Depuis 10 jours, une grande inquiétude a vu le jour parmi les fidèles et les prêtres attachés à la célébration et à la diffusion de la forme extraordinaire du rite romain à propos de la prochaine publication de l’instruction précisant le cadre d’application du Motu Proprio Summorum Pontificum. Blogs et médias du monde entier, attachés ou non à la forme extraordinaire du rite romain, relaient cette préoccupation qu’aucun démenti crédible n’est venu calmer au point qu'un appel international pour la défense du Motu Proprio a vu le jour (
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Fondée ou non sur un réel danger – tout indique qu’elle est malheureusement fondée –, cette vive réaction témoigne en tout cas de l’attachement profond d’un très grand nombre de catholiques au geste pacificateur accompli le 7 juillet 2007 par le Souverain Pontife.
Nous vous proposons cette semaine l’une des facettes de cette réaction : la lettre de séminaristes du diocèse de Milan qui, même si leur lettre n’en parle qu’allusivement, répondent à l’annonce que les rits latins non romains, comme le rit ambrosien en vigueur à Milan (mais aussi le rit portugais de Braga, le rit lyonnais, et éventuellement les particularités de la liturgie des chartreux, des dominicains, etc.), ne seraient pas concernés par le Motu Proprio de Benoît XVI.
Dès lors, ils seraient régis par la Congrégation pour le Culte divin, en charge de la liturgie de Paul VI.
I – LE DOCUMENT TRADUIT PAR NOS SOINS
Lettre ouverte du 19 février 2011
Très Saint Père,
À Milan nous voulons le Motu Proprio et nous le voulons aussi au sein du séminaire où nous sont dispensées des liturgies d’inspiration protestante, façon “Bose”.
Saint Père, Éminences, Excellences, fidèles : venez voir comment on célèbre au séminaire de Milan, quel est l'aménagement liturgique de notre chapelle, venez voir la prétendue statue de la Vierge (une femme dénudée assise dans une posture sensuelle devant le tabernacle). Et vous comprendrez. Pour notre part, nous comprenons bien que les temps changent, que l’histoire évolue, mais le cœur des gens a besoin des réponses de toujours, d’une Vérité toujours égale : Jésus Christ, identique hier, aujourd’hui et toujours.
Pourquoi, comme catholiques et comme séminaristes, ne pouvons-nous pas être formés à la connaissance de la Tradition bimillénaire de l’Église ? Nous ne demandons pas que soit imposé le rite ancien. Cela nous convient qu’il demeure une forme extraordinaire. Mais pourquoi ne pouvons-nous pas l’étudier officiellement et, ponctuellement, le célébrer et le pratiquer, au lieu de le faire en cachette, clandestinement, à l’insu du Recteur et de notre père spirituel, de nuit, dans nos chambres, comme s’il s’agissait d’un acte de désobéissance envers l’Église ?
Tout au contraire nous vient imposée la sensibilité liturgique créative inventée de la communauté de Bose, qui n’est pas notre vocation, qui ne correspond pas aux raisons qui nous ont fait choisir de suivre le Seigneur dans l’Église catholique. Nous ne voulons pas devenir prêtres pour vivre façon Bose ou pour célébrer des rites syncrétistes. Ceux qui ont cette sensibilité sont parfaitement libres d’aller à Bose.
Nous voulons pouvoir chanter le Tantum Ergo en latin (interdit par notre règlement !) et pas uniquement des canons de Taizé en anglais ou en espagnol.
Est-il possible que celui qui pense ainsi doive vivre dans la dissimulation, se taisant et feignant que tout va bien ?
Quel mal y a-t-il, nous demandons-nous, à vouloir être catholiques du troisième millénaire, évangélisateurs de notre temps et dans le même temps prier comme ont prié les prêtres, les laïcs de l’Église catholique ambrosienne CATHOLIQUE ?
Nous le répétons : nous ne voulons pas absolutiser, nous ne demandons pas un retour absolu au rite ancien mais nous voulons un vrai respect, authentique, non idéologisé, envers l’Église, Son histoire, Sa Tradition, Sa richesse spirituelle qui peut nourrir véritablement une âme qui veut se conformer au Christ Prêtre.
Merci à tous de vous souvenir dans vos prières de ceux qui, comme nous, cherchent à suivre le Seigneur, dans la lignée de Son Église, avec nos difficultés et nos limites, mais illuminés de la splendide grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous formons le vœu que notre humble appel puisse atteindre le cœur de qui aime l’Église et de qui veut servir ses frères dans les choses de Dieu.
Saint Ambroise et saint Charles, intercédez pour nous.
En Jésus et Marie,
Des séminaristes de Seveso
(Archevêché métropolitain de Milan)
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) La première remarque est que ces séminaristes sont…Italiens : un nouvel indice pour nos amis français que les questions que nous soulevons ne relèvent pas d'un débat strictement franco-français mais ont bien une dimension universelle
2) On remarque que cette lettre de séminaristes – qui ne sont pas des séminaristes d’une communauté Ecclesia Dei mais des séminaristes diocésains - dépasse de loin le problème du document d’interprétation du Motu Proprio : elle concerne directement et expressément l’idéologie liturgique – et tout ce « qui va avec » – du grand séminaire du diocèse considéré comme ayant le plus grand poids moral de la chrétienté après celui de Rome. Où l’on peut voir qu’en 2011, on en est, à certains égards, au même point qu’en 1970. Ce qui a changé, c’est que de nombreux séminaristes regimbent, en Italie, en France, en Espagne, et même que certains osent le dire tout haut. Ce qui a changé c’est que les nouvelles générations sont de plus en plus décomplexées.
Le blog
Perepiscopus rapportait à ce sujet d’ailleurs dans un article du 13 mars 2010 cette information : dans un séminaire français a été constitué un « groupe stable » de 9 séminaristes (représentant de fait le quart des séminaristes proprement diocésains de ce séminaire) qui a formulé une « demande » selon le Motu Proprio Summorum Pontificum auprès du supérieur, le Père B. Le supérieur, pour l’instant, n’a pas donné suite à cette demande de célébration, une fois par semaine, d’une messe selon la forme extraordinaire.
Toutefois, s’il est des lieux dans l’Église où l’Inquisition fonctionne toujours, c’est bien dans les séminaires, où les candidats sont examinés (ils disent : « fliqués ») bien plus sur leurs idées que sur leur moralité. N’est ce pas Golias qui, magnifique aveu, écrivait dans ses lignes le 26 août 2010, « On peut donc s’interroger sur nos évêques, y compris les meilleurs à titre personnel. Il y a encore quinze ou dix ans, ils fermaient leur porte à des jeunes épris de soutane et d’encens quitte parfois à les casser au travers de stages faute d’oser franchement leur dire la vraie raison d’un refus d’accueil et d’ordination. » (
http://www.golias-editions.fr/LE-CHRIST-ROI-A-SAINT-BRIEUC) Ce flicage ecclésiastique que Golias voudrait renvoyer à une période passée est encore hélas bien d’actualité, les témoignages ne manquent pas.
C’est dire à quel point cette lettre des séminaristes de Milan est courageuse et particulièrement émouvante.
3) Le diocèse de Milan était historiquement considéré comme le « premier » archevêché du monde, aujourd'hui encore l'un des trois premiers par le nombre de catholiques qu'il regroupe : un peu moins de 5 millions. Alors que Milan était une des grandes villes de l’Empire romain, saint Ambroise, un des quatre docteurs majeurs de l’Église d’Occident (avec saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire), fut porté sur le siège épiscopal de cette ville. Il a donné son nom au Te Deum (« l’hymne ambrosienne ») et surtout à la magnifique liturgie latine qui y a été célébrée jusqu’à la réforme de Paul VI (le rite ambrosien), avec, il faut en convenir, quelques restes dans les cérémonies du nouveau rite ambrosien célébrée au Dôme (la cathédrale).
Milan a aussi pour patron saint Charles Borromée, archevêque de cette ville dès la fin du Concile de Trente, prélat majeur de la Contre-Réforme (notamment puissant diffuseur de la piété eucharistique, auquel on doit, entre autres, la généralisation du tabernacle sur l’autel principal des églises et cathédrales), que Pie XI a donné comme protecteur aux... séminaristes. Enfin, sous Pie XI le siège de Milan fut honoré par le grand cardinal Schuster (1929-1954), proclamé bienheureux en 1996, très savant liturgiste, une des plus hautes personnalités ecclésiastiques du XXe siècle.
4) La « question milanaise », toujours au premier plan dans l’Église italienne (l’archevêque de Milan est un papabile-né) a pris ces derniers temps une importance considérable :
a) L'impulsion donnée à la curie milanaise, depuis le cardinal Montini (futur Paul VI) et jusqu'à l'actuel archevêque, marquée sous Jean-Paul II par la très forte personnalité du cardinal jésuite Martini, était résolument « progressiste ». L’annonce très prochaine du successeur du cardinal Tettamanzi est donc particulièrement attendue, dans la mesure où elle pourrait changer une donne qui n’a pas varié depuis 1954. Ce qui serait le cas si était nommé un prélat comme le cardinal Scola, actuel patriarche de Venise (prêtre originaire de Milan mais écarté par la curie progressiste car trop orthodoxe), ou d’un autre de même ligne. On comprend d’ailleurs que cette perspective dynamise les séminaristes auteurs de la lettre dont nous parlons.
b) En outre, pour le monde traditionnel italien, la perpétuation du rit ambrosien est infiniment plus importante que n’est en France celle du rit lyonnais ou du rit dominicain. Successeur de Schuster, Montini a, par la force des choses, utilisé le rit ambrosien ancien, puisque la réforme liturgique n’a été mise en œuvre qu’après son accession au souverain pontificat. Mais même les archevêques suivants, le modéré Colombo, théologien ami de Paul VI, et les progressistes Martini, puis Tettamanzi, qui vient de remettre sa démission, ont cultivé, au moins au Dôme, une certaine particularité liturgique « ambrosienne » au sein de la réforme de Bugnini. Certes, la lettre des séminaristes n’aborde qu’au détour d’un paragraphe et presque implicitement cette question du rit ambrosien ancien, mais tout le monde comprend qu’elle est centrale dans leur démarche. Or, la question porte sur sa survie et sa charge symbolique.
- Sa survie : une lutte extrêmement vive a eu lieu entre le cardinal Tettamanzi et la Commission Ecclesia Dei sur le point de savoir si le Motu Proprio de 2007 protégeait aussi le rit ambrosien ancien. Une lettre de la Commission Ecclesia Dei du 23 mars 2009 avait expressément répondu que « s'il est vrai que le Motu proprio du Saint-Père n'a pas cité expressément le rit ambrosien, il n'exclut pas les autres rits latins ; dans la mesure où ce que la volonté du Saint-Père affirme pour le rite romain, supérieur en dignité, vaut par conséquent, a fortiori pour les autres rits latin, y compris le rit ambrosien ». Dans son dernier état, telle qu’il a été refondue par la Congrégation de la Doctrine de la foi du cardinal Levada, le projet d’instruction pour l’interprétation du Motu Proprio revient sur cette jurisprudence d’Ecclesia Dei : les rits non romains ne seront pas couverts par Summorum Pontificum.
- La charge symbolique : si aujourd’hui, le rit ambrosien ancien sortait du champ de Summorum Pontificum pour être confié à la Congrégation pour le Culte divin du cardinal Cañizares et non plus à la Commission Ecclesia Dei de Mgr Pozzo, il ne serait plus en danger, au moins immédiat, de disparaître, comme il l’était à l’époque du cardinal Tettamanzi. Il pourrait cependant plus facilement être transformé, au nom d’une « réforme de la réforme » mal comprise. En tout cas, la généralité libératrice de Summorum pontificum pour toute la tradition liturgique en serait gravement affectée quant au « signe ».
5) Un mot sur “Bose”. Cette communauté religieuse, née le jour de la clôture du concile Vatican II, rassemble des hommes et des femmes célibataires de différentes confessions chrétiennes pour « vivre l'Évangile avec radicalité » (règle de la communauté 3.5). Son
fondateur et supérieur, le frère Enzo Bianchi, est la coqueluche des médias italiens où il est toujours prompt à donner son avis, de façon souvent radicale ! Souvent des analogies sont faites entre Bose et Taizé et les séminaristes milanais ne nous surprennent pas en se plaignant de se voir infliger tout le répertoire de Taizé en plus de la liturgie façon Bose.
III - EN CONCLUSION
Si nous avons consacré une aussi longue lettre à ce courrier de séminaristes milanais, c'est parce qu’il est un signe parmi bien d’autres d’un inéluctable changement d’époque. Il fut un temps (les années 90) où fleurissaient les « manifestes de théologiens » contre la « Restauration » supposée en cours. Un ultime manifeste de théologiens, qui sent la débâcle (ils demandent le mariage des prêtres, mais la plupart ont depuis longtemps passé l’âge de convoler !), vient d’ailleurs d'être publié en Allemagne.
En revanche, se multiplient aujourd’hui les « adresses », les « instances », les « lettres inquiètes », les « pétitions », qui manifestent la puissance d’une opinion catholique traditionnelle (puissance relative : c’est parce que le monde catholique occidental est en voie de disparition que sa part traditionalisante, celle qui résiste le mieux à l’usure, va bientôt en représenter la majorité). Et voici qu’apparaît aussi une très courageuse lettre de séminaristes, la catégorie la plus menacée par les derniers vigiles de l’idéologie postconciliaire, séminaristes qui crient leur désarroi et leur inquiétude. Il ne serait pas surprenant que d’autres lettres d’appel au secours des futurs prêtres de l’Église, qui encore une fois ne sont pas des traditionalistes mais qui veulent avoir accès à la tradition de l’Église liturgique et doctrinale, ne surgissent dans les temps prochains de tous les points d’Europe. Car il y va désormais, non plus de « l’esprit du Concile », mais de l’esprit du Motu Proprio.
Enfin, et nous aurons l'occasion d'y revenir dans de prochaines lettres, on doit remarquer que ce document milanais pose une nouvelle fois la question des minorités dans l'Église : quelle place, quelle liberté, quel respect pour les fidèles, les prêtres et, ici, les séminaristes qui, tout en étant fidèles au magistère, ne se reconnaissent pas dans les orientations dominantes de leur diocèse ou de leur conférence épiscopale ?