SOURCE - Sylvie Véran - Le Nouvel Observateur - 30 mai 1996
Le ciel n'était pas avec eux. Froid, vent, pluie et boue, il ne manquait que la neige pour transformer le grand pèlerinage annuel de la Tradition catholique en véritable chemin de croix, du moins en une de ces épreuves que le tout-puissant envoie parfois à ses fidèles pour affermir leur foi. Du haut du paradis, Mgr Lefebvre peut être fier de ses ouailles. Elles en ont bavé mais elles n'ont pas faibli. C'est le corps meurtri, les pieds cloqués, les muscles tétanisés par trois jours dune longue marche vers le salut que 8000 fidèles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X sont parvenus lundi à Reims pour célébrer le quinzième centenaire du baptême de Clovis. Sourires en bandoulière, coeurs légers et âmes sereines, exaltés à l'idée d'échapper au traditionnel trajet du Chartres-Paris pour se rassembler dans la ville des sacres, ils ont commémoré «le baptême de la France», comme le clamaient leurs tee-shirts imprimés (50 francs pièce seulement).
Comme chaque année, l'heure du départ a sonné après le saint-sacrifice offert dans les jardins de l'évêché de la cathédrale de Chartres. Au même moment s'ébranlait, porte d'Orléans, la colonne des pèlerins de la Chrétienté. Eux, ce sont les frères ennemis du Paris-Chartres. Des scissionnistes du mouvement traditionaliste initié par le rebelle d'Ecône, au début des années 70. Ces traîtres ont préféré rallier la Rome conciliaire. A force de compromissions théologiques, ces Judas ont fini par obtenir le droit de célébrer la messe de clôture de leur jubilé annuel sous les voûtes mêmes de Notre-Dame-de-Chartres. Ils n'ont pas été refoulés dans les dépendances.
Mais les «Tradition» se moquent des «Chrétienté» et de leurs courbettes au pape. A leurs yeux, leur pèlerinage reste le plus beau. Car le plus dur, donc le plus pur. Même sil reste un peu moins fréquenté, il gagne sans cesse de nouveaux adeptes. Ce week-end de Pentecôte 1996, mille fidèles de plus que l'an dernier sont venus grossir la procession. Des chrétiens, mais aussi bon nombre de non-croyants. «Certains viennent par curiosité, reconnaît l'abbé Benoît de Jorna, supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X et directeur du pèlerinage. Ils marchent, ils chantent, ils prient. Parfois ils se confessent, et décident de se convertir.» Tout comme autrefois la figure emblématique des catéchumènes. C'était en 496, le roi des Francs Saliens Clovis Ier devenait chrétien... Mollets crottés pour les scouts en short de drap et pour les filles de tous âges en jupes longues; soutanes maculées pour les abbés, ils ont déjà 40 kilomètres dans les jambes lorsque la tête de colonne portant la croix, les statues du Sacré-Coeur et de la Vierge à l'enfant pénètre dans l'hippodrome de Rambouillet, bivouac du samedi soir. Il est 20h30, ils ont marché onze heures. «Voici les ados, hurle un animateur dans le micro. Regardez cette vaillance, cette gaieté. Quelle belle jeunesse!» Oubliant leurs souffrances, les marcheurs se congratulent. Les «chapitres», ces groupes régionaux constitués de 30 à 50 personnes, s'égaient entre les tentes dressées sur l'herbe détrempée. C'est une joie de retrouver ses frères disséminés le reste de l'année dans la cinquantaine de prieurés que compte en France la Fraternité Pie X.
Autour des dix marmites pleines chacune de cent litres de soupe aux légumes et au vermicelle, on prend des nouvelles des amis. «Comment va ta soeur? demande un blondinet à la nuque bien dégagée derrière les oreilles. Comment? Elle vient de rentrer au carmel du Sacré-Cour? Sabine au couvent? Mais c'est formidable.» La teneur des conversations n'étonne que l'étranger de passage. Ici, une mère de huit enfants âgés de 13 ans à 6 mois pousse sa fille de 5 ans devant un prêtre de sa connaissance: «Elle va faire sa première communion après l'été. Enfin, il en est très fortement question.» Là, une jeune fille à lunettes se plaint: «J'ai trop mal aux pieds, dit-elle. Dieu soit loué, demain, il y a la grand-messe, ça ira mieux.» De leur côté, les soutanes noires ne chôment pas, confessant en plein air les pêcheurs retardataires ou célébrant la messe pour les bénévoles des cuisines qui n'ont pu assister à celle du matin. A 22h45, après la prière générale, tous les feux sont éteints.
L'office pontifical du dimanche de Pentecôte, célébré dans une propriété privée de la vallée de Chevreuse, est l'un des événements de ce 14e pèlerinage du Mouvement de la Tradition. Son excellence Bernard Tissier de Mallerais, l'un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988, s'est déplacée en personne. Il est l'un des artisans du schisme avec Rome. Servi par une vingtaine d'enfants de choeur en robe et... bobs rouges (on prévoyait du soleil), il dit la messe en latin, le dos tourné à lassemblée, selon le rite de saint Pie V. Le refus des innovations de Vatican II (1962-1965) «ce sida de l'Eglise», dixit Marcel Lefebvre , et notamment de celle qui a consisté à bouleverser le rite tricentenaire de la messe en latin, est l'un des points d'ancrage de l'intégrisme catholique. A quoi s'ajoute, pour les dévots de Tradition, le rejet inconditionnel de la liberté de religion, comme de l'oeuménisme prôné de Jean XXIII à Jean-Paul II.
«Ce qui se passe est très grave», confie Bernard Tissier de Mallerais, après avoir exhorté ses troupes «à consacrer nos écoles, nos familles, nos entreprises, au Christ-roi» et prononcé l'Ite missa est. «L'oecuménisme consiste à reconnaître la divinité du paganisme. Admettre que le bouddhisme, l'hindouisme ou l'islamisme ont une valeur de salut! Tout cela est faux. C'est contraire à la doctrine traditionnelle de l'Eglise, qui a toujours combattu les religions non chrétiennes.»
Devant le camion du service de presse, où l'ancien professeur du séminaire Saint-Pie X se'st réfugié après une nouvelle ondée, quelques pèlerins se sont massés. Blottis sous leurs capuchons ruisselants de pluie, ils attendent de baiser la main du prélat. «Admirez ces belles familles nombreuses, s'enflamme celui-ci. C'est grâce à elles que nous aboutirons à la reconquête de cette société païenne. Beaucoup de ces enfants sont formés dans les écoles que nous avons dû fonder. Leurs mères se vouent à leur éducation, comme toutes les femmes devraient le faire. La femme doit enfanter et rester au foyer. Là est sa place. C'est ainsi que nous pourrons, à l'avenir, éviter de mettre au monde des générations de déséquilibrés.»
A propos, que pense son excellence des commandos anti-avortement? A question attendue, réponse convenue: «Ce ne sont pas des commandos, dit Bernard Tissier de Mallerais, mais des gens qui opposent la prière à la violence des avorteurs. Des gens dont les actions, qui incitent à la réflexion, sont avant tout efficaces. Durant quelques heures, elles empêchent le crime le plus abominable: le massacre des innocents.»
Côté logistique, le pèlerinage de Tradition, c'est plus de cent organisateurs qui se réunissent dès le mois de janvier, pour mettre au point le parcours de 80kilomètres et distribuer les tâches aux responsables des équipes de bénévoles. Equipes des tentes, des cuisines, des cabines de WC, du nettoyage, de la sono, de la liturgie, des soins aux éclopés et de l'accueil des étrangers venus de toute l'Europe. Sans oublier les équipes responsables du vin (plusieurs milliers de bouteilles vendues 10 francs pièce) et du pain (10000 baguettes distribuées gracieusement). Cette organisation quasi militaire dispose d'un service d'ordre confié à Thierry Bouzard, dans le civil secrétaire général de la Ligue pour la Vie. Cette association de lutte contre l'avortement partage, rue Dantan, à Saint-Cloud, la même adresse que le Front national local.
«Attention aux journalistes, dit un des chefs de la sécurité. Ils cherchent les crânes rasés. Pour eux, nous sommes tous des skins ou des nazis.» En fait de crânes rasés, c'est plutôt le genre nuques propres qui prédomine. Chez les jeunes comme chez les vieux. Pour le reste, la caricature est partout: filles à lunettes, jupes froncées, pulls marine ou vert bouteille. Et aussi les bagues héraldiques, les foulards Hermès et les jodhpurs de velours côtelé. Quant aux treillis militaires, qui selon un témoin fleurissaient encore l'année dernière, ils ont bel et bien disparu. Le règlement est formel: «Le port de l'uniforme est uniquement réservé aux mouvements scouts.»
Encore 35 kilomètres à pied sur les chemins embourbés, au rythme des «Ave Maria» et des «Dieu est notre roi». Enfin les bannières frappées de l'emblème de Tradition le Sacré-Coeur sur fond de drapeau français atteignent le dernier bivouac: Buc, au sud-ouest de Paris. Alors les foudres du ciel se déchaînent: roulements de tonnerre, trombes d'eau, rafales de vent... Pour faire patienter les 1000 petits pèlerins, âgés de 6 à 12 ans, jusqu'à l'heure du vermicelle, les animateurs du «chapitre enfants» s'escriment à leur faire répéter «le Cor», page 108 du «Livret du pèlerin». «Sinon c'est le lit», crie une cheftaine excédée. Le beau chant du «Cor» couronnera quand même la veillée intitulée «Evocation de la France chrétienne de Clovis à nos jours», avec en temps fort «Le monologue du croisé sur l'actualité du danger sarrasin» et une lecture de «Mon pays me fait mal», poème de Robert Brasillach.
Lundi de Pentecôte, 4 heures du matin à Reims, les troupes de Thierry Bouzard sont en place. En plus des marcheurs, qui débarquent aujourd'hui par cars, on attend près de 7000 pèlerins en plus. Les organisateurs ont réussi à obtenir de la préfecture l'autorisation de célébrer la messe du baptême de Clovis sur le parvis de la cathédrale de Reims. Les autorités de l'Eglise ont été moins clémentes: elles ont refusé de prêter leur cathédrale à la Tradition. «Bien sûr, nous avons le sentiment d'être rejetés par nos pairs, dit l'abbé Benoît de Jorna. Mais au moins nous savons pourquoi.»
Sylvie Véran
Le Nouvel Observateur
Les pèlerins du Mouvement de la Tradition, fondé par Mgr Lefebvre, sont allés à Reims chanter le royaume chrétien et méditer sur «l'actualité du danger sarrasin». Sylvie Véran les a écoutés
Le ciel n'était pas avec eux. Froid, vent, pluie et boue, il ne manquait que la neige pour transformer le grand pèlerinage annuel de la Tradition catholique en véritable chemin de croix, du moins en une de ces épreuves que le tout-puissant envoie parfois à ses fidèles pour affermir leur foi. Du haut du paradis, Mgr Lefebvre peut être fier de ses ouailles. Elles en ont bavé mais elles n'ont pas faibli. C'est le corps meurtri, les pieds cloqués, les muscles tétanisés par trois jours dune longue marche vers le salut que 8000 fidèles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X sont parvenus lundi à Reims pour célébrer le quinzième centenaire du baptême de Clovis. Sourires en bandoulière, coeurs légers et âmes sereines, exaltés à l'idée d'échapper au traditionnel trajet du Chartres-Paris pour se rassembler dans la ville des sacres, ils ont commémoré «le baptême de la France», comme le clamaient leurs tee-shirts imprimés (50 francs pièce seulement).
Comme chaque année, l'heure du départ a sonné après le saint-sacrifice offert dans les jardins de l'évêché de la cathédrale de Chartres. Au même moment s'ébranlait, porte d'Orléans, la colonne des pèlerins de la Chrétienté. Eux, ce sont les frères ennemis du Paris-Chartres. Des scissionnistes du mouvement traditionaliste initié par le rebelle d'Ecône, au début des années 70. Ces traîtres ont préféré rallier la Rome conciliaire. A force de compromissions théologiques, ces Judas ont fini par obtenir le droit de célébrer la messe de clôture de leur jubilé annuel sous les voûtes mêmes de Notre-Dame-de-Chartres. Ils n'ont pas été refoulés dans les dépendances.
Mais les «Tradition» se moquent des «Chrétienté» et de leurs courbettes au pape. A leurs yeux, leur pèlerinage reste le plus beau. Car le plus dur, donc le plus pur. Même sil reste un peu moins fréquenté, il gagne sans cesse de nouveaux adeptes. Ce week-end de Pentecôte 1996, mille fidèles de plus que l'an dernier sont venus grossir la procession. Des chrétiens, mais aussi bon nombre de non-croyants. «Certains viennent par curiosité, reconnaît l'abbé Benoît de Jorna, supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X et directeur du pèlerinage. Ils marchent, ils chantent, ils prient. Parfois ils se confessent, et décident de se convertir.» Tout comme autrefois la figure emblématique des catéchumènes. C'était en 496, le roi des Francs Saliens Clovis Ier devenait chrétien... Mollets crottés pour les scouts en short de drap et pour les filles de tous âges en jupes longues; soutanes maculées pour les abbés, ils ont déjà 40 kilomètres dans les jambes lorsque la tête de colonne portant la croix, les statues du Sacré-Coeur et de la Vierge à l'enfant pénètre dans l'hippodrome de Rambouillet, bivouac du samedi soir. Il est 20h30, ils ont marché onze heures. «Voici les ados, hurle un animateur dans le micro. Regardez cette vaillance, cette gaieté. Quelle belle jeunesse!» Oubliant leurs souffrances, les marcheurs se congratulent. Les «chapitres», ces groupes régionaux constitués de 30 à 50 personnes, s'égaient entre les tentes dressées sur l'herbe détrempée. C'est une joie de retrouver ses frères disséminés le reste de l'année dans la cinquantaine de prieurés que compte en France la Fraternité Pie X.
Autour des dix marmites pleines chacune de cent litres de soupe aux légumes et au vermicelle, on prend des nouvelles des amis. «Comment va ta soeur? demande un blondinet à la nuque bien dégagée derrière les oreilles. Comment? Elle vient de rentrer au carmel du Sacré-Cour? Sabine au couvent? Mais c'est formidable.» La teneur des conversations n'étonne que l'étranger de passage. Ici, une mère de huit enfants âgés de 13 ans à 6 mois pousse sa fille de 5 ans devant un prêtre de sa connaissance: «Elle va faire sa première communion après l'été. Enfin, il en est très fortement question.» Là, une jeune fille à lunettes se plaint: «J'ai trop mal aux pieds, dit-elle. Dieu soit loué, demain, il y a la grand-messe, ça ira mieux.» De leur côté, les soutanes noires ne chôment pas, confessant en plein air les pêcheurs retardataires ou célébrant la messe pour les bénévoles des cuisines qui n'ont pu assister à celle du matin. A 22h45, après la prière générale, tous les feux sont éteints.
L'office pontifical du dimanche de Pentecôte, célébré dans une propriété privée de la vallée de Chevreuse, est l'un des événements de ce 14e pèlerinage du Mouvement de la Tradition. Son excellence Bernard Tissier de Mallerais, l'un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988, s'est déplacée en personne. Il est l'un des artisans du schisme avec Rome. Servi par une vingtaine d'enfants de choeur en robe et... bobs rouges (on prévoyait du soleil), il dit la messe en latin, le dos tourné à lassemblée, selon le rite de saint Pie V. Le refus des innovations de Vatican II (1962-1965) «ce sida de l'Eglise», dixit Marcel Lefebvre , et notamment de celle qui a consisté à bouleverser le rite tricentenaire de la messe en latin, est l'un des points d'ancrage de l'intégrisme catholique. A quoi s'ajoute, pour les dévots de Tradition, le rejet inconditionnel de la liberté de religion, comme de l'oeuménisme prôné de Jean XXIII à Jean-Paul II.
«Ce qui se passe est très grave», confie Bernard Tissier de Mallerais, après avoir exhorté ses troupes «à consacrer nos écoles, nos familles, nos entreprises, au Christ-roi» et prononcé l'Ite missa est. «L'oecuménisme consiste à reconnaître la divinité du paganisme. Admettre que le bouddhisme, l'hindouisme ou l'islamisme ont une valeur de salut! Tout cela est faux. C'est contraire à la doctrine traditionnelle de l'Eglise, qui a toujours combattu les religions non chrétiennes.»
Devant le camion du service de presse, où l'ancien professeur du séminaire Saint-Pie X se'st réfugié après une nouvelle ondée, quelques pèlerins se sont massés. Blottis sous leurs capuchons ruisselants de pluie, ils attendent de baiser la main du prélat. «Admirez ces belles familles nombreuses, s'enflamme celui-ci. C'est grâce à elles que nous aboutirons à la reconquête de cette société païenne. Beaucoup de ces enfants sont formés dans les écoles que nous avons dû fonder. Leurs mères se vouent à leur éducation, comme toutes les femmes devraient le faire. La femme doit enfanter et rester au foyer. Là est sa place. C'est ainsi que nous pourrons, à l'avenir, éviter de mettre au monde des générations de déséquilibrés.»
A propos, que pense son excellence des commandos anti-avortement? A question attendue, réponse convenue: «Ce ne sont pas des commandos, dit Bernard Tissier de Mallerais, mais des gens qui opposent la prière à la violence des avorteurs. Des gens dont les actions, qui incitent à la réflexion, sont avant tout efficaces. Durant quelques heures, elles empêchent le crime le plus abominable: le massacre des innocents.»
Côté logistique, le pèlerinage de Tradition, c'est plus de cent organisateurs qui se réunissent dès le mois de janvier, pour mettre au point le parcours de 80kilomètres et distribuer les tâches aux responsables des équipes de bénévoles. Equipes des tentes, des cuisines, des cabines de WC, du nettoyage, de la sono, de la liturgie, des soins aux éclopés et de l'accueil des étrangers venus de toute l'Europe. Sans oublier les équipes responsables du vin (plusieurs milliers de bouteilles vendues 10 francs pièce) et du pain (10000 baguettes distribuées gracieusement). Cette organisation quasi militaire dispose d'un service d'ordre confié à Thierry Bouzard, dans le civil secrétaire général de la Ligue pour la Vie. Cette association de lutte contre l'avortement partage, rue Dantan, à Saint-Cloud, la même adresse que le Front national local.
«Attention aux journalistes, dit un des chefs de la sécurité. Ils cherchent les crânes rasés. Pour eux, nous sommes tous des skins ou des nazis.» En fait de crânes rasés, c'est plutôt le genre nuques propres qui prédomine. Chez les jeunes comme chez les vieux. Pour le reste, la caricature est partout: filles à lunettes, jupes froncées, pulls marine ou vert bouteille. Et aussi les bagues héraldiques, les foulards Hermès et les jodhpurs de velours côtelé. Quant aux treillis militaires, qui selon un témoin fleurissaient encore l'année dernière, ils ont bel et bien disparu. Le règlement est formel: «Le port de l'uniforme est uniquement réservé aux mouvements scouts.»
Encore 35 kilomètres à pied sur les chemins embourbés, au rythme des «Ave Maria» et des «Dieu est notre roi». Enfin les bannières frappées de l'emblème de Tradition le Sacré-Coeur sur fond de drapeau français atteignent le dernier bivouac: Buc, au sud-ouest de Paris. Alors les foudres du ciel se déchaînent: roulements de tonnerre, trombes d'eau, rafales de vent... Pour faire patienter les 1000 petits pèlerins, âgés de 6 à 12 ans, jusqu'à l'heure du vermicelle, les animateurs du «chapitre enfants» s'escriment à leur faire répéter «le Cor», page 108 du «Livret du pèlerin». «Sinon c'est le lit», crie une cheftaine excédée. Le beau chant du «Cor» couronnera quand même la veillée intitulée «Evocation de la France chrétienne de Clovis à nos jours», avec en temps fort «Le monologue du croisé sur l'actualité du danger sarrasin» et une lecture de «Mon pays me fait mal», poème de Robert Brasillach.
Lundi de Pentecôte, 4 heures du matin à Reims, les troupes de Thierry Bouzard sont en place. En plus des marcheurs, qui débarquent aujourd'hui par cars, on attend près de 7000 pèlerins en plus. Les organisateurs ont réussi à obtenir de la préfecture l'autorisation de célébrer la messe du baptême de Clovis sur le parvis de la cathédrale de Reims. Les autorités de l'Eglise ont été moins clémentes: elles ont refusé de prêter leur cathédrale à la Tradition. «Bien sûr, nous avons le sentiment d'être rejetés par nos pairs, dit l'abbé Benoît de Jorna. Mais au moins nous savons pourquoi.»
Sylvie Véran
Le Nouvel Observateur