31 octobre 2017

[FSSPX Actualités] Luther, un réformateur ?

SOURCE - FSSPX Actualités - 31 octobre 2017

Il y a cinq cents ans, exactement le 31 octobre 1517, Martin Luther placardait à la porte de son couvent ses 95 thèses. Ce fut le début de l’action d’éclat de ce moine augustin, professeur de sciences bibliques à l’Université de Wittemberg, au départ de ce que l’histoire devait retenir sous le nom de Réforme protestante. 

A l’occasion de cet anniversaire, les églises et communautés se réclamant du protestantisme ont entrepris de célébrer leur héros, à l’origine, selon eux, d’un renouveau bienfaisant pour l’Eglise tout entière.

Le 31 octobre 2016, en Suède, le pape François s’est associé à cet événement, en signant une Déclaration commune avec le chef de la communauté luthérienne. Tous deux se sont déclarés « reconnaissants pour les dons spirituels et théologiques reçus à travers la réforme ».

Dans son sillage, de nombreuses initiatives ont été menées un peu partout en vue d’associer les catholiques à cet anniversaire. Citons, à titre de simple illustration, l’archevêque de Strasbourg, Mgr Jean-Pierre Grallet, qui a participé le 6 décembre 2016 à une célébration œcuménique avec des dignitaires protestants en faisant cette prière :

 Esprit Saint, aide-nous à nous réjouir des dons qui ont été faits à ton Eglise à travers la Réforme, apprends-nous à nous repentir des murs de divisions que nous et nos prédécesseurs avons construits».

Quels sont donc ces « dons spirituels et théologiques » que la Réforme luthérienne a faits à l’Eglise ? Est-ce le rejet du saint sacrifice de la Messe, de la grâce sanctifiante et de la plupart des sacrements ? Est-ce la révolte contre la hiérarchie catholique, la négation de la visibilité de l’Eglise et spécialement de la papauté ? Est-ce encore la remise en cause du magistère, la haine des vœux de religion et de toute vie religieuse cloîtrée ? Ou le rejet de parties entières de l’Ecriture Sainte, le refus des indulgences de l’Eglise, de la sanctification par les œuvres, du suffrage des saints ?

Forcément dubitatif et perplexe, le catholique est en droit de se demander quels sont les dons que la réforme protestante a apportés à l’Eglise. Mais plus fondamentalement, la question qui se pose est de savoir s’il est juste de parler de réforme de l’Eglise, et si Luther mérite vraiment le qualificatif autant que la qualité d’authentique réformateur. Car, après tout, la sainte Eglise n’a jamais manqué de saints réformateurs venus renouveler son zèle et son ardeur missionnaire. Que l’on songe à saint Pacôme ou saint Antoine, à saint Benoît, saint Bernard, saint Dominique ou saint François d’Assise, ou encore à la réforme grégorienne, à l’action d’un saint François de Sales, d’un saint Vincent de Paul, d’un Monsieur Olier, d’un Dom Guéranger…
Luther en son temps
Luther naît en Saxe à Eisleben dans la nuit du 10 au 11 novembre 1483. Il est baptisé en l’église Saint-Pierre le 11 et reçoit le nom de Martin.[1] C’est une famille purement allemande. Luther – ou Luder, Lueder, de Lothar, signifie « le pur », « le sincère ». Il donnera parfois à son nom une tournure grecque : Eleutheros ou Eleutherius, « le libérateur ».

Entrée à l’Université d’Erfurt en 1501, il suit le cursus de philosophie à la Faculté des Arts avant d’entrer quatre ans plus tard, à la suite d’un vœu précipité, au noviciat des moines augustins d’Erfurt. Ordonné prêtre en 1507, il obtient le bonnet de docteur en philosophie en 1512 et devient professeur. A partir de 1515 il commente la Bible, notamment les livres des Psaumes et les épîtres de saint Paul aux Romains, aux Galates et aux Hébreux.

Apparemment professeur sans histoire, il traverse en réalité de graves crises intérieures : tentations contre la chair, désespoir, angoisses sur son salut. Il voudrait être sûr d’être sauvé alors qu’il est pécheur et retombe sans cesse, et ne voit pas comment échapper à la justice de Dieu.

La lumière, croit-il, se fait au cours de « l’expérience de la tour » (Turmerlebnis) qu’il rapporte dans ses Propos de table. C’est une tour du couvent de Wittenberg, sans doute le cabinet d’aisance. C’est là qu’il comprend que la justice divine s’identifie à la justification par la foi, qui est don de Dieu. Sola fides : seule la foi sauve. Car l’homme est impuissant face aux forces du péché, il est corrompu totalement, même après le baptême. En fait, il est simul peccator et justus pécheur en réalité, mais juste en espérance, en vertu de la promesse de Dieu. L’homme est incapable de travailler à sa propre justice, à son amendement. Telles sont les premières intuitions qui font de Luther un moine défiant envers toute sécurité que l’on voudrait s’acheter trop facilement en ce monde par quelque œuvre méritoire que ce soit.
L’affaire des indulgences
Ces premières intuitions vont se cristalliser autour de l’affaire des indulgences.[2] A l’époque, la basilique Saint-Pierre de Rome est en pleine reconstruction depuis que le pape Jules II a entrepris, en 1505, de raser l’édifice constantinien. A partir de 1507 sont accordées des indulgences en vue de financer le chantier colossal qui met à mal les finances du Saint-Siège. Léon X les renouvelle en 1514. Elles sont prêchées en 1517 en Allemagne du nord. Les indulgences, qui permettent de remettre la dette temporelle due aux péchés pardonnés mais restant à satisfaire, sont accordées contre l’œuvre à accomplir – ici une aumône ou contribution en argent – aux conditions ordinaires, à savoir une bonne confession et une sainte communion. Elles peuvent être gagnées pour les vivants et pour les morts.

Luther juge d’abord qu’ « accorder et gagner des indulgences est une pratique très utile ». Mais il y voit bientôt une fausse sécurité : « Nous devons veiller à ce que les indulgences ne deviennent pas une cause de sécurité, de paresse, de négligence envers la grâce intérieure ». Comme si se confesser et communier étaient des signes de paresse ou de négligence de la grâce ? C’est précisément le contraire.

Finalement, le 31 octobre 1517, il placarde sur les murs de son couvent 95 thèses pour dénoncer cette pratique, sur un ton mordant. Il attaque le pouvoir de juridiction du pape et de la hiérarchie sur le trésor de l’Eglise, constitué par l’ensemble des mérites du Christ et des saints. Qui plus est, aussitôt traduites – elles avaient été placardées en latin –, ces thèses font de Luther une sorte de porte-parole des aspirations, des rancœurs et des doléances germaniques contre Rome.

Le succès qu’il rencontre, les soutiens qui se déclarent pour l’encourager, sa faconde naturelle montent à la tête de ce moine qui, avec son caractère entier, fougueux, entêté, violent, va prendre une assurance que rien ne pourra briser. Il est devenu un révolté, un chef de file.
Vers la rupture
Luther, se sachant protégé par le prince-électeur de Saxe, refuse malgré son vœu d’obéissance de se rendre à Rome où il est convoqué pour s’expliquer. Le pape dépêche alors l’évêque de Gaète, le cardinal Thomas de Vio dit Cajetan. Celui-ci rencontre le moine augustin à Augsbourg en octobre 1518. Luther ne rétracte aucune de ses thèses. Mieux, il en appelle à un concile pour juger le pape.

L’année suivante, il rejette la Tradition comme source de la Révélation. L’Ecriture est la règle unique de la foi : sola scriptura. Il rejette aussi l’autorité des conciles et du pontife romain. Il refuse l’infaillibilité de l’Eglise. De plus en plus, il est convaincu que le pape est l’Antéchrist. Luther agit désormais en prophète d’une nouvelle Eglise, invisible, sans hiérarchie, sans pape, sans sacerdoce. Enfin il en vient à attaquer la plupart des sacrements qu’il dénonce comme des inventions impies : confirmation, eucharistie, extrême-onction, mariage, et surtout l’ordre. Il est pourtant prêtre ; il se hait lui-même.

L’année 1520 marque le point de non-retour.[3] Sa pensée autant que sa doctrine se structure pour former un corps de doctrine où les hérésies le disputent à l’esprit schismatique. Au mois de mai, il fait paraître son traité consacré à la papauté romaine (Von dem Papsttum zu Rom). C’est un clair refus de son institution divine. Le pape n’est qu’un tyran, au même titre que le Turc ! La véritable Eglise est invisible ; elle rassemble spirituellement tous ceux qu’unit la foi au Christ, seule cause de justification et de salut. Le pouvoir des clefs promis par le Seigneur réside uniquement dans la communauté d’où découlent les actes du culte, et non dans la hiérarchie instituée par le Christ. Cajetan a vu juste en publiant dès 1521 un opuscule sur Le successeur de Pierre dont le sous-titre est « l’institution divine du souverain pontificat de l’évêque de Rome ».[4]

Au mois d’août 1520, Luther publie son traité le plus important, adressé à la noblesse allemande (An den Christlichen Adel deutscher Nation). Résolument il se tourne vers les princes temporels pour les rallier à ses thèses et protéger la nouvelle religion qu’il entend fonder. Il faut, leur dit-il, renverser trois murailles : 1) La distinction entre les ecclésiastiques et les laïques ; 2) Le droit du pape d’interpréter seul l’Ecriture ; 3) Sa juridiction universelle et son pouvoir de convoquer les conciles.

Le raisonnement est simple et terriblement efficace. Le baptême suffit à conférer le sacerdoce universel à tous. En conséquence chaque chrétien a le droit d’interpréter à sa guise l’Ecriture Sainte et de juger de la foi. Il en va de même pour la convocation d’un concile : le premier venu peut le faire, « mais nul ne le peut aussi bien que ceux qui ont en main le glaive temporel ». C’est phrase est lourde de sous-entendus. Elle contient en fait la soumission de l’Eglise à l’Etat. Luther se cherche des appuis pour rejeter l’autorité du pouvoir spirituel, sans pour autant être accusé de détruire l’ordre social et le caractère naturel de toute autorité.

Pour justifier la hardiesse de ses théories et le rejet complet de l’institution ecclésiastique, Luther publie en octobre 1520 un nouveau traité au titre provocateur : De captivitate Babylonica Ecclesiæ. On y trouve explicitement le rejet de la doctrine et de la pratique des sacrements. Pourtant, il conserve le baptême, y compris celui des enfants, ce que lui reprocheront bientôt les anabaptistes, parmi lesquels il compte ses premiers soutiens et même des amis. Il conserve aussi la Cène, mais sans le saint sacrifice de la Messe qu’il exècre. Il rejette la transsubstantiation et le sacrement de l’ordre. Le pasteur, qui conduit le culte, n’est que le chef de l’assemblée. Il autorise enfin la communion sous les deux espèces et l’emploi de la langue vernaculaire.

Le même mois paraît encore le traité De la liberté chrétienne, où Luther réaffirme que le chrétien est justifié par la foi sans les œuvres, qu’il rejette définitivement. Seule la justification par la foi est la vraie liberté qui affranchit de tout péché. C’est la théorie du Esto peccator et pecca fortiter, sed fortius fide et gaude in Christo qui victor est peccati, mortis et mundi : « Sois pécheur, et pèche fortement, mais crois plus fort et réjouis-toi dans le Christ qui est vainqueur du péché, de la mort et du monde ».[5] C’est le développent du simul peccator et justus que le novateur avait déjà exposé dans son Commentaire de l’épître aux Romains, quelques années auparavant : c’est l’imputation de la promesse du salut qui suffit à justifier l’homme, même pécheur et dépourvu de la grâce sanctifiante.

Pour Luther, l’Eglise est réduite en servitude, déportée à Babylone sous le joug du pape, qu’il identifie à l’Antéchrist. « Tout se passe, écrivent les auteurs de L’histoire des conciles, comme si le réformateur reportait sur la foi, la foi seule, cette certitude, cette sécurité qu’il reprochait aux chrétiens de son temps de placer dans les œuvres, dans les Indulgences ! »[6] Ce faisant il doit rejeter les passages de l’Ecriture qui proclament que sans les œuvres, la foi est morte (cf. Jac. 2, 26). Luther substitue à la foi de l’Eglise sa propre construction intellectuelle, son opinion, celle d’un serf-arbitre illuminé par son expérience personnelle. Par ce moyen il entend justifier sa révolte contre les vœux et la libération de ses angoisses et scrupules de conscience. Bientôt il prétendra imposer ses vues à toute la Chrétienté, par les armes des seigneurs laïcs.

Telle est la réforme de Luther, une réforme d’abord idéologique, dogmatique, et non la réforme des mœurs et de la discipline que l’Eglise appelait de ses vœux. Dans une lettre au pape Léon X, il écrit d’ailleurs : « C’est contre les doctrines impies que je me suis dressé, et j’ai sévèrement mordu mes adversaires, non pas à cause de leurs mauvaises mœurs, mais à cause de leur impiété. » Quelques mois plus tard, en février 1521, son disciple Mélanchton résume le cœur de l’entreprise protestante : « Luther mène la guerre contre les doctrines perverses, contre les dogmes impies et non contre les vices privés des représentants du sacerdoce ».

Ils se trompent donc complétement ceux qui prétendent que le protestantisme fut une saine réaction à la décadence du catholicisme et qu’il fut animé par une intention de réforme des mœurs. Il s’agit d’une entreprise d’une tout autre nature : un rejet, une révolution complète contre la foi catholique et l’Eglise fondée sur Pierre.

L’évêque de Luçon le comprendra bien. Un siècle après l’affichage des thèses de Luther, le futur cardinal de Richelieu présentera la Réforme comme une hérésie menaçant les institutions religieuses et politiques, « une irruption du désordre fondée sur le détournement des Ecritures et la méconnaissance de la tradition ».[7] 
De l’hérésie au schisme
Le pape Léon X prohibe les théories du moine augustin le 15 juin 1520 (Bulle Exsurge Domine) : 41 propositions sont condamnées, et Luther est sommé de s’expliquer. Devant les professeurs et les étudiants de Wittemberg, il brûle l’« exécrable bulle de l’Antéchrist » en public, le 10 décembre de la même année. Il en fait un bûcher avec les recueils des décrétales des papes et plusieurs ouvrages scolastiques. Rome se décide à excommunier le moine révolté le 3 janvier 1521.


La révolte de Luther passe alors au plan politique. Convoqué à la diète de Worms en avril 1521, l’hérésiarque muni d’un sauf-conduit refuse de se rétracter. L’empereur Charles-Quint le met au ban de l’Empire comme excommunié, schismatique obstiné et hérétique notoire. Mais le prince-électeur Frédéric de Saxe le sauve : il le fait enlever et mettre en sûreté au château de la Wartburg. C’est là que Luther travaille à la traduction, en allemand, de la Bible.

Bientôt il se dissocie de son fidèle disciple Thomas Müntzer, prophète illuminé qui soulève les paysans contre les impies. Luther se tourne résolument vers les seigneurs de Saxe, Hesse, Brandebourg, etc. L’année 1525 verra la terrible répression de la guerre des paysans, tandis que Luther épouse, le 13 juin 1525, Catherine Bora, une ancienne religieuse. Ayant foulé au pied tous ses vœux, Luther confie aux princes le soin d’imposer la réforme dans les paroisses et les abbayes. Il profite du désordre général, du sentiment national allemand violemment anti-romain, et de la cupidité des seigneurs. Ceux-ci reçoivent le pouvoir de conduire la réforme en réglementant le culte et en s’accaparant les biens de l’Eglise. Forts de ce jus reformandi tombé entre leurs mains, les détenteurs du pouvoir laïc lancent la sécularisation des monastères, font main basse sur les églises et ses trésors. Partout éclatent de violentes émeutes, des scènes de vandalisme et de destruction iconoclaste. Cette lutte acharnée contre les reliques, les statues, les tabernacles, les lieux de pèlerinages et de dévotion conduit à des destructions colossales, surtout lorsque les fidèles tentent de s’y opposer.

Luther meurt en 1546 impénitent, laissant de sa vie l’image d’un ivrogne grivois et violent. Décidément, il s’était bien révolté contre les dogmes de l’Eglise, et non contre les vices et les abus du clergé.
Conclusion
La réforme luthérienne est moins une vraie réforme qu’une révolution jetant par terre dogmes, pratiques religieuses, liturgie, sacrements et autorités divinement établies. Elle coupe l’Eglise latine en deux. D’un côté, les pays qui resteront fidèles à la doctrine catholique et soumis à la juridiction de l’Eglise, de l’évêque de Rome. De l’autre, les pays qui embrasseront les idées nouvelles et tomberont entre les mains des seigneurs, de l’Etat.[8]

En ce 31 octobre 2017, où plusieurs manifestations œcuméniques sont organisées un peu partout, les autorités de l’Eglise actuelle prétendent fêter ou célébrer de bien tristes événements... Luther, on l’aura compris, fut l’un des plus grands hérésiarques de tous les temps, responsable, avec Arius, de la perte d’innombrables âmes.

Pour sa part, Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, a déjà expliqué « pourquoi nous ne pouvons pas célébrer dans la joie le 500e anniversaire de la Réforme protestante. Bien au contraire, nous pleurons cette cruelle déchirure. Nous prions et œuvrons, à la suite de Notre Seigneur, pour que les brebis retrouvent le chemin qui les conduira sûrement au salut, celui de la sainte Eglise catholique et romaine ».[9]

Abbé Christian Thouvenot
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[1] Hartmann Grisar, Martin Luther, sa vie et son œuvre, Paris, Lethielleux, 1931, 402 pages.

[2] De la Brosse, Lecler, Holstein, Lefebvre, Les Conciles de Latran V et Trente, coll. Histoire des conciles œcuméniques, tome X, Dumeige (dir.), Fayard, 2007, p. 117, sq.

[3] Résumé à partir de l’Histoire des conciles œcuméniques, tome X, Dumeige (dir.), op. cit.

[4] Edition française par l’abbé Jean-Michel Gleize, Courrier de Rome, 2004.

[5] « Sei ein Sünder und sündige kräftig, aber vertraue noch stärker und freue dich in Christus, welcher der Sieger ist über die Sünde, den Tod und die Welt ».

[6] Histoire des conciles œcuméniques, tome X, Dumeige (dir.), op. cit., p. 126.

[7] Cité par Arnaud Teyssier, Richelieu, l’aigle et la colombe, Perrin, 2014, p. 129.

[8] A. Boulanger, Histoire générale de l’Eglise, tome III, vol. VI, Emmanuel Vitte, 1938, p. 22.

[Don Stefano Carusi - Disputationes Théologicae] Mgr Gherardini, le prêtre, le maître, l’ami

SOURCE - Don Stefano Carusi - Disputationes Théologicae - 31 octobre 2017

“Priez pour moi parce que l’heure est proche”. Il y a presque une année désormais voici quelles étaient ses dernières paroles d’au-revoir sur le seuil, quand, immanquablement, il raccompagnait à la porte après une visite. Et cela avec un beau sourire, sourire de celui qui est en paix, tranquille et détendu, sachant que sa bataille, malgré les mille limites de la nature humaine, il l’avait combattue, “bonum certamen certavi”. Maintenant, était venu le temps de la prière et du repos, dans son “ermitage” à l’intérieur du palais des Chanoines de Saint Pierre au Vatican. Il n’en avait pas été toujours ainsi, et la situation de la crise de la foi dans l’Eglise, la préoccupation - oserais-je dire l’angoisse - de savoir ce que lui demandait vraiment le Seigneur, l’avaient à certains moments fatigué, presque exténué. Lui qui, sur la dangerosité des projets autour du Nouvel Offertoire de la Messe, s’était déjà exprimé dès 1967, comme il aimait le rappeler, confessait qu’à certains moments il n’avait plus la force d’écrire et de parler, au point de se demander justement s’il n’y avait pas quelques interventions préternaturelles qui voulaient obtenir son silence ou l’inactivité. Je cite de mémoire : “si je devais dire tout ce qu’il y à dire sur le Concile et ce qui a suivi, je devrais être dur”, disait-il encore au téléphone en 2008. Monseigneur Gherardini s’interrogea longtemps sur l’opportunité d’une intervention écrite sur le sujet. Et ce fut un choix laborieux. Il disait, en parlant de son passé à l’université du Latran : “j’avais peur de faire scandale au sujet de l’Eglise, surtout auprès des séminaristes, compte tenu de mon rôle de professeur”. Qui l’a connu sait que sa réserve à prendre la parole publiquement sur tous les maux qui affligeaient l’Eglise n’était pas l’alibi du carriériste, mais une vraie préoccupation, découlant en partie de son esprit romain et en partie de la formation reçue par les prêtres de sa génération. Par la suite, il admettait avec simplicité que :“pendant des années j’ai fait l’impossible pour pouvoir lire le numéro 22 de Lumen Gentium en cohérence avec la Tradition et le Magistère”, et - avec cette honnêteté intellectuelle qui accompagnait toujours ses pas - il déclarait finalement qu’il avait dû capituler et confesser ouvertement que la Nota Praevia non plus, sur la question du Primat du Pape et de la collégialité épiscopale, n’était pas satisfaisante. Il l’écrivit et signa ses écrits avec son nom et son prénom ainsi que sur plusieurs autres points controversés, avec humilité, avec force, avec amour de l’Eglise.

Le moment de la décision était venu : “je savais que j’en avais les capacités et je suis arrivé à la conclusion que Dieu me le demandait, je ne voulais pas me présenter devant Lui et qu’Il me dise : tu pouvais faire et tu n’as pas fait”. Ainsi, d’un seul jet, comme il le faisait quand il avait l’inspiration, et avec la facilité de celui qui maîtrise pleinement son sujet, il écrivit “Vatican II, un débat à ouvrir” et toujours en 2009 pour le site Disputationes Theologicae :“Quelle valeur magistérielle pour le Concile Vatican II ?”, article qui était en chantier depuis une année. C’était comme s’il ne se sentait pas prêt. Finalement il m’appela tout joyeux et me dit d’une voix retentissante :“Voici - à tambour battant - ce que vous m’avez demandé”. Et oui, car Mgr Gherardini était aussi homme d’expressions linguistiques bien trouvées et recherchées, même si parfois peu usitées. Il maniait la langue italienne de manière charmante et assurée même si de temps à autre il fallait relire deux ou trois fois sa prose “asiane”. A celui qui timidement faisait allusion à son style pas toujours très agile, il répondait sèchement : “j’écris ainsi”, mais après il admettait de bon grès que toutes ces subordonnées pouvaient demander un certain effort de la part du lecteur, sans parler des traductions... Cependant, la complexité des sujets qu’il traitait et leur délicatesse, dans lesquels étaient en jeu la doctrine et l’autorité de l’Eglise, réclamaient une expression linguistique adéquate, éloignée du rationalisme des modernes et de la parataxe du sic et non.

Il était certainement homme de caractère, et disait de lui même :“je n’ai jamais eu peur de personne, j’ai même été imprudent parfois, mais si les principes étaient en jeu...” et il racontait de cette fois où il avait dû répondre à ce fameux Cardinal qu’il ne devait pas s’immiscer dans la ligne éditoriale de Divinitas, parce que :“c’est à moi, la revue est à moi !”. Donc - en assumant entièrement la responsabilité - les articles de “complaisance théologique” n’auraient pas été publiés. En octobre 2014, alors qu’on voyait des nuages menaçants poindre à l’horizon, nous soutenant sur certains choix de positions, il nous disait de ne pas oublier que “nous vivons des temps terribles, très difficiles” et il ajouta ensuite presque méditatif : “tenir sur les principes, c’est déjà énorme”. Comme pour nous dire de ne demander rien d’autre que la fidélité. Il continua :“il faut être disposé à la souffrance, c’est impossible de ne pas souffrir”, il conclut amèrement : “aujourd’hui il n’y a plus de témoins, la prière est importante, mais cela ne suffit pas, il faut desmartyroi, jusqu’à l’effusion du sang” et ajouta enfin “du vrai sang”.

Parlant ensuite des chantages et des menaces qui étaient déjà dans l’air pour tous et desquels lui aussi avait été victime dans le passé, il éleva la voix et dit uniquement:“avec la Maçonnerie on ne cède jamais”. De la Maçonnerie personne n’en avait parlé, mais - comme diraient les thomistes - il savait promptement remonter aux causes...

En rentrant chez moi je notai ces quelques phrases, elles semblaient presque un testament spirituel et prenaient un ton prophétique. A la fin de la rencontre, présageant désormais du peu d’années qu’il lui restait, il nous dit presque pour nous rassurer “à peine arrivé là-haut la première pensée sera pour vous”. Presque pour nous dire :“regardez plutôt l’Eglise de là-haut que les petitesses des hommes d’Eglise d’ici-bas, quand j’y serai je vous aiderai”. Mgr Gherardini fut un homme de parole sur terre, il le sera aussi du Ciel.

Dans les dernières rencontres il rappelait aussi de temps en temps la souffrance causée par tous ceux qui l’avaient abandonné; déjà en 2009 ses prises de positions lui valurent la défection d’ “amis” de longue date. Puis vers 2014 avec le vent nouveau qui soufflait, beaucoup de caméléons, jadis admirateurs du grand théologien, commencèrent à déserter sa maison en s’éclipsant. Il s’en attristait, mais sans grande peine. Désormais sa situation de “retraite érémitique” lui permettait de penser davantage à Dieu et lui donnait beaucoup de temps pour prier. Cette sérénité, presque d'ascète désormais, se lisait dans ses yeux bleus azur et profonds.

Sur son talent théologique, beaucoup de choses ont déjà été dites, et d’autres encore seront dites. Ce qui marquait le plus notre regard était cette esprit de synthèse profonde lorsqu’il parlait de la scientia Dei et cette vision, presque celle d’un aigle en vol, percevant toutes choses d’en haut et dans leur ensemble. “J’ai eu de grands maîtres”s’esquivait-il comme pour se justifier d’un talent qu’il ne voulait pas s’attribuer. Sa mémoire reconnaissante allait tout de suite à Pietro Parente (au Parente théologien, spécialement celui des premières années d’études et d’enseignement) et ensuite à l’inoubliable Mgr Piolanti, qui lui avait enseigné - un peu comme Saint Thomas - à prendre le bon partout où il se trouve, le purifiant des contours pollués, surtout sans se perdre dans les idéologismes. C’est aussi cela l’Ecole Romaine. Quand il y avait des questions théologiques disputées, après avoir écarté catégoriquement les hérésies qui pouvaient naitre de la discussion, à celui qui, trop empressé par la fougue de la jeunesse, demandait une réponse péremptoire, il donnait une réponse qui était le sommet entre deux excès, en se prévalant de sa phrase récurrente “si vis theologus esse distingue frequenter”, énoncée sans aucune prétention.

Et lorsqu’un grand théologien - désormais récompensé par les plus hautes charges ecclésiastiques et dans la “ferveur post-conciliaire” peut-être plus engagé à maintenir le prestige du rang qu’à défendre pleinement la doctrine de l’Eglise - reprocha à Mgr Gherardini la trop grande rigueur d’une réponse en lui disant :“mais qu’as-tu écris !”, il répondit simplement : “J’ai écrit ce que Vous m’avez enseigné quand vous étiez mon professeur sur la chaire de l’Université”.

Mais il se tromperait celui qui verrait seulement en Mgr Gherardini le théologien. Lui-même rappelait souvent que “le prêtre est père, maître et ami” et il était aussi un confesseur délicat qui ciblait précisément les difficultés; en témoignent les nombreuses religieuses présentes à son enterrement, à qui il avait offert depuis de nombreuses années sa direction spirituelle. Peut-être n’avaient-elles pas toutes lu ses écrits théologiques, mais toutes avaient expérimenté sa profondeur et - avec plus de gratitude peut-être que beaucoup de théologiens - elles étaient toutes présentes pour le pleurer le jour de son dernier adieu.

Et enfin, l’ “ami”, parce que Mgr Gherardini avait une conception très haute de l’amitié, et pour cela - là où l’amour de la vérité l’imposait et parce qu’il fuyait toute duplicité - il savait refuser à certains le salut, comme l’exige l’Evangile devant l’hérésie ou plus simplement devant l’hypocrisie. Mais si on était loyal en amitié et si elle se fondait vraiment sur une unité d’intention - “idem velle, idem nolle” - alors on découvrait que sous son apparence d’ecclésiastique toscan distingué, grand et très maigre, se cachait un coeur qui compatissait avec l’ami sans ombre d’affectation et à qui répugnaient tous faux-semblants surtout curialesques. Il tenait à l’amitié et en avait parfois souffert, admettant qu’un de ses défauts était de beaucoup tarder à voir le mal dans le prochain, jusqu’à ce qu’il se résolve à ouvrir les yeux, omnia munda mundis . Mais ensuite il tournait son regard vers les Hauteurs. C’est peut être aussi pour cela qu’un de ses derniers efforts théologiques fut dédié à Marie, à la Mère de Dieu, à qui il consacra de nombreuses pages. Il retraça les gloires de la Reine des Cieux avec tant de sagesse et d’amour filial, que l’on peut penser - pour reprendre les paroles de l'homélie funèbre du Cardinal Comastri - que lorsque la Sainte Vierge le rencontrera dans le Paradis elle pourra bien lui dire : “bene scripsisti de me”.

Don Stefano Carusi
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Voici les articles que Mgr Gherardini a publié dans notre revue :

[FSSPX (district de France)] Ils ont osé: la poste vaticane célèbre le 500° anniversaire de la révolte protestante

SOURCE - FSSPX (district de France) - La Porte Latine - 31 octobre 2017

Notre article du 18 janvier dernier [Paru dans notre rubrique "Les Insolites de LPL" ] avait laissé sceptiques de nombreux lecteurs de la Tradition qui pensaient que "non, jamais le Vatican n'osera émettre un timbre à l'effigie d'un des plus grands démolisseurs de l'Eglise" !
   
Eh, bien si : ils ont osé ! Nous pourrions parodier Audiard en disant "les fous ça osent tout, c'est à cela qu'on les reconnaît"...
   
En effet, après la statue de l'hérétique Luther mise à l'honneur au Vatican même(1), pour commémorer le 500ème anniversaire jour pour jour de la promulgation des 95 thèses luthériennes(2), les postes vaticanes ont édité aujourd'hui-même, 31 octobre 2017, un nouveau timbre en l'honneur de la Réforme protestante : au premier plan l'on voit le Christ en croix qui se détache du fond doré sur lequel est représenté la ville de Wittemberg. Agenouillés respectivement à droite et à gauche de la croix, Martin Luther soutient la Bible, source de sa doctrine, tandis que Philippe Melanchthon, théologien et ami de Luther, et un des plus importants protagonistes de la réforme protestante, tient en main la Confession d'Augsbourg, la première exposition officielle des principes du protestantisme.
   
Luther, l'ennemi de la grâce de Jésus-Christ, l’un des plus grands hérésiarques de tous les temps, responsable, avec Arius, de la perte d’innombrables âmes, est honoré par une "Eglise conciliaire" à la tête de laquelle le Pape François dérive de plus en plus clairement vers une apostasie criante (3).
   
Il est bien loin le temps où le jeune Bergoglio, alors simple prêtre en 1985, avait prononcé, à Mendoza, en Argentine, une conférence consacrée précisément à la lutte acharnée qui avait opposé, il y a cinq siècles, la Compagnie de Jésus aux protestants (4).
   
Il semblerait qu'il ne soit plus question pour le successeur de saint Pierre d'envoyer Luther au bûcher, mais de le porter bientôt sur les autels. Pour François le chemin vers la réhabilitation de Luther est toute "bergoglienne" : la primauté est donnée aux gestes, aux accolades, à des actes charitables accomplis en commun. Les oppositions de doctrine, y compris lorsqu’elles sont abyssales, il les laisse aux discussions des théologiens, qu’il confinerait volontiers "sur une île déserte", comme il aime à le dire en ne plaisantant qu’à moitié.
   
Quant à nous, nous le redisons avec force : les rapports adultérins avec les pires ennemis de l'Eglise Catholique sont de plus en plus odieux et relèvent d'un esprit révolutionnaire qui contribue à entraîner les âmes en enfer sous couvert d'une fausse et mortelle "fraternité" avec le diable.
   
Cet esprit dévastateur conduit à la pénétration de tous les principes protestants pour transformer l'Église de l'intérieur.
   
"Contre cela, comme autrefois les prêtres sonnant de la trompette devant Jéricho, c'est le sacerdoce catholique qu'il faut faire parler et remettre en avant, avec le saint Sacrifice de la Messe. C'est alors que Dieu, dans sa Providence, a fait "l'opération survie de la Tradition"par l'oeuvre de restauration du sacerdoce qu'il a inspirée à Mgr Lefebvre.(5)"
1988-2018 : 30ème anniversaire des sacres épiscopaux dans
la FSSPX pour l'opération survie de la Tradition catholique
Soyons toujours fidèles au refus du fondateur de la FSSPX « de la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. » :
"Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues (...). "(6)
Source : La Porte Latine du 1er novembre 2017, fête de tous les saints
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Notes
(2) Lire à ce sujet : Luther, un réformateur ?, par l'abbé Christian Thouvenot - 31 octobre 2017
(5) Lire : Vatican II, opération survie du Protestantisme - 28 octobre 2017 

29 octobre 2017

[Terre de Mission - TV Liberté] Eglise en France : Il y a 50 ans, le 29 septembre 1967 naissait le MJCF

SOURCE - Terre de Mission - TV Liberté - 29 octobre 2017

Aujourd’hui président de Paix Liturgique, Christian Marquant, revient, comme il l’a fait dans le No 614 du 28 septembre 2017 de cette lettre électronique, sur la fondation du MJCF (Mouvement de la Jeunesse Catholique de France) le 29 septembre 1967. Quelques dizaines de jeunes du XIVéme arrondissement de Paris, issus des Scouts de France, prennent alors la décision de résister à ce qu’ils considèrent comme une dérive gauchisante du scoutisme tout en menant une réelle action missionnaire auprès des jeunes. C’est cette intuition-enthousiasme missionnaire conjugué à une résistance à l’apostasie et à la révolution ambiantes- qui se concrétisera dans la fondation officielle du MJCF le 7 juin 1970.

[NN. SS. Jean-Michel Faure, Dom Thomas d’Aquin, Richard Williamson, Gerardo Zendejas] Déclaration à l’occasion du centenaire des apparitions de Notre-Dame à Fatima, Portugal

SOURCE - NN. SS. Jean-Michel Faure, Dom Thomas d’Aquin, Richard Williamson, Gerardo Zendejas - Fatima - via Reconquista - 29 octobre 2017

En cette année 2017, l’Église et le monde sont tous deux aux prises avec une crise sans précédent dans toute l’histoire humaine, une crise reconnue par beaucoup de personnes mais vraiment comprise par un tout petit nombre, parce que l’Église Catholique est la lumière du monde et elle a été mise dans l’obscurité depuis le Concile Vatican II (1962 – 1965)

Cette crise remonte au moins à 500 ans lorsque Luther divisa la Chrétienté avec sa fausse « Réforme », rendant possible 200 ans plus tard l’organisation par la franc-maçonnerie de la fausse religion du libéralisme, qui a explosé lors de la Révolution Française de 1789, désignée par sa devise « Liberté, Egalité et Fraternité », pour renverser le trône et l’autel, et par ses « droits de l’homme » pour remplacer les droits de Dieu. Le Protestantisme et le Libéralisme ont si bien réussi à « refaçonner » l’esprit humain que malgré un admirable combat d’arrière-garde de l’Eglise au XIX ème siècle, en 1917, encore 200 ans plus tard, en Russie explosa la révolution communiste qui a combattu pour abolir à la fois Dieu et toute trace de Lui sur terre.

Cependant, juste quelques mois avant que se produise, en Russie, cette gigantesque étape vers un Nouvel Ordre Mondial sans Dieu, destinée à permettre que ces mêmes ennemis de Dieu qui ont promu le Protestantisme et fabriqué la Franc-Maçonnerie puissent dominer le monde, Dieu intervint. Par Sa Mère apparaissant ici, à Fatima, à trois petits paysans, Dieu promit à Sa seule vraie Église, l’Église Catholique, un remède par lequel Ses hommes D’Église au moment où ils le choisiront à partir de cette époque, pourront faire reculer l’apostasie mondiale et obtenir une période de paix pour toute l’humanité avant la fin du monde.

Le double remède, présenté par la Mère de Dieu par l’intermédiaire de Sœur Lucie de Fatima dans les années 20, était simple. Tout ce que le Pape catholique avait à faire était d’appeler tous les évêques du monde à se joindre à lui pour consacrer la Russie (pas le monde) au Cœur Immaculé de Marie. Et tous les prêtres et fidèles catholiques devaient, chaque premier samedi du mois, se confesser, communier, réciter cinq des quinze mystères du Saint Rosaire et méditer pendant 15 minutes sur l’un des quinze mystères. Certainement de pareilles actions, ce n’est pas trop demander aux catholiques, mais depuis les années 1920, la crise de l’Église et du monde n’a fait que s’aggraver au cours de ce siècle depuis que Notre Dame est apparue aux enfants de Fatima.

Ainsi dans le monde, éclata en 1939 la seconde guerre mondiale avec ses 66 millions de victimes, et dans l’Eglise, beaucoup plus grave, commença en 1962 le second Concile du Vatican avec ses milliers de millions de victimes spirituelles, depuis la confusion schizophrénique jusqu’à la pure perte de cette Foi qui peut seule sauver les âmes pour l’éternité. Pour s’opposer à ces désastres, en 1970, un vrai et grand homme de Dieu, Mgr Lefebvre, fonda une Congrégation catholique classique pour former de vrais prêtres, mais depuis quelques années maintenant, ses propres successeurs à la tête de sa Fraternité Saint Pie X ont fait des tentatives répétées pour soumettre tous les prêtres de la Fraternité au contrôle des conciliaires. Quel triste exemple de la corruption de l’homme moderne par le libéralisme !

Il n’y a aucun doute que de nombreux catholiques, cardinaux, évêques, prêtres et fidèles, venant de toutes les parties de l’Église catholique, mais embrouillés par la déliquescence des autorités de L’Église conciliaire, ont quelque idée que Notre-Dame de Fatima avait raison, que Mgr Lefebvre avait raison, et que Vatican II avait tort, mais des millions de catholiques sont paralysés par une fausse obéissance, ce qui les rend incapables de réagir. Cependant, les quatre évêques signataires déclarent qu’eux-mêmes veulent aider tous ces catholiques le mieux qu’ils le peuvent pour qu’ils gardent la Foi, en particulier pour les encourager à tenir compte de Notre-Dame de Fatima en pratiquant la dévotion des premiers samedis, et en luttant pour la Consécration de la Russie à son Cœur Immaculé. Ainsi seulement, l’Eglise et le monde peuvent-ils être retirés de leur désastreux chemin actuel. Ainsi seulement Son Bien-Aimé et Divin Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, pourra être rétabli à Sa place légitime à la tête de TOUTES LES NATIONS.
+ Jean-Michel Faure
+ Dom Thomas d’Aquin
+ Richard Williamson
+ Gerardo Zendejas
Fatima, en la fête de la Royauté Universelle de Notre Seigneur Jésus-Christ 2017

28 octobre 2017

[Mgr Williamson - Initiative St Marcel] Les Sorciers Maîtres?

SOURCE - Mgr Williamson - Initiative St Marcel - 28 octobre 2017

Quel est de la machine en bien ou mal le fruit?
C’est l’âme qui gouverne, et la matière suit.
  
Dans une récente interview, le directeur général de Mercedes Benz, entreprise allemande produisant des véhicules de haute qualité, a prédit qu’à brève échéance les logiciels informatiques allaient perturber les constructeurs les plus traditionnels, car la principale concurrence ne leur viendraient plus d’autres entreprises automobiles mais de Google, Apple ou Amazon ! Selon lui, la justice, les soins médicaux, la conduite automobile, les assurances, les biens immobiliers seront tous impactés par les ordinateurs. D’ici à 2027, 10% de tout produit s’effectuera à partir d’images en 3D. D’ici à 2037, 70 à 80% des emplois disparaîtront. Les téléphones intelligents (smartphone) à bas coût permettront d’accéder à des programmes d’instruction valables dans le monde entier, etc., etc. Mais ces prédictions, si dramatiques qu’elles soient, doivent être mises à leur place, c’est-à-dire à un niveau secondaire. Les machines ne sont jamais que des machines, et les ordinateurs ne sont que des machines.
   
Depuis l’explosion de la révolution industrielle aux 18e et 19e siècles, les hommes s’interrogent sur l’importance que prendront les machines inhumaines dans l’avenir des êtres humains. Depuis lors, plus d’un observateur avisé a émis de sérieux doutes quant à l’impact ultime d’inventions matérielles toujours plus merveilleuses, mais l’humanité, dans son ensemble, s’est précipitée en avant, en misant sur le fait que la profusion des machines, accélérée par l’électronique, ne pouvait apporter qu’un progrès bienfaisant. Mais, l’homme qui ne sort pas le nez de son smartphone, connaît-il la sagesse et le bonheur ?

Le problème fondamental vient du fait que les machines ne sont que matière, alors que les êtres humains sont par essence spirituels. Si bien que les machines les plus utiles ne peuvent qu’être au service de ce qui est principal ou de ce qui a le plus d’importance dans la vie des êtres humains. En effet, l’homme se compose d’un corps matériel et d’une âme spirituelle, de sorte que les machines matérielles peuvent certainement servir le corps mais ce corps est simplement l’enveloppe de son âme spirituelle pour la courte durée de sa vie sur terre. À la mort, ou bien l’âme, dépourvue de la grâce surnaturelle, entraîne le corps dans les tourments éternels de l’Enfer, ou bien l’âme, par la grâce du Christ, passant le plus souvent par les tourments temporaires du Purgatoire, conduit le corps jusqu’au Ciel pour y jouir d’une béatitude éternelle. Dans un cas comme dans l’autre, quel que soit le bien ou le mal que le corps aura fait à l’âme durant la vie, c’est l’état de l’âme qui détermine à la mort le destin du corps, et non l’inverse.

Cependant, dans l’époque terrible que nous traversons, même les catholiques peuvent ne plus avoir prise sur ces réalités élémentaires que sont le corps et l’âme, la vie et la mort. Pour illustrer les limites de la matière et des machines, empruntons un exemple à la musique. Dans un studio d’enregistrement moderne, il peut y avoir des dizaines de machines performantes et des milliers de boutons et de cadrans brillants qui composent des machines encore plus performantes. Soit, mais pour enregistrer quoi ? Pour reproduire un son toujours plus fidèlement ? Soit, mais pour quel son ? Le son d’un être humain, soit qu’il chante, soit qu’il joue d’un instrument. Mais, pourquoi l’enregistrer ? Parce que l’enregistrement va permettre de vendre et de gagner de l’argent. Mais, pourquoi va-t-on gagner de l’argent ? Parce que la musique est un langage irremplaçable pour exprimer les émotions de l’âmehumaine. Qu’il s’agisse de Furtwängler dirigeant un orchestre classique ou des Beatles grattant leurs guitares, les musiciens sont des hommes qui, grâce à leur talent musical et aux moyens matériels d’un orchestre ou d’une guitare, expriment le langage spirituel de la musique, les émotions spirituelles que tout un public recherche. Mais, si les musiciens sont sans âme, les ingénieurs du son les plus brillants ne récolteront jamais de quoi gagner leur vie. Dans n’importe quel domaine artistique, la mécanique reste nécessairement subordonnée à l’artiste.

Par conséquent, plus la vie et l’activité humaines seront spirituelles, moins les hommes accorderont d’importance aux bouleversements purement matériels agitant les affaires humaines, tels que ceux qu’évoque le directeur général de Mercedes Benz. D’un autre côté, plus les hommes se détourneront de Dieu, plus grande sera la place que prendra cette agitation dans leur vie. Chers lecteurs, prenez un Rosaire spirituel dans vos mains matérielles et laissez loin derrière vous les désastres qu’annonce notre « civilisation » matérialiste.

Kyrie eleison.

[FSSPX Actualités] Après la Correctio, une Laudatio

SOURCE -  FSSPX Actualités - 28 octobre 2017

Après la Correctio filialis rendue publique le 23 septembre 2017, le groupe “Pro pope Francis”, formé essentiellement de théologiens progressistes du monde germanophone, a lancé une lettre ouverte sur internet. Les signataires entendent exprimer ainsi leur reconnaissance au pape François pour son « courage » et son engagement fondé sur une théologie solide, à leurs yeux.
   
« Dieu et la miséricorde de Dieu, écrivent-ils à François, caractérisent l’attitude pastorale que vous attendez de l’Eglise. Vous rêvez d’une Eglise maternelle et pastorale. Nous partageons votre rêve. »
   
L’historien Roberto de Mattei, qui a signé la Correction filiale, s’interroge sur la qualité des signataires de la Laudatio : « L’un d’entre eux, l’allemand Mgr Fritz Lobinger, évêque émérite d’Aliwal (Afrique du Sud), est le “père” de l’expression “prêtres de communauté” qu’il a exposée dans le livre Teams of Elders. Moving beyond Viri probati (2007) dans lequel il souhaite l’admission dans l’Eglise de deux types de prêtres : les prêtres diocésains et les prêtres de communauté, les premiers célibataires, à temps plein, et les seconds mariés, avec une famille, à la disposition de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent.

« Un autre signataire, le Père Paul Zulehner, disciple de Karl Rahner, est également connu pour sa fantaisiste “Futurologie pastorale” (Pastorale Futurologie, 1990). En 2011, il appuya l’ “appel à la désobéissance” lancé par 329 prêtres autrichiens en faveur du mariage des prêtres, de l’ordination sacerdotale des femmes, du droit pour les protestants et les personnes mariées divorcées de recevoir la communion, et du droit des laïcs de prêcher et diriger les paroisses.

« Martin Lintner est un religieux servite de Bolzano, professeur à Bressanone et président de l’Insect (International Network of Societies for Catholic Theology). Il est connu pour son livre La redécouverte d’Eros. Eglise, sexualité et relations humaines (2015), dans lequel il propose une ouverture à l’homosexualité et aux relations extraconjugales, ainsi que pour son accueil enthousiaste d’Amoris lætitia, qui marque à son avis “un point de non-retour” dans l’Eglise. En effet, “nous ne pouvons plus affirmer qu’il y a aujourd’hui une exclusion catégorique des sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation pour ceux qui, dans la nouvelle union, ne s’abstiennent pas de rapports sexuels. Il n’y a aucun doute là-dessus, à partir du texte même d’Amoris lætitia”. (Entretien du 5 décembre 2016 sur le site settimananews.it) »
   
Dans la liste des signataires de la Laudatio, on peut également noter la présence de Martha Heizer, responsable autrichienne du mouvement ultra-progressiste Wir sind Kirche (“Nous sommes l’Eglise”) ; elle a été excommuniée avec son mari par Benoît XVI, le 21 mai 2014, pour avoir organisé des “eucharisties privées”, autrement dit des messes sans prêtres “célébrées” à leur domicile. Le mouvement est connu pour ses prises de position contre le célibat sacerdotal et pour une attitude positive vis-à-vis de la sexualité, y compris l’homosexualité.
   
C’est avec raison que R. de Mattei fait le commentaire suivant : « Il est clair à ce stade que la division profonde qui traverse l’Eglise n’est pas entre les détracteurs et les partisans du pape François. La ligne de fracture sépare ceux qui sont fidèles au Magistère immuable des papes et ceux qui s’en remettent au pape François pour poursuivre le “rêve” d’une nouvelle Eglise, différente de celle fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

27 octobre 2017

[Abbé Christian Thouvenot - FSSPX Actualités] Traductions plurielles pour une liturgie singulière

SOURCE - Abbé Christian Thouvenot - FSSPX Actualités - 27 octobre 2017

Le Motu proprio du pape François modifiant les règles de traduction des livres liturgiques a été rendu public le 9 septembre 2017. Avant les nouvelles dispositions du souverain pontife, il revenait au Siège apostolique d’approuver et d’autoriser les « traductions en langues vernaculaires et de veiller à ce que les règles liturgiques soient fidèlement observées partout ». 

Dorénavant, ce seront les Conférences épiscopales qui auront la responsabilité de traduire, d’approuver et de publier les textes liturgiques « pour les régions relevant de leur compétence, après confirmation par le Siège apostolique ». La Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements aidera et vérifiera le travail des Conférences épiscopales. FSSPX.Actualités a rendu compte de cette décision du pape, le 19 octobre 2017 (mise à jour de l'article le 25 octobre), sous le titre « Magnum principium : le risque d’une tour de Babel ». 

Dans la continuité du Concile

Ces nouvelles dispositions ne sont pourtant pas des nouveautés. Le document s’inscrit résolument dans la continuité de la réforme liturgique voulue par le concile Vatican II, et se réclame des principes qui l’ont inspirée. La première phrase du Motu proprio est à cet égard révélatrice : « L’important principe (magnum principium) confirmé par le concile œcuménique Vatican II, selon lequel la prière liturgique rendue accessible au peuple devait être compréhensible dans sa langue, a fait porter aux évêques la lourde responsabilité d’introduire la langue vernaculaire dans la liturgie et de préparer et approuver les différentes traductions des livres liturgiques ».

La question des traductions est bien une conséquence de la volonté du Concile de rendre accessible la liturgie au peuple de Dieu. Le pape François affirme qu’il en va du bien des fidèles et de « leur droit à une participation consciente et active aux célébrations liturgiques ». Plus loin, il explique pourquoi il lui paraît opportun que ces mêmes « principes transmis depuis le Concile soient plus clairement réaffirmés et mis en pratique », « afin que se poursuive le renouveau de la vie liturgique tout entière».

L’abandon de la langue vivante de l’Eglise

Ce « renouveau » est passé en particulier par le retournement des autels, la refonte totale des rites de la messe et des sacrements, et l’abandon du latin, la langue sacrée de l’Eglise. Cet abandon, le pape François l’assume, à la suite du pape Paul VI : « L’Eglise latine était consciente du sacrifice qui en découlait, d’abandonner partiellement sa langue liturgique en vigueur à travers le monde entier au cours des siècles. Elle ouvrit cependant volontiers la porte au fait que ces traductions, qui font partie des rites mêmes, deviennent la voix de l’Eglise qui célèbre les mystères divins, aux côtés du latin ». Malgré cette dernière incise, qui vise peut-être la reconnaissance par Benoît XVI en 2007 du rite traditionnel, dit « extraordinaire », et malgré l’adverbe partiellement qui semble vouloir limiter l’importance du changement opéré par la liturgie réformée, force est de constater que la nouvelle messe est toujours et dans l’immense majorité des cas célébrée en langue vulgaire, et qu’elle a bel et bien consacré l’abandon du latin.

Jamais sans doute le magistère n’aura varié si considérablement sur une question en si peu de temps. Le 22 février 1962, le pape Jean XXIII avait publié la Constitution Veterum sapientiæ dans laquelle était loué l’usage du latin. « Langue propre du Siège apostolique », manifestant la romanité en même temps que l’universalité de l’Eglise, le génie du latin était chanté comme rarement il le fut. Le lien d’unité qu’il crée entre les peuples et les différentes cultures était si bien mis en avant que le pape ordonnait qu’il soit encouragé dans les études comme dans la liturgie : « Le latin est la langue vivante de l’Eglise », écrivait-il. Elle n’allait pas tarder à devenir une langue morte.

L’année suivante, la première Constitution du concile Vatican II rappelait pourtant : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins » (Sacrosanctum concilium, 4 décembre 1963, n° 36, 1). Mais c’était aussitôt pour ajouter qu’il serait possible « d’accorder une plus large place » à « l’emploi de la langue du pays » (n° 36, 2). La brèche ouverte, il ne suffisait plus que de l’agrandir et de s’y engouffrer.

Le latin et le grégorien sacrifiés

C’est ce que fit le pape Paul VI le 7 mars 1965 en déclarant place Saint-Pierre : « C’est un sacrifice que l’Eglise accomplit en renonçant au latin, langue sacrée, belle, expressive, élégante. Elle a sacrifié des siècles de tradition et d’unité de langue pour une aspiration toujours plus grande à l’universalité ». Sacrifier l’unité pour mieux exprimer l’universalité : n’est-ce pas se risquer à connaître le même sort que Babel ?

Le 26 novembre 1969, en présentant le nouveau rite, Paul VI revenait sur ce sacrifice jugé nécessaire : « Pour quiconque connaît la beauté, la puissance du latin, son aptitude à exprimer les choses sacrées, ce sera certainement un grand sacrifice de le voir remplacé par la langue courante. Nous perdons la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l’expression sacrée. Nous perdons ainsi en grande partie cette admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu’est le chant grégorien. Nous avons, certes, raison d’en éprouver du regret et presque du désarroi… »

Pourtant, tout ceci est sacrifié en vue de satisfaire les besoins humains du « peuple de Dieu » : « Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane ».

Un ferment d’anarchie est introduit au cœur de l’expression la plus sublime du mystère chrétien. Le culte rendu à Dieu devient l’occasion de parler au peuple qui veut et qui exige – démocratie oblige. C’est un renversement complet de perspective. A ce compte-là, il n’y a aucune raison de ne pas traduire la messe en slam (« poésie urbaine scandée »), spoken word (ancêtre du slam), pidgin (« langue véhiculaire simplifiée ») ou n’importe quel sabir. Il en va de la « compréhension » et donc de la « participation » de n’importe quel groupe de fidèles.

De cette logique ne peut sortir que la désagrégation de la liturgie. Le Motu proprio du pape François, presque cinquante ans après la nouvelle messe, reprend à son compte les principes qui l’ont inspirée : « L’Eglise latine était consciente du sacrifice qui en découlait, d’abandonner partiellement sa langue liturgique en vigueur à travers le monde entier au cours des siècles ».

En mesurait-elle alors toutes les conséquences ? Oui, répond le pape : « au sujet de l’utilisation des langues vernaculaires dans la liturgie, l’Eglise était consciente des difficultés qui pouvaient survenir en la matière. » Mais le droit des fidèles « à une participation consciente et active aux célébrations liturgiques » devait l’emporter.

Magnum principium met en pratique Sacrosanctum concilium

Ainsi donc, les problèmes de traduction liés à l’utilisation des langues vernaculaires dans la liturgie font partie de la dynamique conciliaire consécutive à l’abandon du latin. Bien loin d’innover, le pape François ne fait qu’appliquer les principes du Concile afin qu’ils soient « plus clairement réaffirmés et mis en pratique ».

En effet, la Constitution Sacrosanctum concilium indiquait déjà qu’il revenait à l’autorité ecclésiastique locale de considérer « avec attention et prudence ce qui, en ce domaine, à partir des traditions et du génie de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin. Les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège apostolique pour être introduites avec son consentement » (n° 40, 1). Et encore : « il revient à l’autorité ecclésiastique qui a compétence sur le territoire (…), de statuer si on emploie la langue du pays et de quelle façon, en faisant agréer, c’est-à-dire ratifier, ses actes par le Siège apostolique » (n° 36, 3).

Cette dernière incise, à laquelle renvoie explicitement le Motu proprio Magnum principium, manifeste la volonté pontificale de ne pas revenir en arrière et de s’en tenir aux dispositions prévues par les Pères conciliaires. François le réaffirme : « il faut communiquer fidèlement à un peuple donné, en utilisant sa langue, ce que l’Eglise a voulu communiquer auparavant avec le latin ». Il s’agit bien d’un abandon par substitution. La liturgie de la parole exige ce sacrifice, au nom de « la participation active et consciente » des fidèles. Le prix à payer, au-delà du désarroi, est la désagrégation de l’unité liturgique et la désacralisation du culte divin.

Une incalculable erreur

Ces choses avaient été annoncées avant même la promulgation de la nouvelle messe, dès 1969. Le Bref Examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci concluait déjà :

« Aujourd’hui, ce n’est plus à l’extérieur, c’est à l’intérieur même de la catholicité que l’existence de divisions et de schismes est officiellement reconnue. L’unité de l’Eglise n’en est plus à être seulement menacée : déjà elle est tragiquement compromise. Les erreurs contre la foi ne sont plus seulement insinuées : elles sont imposées par les aberrations et les abus qui s’introduisent dans la liturgie.

« L’abandon d’une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles le signe et le gage de l’unité de culte, son remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être qu’une cause de division par les licences innombrables qu’elle autorise implicitement, par les insinuations qu’elle favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés, comme une incalculable erreur ».

Abbé Christian Thouvenot

[Abbé Alain Lorans - FSSPX Actualités] Rome n’a pas parlé. La cause est entendue?

SOURCE - Abbé Alain Lorans - FSSPX Actualités - 27 octobre 2017

«Roma locuta est, causa finita est ; Rome a parlé, la cause est entendue». Il semble que tout soit fait au Vatican pour que la célèbre affirmation de saint Augustin soit niée lorsqu’il s’agit d’Amoris lætitia.

Des cardinaux peuvent demander au pape de faire la clarté sur les passages hétérodoxes de cette exhortation, des prêtres et des universitaires peuvent lui adresser une correction filiale, François garde le silence, comme s’il voulait maintenir une ambiguïté favorable aux interprétations les plus contradictoires.

Ce silence est un ferment de division redoutable : des diocèses conservent l’enseignement évangélique et la discipline de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage chrétien, d’autres admettent – avec le soutien du pape – les divorcés civilement remariés à la communion.

La Rome d’aujourd’hui ne parle pas, elle ne veut pas parler, comme si elle craignait – en parlant – de montrer une rupture de moins en moins latente avec la doctrine de la Rome éternelle. Elle n’ose pas dire avec Sertorius : « Rome n’est plus dans Rome », mais elle agit comme si cette séparation était normale, en raison de l’évolution des mœurs...

Naguère la Rome éternelle parlait pour que la cause soit entendue. Aujourd’hui cette Rome muette espère que la cause des divorcés remariés sera « pastoralement » entendue, dans un silence doctrinal équivoque. Mais la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité, peut-elle être bâillonnée, et l’enseignement évangélique bafoué ?

L’autorité romaine actuelle se tait, les pierres parlent ! Les tombes de saint Jean Fischer et de saint Thomas More, décapités pour avoir défendu l’indissolubilité du sacrement de mariage, face à Henry VIII d’Angleterre, pour avoir refusé de le suivre dans le schisme anglican, leurs tombes crient. Et ce cri déchire le silence complice.

Abbé Alain Lorans

[Pr Paolo Pasqualucci - Le Courrier de Rome] Crise de l'Eglise: l’hérésie luthérienne du pape François

SOURCE - Pr Paolo Pasqualucci - Le Courrier de Rome - octobre 2017

Nous avons tous en mémoire l’éloge de Martin Luther fait par le pape François. L’année dernière, parlant à bâtons rompus avec des journalistes pendant le vol de retour après sa visite en Arménie, répondant à une question sur les rapports avec les luthériens à l’approche du 500e anniversaire de la Réforme, le Pape tint en italien les propos suivants, jamais démentis par la suite :
   
«Je crois que les intentions de Martin Luther n’étaient pas mauvaises. À cette époque l’Église n’était pas vraiment un modèle à imiter : il y avait de la corruption, il y avait de la mondanité, il y avait de l’attachement à l’argent et au pouvoir. C’est pourquoi il a protesté. De plus il était intelligent et il a fait un pas en avant, en justifiant pourquoi il le faisait. Et aujourd’hui luthériens et catholiques, avec tous les protestants, nous sommes d’accord sur la doctrine de la justification : sur ce point si important, il ne s’était pas trompé. Il a fait un «remède» pour l’Église, puis ce remède s’est consolidé en un état de choses, en une discipline, etc. 1»
   
Il est difficile de décrire la stupeur suscitée à l’époque par ces paroles. Il faut quoi qu’il en soit noter un point qui, à ce moment-là, n’avait peut-être pas été suffisamment mis en relief. L’éloge de la doctrine luthérienne était justifié, aux yeux du Pape François, par le fait qu’aujourd’hui catholiques et protestants «sont d’accord sur la doctrine de la justification». C’est précisément cet accord qui démontrerait, par voie de conséquence logique, que «sur ce point si important, il ne s’était pas trompé».
   
À quel accord le Pontife fait-il ici allusion? Manifestement à la Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, signée par le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens et par la Fédération luthérienne mondiale le 31 octobre 1999. Un document incroyable, certainement un unicum dans l’histoire de l’Église. Y sont énumérés les articles de foi que les catholiques auraient en commun avec les hérétiques luthériens, en laissant au second plan leurs différences et en faisant comprendre que les condamnations d’autrefois ne s’appliquent plus aujourd’hui! Il est évident que dans ce document les différences n’ont pas d’intérêt, le but étant justement de faire apparaître les supposés éléments communs entre nous et les hérétiques. Or dans le § 3 de cette Déclaration, intitulé : La compréhension commune de la justification, on lit au n. 15 : «Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes 2.» Au n° 17, dans le même paragraphe, on ajoute, toujours en commun, que : «il [le message de la justification] nous dit que, pécheurs, nous ne devons notre vie nouvelle qu’à la miséricorde de Dieu qui nous pardonne et fait toute chose nouvelle, une miséricorde qui nous est offerte et est reçue dans la foi et que nous ne pouvons jamais mériter sous quelque forme que ce soit.» Et enfin, au n° 19 du § 4.1, nous trouvons l’affirmation commune, présentée comme si c’était une chose évidente, du principe selon lequel «La justification est opérée par la grâce seule 3.»
   
En ce qui concerne les œuvres bonnes, le document affirme, au n° 37 du § 4.7, intitulé Les bonnes œuvres du justifié : «Nous confessons ensemble que les bonnes œuvres – une vie chrétienne dans la foi, l’espérance et l’amour – sont les conséquences de la justification et en représentent les fruits 4.» Mais cette proposition est elle aussi contraire aux prescriptions du Concile de Trente, qui affirme le caractère méritoire des bonnes œuvres pour la vie éternelle, à l’obtention de laquelle elles concourent nécessairement.
   
Face à de telles affirmations, comment s’étonner que le pape François vienne nous dire que «sur ce point si important, Luther ne s’était pas trompé»? C’est-à-dire que la doctrine luthérienne de la justification est correcte? S’il elle n’est pas erronée, elle est correcte ; si elle est correcte, elle est juste. Tellement juste qu’elle a été adoptée par la Déclaration conjointe, comme on le constate dans les passages cités, si on les lit pour ce qu’ils sont, sans se faire conditionner par une présomption d’orthodoxie doctrinale, qui est ici hors de propos. Ici le sola fide et le sola gratia luthériens sont acceptés sans nuance, de même que l’idée erronée que les bonnes œuvres doivent être comprises seulement comme conséquence et fruit de la justification.
   
Il faut donc affirmer haut et fort que la profession de foi partagée avec les luthériens hérétiques contredit ouvertement ce qui a été affirmé par le dogmatique Concile de Trente, dans l’affirmation de la doctrine catholique de toujours. Dans la conclusion de son Décret sur la Justification, du 13 janvier 1547, ce Concile prononça 33 anathèmes avec canons relatifs, dont le 9e affirme, contre l’hérésie du sola fide :
   
«Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la seule foi, entendant par là que rien d’autre n’est requis pour coopérer à l’obtention de la grâce, et qu’il ne lui est en aucune manière nécessaire de se préparer et disposer par un mouvement de sa volonté : qu’il soit anathème 5.»
   
Contre l’hérésie connexe du sola gratia, le canon n. 11 affirme :
   
«Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés, à l’exclusion de la grâce et de la charité qui est répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint [Rm 5, 5] et habite en eux, ou encore que la grâce par laquelle nous sommes justifiés est seulement la faveur de Dieu : qu’il soit anathème 6.» Contre l’hérésie qui fait des bonnes œuvres un simple fruit ou une conséquence de la justification obtenue seulement par la foi et par la grâce, comme si les bonnes œuvres ne pouvaient y concourir en aucune façon, le canon n. 24 affirme : «Si quelqu’un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne s’accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la cause de son accroissement : qu’il soit anathème 7.»
   
On sait que le «quelqu’un» condamné ici est Luther, ainsi que tous ceux qui pensent comme lui sur la nature de la justification. Et l’extraordinaire Déclaration conjointe ne semble-t-elle pas raisonner comme Luther? Déclaration sur laquelle il y aurait encore autre chose à dire, par exemple sur l’ambigu § 4.6 consacré à la certitude du salut. Cette funeste Déclaration conjointe est arrivée à la fin d’un «dialogue» de plusieurs décennies avec les luthériens, dialogue qui s’est intensifié pendant le règne de Jean-Paul II, et donc avec sa complète approbation et celle du cardinal Ratzinger, qui a manifestement maintenu son adhésion à cette initiative, une fois devenu Benoît XVI. Il faut donc admettre que le Pape François, dans sa façon de s’exprimer sans nuances, a mis en lumière ce qui était implicite dans le «dialogue» avec les luthériens et dans son résultat final, la Déclaration conjointe : Luther avait vu juste, sa conception de la justification «n’était pas mauvaise».
   
Chapeau bas à Luther, alors! Voilà ce que nous, catholiques, nous devons nous entendre dire, et avec conviction, 500 ans après ce schisme protestant qui, d’une façon peut-être irréparable, a dévasté l’Église universelle dans ses fondations? Le «sanglier saxon» qui a tout piétiné et sali avait donc raison? Et c’est un Pape qui nous l’affirme?
   
Nous savons que la doctrine luthérienne défend l’idée, contraire à la logique et au bon sens mais aussi à l’Écriture Sainte, selon laquelle nous sommes justifiés (trouvés justes par Dieu et acceptés dans son Royaume à la fin des temps) sola fide, sans le nécessaire concours de nos œuvres, c’est-à-dire sans l’apport de notre volonté, coopérant librement à l’action de la Grâce en nous. Pour obtenir la certitude de notre salut individuel, ici et maintenant, il suffit d’avoir (dit l’hérétique) la fides fiducialis : croire que la Crucifixion du Christ a mérité et obtenu le salut pour nous tous. Par ses mérites, la miséricorde du Père se serait étendue sur nous tous comme un manteau qui recouvre nos péchés. Il n’est donc pas nécessaire, pour le salut, que chacun de nous cherche à devenir un homme nouveau dans le Christ, en s’élançant avec générosité vers Lui en pensées, en paroles et en actes, et en demandant toujours l’aide de la Grâce à cette fin (Jn 3). Il suffit d’avoir la foi passive dans le salut réalisé par l’œuvre de la Croix, sans la contribution de notre intelligence et de notre volonté. Les bonnes œuvres pourront jaillir de cette foi (dans le fait d’être justifié) mais elles ne peuvent pas concourir à notre salut : le penser serait commettre un péché d’orgueil
   
Le but de mon intervention n’est pas l’analyse des erreurs de Luther. Je veux en revanche traiter la question suivante, qui ne me semble pas d’importance secondaire : Le scandaleux éloge public par le pape François de la doctrine luthérienne sur la justification, condamnée formellement comme hérétique, n’est-il pas lui-même hérétique?
   
En effet, en affirmant publiquement que Luther «ne s’était pas trompé» avec sa doctrine sur la justification sola fide et sola gratia, le Pape n’invite-t-il pas à conclure que la doctrine luthérienne n’est pas erronée, et donc qu’elle est juste? Si elle est juste, alors l’hérésie devient juste et le Pape François montre qu’il approuve une hérésie toujours reconnue et réprouvée comme telle par l’Église, jusqu’à l’incroyable Déclaration conjointe (laquelle, il est bon de le rappeler, n’a de toute façon pas le pouvoir d’abroger les décrets dogmatiques du Concile de Trente : ceux-ci restent valides perpétuellement, comme toutes leurs condamnations, puisqu’ils appartiennent au Dépôt de la Foi, et que c’est un simple flatus vocis de chercher à rabaisser ces condamnations au rang de simples «vertissements salutaires dont nous devons tenir compte dans la doctrine et dans la praxis») 8 .
   
Mais aucun Pape ne peut approuver une hérésie. Le Pape ne peut pas professer des erreurs dans la foi ou des hérésies, même comme individu privé (comme «docteur privé»). S’il le fait, il faut lui demander publiquement de rétracter l’hérésie et de professer la juste doctrine, comme c’est arrivé au XIVe siècle à Jean XXII, l’un des «Papes d’Avignon».
   
Mais le cas de Jean XXII ne constitue pas un précédent pour la situation actuelle. Dans de nombreuses prédications, ce Pape avait soutenu, dans la dernière partie de sa longue vie, que l’âme du Bienheureux n’était pas admise tout de suite à la vision béatifique mais qu’elle devait attendre le jour du Jugement universel (théorie de la vision différée). Mais il présentait sa thèse comme une question doctrinale ouverte, pour résoudre des questions relatives à la théologie de la vision béatifique, par exemple celle de l’éventuelle plus grande vision de Dieu après les Jugement universel, par rapport à celle dont jouit le Bienheureux aussitôt après sa mort. Question complexe, à approfondir dans le calme d’un débat théologique de haut niveau 9 . Mais les passions politiques s’intromirent – c’était l’époque de la lutte acharnée contre les hérésies des Spirituels et l’empereur Louis de Bavière – et échauffèrent les esprits. Certains Spirituels commencèrent à accuser factieusement le Pape d’hérésie et le problème de la «vision béatifique immédiate ou différée» vint bouleverser toute la chrétienté. Après de nombreux et vifs débats, on vit prévaloir, chez la grande majorité, y compris évidemment les théologiens et les cardinaux, l’opinion selon laquelle la thèse du Pape n’était pas soutenable. Mais il insista, même si, à bien y regarder, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une hérésie, car ce Pape montra largement qu’il n’avait pas l’animus de l’hérétique, et aussi parce qu’il s’agissait d’une question non encore définie doctrinalement. Il finit par se rétracter, presque nonagénaire, à la veille de sa mort, face à trois cardinaux, le 3 décembre 1334. Son successeur, Benoît XII, définit ex cathedra, dans la constitution apostolique Benedictus Deus du 26 janvier 1336, que l’article de foi à retenir était la «vision immédiate», laissant tacitement tomber la question de l’éventuelle augmentation de la vision béatifique au moment de la résurrection finale et du jugement universel 10.
   
Jean XXII rétracta donc son opinion privée de théologien. Il est utile de rappeler le cas de Jean XXII précisément pour comprendre qu’il ne peut pas constituer un précédent, car ce Pape n’a certainement pas fait l’éloge d’hérésies déjà formellement condamnées par l’Église, comme c’est le cas en revanche de l’actuel Pontife régnant, se limitant à défendre (et avec un débat nourri) une solution doctrinale nouvelle, qui se révéla ensuite non pertinente.
   
Il me semble que l’éloge de l’hérésie luthérienne fait par le Pape François n’a pas de précédent dans l’histoire de l’Église. Pour remédier au scandale et à la stupeur qu’il a provoqués, ne devrait-il pas se rétracter et réaffirmer la condamnation de l’hérésie luthérienne? J’ose l’affirmer, comme simple croyant : il doit le faire, car confirmer tous les fidèles dans la foi, en maintenant le Dépôt intact, est le devoir spécifique du Pontife Romain. En faisant ouvertement l’éloge de l’hérésiarque Luther et de ses graves et pernicieuses erreurs, le pape François a manqué à son devoir de Pontife, de Pasteur Suprême des brebis que Dieu lui a confiées pour les défendre des loups, et non pour les leur livrer en pâture.
   
Par ailleurs, proclamer que Luther «ne s’était pas trompé» n’est-ce pas dire implicitement que ceux qui l’avaient condamné formellement comme hérétique s’étaient trompés? Si Luther était dans le juste, alors les Papes qui l’ont successivement condamné avaient tort (ils étaient trois : Léon X, Adrien VI, Clément VII), et avait tort également le dogmatique Concile de Trente qui a stigmatisé ses erreurs de façon détaillée. En disant que Luther «ne s’était pas trompé», on contredit cinq cents ans de Magistère de l’Église, et même on dissout ce Magistère en le privant de toute autorité, puisqu’il aurait condamné Luther pendant cinq cents ans pour une erreur qui n’existait pas. La petite phrase jetée dans l’interview aérienne implique que, pendant des siècles, tout le monde se serait trompé : Papes, cardinaux, évêques, théologiens, et jusqu’aux simples prêtres! L’Église aurait été privée pendant des siècles de l’assistance du Saint Esprit, qui ne se serait manifesté que récemment, avec Vatican II, avec les réformes promues par celui-ci, parmi lesquelles la Déclaration conjointe…
   
Quelqu’un pourrait objecter : est-il légitime de soutenir que celui qui partage ouvertement et publiquement une hérésie patente doit être considéré lui-même comme hérétique?
   
Oui, de la façon la plus absolue. Hérétique par approbation ou complicité, si l’on peut parler ainsi. Il est certain que celui qui approuve en son for interne les erreurs professées par l’hérétique s’en rend moralement complice parce qu’il se les approprie sur le plan intellectuel. Et il s’en rend complice aussi au plan extérieur s’il manifeste publiquement son approbation. Cette approbation ne peut pas être considérée comme neutre et sans influence à l’égard du Dépôt des vérités de foi. Quiconque approuve en pleine conscience, et sans distinction, partage et s’approprie ce qu’il a approuvé : il y souscrit librement et intégralement, il y adhère, il y participe. Quiconque approuve librement une opinion de quelqu’un d’autre montre qu’il l’a faite sienne, et on peut la lui attribuer comme si c’était la sienne. Cela est valable aussi pour les hérésies, qui naissent comme des opinions personnelles de l’hérétique.
   
En effet, «on appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité» (CIC 1983, c. 751). En s’obstinant dans son opinion erronée, l’hérétique commence à fabriquer ce «remède» (comme dit le Pape François) qui est en réalité un poison qui pénètre dans les âmes, les éloigne de la vraie foi et les pousse à la révolte contre les pasteurs légitimes. Louer Luther et trouver juste son hérésie du sola fide signifie, comme je l’ai dit, manifester une opinion incomparablement plus grave que la fausse opinion de Jean XXII sur la vision béatifique. Beaucoup plus grave, car le Pontife actuel a loué une hérésie déjà condamnée il y a cinq siècles formellement et solennellement comme telle, par les Papes individuellement et par un Concile Œcuménique de la Sainte Église, le dogmatique Concile de Trente. Si la plus grande gravité du fait n’a pas d’incidence sur sa nature, qui reste celle d’une déclaration privée, d’un discours improvisé d’un Pape s’exprimant comme «docteur privé», toutefois le fait qu’il s’agisse d’un discours privé n’en diminue pas la gravité, destructrice de tout le magistère de l’Église : une réparation publique est donc nécessaire, sous la forme d’une rectification.
   
Une autre objection pourrait être la suivante : ces déclarations contra fidem, le Pape François les a faites lors de discours privés, même s’ils étaient tenus face à un public et pour le parterre mondial des médias. N’étant pas des documents officiels de l’Église, ils n’ont pas de valeur magistérielle. Ne pourrait-on pas simplement les ignorer?
   
Il est vrai que ces déclarations n’ont pas de valeur magistérielle. Si c’était le cas, les organes ecclésiastiques compétents (le Collège cardinalice ou les cardinaux individuellement) pourraient légitimement (je le crois) demander à ce que le Pape François soit formellement mis en accusation pour hérésie manifeste.
   
Toutefois, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. En plus de représenter une grave offense envers NotreSeigneur, ces déclarations du Pape, improvisées et de style hétérodoxe, exercent un grand poids sur l’opinion publique, et contribuent certainement à la façon erronée dont tant de croyants et d’incroyants voient la religion catholique aujourd’hui. Le fait est qu’un Pape, même quand il se limite à accorder des interviews, n’est jamais une simple personne privée. Même quand il ne parle pas ex cathedra, le Pape est toujours le Pape, chacune de ses phrases est toujours considérée et soupesée comme si elle était prononcée ex cathedra. En somme, le Pape fait toujours autorité et on ne discute pas une autorité. Même comme «docteur privé» le Pape maintient toujours cette autorité supérieure aux autorités usuelles du monde civil, parce qu’il s’agit d’une autorité qui vient de l’institution même, de la Papauté, du fait que celle-ci est l’office du Vicaire du Christ sur terre. Elle la maintient, indépendamment de ses qualités personnelles, qu’elles soient nombreuses ou rares.
   
Il n’est donc pas acceptable qu’un Pape, même comme simple «docteur privé», fasse l’éloge de l’hérésie. Il n’est pas acceptable que le Pape François qualifie d’opinion «non mauvaise», et donc juste, l’hérésie de Luther sur la justification. Pour le bien de son âme et de celles des fidèles, il doit au plus tôt se rétracter et renouveler les condamnations argumentées et solennelles que, pendant cinq siècles, l’Église enseignante a infailliblement prononcées contre Luther et contre ses disciples.
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1. Texte repris par le site Riscossa Cristiana, article de M. FAVERZANI de juin 2016, p. 2 de 2, originellement sur le site Corrispondenza Romana. Le texte reproduit fidèlement le langage les propos improvisés du Pape, tels qu’ils ont été rapportés par la presse internationale. Le passage souligné l’est par mes soins. Sur l’éloge de Luther par le Pape François, voir mes deux précédentes interventions, sur le blog Chiesa e Postconcilio : P. PASQUALUCCI, Lo scandaloso elogio di Bergoglio a Lutero, sulla giustificazione (Le scandaleux éloge de Luther fait par Bergoglio, sur la justification), 7 juillet 2016 ; P. PASQUALUCCI, La vera dottrina della Chiesa sulla giustificazione, 29 octobre 2016.
 
2. Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, www.vatican.va, p. 5/22.
 
3. Op. cit., p. 5/22 et 6/22. Les passages soulignés le sont par mes soins.
 
4. Op. cit., p. 10/22. Passage souligné par mes soins. On remarquera le caractère vague et générique attribué à la notion de «bonnes œuvres» : aucune allusion au fait qu’elles impliquent l’observation des Dix Commandements et la lutte quotidienne de chacun de nous pour sa sanctification, avec l’aide indispensable et décisive de la Grâce.
 
5. GIUSEPPE ALBERIGO (sous la direction de), Decisioni dei Concili Ecumenici (Décisions des Conciles Œcuméniques), trad. it. de Rodomonte Gallicani, UTET, 1978, p. 553 ; DS 819/1559.
 
6. Op. cit., p. 554 ; DS 821/1561.
 
7. Op. cit., p. 555 ; DS 834/1574. Voir aussi les canons n° 26 et 32, qui réaffirment le sens de «compense» des bonnes œuvres pour la vie éternelle et donc le caractère «méritoire» de celles-ci, toujours pour la vie éternelle : les bonnes œuvres s’entendant accomplies par le croyant «par la grâce de Dieu et les mérites de Jésus-Christ (dont il est membre vivant)» : op. cit., pp. 556-557 (DS 836/1576 ; 842/1582). Même si les bonnes œuvres font totalement défaut, le luthérien est convaincu qu’il se sauvera de toute façon !
 
8. Ainsi ne craint pas de s’exprimer la Déclaration conjointe au n° 42 du § 5.
 
9. Sur ce point voir les observations précises du théologien P. JEAN-MICHEL GLEIZE, FSSPX, dans sa série de six brefs articles intitulée : En cas de doute…, Courrier de Rome, janvier 2017, LII, N. 595, pp. 9-11. Les articles traitent de façon approfondie du problème du «Pape hérétique».
 
10. Entrée Jean XXII de l’Enciclopedia Treccani, de CHARLES TROTTMAN, trad. it. de Maria Paola Arena, p. 25/45, accessible sur internet. Voir aussi GLEIZE, op. cit., p. 10. Pour les textes : DS 529/531/990-991 ; 1000-1002.
Source : iterpaolopasqualucci.blogspot.com – samedi 23 septembre 2017