SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°711 - 10 septembre 2019
Le Pape François vient d’effectuer, du 4 au 6 septembre, un voyage au Mozambique, un pays de tradition lusophone – Le pays a fait partie de l’empire portugais pendant près de cinq siècles de 1598 à 1975 – où la foi catholique a été prêchée pour la première fois en 1500 par le franciscain Alvarez de Coimbra. Nous avons profité de cette occasion exceptionnelle pour demander à notre ami João Silveira de se rendre compte sur place de la situation du catholicisme dans ce pays et d’y observer l’émergence de groupes amoureux de la liturgie traditionnelle.
Et puis, nous prenons aussi occasion de cette lettre sur le Mozambique pour évoquer le souvenir d’un valeureux prélat de ce pays, du temps où il était colonie portugaise, Mgr Custódio Alvim Pereira, un homme très bon, très pieux, de grande fidélité. Il était né au Portugal en 1915. Envoyé comme prêtre au Mozambique, il était devenu archevêque de Lourenço Marques (aujourd’hui Maputo, capitale du Mozambique), en 1959. Il participa ensuite, avec de grandes souffrances morales, au concile Vatican II : il y a fait partie de la minorité conciliaire et a été de ces très rares évêques qui, non seulement n’ont pas voté le texte sur la liberté religieuse, mais ont même refusé de le signer.
En 1974 il fut rappelé à Rome à cause de la guérilla marxiste qui sévissait dans la province portugaise du Mozambique et devint chanoine de Saint-Pierre de Rome. Très traditionnel, il n’hésitait jamais à célébrer la messe selon le rite ancien quand on le lui demandait. Il mourut en 2006, un an avant la libéralisation de cette messe qu’il espérait de tous ces vœux.
Paix liturgique – João Silveira, comment a commencé votre voyage ?
João Silveira – Je suis arrivé à Maputo, la capitale du Mozambique, avec une certaine appréhension, car beaucoup de mes contacts m’avaient conseillé d’être prudent face à une violence qui aurait été inhérente au Mozambique. Mais cette insécurité, attribuée à des « musulmans radicaux », se concentre en réalité dans le nord du Mozambique, à environ 2.500 km de la capitale. En fait, j’ai trouvé la région de Maputo tout à fait sûre.
Paix liturgique – Pourtant, João, vous êtes Portugais. Du coup, n’avez-vous pas ressenti une animosité à cet égard ?
João Silveira – En effet, ce pays a fait partie de l’empire portugais pendant près de cinq siècles, jusqu’à il y a 44 ans où la séparation a été plutôt violente. Mais alors que je craignais d’y trouver une certaine réserve vis-à-vis de nous, j’ai été surpris d’y rencontrer une population qui a une grande affection pour le Portugal et les Portugais. D’ailleurs, les portugais sont encore assez nombreux dans le pays et constituent la plus grande communauté étrangère à Maputo.
Paix liturgique – Donc vous avez été bien accueilli au Mozambique ?
João Silveira – Le peuple mozambicain est très accueillant et je peux dire que j’ai été chaleureusement accueilli par les gens de la rue et les membres de la hiérarchie catholique que j’ai rencontrés ces jours-ci. Tout le monde était hospitalier et disposé à m’aider de toutes les manières.
Paix liturgique – Pouvez-vous nous présenter l’Eglise catholique au Mozambique ?
João Silveira – Le catholicisme est la religion d’environ un tiers des Mozambicains et l’Eglise est omniprésente. La présence portugaise a porté de grands fruits en catholicisant ce pays en profondeur. Elle compte 12 diocèses, qui animent de nombreuses œuvres. L’Eglise du Mozambique anime notamment 172 écoles maternelles et primaires, qui accueillent 50.022 élèves, 64 collèges et lycées, avec 57.086 étudiants et 14 écoles supérieures et universités, accueillant 19.024 étudiants, ce qui fait d’elle un acteur majeur du paysage éducatif du pays. En outre, l’Église possède ou administre 24 hôpitaux, 21 cliniques externes, 7 léproseries, 9 foyers pour personnes âgées et handicapées, 74 orphelinats dans un pays encore très marqué par les guerres… Donc une présence très active et reconnue par tous.
Paix liturgique – Le catholicisme du Mozambique a donc de gros atouts.
João Silveira – L’Église du Mozambique est très riche et en même temps très pauvre. Elle est très riche parce que la plupart de ses fidèles sont véritablement pieux et ont une foi vivante qui les conduit à chercher Dieu et à comprendre qu’ils ont vraiment besoin de lui, comme un enfant a besoin de son père. La joie accompagne une grande partie de leur expérience chrétienne. L’Eglise est aussi d’une grande richesse culturelle, en raison des différentes dévotions populaires qui se sont développées au cours des 500 dernières années, depuis que les Portugais ont évangélisé ces terres. En plus du portugais, qui est la langue officielle, il y a 33 dialectes, souvent utilisés dans les chants de la messe et les actes de dévotion populaire. L’Eglise du Mozambique a de nombreuses vocations sacerdotales, si on la compare à nos Eglises d’Europe. Le séminaire de théologie pour l’ensemble des diocèses de tout le pays est situé dans la capitale et compte environ 150 séminaristes. Cette année, 5 prêtres seront ordonnés pour le diocèse de Maputo.
Paix liturgique – Et qu’elles sont les difficultés ?
João Silveira – L’Eglise du Mozambique est très pauvre parce que le pays lui-même est l’un des plus pauvres du monde. Le manque de ressources est un défi constant pour l’Église du Mozambique et repose en grande partie sur la générosité de ses fidèles, qui sont pour la plupart loin d’être aisés. Il y a aussi beaucoup de sorcellerie au Mozambique et on y a recourt souvent pour demander des avantages ou se protéger du mauvais œil. Cela se produit aussi avec les fidèles catholiques. Même si la mode est aujourd’hui dans l’Eglise de parler des « richesses » des religions païennes, il s’agit bien là d’un défi majeur pour l’Église catholique au Mozambique : empêcher les gens de se tourner vers les charlatans ou les agents du mal pour chercher le bien, et simplement recourir aux sacrements et à la prière pour demander à Dieu de les guider dans leur chemin et de les libérer de tout le mal.
Paix liturgique – N’est-ce pas un terrain rêvé pour les sectes ?
João Silveira – En effet. Comme beaucoup de pays dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique du Sud, l’Église locale a perdu de nombreux croyants au profit des sectes protestantes qui se multiplient sur ce territoire. Le discours de ces sectes, fondées par des individus qui s’enrichissent rapidement, est très accessible et attirant pour les gens. Le message est fort pour les gens très ouverts au surnaturel. Les « exorcismes » sont fréquents dans leurs cérémonies. Ainsi, ceux qui fréquentent ces communautés se sentent à l’abri des attaques de sorcellerie. J’ai parlé à certaines de ces personnes qui se plaignent du fait que dans l’Église, on ne parle pas d’expulsion des démons et qu’elles trouvent un refuge sûr dans les sectes.
Paix liturgique – Les mozambicains étaient-ils heureux de la visite du Pape ?
João Silveira – Les Mozambicains étaient très heureux de l’annonce de la visite du pape. C’est un pays qui se trouvait pour le coup véritablement « à la périphérie » ; et dont on ne se souvenait que lorsqu’une catastrophe naturelle s’y produisait, comme il y a quelques mois avec les destructions massives causées par les cyclones. Le successeur de Pierre ne s’était pas rendu sur cette terre depuis 31 ans, lorsque le Pape Jean-Paul II lui a rendu visite alors que la guerre civile faisait toujours rage et détruisait une grande partie du pays. Ce voyage a évidemment été marqué par des appels à la paix. Il en a été de même pour cette visite du Pape François, qui a lancé un appel pressant en faveur de la réconciliation des blessures laissées par la guerre civile, qui s’est terminée en 1992, et de la réanimation de la violence armée il y a environ cinq ans.
Paix liturgique – Comment cela fut-il vécu ?
João Silveira – Disons que ça a été une belle réaction catholique au premier degré, les questions théologiques qui secouent l’Eglise aujourd’hui n’affectant pas – pas encore, pas directement – ce petit peuple. Le peuple a salué le pape dans les rues avec un grand enthousiasme, chantant et même criant, au passage du souverain pontife. Les cérémonies publiques avec le pape ont attiré les foules et ont toujours été l’occasion de voir s’exprimer la joie qui caractérise ces fidèles, renforcées par le sentiment de recevoir l’honneur de la visite du Successeur de Pierre.
La messe célébrée par le pape au stade national de Zimpeto a été le « clou » de la visite. Le stade était archi-comble, avec plus de 60 000 personnes. Beaucoup ont été empêchées d’y entrer. Les fidèles sont arrivés quelques heures avant le début de la messe. Il a commencé à pleuvoir tôt le matin et durant toute la messe. La pluie n’a pas laissé de répit et il faisait froid pour la région. Mais la joie des fidèles était contagieuse. Ils ont chanté et dansé sur les bancs en attendant le Saint-Père. Personne n’a trainé les pieds malgré les mauvaises conditions météorologiques. C’était sans aucun doute un magnifique exemple de persévérance et d’enthousiasme face aux difficultés.
Paix liturgique – Mais tout cela a un coût.
João Silveira – Oui, un coût pour les fidèles. Pour pouvoir payer les frais de la visite du Pape, les entrées du stade coûtaient 100 meticals (environ 1,5 €). En Europe, ce n’est peut-être pas beaucoup, mais à Maputo, cela peut être dissuasif pour ceux qui gagnent un peu plus de 70 € par mois. En outre, la messe a eu lieu un vendredi et, même avec une certaine tolérance, beaucoup de personnes présentes n’ont pas réussi à obtenir leur congé ce jour-là. Cependant, les fidèles étaient présents en masse, lors de ce moment très particulier pour l’Église du Mozambique et pour le pays lui-même. Le Mozambique est un très grand pays d’environ 800.000 km². Les habitants des provinces éloignées ont donc dû déployer de gros efforts pour venir dans la capitale pour honorer la visite du pape. Tout cela était très méritoire.
Paix liturgique – N’étaient présents que des fidèles du Mozambique ?
João Silveira – Des représentants d’autres pays, notamment de pays proches de Maputo comme l’Afrique du Sud et le Swaziland, ont assisté à la visite. Un drapeau de l’Angola était également visible. Les étrangers présents étaient pour la plupart des personnes résidant au Mozambique. Parmi ceux-ci, la communauté brésilienne se distingue, avec de nombreux missionnaires pour les terres mozambicaines.
Paix liturgique – Parlez-nous des Mozambicains.
João Silveira – Comme je l’ai mentionné précédemment, le peuple mozambicain, et les Africains en général, sont très ouverts au surnaturel. Cela facilite leur évangélisation, mais les rend également plus vulnérables aux rituels de sorcellerie, de magie noire et aux cérémonies publiques d’exorcismes supposés, mettant en vedette des individus à la recherche de richesse et de pouvoir faciles. Le fait d’être un peuple pauvre les rend généralement dépendants de l’aide, en particulier de la part de la divinité, même si elle est fausse. La piété, qui découle de la relation de dépendance du fils sur son père, est très présente dans la vie des fidèles et se manifeste surtout dans la prière. Les fidèles n’ont aucun problème à exprimer, même en public, leurs demandes à Dieu. Les gestes se multiplient, sans aucun respect humain, notamment par le chant et la danse.
Paix liturgique – Et la piété africaine ?
João Silveira – La piété africaine est étroitement liée à ses matrices culturelles : c’est une bonne chose, mais elle a également besoin de discernement. Dans de nombreux pays africains, l’Église a déployé de grands efforts dans le processus d’inculturation, en particulier dans le domaine liturgique et catéchétique. Cependant, ce processus d’inculturation a conduit à des « exagérations », notamment dans le domaine liturgique. Comme les missionnaires de jadis en ont donné l’exemple, quoi qu’on dise, en adoptant des chants et musiques populaires, il ne faut pas mépriser la richesse de la dévotion autochtone, mais il ne faut pas non plus perdre de vue la simplicité et le caractère sacré du rite romain pour éviter des dérives.
D’ailleurs, contrairement aux beaux principes d’inculturation, les nouveautés conciliaires ont été introduites au Mozambique sans tenir compte de la culture locale au cours des dernières décennies. Citons l’exemple de la communion dans la main, qui est aujourd’hui pratiquée par presque tous les fidèles. Or, la piété naturelle africaine rend les fidèles grandement respectueux de l’Autorité, et encore plus du Saint Sacrement. Il est impensable que presque tous les fidèles aient spontanément pris l’initiative de prendre Notre-Seigneur entre leurs mains : c’est une mode occidentale importée.
Paix liturgique – La messe traditionnelle existe-t-elle au Mozambique ?
João Silveira – Hélas, la forme extraordinaire est, pour l’instant, pratiquement inconnue au Mozambique. Les anciens ont un souvenir des messes traditionnelles et certains expriment le désir d’assister à l’ancien rite. Certains jeunes, sans doute grâce à Internet, connaissent déjà vaguement cette forme extraordinaire, du moins savent-ils qu’elle existe, mais n’ont jamais eu aucun contact avec cette pratique.
Cependant, quelque chose de très différent des environnements européen et occidental réside dans le fait que je n’ai trouvé aucune haine ni aucun réserve au sujet de la messe traditionnelle.
Paix liturgique – Dites-nous en plus.
João Silveira – Même les prêtres liés à la formation dans les séminaires ont écouté attentivement mes propos à ce sujet et n’ont montré aucune opposition à la célébration sous une forme extraordinaire. J’ai aussi rencontré un groupe de jeunes frères franciscains qui ont un groupe d’étude sur le chant grégorien, par le fait ouvert au latin. Presque tous les prêtres à qui j’ai parlé étaient intéressés et souhaitaient apprendre à célébrer cette forme extraordinaire en me demandant comment commencer.
Paix liturgique – Quels sont les principaux obstacles ?
João Silveira – En dehors des villes, beaucoup ont du mal à comprendre le portugais, parlant presque exclusivement les dialectes locaux. Le latin peut donc être vu comme une barrière supplémentaire. Ou peut-être, à terme, comme cela fut si longtemps, un lien très fort. La piété et l’ouverture au sacré en font un terrain fertile pour les célébrations où le silence, le caractère sacré et le mystère sont les plus manifestement présents, comme dans le cas du rite romain antique.
Paix liturgique – Pour conclure ?
João Silveira – Au Mozambique et en Afrique en général, les fidèles ont encore du temps à donner à Dieu. L’Occident moderne n’a pas encore perverti les mentalités. Personne à la messe ne regarde l’heure en se disant qu’il y a quelque chose d’autre à faire. Le dimanche est toujours le jour du Seigneur, et cela se voit par la fermeture de la quasi-totalité des commerces ce jour-là. Les messes sont beaucoup plus longues qu’en Europe et personne ne semble s’ennuyer ou ne sort avant la fin de la cérémonie. Même les enfants en ont l’habitude et sont proches de leurs parents. La messe célébrée par le Pape n’a duré que 1h 45, car le Pape a dû prendre l’avion pour poursuivre son voyage, mais si cela avait duré cinq heures, les gens seraient restés là cinq heures, sous la pluie, et avec toute la joie possible. Ce « temps disponible pour Dieu » permet au culte de faire partie de la vie. En constatant tout cela, je suis convaincu que le Mozambique, comme tous les pays africains, réunit toutes les conditions pour qu’y émerge et s’y développe la forme extraordinaire.