1976, il lui adresse une longue lettre dactylographiée le 11 octobre 1976 :
« Concrètement qu’est-ce que Nous vous demandons ?
A. – D’abord et surtout, une déclaration qui remette les choses au point, pour Nous-même et aussi pour le peuple de Dieu qui a droit à la clarté et ne peut plus supporter sans dommage de telles équivoques.
Cette déclaration devra donc affirmer que vous adhérez franchement au concile oecuménique Vatican II et à tous les textes – sensu obvio [vi] – qui ont été adoptés par les pères du Concile, approuvés et promulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a toujours été la règle, dans l’Eglise, depuis les origines, en ce qui concerne les conciles oecuméniques.
Il doit être clair que vous accueillez également les décisions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour le mettre en oeuvre, avec l’aide des organismes du Saint-Siège ; entre autres, vous devez reconnaître explicitement la légitimité de la liturgie rénovée, notamment de l’Ordo Missæ, et notre droit de requérir son adoption par l’ensemble du peuple chrétien.
Vous devez admettre aussi le caractère obligatoire des dispositions du droit canonique en vigueur qui, pour la plus grande part, correspondent encore au contenu du code de droit canonique de Benoît XV, sans en excepter la partie qui a trait aux peines canoniques.
En ce qui concerne notre personne, vous aurez à coeur de cesser et de rétracter les graves accusations ou insinuations que vous avez portées publiquement contre Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et notre fi délité à la charge de successeur de Pierre, et contre notre entourage immédiat.
En ce qui concerne les évêques, vous devez reconnaître leur autorité dans leurs diocèses respectifs, en vous abstenant de prêcher et d’y administrer les sacrements : eucharistie, confirmation, ordres sacrés, etc., lorsque ces évêques s’y opposent expressément.
Enfin vous devez vous engager à vous abstenir de toutes les initiatives (conférences, publications…) contraires à cette déclaration, et à réprouver formellement toutes celles qui se réclameraient de vous à l’encontre de la même déclaration.
Il s’agit là du minimum que doit souscrire tout évêque catholique : cette adhésion ne peut souffrir de compromis. Dès que vous aurez manifesté que vous en acceptez le principe, Nous vous proposerons les modalités pratiques de présenter cette déclaration. C’est la première condition pour que la suspense a divinis soit levée.
B. – Ensuite restera à résoudre le problème de votre activité, de vos oeuvres et notamment de vos séminaires. Vous comprendrez, Frère, que, vu les irrégularités et ambiguïtés passées et présentes affectant ces oeuvres, Nous ne pouvons pas revenir sur la suppression de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. Elle a inculqué un esprit d’opposition au Concile et à sa mise en oeuvre telle que le vicaire de Jésus-Christ s’appliquait à la promouvoir. Votre déclaration du 21 novembre 1974 est un témoignage de cet esprit ; et sur un tel fondement, comme l’a jugé à juste titre notre commission cardinalice, le 6 mai 1975, on ne peut bâtir d’institution ou de formation sacerdotale conforme aux exigences de l’Eglise du Christ. Cela n’infirme point ce qui existe de bon dans vos séminaires, mais il faut aussi considérer les lacunes ecclésiologiques dont Nous avons parlé et la capacité d’exercer un ministère pastoral dans l’Eglise d’aujourd’hui. Devant ces réalités malheureusement mêlées, Nous aurons le souci de ne pas détruire, mais de corriger et de sauver autant que possible.
C’est pourquoi, en tant que garant suprême de la foi et de la formation du clergé, Nous vous demandons d’abord de remettre entre nos mains la responsabilité de votre oeuvre, et notamment de vos séminaires. C’est assurément pour vous un lourd sacrifice, mais c’est un test aussi de votre confiance, de votre obéissance, et c’est une condition nécessaire pour que ces séminaires, qui n’ont pas d’existence canonique dans l’Eglise, puissent éventuellement y prendre place.
Ce n’est qu’après que vous en aurez accepté le principe que Nous serons en mesure de pourvoir le mieux possible au bien de toutes les personnes intéressées, avec le souci de promouvoir les vocations sacerdotales authentiques et dans le respect des exigences doctrinales, disciplinaires et pastorales de l’Eglise. À ce stade, Nous pourrons entendre avec bienveillance vos demandes et vos souhaits, et prendre en conscience, avec nos dicastères, les mesures justes et opportunes.
En ce qui concerne les séminaristes ordonnés illicitement, les sanctions qu’ils ont encourues conformément aux canons 985, 7° et 2374 pourront être levées, s’ils donnent une preuve de résipiscence en acceptant notamment de souscrire à la déclaration que Nous vous avons demandée. Nous comptons sur votre sens de l’Eglise pour leur faciliter cette démarche.
Quant aux fondations, maisons de formation, “prieurés” et autres institutions diverses créées sur votre initiative ou avec votre encouragement, Nous vous demandons également de vous en remettre au Saint-Siège, qui étudiera leur cas, dans ses divers aspects, avec l’épiscopat local. Leur survie, leur organisation et leur apostolat seront subordonnés, comme il est normal dans toute l’Eglise catholique, à un accord qui devra être passé, dans chaque cas, avec l’évêque du lieu – nihil sine episcopo [vii] – et dans un esprit qui respecte la déclaration mentionnée plus haut. »
Ce document, écrit voici plus de 25 ans, révèle une volonté totalitaire d’écraser toute opposition sans aucun recours au dialogue, à la démocratie, aux aspirations du peuple de Dieu et à l’oecuménisme, devenus pourtant les nouveaux principes d’action de l’après-concile.
Il est exigé de Mgr Lefebvre une déclaration où il adhérera au Concile, acceptera les décisions des organismes romains, reconnaîtra la légitimité du Novus Ordo, se soumettra au Droit Canon (spécialement en matière de peines ecclésiastiques), confessera l’orthodoxie et la fi délité à sa charge de Paul VI, reconnaîtra l’autorité des évêques dans leurs diocèses respectifs et s’abstiendra de toute initiative contraire au contenu de la dite déclaration. Celle-ci, indispensable à la levée des peines canoniques encourues à l’été 1976, n’est pas négociable dans son contenu.
De ce préambule théorique, on passe au point de vue pratique dont les conclusions sont tout aussi extrêmes : confirmation de la suppression de la Fraternité, remise des séminaires et de toutes les autres oeuvres dans les mains de Paul VI, pardon des peines canoniques encourues par les séminaristes ordonnés. Et lorsque Mgr Lefebvre n’aura plus rien : ni Fraternité, ni séminaire, ni séminaristes, ni maisons, ni apostolat, le Pape pourra « écouter avec bienveillance [ses] demandes et [ses] souhaits » ! La solution de Paul VI c’est la bombe à neutrons : son explosion fait disparaître toute vie, mais, après un temps de décontamination, les infrastructures industrielles et immobilières sont réutilisables par l’envahisseur !
La congrégation pour la Doctrine de la Foi : La solution biologique du problème Lefebvre
La Secrétairerie d’Etat continuera ses gestions dans toute cette affaire jusqu’à la fi n de l’année 1977, en la personne de Mgr Benelli. À partir du 28 janvier 1978, le Card. Franjo Seper notifi e à Mgr Lefebvre que c’est lui, en tant que préfet de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, qui est chargé de trouver un arrangement. Des discussions théologiques ont lieu en février et mars 1978, mais la mort de Paul VI et celle prématurée de Jean-Paul I paralysent tout.
Élu le 16 octobre 1978, Jean-Paul II reçoit Mgr Lefebvre le 18 novembre 1978.
Après deux ans d’efforts sans grand résultat, le Card. Seper présente à Mgr Lefebvre, dans une lettre du 20 octobre 1980, une déclaration préalable à un accord pratique :
« Tout en attendant de vous une claire manifestation de regret pour les attaques injustes que vous avez formulées à l’encontre du Concile, des évêques et même du Siège Apostolique, ainsi que pour les difficultés et même le trouble que votre action a suscité parmi les fidèles, le pape Jean-Paul II demeure à votre égard dans des sentiments de paternelle charité.
C’est selon ses indications que je vous présente maintenant d’ultimes propositions :
1. En ce qui concerne l’adhésion aux enseignements du concile Vatican II, – que vous vous déclarez prêt à accepter dans le sens indiqué par le pape Jean-Paul II, c’est-à-dire “compris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Eglise”… – le Saint-Père attend de vous ce qui est aussi requis de chacun dans l’Eglise, à savoir ce “religiosum voluntatis et intellectus obsequium [viii]” dû au magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas “ex cathedra” et à l’enseignement sur la foi et les moeurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n°25). Bien entendu, une telle adhésion doit tenir compte de la qualification théologique que le Concile lui-même a voulu donner à ses enseignements…
2. En ce qui concerne la Liturgie, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez sans restrictions la légitimité de la réforme demandée par le concile Vatican II, aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège Apostolique. Il attend aussi de vous que vous vous engagiez à cesser de jeter la suspicion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ promulgué par le pape Paul VI. Vous comprendrez que c’est là une condition préalable et indispensable. Celle-ci remplie, le Saint-Père pourrait envisager d’autoriser la célébration de la Sainte Messe selon le rite du Missel romain antérieur à la réforme de 1969.
3. En ce qui concerne enfin le ministère pastoral et les oeuvres, le Saint-Père attend de vous que vous acceptiez de vous conformer aux normes du droit ecclésiastique commun, notamment pour tout ce qui concerne les ordinations, les confirmations,… Dans cette perspective, le Saint-Père serait prêt à désigner un délégué personnel directement responsable devant lui, qui aurait pour mission d’étudier avec vous la régularisation de votre propre situation ainsi que celle des membres de la Fraternité St-Pie X par un statut apte à régler une question de soi assez complexe (…)
Une fois enfin acceptés par vous ces points précis – et ce devrait être dans une déclaration pouvant être rendue publique – le Souverain Pontife serait disposé à lever les censures canoniques et les irrégularités qui ont été encourues par vous-même et par les prêtres que vous avez illégitimement ordonnés depuis 1976 (pour ces derniers, bien sûr, s’ils adhèrent à votre propre démarche). »
Cette proposition est précisée et confirmée dans une seconde lettre du 19 février 1981 :
« Pour clarifier la situation, permettez-moi de vous proposer ici d’une manière précise les points que le Saint-Père estime indispensables dans votre déclaration ; pour la plupart d’entre eux, je ne puis d’ailleurs que reprendre l’essentiel de ma lettre précédente :
1. Claire manifestation de regrets pour la part que vous avez eue dans la situation de rupture objective qui s’est créée (notamment du fait des ordinations) et pour vos attaques successives, dans le contenu et dans les termes, contre le Concile, contre de nombreux évêques et contre le Siège Apostolique.
2. Adhésion aux enseignements du concile Vatican II, “compris à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Eglise” (cf. Allocution de S.S. Jean-Paul II, 5 novembre 1979, A.A.S. LXXI (1979/II), p. 1452), et compte tenu de la qualifi cation théologique que ce Concile a voulu donner à ses enseignements (cf. Notifi cation faite au cours de la 123e congrégation générale, 16 novembre 1964 – Acta Synodalia S. Concilii OEcumenici Vaticani II, vol. III, pars VIII, p. 10) ; reconnaissance du “religiosum voluntatis et intellectus obsequium” dû au magistère authentique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas “ex cathedra”, et à l’enseignement sur la foi et les moeurs donné au nom du Christ par les évêques en communion avec le Pontife romain (cf. Constitution Lumen Gentium, n° 25) ; cessation de toute polémique qui viserait à discréditer certains des enseignements du concile Vatican II.
3. Acceptation sans restrictions non seulement de la validité de la Messe selon le Novus Ordo
dans son édition latine originale, mais encore de la légitimité de la réforme demandée par le concile Vatican II – aussi bien dans son principe que dans ses applications conformes au Missel et aux autres livres liturgiques promulgués par le Siège Apostolique –, et abandon de toute polémique tendant à jeter la suspicion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ promulgué par le pape Paul VI.
4. Acceptation des normes du droit ecclésiastique commun pour tout ce qui concerne votre ministère pastoral et vos oeuvres ainsi que pour la Fraternité St-Pie X.
Le délégué pontifical, nommé comme vous le souhaitez pour un temps limité et pour un but bien déterminé, aura pour mission de traiter avec vous des problèmes concrets découlant d’une normalisation des rapports entre vous-mêmes et la Fraternité St-Pie X d’une part et le Siège Apostolique de l’autre. D’une manière plus précise, il devra régler avec vous les questions de la levée officielle des censures, de rites liturgiques pour la Fraternité, enfin du statut juridique futur de la Fraternité. »
L’empreinte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se fait sentir dès qu’elle prend en charge cette affaire. Aux discussions théologiques et aux explications demandées à Mgr Lefebvre succède le texte d’une déclaration doctrinale préalable à tout accord pratique. Cette déclaration porte sur : l’adhésion aux enseignements du concile Vatican II “interprété à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Eglise” ; l’acceptation de la légitimité de la réforme liturgique, dans son principe comme dans son application, ainsi que de son orthodoxie ; la conformité avec le Droit Canon en matière d’apostolat et de formation ecclésiastique.
De cette première partie théorique, on passe ensuite à la nomination d’un délégué apostolique chargé de régulariser la situation de la Fraternité St-Pie X et d’arriver à la levée des censures canoniques encourues par Mgr Lefebvre et ses prêtres.
Dans sa seconde lettre, le cardinal Seper rajoute un préambule aux conditions signalées dans la première : Mgr Lefebvre devra manifester clairement son repentir pour la situation objective de rupture due à son fait ainsi que pour les attaques contre le Concile, les évêques et le Siège Apostolique.
Le lecteur attentif s’en sera déjà rendu compte : la suppression de la Fraternité, la fermeture des séminaires, la dispersion des séminaristes et la remise de toutes les oeuvres au Saint-Siège ne sont plus à l’ordre du jour. Il s’agit dès lors de donner un statut canonique à ce qui existe, ce qu’en terme canonique on appelle une sanatio in radice [ix].
Par contre, Mgr Lefebvre reste désespérément seul dans son combat : il pourrait voir son oeuvre reconnue, mais aucun successeur ne lui serait donné. C’est la réintégration dans le grand courant conciliaire qui l’attendent, lui et son oeuvre. L’heure est à la guerre des tranchées : chacun campe sur ses positions, et Rome attend la “solution biologique du problème Lefebvre”, c’est-à-dire la mort de l’archevêque.
En fait, c’est le cardinal Seper qui devait mourir le premier, le 31 décembre 1981. Son remplaçant à la tête de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, le Card. Joseph Ratzinger hérite par le fait même des négociations avec la Fraternité. L’année 1982 ne devait pas se terminer sans une nouvelle proposition romaine, envoyée par le cardinal Ratzinger à Mgr Lefebvre le 23 décembre 1982 :
« Je précise immédiatement que ces propositions ont été approuvées par le Souverain Pontife et que c’est sur son ordre que je vous les communique.
1. Le Saint-Père nommera au plus tôt un Visiteur Apostolique pour la Fraternité St-Pie X si vous acceptez une déclaration sous la forme suivante :
• Moi, Marcel Lefebvre je déclare avec soumission religieuse de l’âme, que j’adhère à tous les enseignements du concile Vatican II, c’est-à-dire la doctrine “comprise à la lumière de toute la sainte Tradition et du magistère constant de l’Eglise” (cf. Discours de Jean-Paul II au Sacré Collège, 5 de novembre de 1979, AAS LXXI (1979/55), p. 1452). Cette soumission religieuse doit s’entendre en prenant en compte la qualification théologique que le Concile lui-même voulut donner à ses enseignements (cf. Notification faite au cours de la 123° congrégation générale le 16 novembre 1964).
• Moi, Marcel Lefebvre, je reconnais le Missel romain instauré par le Souverain Pontife Paul VI pour l’Église universelle et promulgué par la suprême et légitime autorité du Saint-Siège à qui revient légiférer en matière liturgique dans l’Eglise, et donc qu’il est en soi légitime et catholique. C’est pourquoi je n’ai jamais nié ni ne nierai que les Messes célébrées selon le Novus Ordo soient valides ; de même je ne saurais aucunement insinuer qu’elles sont hérétiques ou blasphématoires ou qu’elles doivent être évitées par les catholiques.
Ces deux paragraphes ont été mûrement étudiés de la part du Siège Apostolique, et il ne peut être envisagé de les modifier. Par contre, on admettra que vous ajoutiez, à titre personnel, un complément dont le contenu pourrait être le suivant :
• En conscience je me sens obligé d’ajouter que l’application concrète de la réforme liturgique pose de graves problèmes qui doivent préoccuper l’autorité suprême.
C’est pourquoi je désire une nouvelle révision des livres liturgiques dans le futur de la part de l’autorité elle-même.
Vous pouvez éventuellement modifier ce dernier paragraphe, sous réserve naturellement que votre formulation soit acceptée par le Saint-Père.
1. Si vous déclarez votre disponibilité à souscrire la déclaration ci-dessus, il sera possible de fixer la date de l’audience que le Saint-Père vous accordera, et qui pourrait marquer le début de la Visite Apostolique.
2. La suspens a divinis dont vous avez été frappé ne dépend pas des problèmes concernant l’acceptation du concile Vatican II et de la réforme liturgique (c’est-à-dire des deux points touchés dans la déclaration prévue), mais du fait que vous avez procédé à des ordinations malgré la prohibition du Saint-Siège. Cette suspens sera donc levée dès lors que vous aurez déclaré votre intention de ne plus faire d’ordinations sans l’autorisation du Saint-Siège.
Logiquement du reste, la question devrait se résoudre à l’issue de la Visite Apostolique.
3. La situation des prêtres que vous avez ordonnés depuis juin 1976 sera réglée cas par cas s’ils acceptent de signer personnellement une déclaration ayant le même contenu que la vôtre.
Je dois ajouter enfin que, pour ce qui concerne l’autorisation de célébrer la Sainte Messe selon l’Ordo Missæ antérieur à celui de Paul VI, le Saint-Père a décidé que la question serait résolue pour l’Eglise universelle et donc indépendamment de votre propre cas. »
La formulation du document reprend la division bipartite. D’abord une partie doctrinale qui exige la reconnaissance du concile et du missel de Paul VI. On concède à Mgr Lefebvre d’exprimer certaines réserves sur la réforme liturgique tout en laissant l’autorité suprême juge des corrections éventuelles à apporter. Ensuite, la lettre passe aux aspects pratiques : la possibilité d’une audience avec le Souverain Pontife, la levée des censures sous réserve de ne pas procéder à des ordinations sans l’autorisation du Saint-Siège, l’organisation d’une Visite Apostolique, le règlement de la situation des prêtres déjà ordonnés.
La reconnaissance de la légitimité et de l’orthodoxie du Novus Ordo, ici comme dans la lettre du cardinal Seper du 20 octobre 1980, est une condition sine qua non à l’autorisation de célébrer la Sainte Messe selon le rite traditionnel. On sait que l’Indult du 3 octobre 1984, qui se voulait la solution à cette question pour l’Eglise universelle, mettra comme condition à la demande d’autorisation ponctuelle de célébration du rite traditionnel de « n’avoir aucune part avec ceux qui mettent en doute la légitimité et l’orthodoxie du Missel romain promulgué par le pape Paul VI [x] ».
Autant dire que l’Indult permettant la Messe traditionnelle était fait pour ceux qui n’en avaient nul besoin puisqu’ils confessaient au préalable la légitimité et l’orthodoxie de la nouvelle Messe.
Les choses n’évolueront pas jusqu’à ce que Mgr Lefebvre remette les choses sur le terrain pratique : l’âge avançant, le prélat se devait de penser à sa succession.
L’annonce par Mgr Lefebvre d’un possible sacre d’évêque amena le cardinal Ratzinger à le recevoir (14 juillet 1987), à organiser une Visite Apostolique de la Fraternité par le Card. Edouard Gagnon (8 novembre-8 décembre 1987) et à finaliser des pourparlers par un protocole d’accord signé le 5 mai 1988. On y lisait dans la partie doctrinale :
« Moi, Marcel Lefebvre, Archevêque-Evêque émérite de Tulle, ainsi que les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X par moi fondée :
1. Nous promettons d’être toujours fidèles à l’Eglise catholique et au Pontife romain, son Pasteur Suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du Corps des Evêques.
2. Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le numéro 25 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du concile Vatican II sur le magistère ecclésiastique et l’adhésion qui lui est due.
3. A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique.
4. Nous déclarons en outre reconnaître la validité du sacrifice de la Messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel et des Rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II.
5. Enfin, nous promettons de respecter la discipline commune de l’Eglise et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le code de droit canonique promulgué par le pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière.»
On retrouve ici la volonté de partir d’une base doctrinale avant d’en venir aux solutions concrètes.
Il est demandé à Mgr Lefebvre d’adhérer au concile Vatican II et au magistère ecclésiastique ; d’avoir une attitude positive et non polémique sur les points litigieux du Concile, de la liturgie et du Droit Canon ; de reconnaître la validité de la Nouvelle Messe et de recevoir le Droit Canon de 1983. En contrepartie, le Vatican reconnaissait l’existence de la Fraternité, la spécificité de son charisme, le droit de Mgr Lefebvre d’avoir un successeur, la levée des censures encourues par Mgr Lefebvre et ses prêtres ainsi qu’une amnistie générale pour les maisons fondées irrégulièrement.
On se souviendra que devant le refus romain de déterminer la date du sacre épiscopal et la présentation par Mgr Bovone, secrétaire de la S.C. pour la Doctrine de la Foi, d’une lettre où Mgr Lefebvre devait reconnaître ses erreurs, ce dernier dénonça sa signature du protocole d’accord dès le lendemain. L’avenir devait donner raison sur ce point à l’archevêque car la Fraternité Saint-Pierre, bénéficiaire de l’accord
du 5 mai, ne devait jamais voir la couleur de l’évêque promis.
Sa reconnaissance juridique dans l’Eglise, sa dépendance de la commission “Ecclesia Dei”, l’obligation de dépendre des évêques conciliaires pour les ordinations de ses sujets devaient conduire la Fraternité Saint-Pierre à un bi-ritualisme, de droit et de fait, et à l’acceptation des principales nouveautés conciliaires.
La congrégation pour le Clergé : Le chèque en blanc
Rien ne bougera dans les relations entre Rome et la Fraternité jusqu’au pèlerinage de la Tradition à Rome en août 2000. Les approches antérieures du problème ayant échoué, il fallait innover.
D’où, l’approche, plus pragmatique que doctrinale, du cardinal colombien Castrillón-Hoyos : il fallait arriver au plus vite à un accord pratique, sans s’arrêter aux différences doctrinales. Pour dire les choses clairement, il s’agissait de signer au plus vite un chèque en blanc dont le montant ne serait établi que plus tard, sans doute trop tard [xi].
Or, la Fraternité St-Pie X, par la bouche de son Supérieur Général, remit les choses en place, en deux temps. D’abord, Mgr Fellay posa comme préalable l’assainissement du climat dans l’Eglise en demandant au cardinal Castrillón-Hoyos, le 21 janvier 2001, la liberté de la liturgie traditionnelle dans l’Eglise pour tout prêtre de rite latin ainsi que la déclaration de nullité des censures frappant les évêques traditionnels. Puis, dans une lettre du 22 juin 2001 adressée au même prélat, il devait rappeler la dimension proprement doctrinale du combat en cours : deux traditions théologiques s’affrontent dans l’Eglise depuis le Concile et les nouveautés (concile, messe, droit canon, catéchisme) sont les fruits amers d’une nouvelle théologie, déjà amplement condamnée du temps de Pie XII.
Les deux lettres restèrent longtemps sans réponse, mais certains continuèrent malgré tout à rêver de réconciliation. C’est le cas de Mgr Licinio Rangel et du clergé traditionaliste du diocèse brésilien de Campos qui formalisa un accord avec le cardinal Castrillón-Hoyos.
L’accord comprenait une déclaration doctrinale que Mgr Rangel signa au nom de tous, le 18 janvier 2002 :
« Je déclare, en union avec les prêtres de l’Administration Apostolique “Saint Jean-Marie Vianney” de Campos, au Brésil, les poins suivants :
1. Nous reconnaissons le Saint-Père, le pape Jean-Paul II, avec tous ses pouvoirs et prérogatives, lui promettant obéissance filiale et offrant nos prières pour lui.
2. Nous reconnaissons le concile Vatican II comme l’un des conciles oecuméniques de l’Eglise catholique, l’acceptant à la lumière de la sainte Tradition.
3. Nous reconnaissons la validité du Novus Ordo Missæ, promulgué par le pape Paul VI, chaque fois qu’il est célébré correctement et avec l’intention d’offrir le véritable sacrifice de la sainte messe.
4. Nous nous engageons à approfondir toutes les questions encore ouvertes, prenant en considération le canon 212 du code de droit canonique et avec un sincère esprit d’humilité et de charité fraternelle envers tous. »
On retrouve les points doctrinaux déjà spécifiés dans l’ensemble des propositions et accords antérieurs : reconnaissance du pape Jean-Paul II ; reconnaissance du concile oecuménique Vatican II interprété à la lumière de la Tradition ; reconnaissance de la validité du Novus Ordo ; volonté d’approfondir les questions non résolues avec humilité et charité.
Quant aux points pratiques, sont concédées : une structure de type épiscopal à l’Association S. Jean-Marie Vianney dans les strictes limites du diocèse de Campos et la promesse d’un successeur pour Mgr Licinio Rangel. Le choix de cet évêque sera révélateur, à lui seul, des intentions romaines en la matière, mais on peut augurer sans être prophète que tout sera mis en oeuvre pour que le concile Vatican II et la nouvelle messe deviennent à terme la norme dans cette Association.
Le dernier élément connu des démarches en cours est la lettre de 15 pages que le cardinal Castrillón-Hoyos adressait à Mgr Fellay le 5 avril 2002. Elle confirme, si besoin était, le caractère pratique de la solution recherchée : « J’ai cru que ces débats théologiques, certes importants et non dépourvus de difficultés, pourraient se dérouler au sein de l’Eglise, après avoir atteint la pleine communion substantielle qui, cependant, n’exclut pas une saine critique. »
On ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise en constatant que la lettre de Mgr Fellay du 21 janvier 2001 n’est même pas mentionnée dans l’historique des évènements qui couvre le premier quart de la missive cardinalice. Ce malaise augmente lorsqu’on s’aperçoit que l’étude remise aux autorités sur Le problème de la réforme liturgique ne fait l’objet d’aucun commentaire. Or, comme nous l’avons remarqué plus haut, il s’agit là de deux points clé de la position actuelle de la Fraternité, l’un au niveau pratique, l’autre au niveau spéculatif. Alors, quand le cardinal Castrillón-Hoyos écrit à Mgr Fellay que « la critique requiert une compréhension de la pensée authentique d’autrui et doit se fonder sur la vraie foi catholique », c’est le « medice, cura te ipsum [xii] » de Notre Seigneur qui nous vient à l’esprit.
Pour le reste, ce long plaidoyer laisse clairement entrevoir qu’il ne saurait être question de mettre en cause, sur des points essentiels, ni le concile Vatican II : « … comme si la promesse du Seigneur n’était plus valide depuis le concile Vatican II », ni la Messe de Paul VI :
« Le secrétaire [de la Fraternité] s’exprima d’une façon extrêmement dure à propos du rite actuel de la sainte Messe auquel participent les fidèles unis au Vicaire du Christ et à leurs Evêques, affirmant qu’un tel rite est “mauvais”. » Nihil novi sub sole.
LEÇONS DU PASSÉLEÇONS DU PASSÉ, ORIENTATIONS POUR L’AVENIR
Avant de conclure, qu’il nous soit permis de présenter en un tableau synoptique l’ensemble des propositions romaines faites à ce jour à la Fraternité Sacerdotale St-Pie X.
A la lecture du tableau synoptique (ci-dessous), il appert clairement que si les propositions romaines cédèrent peu à peu sur la question disciplinaire et canonique (existence de la Fraternité, des séminaires, des prieurés, etc.), en revanche l’acceptation du Concile et de la Messe de Paul VI sont des préalables non négociables, exigés par les autorités actuelles dans l’Eglise. Rien d’étonnant à cela puisque ces deux points définissent le caractère conciliaire de ces autorités ecclésiastiques. Ôtez-les et l’Eglise “conciliaire” cesse d’exister !
Si au commencement de l’histoire de la Fraternité, Mgr Lefebvre penchait pour une solution pratique et un modus vivendi concret, la profondeur de la crise et sa prolongation dans le temps lui firent voir l’impossibilité d’un accord pratique, sans un fondement doctrinal commun.
Certes, l’autorité conciliaire depuis une quinzaine d’années n’a cessé de vouloir faire signer à Mgr Lefebvre et à ses successeurs des formules doctrinales portant sur le Concile et la nouvelle Messe.
Il est toutefois évident que ces textes sont équivoques dans la mesure où ils ne signifient pas la même chose des deux côtés. Ce qui favoriserait nécessairement la secte moderniste qui s’est emparé des postes de commande dans l’Eglise.
Il semble donc indispensable de continuer le combat doctrinal contre les erreurs contemporaines : tels Mgr Lefebvre présentant à Rome ses dubia sur la liberté religieuse [xiii] ou Mgr Fellay présentant à Jean-Paul II ses doutes sur la réforme liturgique [xiv]. Tout accord véritable devra se faire sur la base de la doctrine traditionnelle, seule voie de salut. À l’inverse, il faudra rejeter tout accord tendant à déterminer la dose de libéralisme et de modernisme que les défenseurs de la Tradition seraient prêts à avaler pour être réintégrés dans le périmètre visible de l’Eglise officielle.
Lorsque qu’existera la communion dans la profession de la doctrine traditionnelle, il n’y aura plus aucun différend à régler. Tant qu’un tel accord fera défaut, les formules pseudo doctrinales seront des accords de dupes et leur volet pratique une tentative de plus pour que le petit reste, lui aussi, lui enfin, sacrifie à la révolution.

Notes de l’article
[i] Revue Dios nunca muere, n° 8, p. 4-7
[ii] Le 5 avril dernier, le cardinal Castrillón a adressé une réponse à la lettre de Mgr Fellay. Nous en dirons un mot.
[iii] Paul VI, Discours du 30 juin 1972.
[iv] Revue Dios nunca muere, n° 3, p. 13-21
[v] Il s’agit du texte qui commence par ces paroles : « Nous adhérons de tout coeur, de toute notre âme à la Rome catholique…» et poursuit : « Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante… »
[vi] Dans leur sens obvie.
[vii] Qu’on ne fasse rien sans l’évêque.
[viii] Soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté.
[ix] Figure du Droit Canon qui permet, après la disparition d’un empêchement, de donner validité à une action passée, en la considérant comme valide depuis le commencement par une fiction juridique.
[x] Indult Quattuor abhinc annos.
[xi] Aux dires de Mgr Lefebvre, un autre préfet de la S.C. pour le Clergé, le cardinal Silvio Oddi, avait eu avec lui une attitude pragmatique similaire : « On m’a conseillé une fois : “Signez, signez que vous acceptez tout, et puis vous continuez comme avant !” – Non ! On ne joue pas avec sa foi ! » (Ils l’ont découronné, Fideliter, 1987, p. 230)
[xii] Lc 4, 23.
[xiii] Dubia sur la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, présentés à la S.C.R. pour la Doctrine de la Foi, par Mgr Marcel Lefebvre, en octobre 1985
[xiv] Etude théologique et liturgique Le problème de la réforme liturgique, préfacé par Mgr Fellay, le 2 février 2001.