Sans être pessimiste, il me
semble que nous pouvons tout craindre de ce synode sur la famille. Je ne
commenterai pas ici les actes récents relatifs à la procédure d’annulation des
mariages, car cela a été fait ailleurs de main de maître par M. Mattei. Je
m’arrêterai plutôt aux débats de la « Journée d’études communes sur des
questions de la pastorale du mariage et de la famille » organisée à Rome
le 25 mai 2015 à l’initiative des présidents des conférences épiscopales
d’Allemagne, de France et de Suisse.
L’un des intervenants, le père
Alain Thomasset, S.J., est rebuté par l’idée que certains actes sont
intrinsèquement mauvais : « L’interprétation
de la doctrine des actes dits « intrinsèquement mauvais » me paraît
être l’une des sources fondamentales des difficultés actuelles de la pastorale
des familles, car elle détermine en grande partie la condamnation de la
contraception artificielle, celle des actes sexuels des couples divorcés et
remariés et celle des couples homosexuels, même stables. Elle apparaît à
beaucoup comme incompréhensible et semble contreproductive sur le plan
pastoral. »
Il s’agit donc, en fait, de
redéfinir le péché. Les actes de cette
« Journée d’études communes » se terminent par un
« Résumé » des débats. La tentative de nier l’existence du péché en
le redéfinissant est clairement évidente: "Les images directrices du mariage et de la famille définissent un
référentiel éthique de haut niveau dont les êtres humains ne peuvent jamais,
autrement que graduellement, transformer les différentes facettes en réalité.
D’un autre côté vaut ce principe : qui aime vit une expérience
transcendantale. Il se trouve donc aussi dans les relations d’amour qui ne se
conforment apparemment pas aux normes de l’Eglise, des aspects qu’il faut
considérer comme d’authentiques témoignages de l’amour de Dieu et de l’action
de l’Esprit. Nous devons chercher Dieu partout ! Dans ce contexte a été
signalée l’importance de la réflexion théologique sur les « logoi
spermatikoi » (semences du Verbe). Face à ces structures de la réalité se
pose pour l’Eglise le défi de surmonter toute forme de réflexion sans nuances.
Relativement à la thématique de l’homosexualité se pose ici un défi particulier
auquel il faut répondre dans la réflexion."
Et personne n’a éclaté de rire
devant pareille sottise ! Les présidents des conférences épiscopales
d’Allemagne, de France et de Suisse, ont écouté et approuvé cela avec beaucoup
de sérieux !
Nous voici donc revenus au temps
du « pecca fortiter sed crede fortius » de Luther (qui a désormais
une place au cœur de la ville de Rome, inaugurée le 16 septembre). Si celui qui
« pèche » le fait avec sincérité et dans l’amour (amour de qui ?
de quoi ?), il vit une « expérience transcendantale » qui
constitue un « authentique témoignage de l’amour de Dieu et de l’action de
l’Esprit », qui révèle la présence des « semences du verbe » de
Dieu cachées dans ce qu’une réflexion « sans nuances » a considérées
jusqu’ici, bien à tort, comme des offenses graves à Dieu.
Le péché n’a plus aucune réalité
objective, comme si la nature des choses et leur finalité étaient de purs
phantasmes, et un acte n’est considéré comme mauvais que s’il n’est pas vécu
dans "l’Amour" ! Cet amour indéterminé fait échapper celui que nous
considérions naguère comme pécheur, aux basses réalités de la vie humaine, et
le fait planer dans un univers transcendantal, où tout devient pur et
angélique !
C’en est fini de cette conception
figée d’une nature concrète déterminée, avec des fonctions naturelles répondant
à une finalité précise : manger pour se nourrir et croître, marcher pour
se rendre en un lieu désiré et choisi, parler pour communiquer une vérité,
regarder pour admirer ou écouter pour s’informer, et bien d’autres fonctions
parmi lesquelles l’union des sexes qui a pour finalité naturelle la génération.
Certes, à l’exercice de ces fonctions est attaché un réel et légitime plaisir,
destiné à en faciliter l’accomplissement, voire à en provoquer le désir. Mais
nous savons que c’est déjà un désordre que de se laisser dominer par l’attrait
du plaisir au point d’exagérer dans l’usage de ces fonctions, même sans aller
jusqu’à en empêcher l’effet naturel. Et voici que tout cet ordre naturel,
certes exigeant et contraignant, est privé de toute finalité objective, et mis
au service de ce plaisir baptisé amour et de l’épanouissement de soi-même dans
un amour transcendantal suscité par l’Esprit de Dieu. Pécher n’est donc plus un
désordre, il n’y a plus d’acte intrinsèquement mauvais, à moins de n’être pas
sincère avec l’amour qui nous meut !
Caricature ? Je le voudrais
et je voudrais que ce synode me rassure.
Mais je pense à Padre Pio qui
pleurait, et souffrait la passion du Christ, Padre Pio qui pleurait lorsque
lui-même se confessait et confiait au moine qui s’étonnait de ses larmes :
« Mon fils, toi tu penses que le
péché consiste à transgresser une loi. Non! Le péché est trahison de l'amour.
Qu'a fait pour moi le Seigneur et moi, qu'est-ce que je fais pour lui ? »
En outre, si ces « actes
intrinsèquement mauvais » n’existent plus, il me semble logique d’en conclure
que l’enfer non plus n’existe plus ! Je conclurais donc mes réflexions
avec quelques extraits des notes d’une sainte religieuse décédée il y a cent
ans, le 14 mai 1915, Mère Louis-Marguerite Claret de La Touche.
« Mais c'est précisément parce que je crois à ton Amour, ô mon
grand Dieu, puissant et bon, que je crois à l'enfer. …Tu as tout créé par
amour; Tu as formé l'homme à ta divine ressemblance; Tu l'as vivifié de ton
propre souffle, Tu l'as comblé de tes dons et Tu n'as demandé à cette créature
si richement dotée, qu'un peu de confiance, de fidélité et d'amour; et quand
elle te méprise et se révolte contre Toi, Tu resterais impassible, comme un
être incomplet privé d'amour et de sentiment ?
Ô mon Dieu, je crois aux rigueurs de ta Justice parce que je crois aux
excessives tendresses de ton Cœur...
Quand je vois un prince laisser dans son royaume tous les crimes
impunis; quand je le vois distribuer ses largesses avec autant de profusion sur
les félons et les traîtres que sur ses sujets fidèles, et trainer dans
l'avilissement la grandeur et la majesté royales, je ne puis que le mépriser et
le nommer injuste et lâche! Non, s'il n'y avait pas d'enfer, je ne pourrais pas
t'aimer ... S'il n'y avait pas d'enfer, il manquerait trois fleurons splendides
à la couronne de tes sublimes perfections: il y manquerait la justice, la
puissance et la dignité!
Et d'ailleurs, ce n'est pas Toi, mon Dieu, souverainement bon, qui
condamnes et qui damnes; ce sont les méchants eux-mêmes qui, refusant de se
jeter dans les flammes de ton éternel Amour, se précipitent dans celles de ta
Justice éternelle. Oui, je t'aime tel que Tu es. Je t'adore couronné de
l'ensemble infini de toutes les perfections, aussi Juste que bon, aussi grand
par ta puissance et par ta sainteté que par ta miséricorde, et toujours
l'Amour, l'Amour Infini, l'Amour qui crée, qui donne, qui pardonne, qui
vivifie; l'Amour qui commande, qui reprend et qui châtie. »
Depuis cent ans, Dieu a-t-il
changé ?
Le bien et le mal, le vrai et le
faux se sont-ils réconciliés ?