SOURCE - DICI - 25 septembre 2015
A la veille du synode sur la famille (4-25 octobre 2015) paraissent plusieurs ouvrages qui s’opposent clairement aux nouveautés que prétendent introduire les prélats progressistes, à la suite du cardinal Walter Kasper. DICI rendra compte de ces publications au fur et à mesure, en soulignant les réponses qu’elles apportent aux critiques formulées contre la doctrine de l’Eglise sur le mariage et la famille.
Avec l’aimable autorisation des éditions Artège, DICI présente aujourd’hui à ses lecteurs quelques pages du livre
Un Cardinal au cœur de l’Eglise, paru le 17 septembre dernier, où le cardinal Raymond Leo Burke, Patronus de l’Ordre de Malte, répond aux questions de Guillaume d’Alançon, délégué épiscopal pour la famille et pour la vie dans le diocèse de Bayonne. Les réponses du prélat américain, préfet émérite du tribunal de la Signature apostolique, sont particulièrement intéressantes au moment où le pape François vient de simplifier singulièrement la procédure de la déclaration de nullité de mariage, par les Motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus et Mitis et misericors Iesus du 8 septembre 2015.
La miséricorde finalisée par la conversion à la vérité
Au sujet des « exceptions pastorales » que les progressistes veulent multiplier, au nom d’une miséricorde coupée de la vérité sur l’indissolubilité du mariage, le cardinal Burke répond nettement.
G d’A. – De nombreux fidèles désormais ont subi des divorces, tout en étant attachés à l’Eglise. Pensez-vous que l’on peut articuler sereinement le rapport entre doctrine et pastorale, miséricorde et vérité, sans que l’on tombe dans la caricature, la dialectique ?
Cal B. – Oui, dans certains débats une dialectique a pu être introduite entre miséricorde et vérité, discipline et vérité. Ce contraste s’avère être artificiel et faux. Pour qu’il y ait une authentique miséricorde, il faut que celle-ci soit fondée sur la vérité. En même temps, nous ne pouvons jamais dire que la doctrine demeure quand la discipline est contradictoire, par exemple quand quelqu’un dit : « J’insiste sur l’indissolubilité du mariage, mais dans certains cas, des personnes qui se sont séparées de leur conjoint légitime et se sont remariées, peuvent accéder à la communion eucharistique. »
Comment est-ce possible qu’une personne liée par un mariage qui a échoué puisse se mettre en ménage avec une autre, sans commettre l’adultère ou la fornication ? C’est impossible. Aussi, nous devons connaître les situations particulières, être miséricordieux avec les personnes, mais inviter celles qui sont dans cette situation à se convertir, à faire correspondre les choses à la loi du Christ. La miséricorde est finalisée par la conversion, et cette dernière est toujours une conversion à la vérité. Enfin, il n’y a pas de contradiction entre la doctrine et la discipline, la première animant la seconde.
Je vois aussi un autre aspect de ce problème. Celui de la souffrance des enfants, de ceux qui sont les victimes des couples divorcés. Les pasteurs doivent faire leur maximum pour aider ces jeunes dans leur foi. Ce n’est pas en relativisant de fait la valeur du mariage sacramentel de leurs parents que l’on pourra aider ces jeunes à répondre à leur vocation. Le témoignage de la fidélité d’un conjoint, ou des deux, malgré la séparation, porte souvent des fruits à la génération suivante. En honorant la vérité du sacrement de mariage, non seulement on rend gloire à Dieu, la source de tout bien, mais on conforte et on console les jeunes qui ont eu à souffrir des disputes de leurs parents. Nombreux sont les enfants de couples séparés, dont au moins l’un des parents est resté fidèle à la grâce du sacrement de mariage, à s’être engagés eux-mêmes sur la voie du mariage chrétien ou de la vocation consacrée. La souffrance s’est alors transformée en joie, pour les enfants certes, mais aussi pour les parents. (…)
G d’A. – L’Eglise pourrait-elle changer sa doctrine sur ce sujet ? Si un pape le voulait, le pourrait-il?
Non, il est impossible que l’Eglise change son enseignement en ce qui concerne l’indissolubilité du mariage. L’Eglise, l’Epouse du Christ, obéit aux paroles de celui-ci au chapitre 19 de l’évangile de saint Matthieu, qui sont très claires en ce qui concerne la nature du mariage. Personne ne conteste qu’il s’agit là des paroles mêmes du Christ, et d’après la réponse des apôtres, le poids de ces paroles pour ceux qui sont appelés à la vie conjugale est très clair. Dans son enseignement sur le mariage, le Christ précise bien qu’il expose la vérité sur le mariage tel que celui-ci était depuis le commencement, tel que Dieu le voulait dès la création de l’homme et de la femme. Autrement dit, l’indissolubilité du mariage est une question qui relève de la loi naturelle, de la loi que Dieu a écrite sur le cœur de chaque homme. Le Saint-Père, en tant que successeur de saint Pierre dans sa charge pastorale de l’Eglise universelle, est le premier parmi les chrétiens à être tenu d’obéir à la parole du Christ. (pp. 130-132)
Un jugement conforme à la vérité et au droit
Il est utile de rapprocher les propos du cardinal Burke de ce qu’il affirmait déjà l’an dernier dans l’ouvrage co-écrit avec quatre autres cardinaux Demeurer dans la vérité du Christ (Artège, 2014), sur « Le procès canonique en nullité de mariage : une recherche de la vérité ». Il insistait sur la nécessité d’un procès mené avec grand soin pour pouvoir parvenir à la vérité dans une matière qui engage le salut éternel des intéressés.
« Je me souviens de l’image utilisée par mon professeur de procédure canonique à l’Université Pontificale Grégorienne, le Père Ignacio Gordon, S.J., pendant mes années d’études. Il disait que le procès canonique et ses divers éléments pouvaient se comparer à une clef dont les dents doivent correspondre aux contours sinueux de la serrure de la nature humaine ; c’est seulement quand toutes les dents sont taillées avec précision que la clef ouvre la porte à la vérité et à la justice. Il est particulièrement surprenant de constater qu’aujourd’hui, malgré tant de proclamations en faveur des droits de la personne, il existe un réel manque d’attention pour les procédures judiciaires soigneusement développées qui assurent la sauvegarde et la promotion des droits de toutes les parties, et ce dans une matière qui engage leur salut éternel, c’est-à-dire leur droit à un jugement fondé sur la vérité afin de trancher la question de la nullité de leur mariage. Il est tout particulièrement intéressant d’entendre dire qu’un procès judiciaire bien fait devrait être remplacé par une procédure administrative rapide. » (p. 210)
Et de montrer les liens entre la vérité et la charité :
« Une des caractéristiques principales d’un tribunal doit être l’objectivité ou impartialité qui est le gage et la marque de la recherche de la vérité. Une telle objectivité devrait être particulièrement évidente dans les tribunaux de l’Eglise, dont l’obligation est non seulement de prendre soin à être impartiaux mais aussi à le paraître. La juste observance des normes procédurales est un moyen important pour garantir de manière réelle et évidente l’impartialité du tribunal, qui pourrait être ébranlée de maintes façons, les unes plus subtiles que les autres.
« La discipline du procès juridique n’est pas du tout hostile à l’approche vraiment pastorale ou spirituelle d’une éventuelle nullité de mariage. Bien au contraire, elle préserve et encourage la justice fondamentale et irremplaçable sans laquelle il serait impossible d’exercer la charité pastorale. (p.213)
« La procédure canonique pour déclarer la nullité de mariage, par son respect du droit à un jugement conforme à la vérité, est donc un élément nécessaire pour exercer la charité pastorale vis-à-vis de ceux qui demandent la nullité du consentement matrimonial. (p. 214)
« Le tribunal collégial ou le simple juge n’ont pas le droit de dissoudre un mariage valide ; ils peuvent seulement rechercher la vérité sur un mariage en particulier, et déclarer par la suite avec autorité qu’ils ont la certitude morale que la nullité du mariage a été véritablement établie ou prouvée (constat de nullitate), ou bien que la même certitude morale n’a pas été obtenue (non constat de nullitate). Le mariage jouissant de la faveur du droit, il n’est pas requis de prouver sa validité ; il suffira de déclarer que sa nullité n’a pas été prouvée. (…)
« Dans son discours (annuel à la Rote romaine) de 1944, Pie XII rappelle que ‘dans un procès matrimonial, laseule fin est un jugement conforme à la vérité et au droit ; dans un procès de déclaration de nullité, il s’agit de l’éventuelle inexistence du lien conjugal…’. Tous ceux qui participent à un procès canonique, dit-il, doivent partager ce but commun, réalisé selon la nature propre de leurs fonctions respectives. Cette activité judiciaire unifiée est d’ordre fondamentalement pastoral, c’est-à-dire qu’elle est dirigée vers le même but qui unifie l’action de l’Eglise entière : le salut des âmes. (pp. 217-219)
La nécessité d’une double sentence conforme
Dans la même étude sur « Le procès canonique en nullité de mariage : une recherche de la vérité », le cardinal Burke répondait déjà à l’objection selon laquelle il n’était pas nécessaire d’obtenir une double sentence conforme pour confirmer une déclaration de nullité de mariage. Malheureusement les récentes dispositions du pape François ont supprimé cette double sentence conforme. Dans son étude, le prélat américain montrait par avance tous les risques – canoniques et surtout spirituels – qu’une telle décision fait courir aux jugements qui seront prononcés désormais, à moins que le Synode ne parvienne à faire abroger cette réforme, comme le demande l’historien Roberto de Mattei dansCorrespondance Européenne du 17 septembre. Sous le titre : « Peut-on discuter les actes du gouvernement du pape ? », il écrit : « Le Motu proprio de François, qui est à ce jour son acte de gouvernement le plus révolutionnaire, n’est pas encore en vigueur, jusqu’au 8 décembre 2015. Est-il illégitime de demander qu’au synode, on discute de cette réforme matrimoniale et qu’un groupe de cardinaux zelanti (comme les cardinaux opposés au remariage de Napoléon avec Marie-Louise, et dont Pie VII reconnut après coup qu’ils avaient raison. NDLR) en demande l’abrogation ? »
« Lors des délibérations qui ont accompagné la préparation du Synode des évêques, il a souvent été question de la nécessité d’une double sentence conforme pour confirmer une déclaration de nullité de mariage. Certains dans l’Eglise semblent croire qu’il a déjà été décidé d’éliminer l’obligation de cette double sentence conforme, qu’ils regardent comme un des éléments du ‘pesant juridisme’ de l’actuelle procédure de nullité. Beaucoup ont affirmé que la deuxième instance n’avait plus de sens, dès lors que le procès en première instance avait été bien mené.
« Si le procès a été bien mené en première instance, l’obtention d’une double décision conforme, suivie du décret de ratification, ne prendra pas trop de temps au tribunal de deuxième instance. ‘Bien mené’ signifie que le cas a été instruit et discuté, que les actes sont complets et en ordre, et que la sentence expose avec justesse les éléments et le raisonnement qui fondent la sentence, indiquant de manière claire et prudente le parcours suivi par les juges afin de déterminer, par les attendus en fait et en droit, que la nullité du mariage en question a été prouvée avec une certitude morale. Qui plus est, de bons juges, conscients de l’importance de l’union matrimoniale pour la vie de l’Eglise et de la société en général, ainsi que de l’enjeu d’une juste décision dans une cause en nullité de mariage, sont reconnaissants du fait que leur jugement soit examiné en deuxième instance par d’autres juges.
« En pratique, la révision obligatoire en deuxième instance encourage chacun à faire de son mieux. Sans cette instance, il y a un risque de négligence dans le traitement des causes. Ce fut tragiquement évident quand les American Procedural Norms (normes américaines de procédure) étaient en vigueur dans les tribunaux ecclésiastiques des Etats-Unis d’Amérique. De juillet 1971 à novembre 1983, l’obligation d’une double sentence conforme fut éliminée aux Etats-Unis à cause de la faculté accordée à la Conférence épiscopale pour dispenser de cette double décision en ‘ces cas d’exception où, d’après le jugement du défenseur du lien et de son Ordinaire, un appel contre une décision affirmative serait évidemment superflu’. Comme on pouvait le prévoir, les seuls cas exceptionnels furent en pratique ceux dans lesquels un appel n’était pas considéré comme superflu. En fait, je n’ai jamais trouvé la moindre indication que la Conférence épiscopale ait refusé une seule demande de dispense parmi les centaines de milliers qu’elle a reçues.
« Au long de ces douze années, quand la Signature apostolique a eu l’occasion de réexaminer certains de ces cas, elle ne comprenait pas comment le défenseur du lien et son Ordinaire avaient pu considérer l’appel comme superflu, et encore moins comment la Conférence épiscopale avait pu accorder la dispense demandée. Aux yeux et dans le langage commun des fidèles, le procès en nullité de mariage finissait, non sans raison, par recevoir le nom de ‘divorce catholique’.
« Bien que la promulgation du Code de Droit Canonique en 1983 ait mis un terme à cette situation extraordinaire, la piètre qualité de bien des sentences de première instance examinées par la Signature, ainsi que le manque évident de toute révision sérieuse par certains tribunaux d’appel, ont montré le grave dommage porté au procès de déclaration de nullité de mariage par l’omission effective de la deuxième instance.
« La vaste expérience de la Signature apostolique en ce domaine ne se limite évidemment pas aux Etats-Unis d’Amérique. Elle démontre sans l’ombre d’un doute la nécessité d’une double décision conforme pour parvenir à une déclaration de nullité de mariage. L’importance de cette condition est confirmée par l’étude des rapports annuels des tribunaux et par l’examen des sentences définitives des tribunaux de première instance. Cette expérience de la Signature apostolique constitue ainsi une source exceptionnelle de connaissance de la manière d’administrer la justice dans l’Eglise universelle incarnée dans les Eglises particulières. Une simplification du procès en nullité de mariage ne saurait être considérée sans une étude approfondie, à la lumière du service que rend la Signature Apostolique aux Eglises particulières. » (p. 229-233) – On peut noter que la commission spéciale créée par le pape, en août 2014, pour réformer la procédure de déclaration de nullité, n’a guère pu bénéficier de la vaste expérience du cardinal Burke à la tête de la Signature apostolique puisqu’il a été démissionné de sa charge de préfet, le 8 novembre de la même année.
Saint Pie X, un vrai réformateur
Les lecteurs de DICI, organe de la Fraternité Saint-Pie X, seront intéressés par les propos du cardinal Burke sur l’œuvre du pape Pie X, dans la dernière partie de son entretien avec G. d’Alançon.
G d’A. – Vous êtes en train de nous dire finalement qu’il faut « tout restaurer dans le Christ », cette belle devise de saint Pie X dont nous fêtions en 2014 le centième anniversaire de la mort.
Cal B. – C’est un grand pape…
G d’A. – Que vous inspire la figure de saint Pie X, cent ans après sa mort ? Est-il démodé ?
Cal B. – Pour moi, il est un grand réformateur dans la continuité. Il a réformé beaucoup d’aspects de la vie de l’Eglise pour qu’elle soit plus fidèle à la Tradition. L’une de ses premières actions fut un motu proprio sur la musique sacrée. Il eut aussi l’intuition qu’au moment où un enfant peut reconnaître dans l’hostie le corps du Christ, il est capable de faire sa première communion, ce qui le conduisit à revoir la discipline sur ce point précis. Il a réformé le droit canonique avec un grand génie, sans oublier la curie romaine qu’il rendit plus efficace. Aujourd’hui encore, nous faisons référence à Sapienti consilio. Il était en outre un grand catéchiste. Il réforma la catéchèse et écrivit ce que l’on appelle maintenant le Catéchisme de saint Pie X. Le dimanche, il enseignait le peuple de Dieu dans le Cortile San Damaso. Les gens venaient l’entendre de loin. Sur les Ecritures saintes, il a abondamment écrit pour favoriser leur lecture. Il affronta aussi les hérésies, les aberrations du modernisme. Aujourd’hui, des théologiens disent qu’il ne fut pas un grand théologien. Mais quand je lis ses textes sur le modernisme, je vois qu’il a compris beaucoup de choses, parce qu’un grand nombre d’erreurs qu’il a identifiées est toujours actuel. Pour résumer, on pourrait dire que c’était une belle figure de pasteur des âmes, pastor animarum. Quand on lit ses écrits, ses conseils, tout est orienté vers le soin des âmes.
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Les intertitres et passages soulignés sont de la rédaction de DICI. On se reportera aux ouvrages imprimés pour bénéficier des nombreuses notes qui étayent les propos du cardinal Burke.
- Cardinal Raymond Leo Burke, Un Cardinal au cœur de l’Eglise, entretien avec Guillaume d’Alançon, Artège, 2015, 184 p. 17,50 €
- Demeurer dans la vérité du Christ – Mariage et communion dans l’Eglise catholique. Artège, 312 p., 19,90 €
- (Sources : Artège/ Correspondance européenne – DICI n°321 du 25/09/15)