Tempête sur un décret -Bruno le Pivain
Peut-être n’avait-on pas lu, ou compris, les termes de ce décret de quelques phrases qui sembla tout à coup bouleverser la vie de l’Église, et bien au-delà de ses frontières visibles, le monde entier – épisode qui montre, si besoin est, la vérité de cette phrase du Cardinal Journet qui relevait que « les frontières de l’Église passent à travers notre cœur », comme le dérisoire d’une situation ubuesque dans ses outrances. Les voici donc :
Sa Sainteté Benoît XVI – sensible comme le serait un père au malaise spirituel manifesté par les intéressés à cause de la sanction d’excommunication, et confiant en leur volonté, exprimée dans la lettre citée auparavant, de ne ménager aucun effort pour approfondir, via des colloques nécessaires avec les autorités du Saint Siège, les questions qui restent en suspens afin de pouvoir parvenir rapidement à une pleine et satisfaisante solution au problème qui s’est posé à l’origine – a décidé de reconsidérer la situation canonique des évêques Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta qui avait suivi leur consécration épiscopale.
Miséricorde et confiance, tels sont ici les sentiments clairement exprimés de Benoît XVI.
Dieu est Amour : c’est la première vérité que le Saint-Père a voulu proclamer à l’aube de son pontificat, expliquer, illustrer dans un monde où la haine et la rancœur semblent vouloir instaurer le règne du « mystère d’iniquité ». C’est cette réalité qui le guide quotidiennement, celle que le peuple de France – et non seulement les catholiques – a pu découvrir dans sa visite pastorale à Paris et Lourdes. L’on nous avait décrit à l’envi un personnage de roman d’Inquisition, ce fut l’intelligence bienveillante, l’humilité rayonnante, la cordialité attentive qui se fondent dans la même expression d’un visage que les médias – qu’ils en soient remerciés – ont permis au grand nombre de connaître.
De nouveau, les moralisateurs d’un monde sans Dieu – d’une morale sans conscience – montent au créneau pour protéger l’Église et l’humanité du danger que constitue cet homme libre (on note avec joie l’intérêt évident que suscite dans le monde la vie de l’Église, comme le Christ en son temps, au-delà de l’attitude elle aussi inconsciente de celui qui fut au cœur du scandale).
L’humanité : qui, aujourd’hui, parmi les coryphées du chœur des pleureuses, a vécu sous la botte nazie et en a subi en direct les humiliations et les persécutions ? Joseph Ratzinger l’a fait, ce qui n’empêche personne d’en découvrir l’horreur.
L’Église et son Magistère : qui, aujourd’hui, parmi les gardiens proclamés du dernier concile, a participé activement – et effectivement – à Vatican II et n’a cessé de l’illustrer avec une compétence lumineuse depuis plus de quarante ans, jusqu’à prendre cette « boussole fiable » comme guide de son tout nouveau pontificat ? Joseph Ratzinger l’a fait, en perpétuelle et étroite collaboration avec Jean-Paul II pour permettre à tous d’en découvrir la richesse.
On voudrait aujourd’hui opposer Benoît XVI et Jean-Paul II, dont on invoque désormais les mânes pour conjurer la réaction triomphante. Quelle étrangeté ! Il fallait voir, lors des cérémonies à Saint-Pierre de Rome, le pape Jean-Paul II s’arrêter un instant lors de la procession de sortie, saluer le doyen du Sacré Collège, le cardinal Joseph Ratzinger, et à côté de lui le vice-doyen, le Cardinal Bernardin Gantin, si proches l’un de l’autre, si proches tous les deux de Jean-Paul II le Grand, dans une complicité au service de l’Église si évidente ! Sans doute l’une des plus belles images de Rome.
Par trois fois, Joseph Ratzinger avait demandé à Jean-Paul II de le démettre de sa charge, si lourde à tous points de vue, pour retourner étudier, publier et prier dans sa Bavière natale. Trois fois, Jean-Paul II avait refusé.
Voici maintenant, pour un certain nombre, Jean-Paul II devenu la référence et le recours contre ce pape qui gêne. Après tout, quelle grâce, après les plus de 26 ans de pontificat où l’on se méfia de ce « retour en arrière » : son enseignement va enfin être reçu, sans tri scrupuleux ni silence embarrassé.
Sur le sacrement de pénitence, sur la liturgie, sur les droits de l’homme en Dieu, sur la justice sociale et l’économie, sur la laïcité, sur l’Eucharistie, sur la miséricorde, sur le primat de la grâce, sur l’œcuménisme, sur la Nouvelle évangélisation, sur la mission, sur le rôle du prêtre et sa spiritualité, sur la morale chrétienne, sur la défense de la vie humaine, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, sur l’écologie, sur tant d’autres sujets par lesquels vous complèterez cette liste, celle d’un pontificat dont la prolixité et la richesse sont encore à recevoir... Vatican II va pouvoir être reçu. Oui, quelle grâce !
... Quelle souffrance cependant ne doit pas être celle du Saint-Père aujourd’hui, livré comme Celui dont il est le vicaire, en « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », à tant d’humiliation et d’ingratitude, quand sa vie, offerte depuis toujours, est ainsi conspuée et malmenée par des « loups » de toutes races et des rapaces d’origines bien variées !
Si votre revue a choisi le patronyme de Kephas, c’est pour une raison suffisamment claire que l’on peut retrouver dans la charte, disponible sur le site de la revue.
C’est aussi parce qu’elle a reçu les encouragements directs et précis de celui qui était alors le Cardinal Joseph Ratzinger qu’elle a pu naître; le temps a ensuite montré que le développement de la revue ne lui était pas indifférent. Au-delà de l’indéfectible reconnaissance et du devoir de fidélité qu’elle comporte, c’est aujourd’hui de fidélité à l’Église dont il s’agit. C’est une grâce supplémentaire d’y joindre une fidélité personnelle.
Laquelle ne bride pas l’intelligence, mais la nourrit, comme le fait le Magistère de l’Église.
Le rôle de Kephas n’est pas de s’inscrire dans les polémiques à courte vue, ni dans les espoirs sevrés d’Espérance. Le dossier qui suit, dans la ligne toujours suivie, voudrait apporter des éléments de réflexion dans la lumière de la Chaire de Pierre.
Vous y trouverez quatre types d’interventions :
– un approfondissement spirituel et théologal sur la situation actuelle, parce que c’est d’abord de là qu’il faut partir si l’on ne veut pas se fourvoyer, en un temps qui est sûrement celui de la purification dans le combat spirituel, « non pas contre des adversaires de chair et de sang » (Eph 6, 12).
– un éclairage historique sur le déroulement des dernières décennies dans la vie de l’Église, de façon à comprendre les événements actuels, dont la genèse reste absconse pour beaucoup.
– de brefs articles d’introduction aux réalités connexes au débat actuel, notamment par des conférences prononcées lors du colloque du 29 novembre dernier à Notre-Dame de Grâce de Passy.1
– des extraits de contributions déjà parues dans Kephas depuis l’origine, qui ont trait aux controverses doctrinales les plus essentielles dans ce débat, dont nous avons relevé huit exemples, quatre touchant à des thèmes fondamentaux d’ecclésiologie, à savoir la notion de Tradition, celle de Magistère, la question du caractère doctrinal ou pastoral du Concile Vatican II, l’herméneutique de la continuité ou de la rupture; quatre touchant à des points particuliers évoqués par la Fraternité Saint-Pie X comme litigieux, à savoir l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, la liberté religieuse et la collégialité épiscopale; tous dossiers sur lesquels il est évident qu’un chemin conséquent doit être parcouru. Il va sans dire que ces extraits d’articles ne prétendent nullement résoudre les questions, mais peuvent apporter une contribution aux débats à venir.
On peut en mesurer la difficulté à vue humaine si l’on rapproche le diagnostic encore établi le 11 février dernier par Mgr Tissier de Mallerais qui voit dans Vatican II « la destruction de l’état catholique », « la suppression de la Sainte Messe » et la « laïcisation des âmes » tandis que le communiqué du Saint-Siège du 4 février, soit une semaine avant, précisant les rapports entre « Tradition, doctrine et concile », rappelle que « la condition indispensable à une reconnaissance de la Fraternité est l’adhésion au concile Vatican II, ainsi qu’au magistère de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul I, Jean-Paul II et Benoît XVI ».
Par ailleurs, la « question liturgique » a été largement traitée, notamment dans un récent numéro sur le Motu proprio Summorum Pontificum, Kephas no 23 de juillet-septembre 2007, avec un dossier sur le sens et la portée du Motu proprio, toujours disponible.
En ce temps de purification, nous sommes dans l’action de grâces, non dans le parti pris, et voulons répondre à la demande explicite du Saint-Père de prier pour lui.
Saint Paul le dit à sa manière : « La charité du Christ nous presse. » (2 Cor 5, 14). Pourquoi s’étonner que celui qui préside à la charité dans l’Église, laquelle est d’abord un mystère de miséricorde, et qui – accessoirement – nourrit une telle ferveur pour l’Apôtre des Gentils au point de lui consacrer cette année si bienvenue et bienfaisante, ne veuille rien savoir d’autre, parce qu’« il ne veut non plus rien savoir parmi (n)ous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (Gal 2, 2) ?
- Le livre des Actes du colloque doit paraître d’ici l’été prochain aux éditions de l’Œuvre.