SOURCE - Paix Liturgique - lettre 592 - 28 avril 2017
« La liturgie est plus grande que les liturgistes, de sorte que la célébration des mystères sacrés de l’Église selon les normes fixées prévaut sur les idées personnelles des évêques et des prêtres.»
Cardinal Joachim Meisner, lettre aux organisateurs des Rencontres liturgiques de Cologne 2017
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L'auteur des photos officielles de ces journées est un jeune professionnel
attaché à la liturgie traditionnelle, Andreas Düren. De gauche à droite :
messe privée de Mgr Sample, messe d'ouverture célébrée
par le RP Cassian, Mgr Sample. |
Incontestablement, le temps fort des 18èmes rencontres liturgiques de Cologne, « Summorum Pontificum comme source d’avenir », que nous vous avions présentées dans notre lettre 587, a été la lecture du message adressé par le cardinal Sarah, Préfet du Culte divin, aux participants. Ce long texte, qui reprend et renforce encore l’« appel de Londres » (selon l’expression employée avec amusement par le cardinal lui-même) de 2016 (1), constitue un jalon historique supplémentaire dans le très lent processus de restauration de la liturgie catholique dévastée par 50 ans d’improvisation et de créativité.
Toutefois, il serait injuste de réduire les journées de Cologne à ce seul texte, aussi important soit-il. Voici donc notre compte rendu de cet événement, suivi de nos habituelles réflexions.
I – CHOSES VUES À HERZOGENRATH
Les rencontres liturgiques de Cologne se tiennent en fait, depuis plusieurs années, dans un petit bourg tranquille des environs d’Aix-la-Chapelle, Herzogenrath, commune frontalière avec les Pays-Bas. Le motif en est simple : les organisateurs y sont chez eux puisque le curé d’Herzogenrath, l’abbé Guido Rodheudt en est le coordinateur. Or être curé en Allemagne signifie avoir des moyens à disposition grâce au financement institutionnel de l’Église par les impôts des catholiques. En l’occurrence, deux églises, une salle de conférences et une superbe équipe de paroissiens dévoués. Nul besoin, comme c’était le cas à Cologne auparavant de quémander l’accès aux lieux de culte ni de louer, au prix fort, des salles d’hôtel.
Le fait d’être « à domicile », dans un cadre agréable où les déplacements se font à pied, permet que ce rendez-vous ait un caractère familial et authentiquement chrétien. Pour avoir suivi plusieurs congrès de liturgie ces dernières années, nous pouvons dire que ces journées allemandes se distinguent véritablement des autres par leur convivialité. Le fait aussi que l’orientation des interventions soit plus volontiers pastorale qu’académique favorise plus encore cette ambiance accueillante y compris, comme c’était le cas pour nous, pour des non-germanophones. Mais ces journées n’auraient pas été ce qu’elles furent sans l’implication exemplaire de l’abbé Rodheudt et la patience souriante et zélée de ses paroissiens. Souligner la qualité humaine des organisateurs et des participants à ces journées n’est pas anodin en ces temps où une idée reçue voudrait que la tristesse et la rigidité soient le propre des catholiques attachés à la tradition liturgique et doctrinale de l’Église.
La première journée de ces rencontres a été essentiellement réservée aux prêtres membres du Réseau des prêtres catholiques qui est, avec Una Voce Allemagne, l’une des organisations parrainant l’événement. L’invité d’honneur des journées, Mgr Alexander K. Sample, archevêque de Portland, a choisi de faire une conférence pour le clergé sur le thème de « Liturgie et pastorale : la perte d’une unité essentielle ». Pour les prêtres présents, en majorité diocésains, il ne pouvait y avoir de meilleure introduction que cette rencontre avec un pasteur au style et à l’enseignement aussi directs qu’enthousiasmants.
Ce n’est que dans la soirée du premier jour que le reste des participants à ces rencontres liturgiques ont pu, à leur tour, découvrir la figure de Mgr Sample, qui a assuré l’homélie lors de la messe célébré par le RP Cassian Folsom, bénédictin, fondateur des moines de Nursie. Parmi les participants nous avons fait la connaissance d'un jeune duo d’Américains vivant à Hambourg, David et Tiffany, qui ont lancé un site et une chaîne vidéo dédiés à la promotion et à la divulgation de la tradition catholique. Une initiative autofinancée par ces deux étudiants aussi doués que dévoués, qui diffusent un message intemporel en utilisant les codes les plus efficaces du design et de la communication d’aujourd’hui. Nous ne pouvons qu’encourager à visiter
leur site et leur chaîne YouTube (2SPetrvs).
Le deuxième jour, jeudi 30 mars 2017, c’est encore Mgr Sample qui a donné le ton des travaux en livrant un témoignage très vivant de ce qu’a représenté la réforme liturgique pour un catholique ayant répondu à l’appel de la vocation au cours des années 70. Se présentant comme un « pur produit du Concile Vatican II », Mgr Sample a expliqué que l’image de prélat traditionnel qui était la sienne aujourd’hui, ne venait pas d’une quelconque nostalgie qui l’habiterait, « mais d’un approfondissement personnel de [sa] compréhension de notre tradition liturgique qui a commencé lors de [ses] années étudiantes ». Et de raconter comment l’expérience d’une messe présidée par l’aumônier du campus autour d’une table de cafeteria, les participants assis en rond autour de la table, le pain (au levain, of course) de l’eucharistie placé dans une panière recouverte d’une serviette et le calice en terre cuite, lui était un jour revenue à la mémoire : « C’était une situation volontairement très improvisée, mettant une grande emphase sur la perception de l’eucharistie comme repas. À l’époque, c’était considéré comme une façon très pertinente de célébrer la messe pour séduire les jeunes gens. Je dois dire que cela m’a alors plutôt laissé de glace. Ce n’est qu’en 2008, alors que j’avais décidé d’apprendre à célébrer la messe traditionnelle, considérant qu’il était de mon devoir d’évêque de répondre au motu proprio de Benoît XVI, que cette expérience m’est revenue à l’esprit : profondément impressionné par la solennité, la beauté et le respect qui se dégagent de la messe traditionnelle, j’ai commencé à me demander ce qu’était devenu le renouveau liturgique annoncé par Vatican II. Comment était-on passé aussi abruptement de cette façon-ci de célébrer la Sainte Messe à l’expérience cette messe étudiante dont le souvenir me revenait soudain à l’esprit ? »
Les autres moments marquants de ces journées ont été la messe selon le missel composé à l’occasion de la constitution Anglicanorum cœtibus de Benoît XVI établissant des Ordinariats personnels pour les anglicans entrant en communion avec l’Église catholique. Comme l’a précisé Mgr Lopes, évêque de l’Ordinariat de la Chaire de Saint-Pierre, qui couvre les États-Unis et le Canada, ce missel, dont l’usage est réservé aux prêtres de ces Ordinariats, est inspiré à la fois de l’usage anglican et de la messe de Paul VI mais fondé sur le respect de la constitution conciliaire sur la liturgie. Difficile de tirer des leçons de la cérémonie à laquelle nous avons assisté – célébrée ad Orientem avec rigueur et dignité, en anglais liturgique – car le contexte était sans doute un peu trop artificiel pour porter un jugement.
Le vendredi, outre la lecture du message du cardinal Sarah, ce sont les interventions de Monseigneur Graulich, salésien, Sous-Secrétaire du Conseil pontifical pour les Textes législatifs, et du Professeur Kwasniewski, qui ont attiré notre attention au cours d’une après-midi consacrée à « L’importance de Summorum Pontificum pour le renouveau de la liturgie et de l’Église ». Tandis que le Professeur Kwasniewski (2) présentait son livre Resurgent in the Midst of Crisis: Sacred Liturgy, the Traditional Latin Mass, and Renewal in the Church [Ressuscité au cœur de la crise : la Sainte liturgie, la messe traditionnelle et le renouveau de l’Église], déjà traduit en polonais et en tchèque mais pas encore en français !, Mgr Markus Graulich, nouveau venu parmi les défenseurs du motu proprio, donnait à l’auditoire un aperçu de son ouvrage :Zehn Jahre Summorum Pontificum: Versöhnung mit der Vergangenheit - Weg in die Zukunft [10 ans de Summorum Pontificum : réconciliation avec le passé et projection pour l’avenir]. Mgr Graulich interviendra lors du colloque Summorum Pontificum pour les 10 ans du motu proprio à Rome le 14 septembre prochain, expose dans son livre son point de vue de canoniste sur le texte de Benoît XVI.
Samedi 1er avril, c’est en l’abbaye de Rolduc, de l’autre côté de la frontière, aux Pays-Bas, que ces journées de Cologne ont trouvé leur conclusion. Mgr Sample y a célébré une messe pontificale avant que le grand écrivain allemand Martin Mosebach (auteur de La liturgie et son ennemie : l'hérésie de l'informe, Hora Decima, 2005) ne livre un hommage enlevé à Benoît XVI. Un hommage que tous les auditeurs ont jugé de très haute élévation morale, intellectuelle et linguistique et ont salué d’une longue, très longue salve d’applaudissements. Une belle conclusion pour un événement qui nous a donné un superbe et, avouons-le, inattendu, aperçu d’une portion de l’Église germanique bien vivante, volontiers souriante voire riante, et profondément priante. En latin et tournée vers le Seigneur.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Parmi les prêtres présents à Herzogenrath, on pouvait croiser quelques religieux et plusieurs séminaristes dont certains ayant quitté leur diocèse d’origine pour étudier en Pologne afin d’y bénéficier d’un enseignement plus classique que celui offert dans les séminaires allemands. Parmi les religieux, outre le prieur des trappistes de Mariawald, les soutanes blanches d’un groupe de jeunes prémontrés de l’abbaye de Hamborn, aux environs de Duisbourg, attiraient l’œil. Encouragés par leur prieur, ces chanoines qui ont embrassé la lettre et l’esprit du motu proprio Summorum Pontificum, ont la liberté d’apprendre à célébrer aussi bien l’une que l’autre forme du rite romain. De façon évidente, ces jeunes prémontrés semblaient l’incarnation parfaite du thème de ces rencontres de Cologne : « Summorum Pontificum comme source d’avenir ».
2) Nous devons insister sur le fait qu’en dehors du supérieur allemand de la Fraternité Saint-Pierre et, le dernier jour, d’un chanoine de l’Institut du Christ-Roi, la quasi-totalité des prêtres présents (une soixantaine) étaient des diocésains et des religieux qui n'appartenaient pas au monde Ecclesia dei. Heureuse surprise, figurait aussi parmi les participants à ces journées le supérieur du district allemand de la Fraternité Saint-Pie X, l’abbé Udressy, parfaitement à son aise parmi tous ses confrères. Comme il a eu la gentillesse de nous l’expliquer, face à un épiscopat souvent totalement acquis au modernisme le plus dévastateur, les prêtres allemands de sensibilité traditionnelle ont pris depuis longtemps l’habitude de se serrer les coudes et de se fréquenter sans donner plus d’importance que nécessaire aux « divisions » – de moins en moins fondées, ajouterions-nous – pouvant les séparer. C’est une belle image de ce que sera bientôt le visage d’un clergé catholique classique renforcé par l’apport des prêtres de la future prélature personnelle Saint-Pie X.
3) Il faut avoir conscience que cette belle manifestation de la liturgie traditionnelle en Allemagne est comme une oasis au milieu du désert religieux qu’est devenue l’Église de ce pays. Très riche financièrement, comme celui de Suisse, le catholicisme germanique est en même temps, comme le catholicisme helvétique (et comme le catholicisme belge voisin), en état de comas avancé. Les vocations disparaissant de manière dramatique, les évêques d’Outre-Rhin gèrent une Église fonctionnarisée, qui compte 3000 « référents pastoraux » (laïcs salariés en responsabilité ayant un diplôme universitaire de théologie) et 4500 « assistants pastoraux » (laïcs salariés ayant un diplôme technique de catéchèse ou de liturgie), lesquels remplissent administrativement de plus en plus de charges autrefois dévolues aux clercs. Quant à l’enseignement, spécialement moral, il a quitté depuis des lustres les rives du dogme catholique.
4) D’ailleurs, en conclusion de ces rencontres, l’abbé Rodheudt , qui assurait l’organisation de ces journées, a jeté un certain froid en annonçant qu’il n’avait plus les forces de continuer. Au-delà de la dimension humaine et personnelle de cette décision, éminemment respectable, il semblerait que se lèvent des obstacles liés à la situation ecclésiale : le diocèse d’Aix-la-Chapelle, duquel dépend la paroisse d’Herzogenrath, aurait le projet de fusionner des paroisses, dont celle de l’abbé Rodheudt. Si tel devait être le cas, il n’y aurait plus de curé mais une équipe de collaborateurs paroissiaux à la tête de la nouvelle entité pastorale, ce qui rendrait l’action et la mission individuelles des prêtres directement dépendante des décisions de cette équipe. Très concrètement, cela signifierait pour l’abbé Rodheudt la fin des moyens qu’il a su mettre au service de cet important rendez-vous. Prions pour qu’un autre de ses confrères accepte de reprendre le témoin et que vivent encore longtemps ces belles journées de Cologne.
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(1) Voir nos lettres 554 à 559.
(2) Angelico Press, 2014. Nous avons plusieurs fois parlé du Professeur Kwasniewski dans nos lettres, en particulier dans
notre lettre 514.