SOURCE - Marie d’Armagnac - Monde & Vie - 27 avril 2017
On n’en finit pas d’attendre le mariage officiel entre la FSSPX et le Vatican. et justement, le pape François, véritable maître du calendrier, a décidé que l’accord effectif passait d’abord par la régularisation des mariages. Ambiance !Le 4 avril dernier, le bureau de presse du Saint-Siège publiait une courte lettre adressée par le pape François au cardinal Müller et à monseigneur Pozzo, respectivement Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi et secrétaire de la commission Ecclesia Dei exprimant sa décision de « concéder des permissions pour la célébration des mariages de fidèles qui suivent l’activité pastorale de la Fraternité Saint Pie X ».
La permission de célébrer des mariages déclarés valides, constitue certainement une étape « vers la pleine régularisation institutionnelle ». En effet, après avoir rappelé la lettre Misericordia et misera du 20 novembre 2016 dans laquelle le pape concédait aux fidèles de la FSSPX «la faculté de recevoir validement et licitement l’absolution sacramentelle de leurs péchés» prolongeant ainsi « jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions » l’autorisation accordée pendant l’année jubilaire, le pape situe ce nouveau pas en direction de la FSSPX «dans la même ligne pastorale qui veut contribuer à rasséréner la conscience des fidèles, malgré la persistance objective, pour le moment, de la situation canonique d’illégitimité dans laquelle se trouve la Fraternité Saint Pie X».
Les modalités d’application de cette autorisation sont les suivantes : «Dans la mesure du possible, la délégation de l’Ordinaire pour assister au mariage sera donnée à un prêtre du diocèse (ou du moins à un prêtre pleinement régulier) pour qu’il reçoive le consentement des parties dans le rite du Sacrement qui, dans la liturgie du Vetus ordo, a lieu au début de la Sainte Messe ; suivra alors la célébration de la Sainte Messe votive par un prêtre de la Fraternité.
En cas d’impossibilité ou s’il n’existe pas de prêtre du diocèse qui puisse recevoir le consentement des parties, l’Ordinaire peut concéder directement les facultés nécessaires au prêtre de la Fraternité qui célébrera aussi la Sainte Messe, en lui rappelant qu’il a le devoir de faire parvenir au plus vite à la Curie diocésaine la documentation qui atteste la célébration du Sacrement». Voulant éviter ainsi «les débats de conscience chez les fidèles», mais aussi, plus important encore, «les doutes sur la validité du sacrement de mariage», le pape conclut par un appel à la collaboration des conférences épiscopales concernées.
Mgr Fellay remercie…
Réagissant aussitôt, Mgr Fellay a remercié « profondément le Saint Père pour sa sollicitude pastorale », souhaitant que tous les évêques partagent cette même sollicitude, concernant la validité reconnue publiquement par le pape des confessions comme des mariages… Et donc, cela va sans dire, des ordinations sacerdotales.
C’est une bombe que vient de lancer le pape François, fidèle, en cela, à sa façon d’agir et de gouverner.
Un certain flou dans la formulation du texte – tous les champs du possible, ou de l’impossible, sont à explorer du côté des autorités diocésaines ou de la Fraternité – laisse présager, et c’est un euphémisme, quelques difficultés dans les relations entre les deux parties. Au moins en France où l’épiscopat, à quelques exceptions près, a rarement fait preuve de souplesse vis-à-vis de la Fraternité en particulier, et de la galaxie traditionaliste en général.
Le 4 avril dernier le journal La Croix, porte-parole officieux de l’épiscopat français, sous la plume de Nicolas Sénèze, qualifie cette lettre du pape François de «petit pas de plus». Dans un article fielleux, l’auteur, manifestement dépité par un geste pontifical qu’il ne comprend pas, s’attache à lister toutes les difficultés qui surgiront, selon lui, lors des discussions entre les conférences épiscopales et la FSSPX ; il n’hésite pas à extrapoler sur les réactions de la Fraternité, à sur-réagir par anticipation, dans une volonté manifeste d’attiser les braises… d’un feu qui n’est pas encore allumé ! Taclant le cardinal Müller qui oublie que «pour l’instant, l’Église catholique ne reconnaît pas la légitimité de l’eucharistie ainsi célébrée», Nicolas Sénèze nous dit que «c’est l’autorité du diocèse qui sera compétente en cas de procédure de nullité», évoquant ainsi, du bout des lèvres et en négatif, la validité du sacrement reconnue ici publiquement par le pape.
Nicolas Sénèze grince des dents…
Pointant les débats internes à la Fraternité Saint Pie x – «Rien ne dit toutefois si la FSSPX acceptera l’intervention des prêtres désignés par les évêques : un certain nombre d’entre eux mettent effectivement en doute sinon la validité, du moins la légitimité des ordinations dans le rite actuel» – Sénèze continue : «L’approbation par cette dernière de cette procédure serait donc un pas de plus vers son acceptation de la légitimité des sacrements dans le rite de Paul VI (même si elle ne les célèbre pas)». On a beau lire et relire la lettre du pape, on ne trouve nulle trace de ce genre de question…
Sénèze conclue son article par une vision pessimiste du futur des relations entre la Fraternité et Rome, il place le débat sur le fond, évoquant les visions radicalement opposées du pape François et de la Fraternité sur «l’œcuménisme, la liberté religieuse et les rapports entre l’Église et le monde», tandis que le pape François, lui, s’est cantonné, au rebours de son prédécesseur, à une ligne purement pastorale. Le journal tente-t-il de rassurer ses lecteurs en renvoyant un éventuel accord dans un futur aussi lointain qu’hypothétique ? Il est en tout cas certain que, par cette démarche, le pape François entend forcer les conférences épiscopales à nouer un dialogue avec la Fraternité, dont il reconnaît ainsi, une nouvelle fois, l’activité pastorale, comme il a pu lui-même le faire en tant qu’archevêque de Buenos Aires, entretenant des relations cordiales avec l’abbé Bouchacourt notamment.
Quelle est, jusqu’à présent, la réaction de la FSSPX ? Après le communiqué de Mgr Fellay, la Fraternité a publié le 14 avril une première analyse, non signée, de cette lettre. Rappelant que ces «nouvelles mesures du pape (…) encouragent d’une certaine façon la Fraternité», l’auteur anonyme fait valoir «qu’il n’est plus besoin de recourir à l’état de nécessité pour recevoir validement les consentements, à moins que l’évêque ne s’oppose aux dispositions nouvelles en refusant la délégation voulue par le pape». Mais, prévient-il, «cela ne veut pas dire que l’état de grave nécessité a cessé, mais que les autorités de l’Église ne refusent plus à la Tradition quelques moyens de se développer». Il s’agirait de laisser faire l’expérience de la Tradition, en somme.
C’est justement sur cette question d’état de nécessité que cette analyse ne semble pas toujours très claire. Rappelant les conditions canoniques dans lesquelles cet état de nécessité s’exerçait avant la récente lettre du pape, le même article publié dans DICI conclut : «Les mariages célébrés dans la Fraternité Saint Pie X, même sans délégation, ont été certainement valides, au regard de l’état de nécessité». Mais dans le paragraphe suivant, «L’état de nécessité demeure», la Fraternité évoque pour le justifier les récents soubresauts de la crise de l’Église dont l’exhortation apostolique Amoris Laetitia a constitué le plus éclatant exemple.
… Et la Fraternité se protège
Cette crise objective de l’Église serait donc une justification pour recourir à l’état de nécessité invoqué auparavant, les nouvelles dispositions ne font «pas cesser cet état objectif de crise de l’Église». Cette disposition est essentiellement juridique, et ne tranche pas le débat de fond explique la Fraternité. Et d’évoquer la réticence des prêtres de la Fraternité à confier des fidèles à «certains prêtres qui professent de mauvais principes». Alors que «la mise en œuvre des dispositions pourra s’avérer délicate». Conclusion : «L’idéal serait que l’évêque, pour de bonnes raisons pastorales, donne délégation purement et simplement aux prêtres de la Fraternité pour célébrer les mariages des fidèles de la FSSPX». Certes, ce serait l’idéal… mais ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte du pape François!
On voit à travers l’analyse de ces deux commentaires récents, que le pape François, en restant volontairement assez flou sur les modalités d’application du texte, entend ainsi lancer un test «grandeur nature», et forcer les relations entre clergé diocésain et FSSPX à évoluer. De fortes réticences de part et d’autre, laissent augurer de sérieuses difficultés d’adaptation : le clergé diocésain qui se satisfaisait dans son ensemble de n’avoir pas à traiter avec la Fraternité devra sortir d’un certain confort et imaginer des solutions qui concordent avec la paix de l’Église. La Fraternité, quant à elle, pourra difficilement se soustraire à la volonté du pape, surtout dans ce processus de réconciliation qui semble bien avancé, et auquel elle participe. Cela ne sera pas sans susciter de nombreuses interrogations et craintes, en interne. Et c’est sans doute pour parler d’une seule voix que Mgr Fellay va prochainement publier «un directoire définissant une discipline commune pour tous les districts de la Fraternité Saint Pie X» concernant les mariages, tandis que le nouveau site internet d’informations et d’analyses de la Fraternité était lancé le 20 avril dernier, s’inscrivant dans le processus de renouvellement et d’unification de tous leurs sites internet.
Marie d’Armagnac