31 mars 2009

[Kephas] Tempête sur un décret

SOURCE - janvier/mar 2009

Tempête sur un décret -Bruno le Pivain

Peut-être n’avait-on pas lu, ou compris, les termes de ce décret de quelques phrases qui sembla tout à coup bouleverser la vie de l’Église, et bien au-delà de ses frontières visibles, le monde entier – épisode qui montre, si besoin est, la vérité de cette phrase du Cardinal Journet qui relevait que « les frontières de l’Église passent à travers notre cœur », comme le dérisoire d’une situation ubuesque dans ses outrances. Les voici donc :

Sa Sainteté Benoît XVI – sensible comme le serait un père au malaise spirituel manifesté par les intéressés à cause de la sanction d’excommunication, et confiant en leur volonté, exprimée dans la lettre citée auparavant, de ne ménager aucun effort pour approfondir, via des colloques nécessaires avec les autorités du Saint Siège, les questions qui restent en suspens afin de pouvoir parvenir rapidement à une pleine et satisfaisante solution au problème qui s’est posé à l’origine – a décidé de reconsidérer la situation canonique des évêques Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta qui avait suivi leur consécration épiscopale.

Miséricorde et confiance, tels sont ici les sentiments clairement exprimés de Benoît XVI.

Dieu est Amour : c’est la première vérité que le Saint-Père a voulu proclamer à l’aube de son pontificat, expliquer, illustrer dans un monde où la haine et la rancœur semblent vouloir instaurer le règne du « mystère d’iniquité ». C’est cette réalité qui le guide quotidiennement, celle que le peuple de France – et non seulement les catholiques – a pu découvrir dans sa visite pastorale à Paris et Lourdes. L’on nous avait décrit à l’envi un personnage de roman d’Inquisition, ce fut l’intelligence bienveillante, l’humilité rayonnante, la cordialité attentive qui se fondent dans la même expression d’un visage que les médias – qu’ils en soient remerciés – ont permis au grand nombre de connaître.

De nouveau, les moralisateurs d’un monde sans Dieu – d’une morale sans conscience – montent au créneau pour protéger l’Église et l’humanité du danger que constitue cet homme libre (on note avec joie l’intérêt évident que suscite dans le monde la vie de l’Église, comme le Christ en son temps, au-delà de l’attitude elle aussi inconsciente de celui qui fut au cœur du scandale).

L’humanité : qui, aujourd’hui, parmi les coryphées du chœur des pleureuses, a vécu sous la botte nazie et en a subi en direct les humiliations et les persécutions ? Joseph Ratzinger l’a fait, ce qui n’empêche personne d’en découvrir l’horreur.

L’Église et son Magistère : qui, aujourd’hui, parmi les gardiens proclamés du dernier concile, a participé activement – et effectivement – à Vatican II et n’a cessé de l’illustrer avec une compétence lumineuse depuis plus de quarante ans, jusqu’à prendre cette « boussole fiable » comme guide de son tout nouveau pontificat ? Joseph Ratzinger l’a fait, en perpétuelle et étroite collaboration avec Jean-Paul II pour permettre à tous d’en découvrir la richesse.

On voudrait aujourd’hui opposer Benoît XVI et Jean-Paul II, dont on invoque désormais les mânes pour conjurer la réaction triomphante. Quelle étrangeté ! Il fallait voir, lors des cérémonies à Saint-Pierre de Rome, le pape Jean-Paul II s’arrêter un instant lors de la procession de sortie, saluer le doyen du Sacré Collège, le cardinal Joseph Ratzinger, et à côté de lui le vice-doyen, le Cardinal Bernardin Gantin, si proches l’un de l’autre, si proches tous les deux de Jean-Paul II le Grand, dans une complicité au service de l’Église si évidente ! Sans doute l’une des plus belles images de Rome.

Par trois fois, Joseph Ratzinger avait demandé à Jean-Paul II de le démettre de sa charge, si lourde à tous points de vue, pour retourner étudier, publier et prier dans sa Bavière natale. Trois fois, Jean-Paul II avait refusé.

Voici maintenant, pour un certain nombre, Jean-Paul II devenu la référence et le recours contre ce pape qui gêne. Après tout, quelle grâce, après les plus de 26 ans de pontificat où l’on se méfia de ce « retour en arrière » : son enseignement va enfin être reçu, sans tri scrupuleux ni silence embarrassé.

Sur le sacrement de pénitence, sur la liturgie, sur les droits de l’homme en Dieu, sur la justice sociale et l’économie, sur la laïcité, sur l’Eucharistie, sur la miséricorde, sur le primat de la grâce, sur l’œcuménisme, sur la Nouvelle évangélisation, sur la mission, sur le rôle du prêtre et sa spiritualité, sur la morale chrétienne, sur la défense de la vie humaine, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, sur l’écologie, sur tant d’autres sujets par lesquels vous complèterez cette liste, celle d’un pontificat dont la prolixité et la richesse sont encore à recevoir... Vatican II va pouvoir être reçu. Oui, quelle grâce !

... Quelle souffrance cependant ne doit pas être celle du Saint-Père aujourd’hui, livré comme Celui dont il est le vicaire, en « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », à tant d’humiliation et d’ingratitude, quand sa vie, offerte depuis toujours, est ainsi conspuée et malmenée par des « loups » de toutes races et des rapaces d’origines bien variées !

Si votre revue a choisi le patronyme de Kephas, c’est pour une raison suffisamment claire que l’on peut retrouver dans la charte, disponible sur le site de la revue.

C’est aussi parce qu’elle a reçu les encouragements directs et précis de celui qui était alors le Cardinal Joseph Ratzinger qu’elle a pu naître; le temps a ensuite montré que le développement de la revue ne lui était pas indifférent. Au-delà de l’indéfectible reconnaissance et du devoir de fidélité qu’elle comporte, c’est aujourd’hui de fidélité à l’Église dont il s’agit. C’est une grâce supplémentaire d’y joindre une fidélité personnelle.

Laquelle ne bride pas l’intelligence, mais la nourrit, comme le fait le Magistère de l’Église.

Le rôle de Kephas n’est pas de s’inscrire dans les polémiques à courte vue, ni dans les espoirs sevrés d’Espérance. Le dossier qui suit, dans la ligne toujours suivie, voudrait apporter des éléments de réflexion dans la lumière de la Chaire de Pierre.

Vous y trouverez quatre types d’interventions :

– un approfondissement spirituel et théologal sur la situation actuelle, parce que c’est d’abord de là qu’il faut partir si l’on ne veut pas se fourvoyer, en un temps qui est sûrement celui de la purification dans le combat spirituel, « non pas contre des adversaires de chair et de sang » (Eph 6, 12).

– un éclairage historique sur le déroulement des dernières décennies dans la vie de l’Église, de façon à comprendre les événements actuels, dont la genèse reste absconse pour beaucoup.

– de brefs articles d’introduction aux réalités connexes au débat actuel, notamment par des conférences prononcées lors du colloque du 29 novembre dernier à Notre-Dame de Grâce de Passy.1

– des extraits de contributions déjà parues dans Kephas depuis l’origine, qui ont trait aux controverses doctrinales les plus essentielles dans ce débat, dont nous avons relevé huit exemples, quatre touchant à des thèmes fondamentaux d’ecclésiologie, à savoir la notion de Tradition, celle de Magistère, la question du caractère doctrinal ou pastoral du Concile Vatican II, l’herméneutique de la continuité ou de la rupture; quatre touchant à des points particuliers évoqués par la Fraternité Saint-Pie X comme litigieux, à savoir l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, la liberté religieuse et la collégialité épiscopale; tous dossiers sur lesquels il est évident qu’un chemin conséquent doit être parcouru. Il va sans dire que ces extraits d’articles ne prétendent nullement résoudre les questions, mais peuvent apporter une contribution aux débats à venir.

On peut en mesurer la difficulté à vue humaine si l’on rapproche le diagnostic encore établi le 11 février dernier par Mgr Tissier de Mallerais qui voit dans Vatican II « la destruction de l’état catholique », « la suppression de la Sainte Messe » et la « laïcisation des âmes » tandis que le communiqué du Saint-Siège du 4 février, soit une semaine avant, précisant les rapports entre « Tradition, doctrine et concile », rappelle que « la condition indispensable à une reconnaissance de la Fraternité est l’adhésion au concile Vatican II, ainsi qu’au magistère de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul I, Jean-Paul II et Benoît XVI ».

Par ailleurs, la « question liturgique » a été largement traitée, notamment dans un récent numéro sur le Motu proprio Summorum Pontificum, Kephas no 23 de juillet-septembre 2007, avec un dossier sur le sens et la portée du Motu proprio, toujours disponible.

En ce temps de purification, nous sommes dans l’action de grâces, non dans le parti pris, et voulons répondre à la demande explicite du Saint-Père de prier pour lui.

Saint Paul le dit à sa manière : « La charité du Christ nous presse. » (2 Cor 5, 14). Pourquoi s’étonner que celui qui préside à la charité dans l’Église, laquelle est d’abord un mystère de miséricorde, et qui – accessoirement – nourrit une telle ferveur pour l’Apôtre des Gentils au point de lui consacrer cette année si bienvenue et bienfaisante, ne veuille rien savoir d’autre, parce qu’« il ne veut non plus rien savoir parmi (n)ous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (Gal 2, 2) ?


  1. Le livre des Actes du colloque doit paraître d’ici l’été prochain aux éditions de l’Œuvre.

[Aletheia n°139] Monseigneur Lefebvre en attente de réhabilitation - par Yves Chiron

Aletheia n°139 - 31 mars 2009
Monseigneur Lefebvre en attente de réhabilitation - par Yves Chiron
Lors de l’annonce, en janvier dernier, de la levée de l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X, certains fidèles et certains commentateurs se demandaient si la décision s’appliquait aussi aux deux évêques qui les avaient sacrés, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. L’abbé Laguérie, fondateur de l’Institut du Bon Pasteur, a écrit et répété en chaire que le cardinal Thiandoum, venu à Écône saluer la dépouille mortelle de Mgr Lefebvre en 1991, avait « levé l’excommunication, ” post mortem”, du prestigieux prélat défunt ».
Si elle avait été exacte, l’information, jusque-là inédite, aurait été d’importance. Elle aurait révélé un acte de mansuétude dans les sévérités du Saint-Siège.
M. l’abbé Simoulin, directeur du séminaire d’Écône à l’époque du décès du fondateur de la FSSPX, a démenti cette information : « Le cardinal Thiandoum, âgé et malade, a fait savoir son regret de ne pouvoir faire le voyage et a envoyé son secrétaire, l’abbé Hyacinthe Dione, pour le représenter aux obsèques de monseigneur. Ce prêtre a béni le cercueil, comme nous tous ! ».
L’abbé Laguérie a néanmoins maintenu que l’excommunication de Mgr Lefebvre avait bien été levée : « Je ne vois pas comment on pourrait sérieusement contester ce fait universellement raconté dans la Frat. [FSSPX] à l’époque, notamment aux obsèques de Mgr Lefebvre ». Et il avançait un autre nom : Mgr Rovida, nonce à Berne, aurait levé l’excommunication « en tant que tel, représentant du Saint-Siège ».
Pour éclairer de manière définitive ce point d’histoire, j’ai interrogé Mgr Edoardo Rovida, qui m’a répondu, en date du 26 février 2009 :
Effectivement j’ai été à Écône le matin suivant de la mort de Mgr Lefebvre ; mais seulement pour prier, bénir et rendre hommage à sa dépouille mortelle.
Quant à une éventuelle levée d’excommunication, je vous assure qu’absolument rien n’a été fait de ma part.
La sentence d’excommunication de Mgr Lefebvre n’a donc pas été levée.
Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, dans sa lettre aux fidèles, le 24 janvier dernier, disait espérer « la prompte réhabilitation Mgr Lefebvre.
Mais cinq jours plus tard, dans la lettre qu’ils ont écrite au Pape pour le remercier de la levée des excommunications, les quatre évêques de la FSSPX estimaient que le décret du 21 janvier « réhabilite de quelque façon le vénéré fondateur de notre Fraternité sacerdotale ».
Cette interprétation du décret du 21 janvier est biaisée. La levée des excommunications du 21 janvier 2009 est une remise de peine qui ouvre la voie à une réconciliation, ce n’est en aucun cas la reconnaissance a posteriori de la licéité de l’acte posé par Mgr Lefebvre en 1988, acte qui lui a valu l’excommunication.
S’il est en quelque sorte une première étape de la réhabilitation de Mgr Lefebvre, et des laïcs qui ont combattu pour le maintien de la messe traditionnelle (avec Jean Madiran au premier rang), il faut la chercher dans le motu proprio du 7 juillet 2007 qui a rétabli, de droit, un rite qui avait été pour ainsi dire interdit, au moins jusqu’en 1984.
Les oppositions romaines au Pape
L’abbé Claude Barthe, ordonné prêtre par Mgr Lefebvre en 1979, passé ensuite par le sédévacantisme, co-fondateur de l’Institut du cardinal Pie (ICP) qui existe toujours, a fondé, il y a quelques années, la très discrète Société des prêtres auxiliaires, et il a obtenu, de la Commission Ecclesia Dei, un celebret.
En 2005, à la veille du conclave qui devait élire Benoît XVI, il voyait le collège cardinalice partagé en trois tendances : « progressiste », « modérée-libérale » et « modérée-restaurationniste ». Il pronostiquait : « les progressistes vont se rallier à un candidat modéré-libéral, qui pourrait bien atteindre, à la longue, la majorité requise. » (entretien accordé à Pacte, n° 91). Le pronostic s’avéra erroné.
Aujourd’hui, reprenant les mêmes catégories, plus politiques que religieuses (« centre-droit », « libéraux », etc.), il présente dans un petit livre ce qu’il appelle les « oppositions romaines au pape »[1].
Il décrit la Curie romaine comme le théâtre d’une continuelle lutte d’influences qui passerait principalement par le biais des nominations à la tête des différents dicastères. Il décrit aussi les tentatives et les manœuvres « pour freiner, aménager, corriger le cours de la nouvelle politique romaine ».
Certaines analyses sont intéressantes, mais elles sont parfois trop rapides et pas toujours convaincantes. On voit mal, par exemple, comment le cardinal indien Dias, nommé préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, peut être présenté comme trop tolérant à l’égard des « manifestations les plus singulières du dialogue interreligieux ». Le cardinal Dias, au contraire, est connu comme un des principaux rédacteurs de la déclaration Dominus Iesus (2000) et il a été, en 2001, à l’origine de la Notification publiée contre le livre du théologien Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux.
Les considérations sur les oppositions à Benoît XVI en matière liturgique doivent, elles aussi, être corrigées par la récente nomination du très « ratzingérien » cardinal Cañizares Llovera à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements.
Les oppositions à Benoît XVI sont bien plus fortes dans certains pays qu’à Rome. Et encore, faut-il nuancer. En France, par exemple, on ne peut opposer indistinctement « les évêques » au pape. Même si, pour le moment, les évêques français en syntonie complète avec la pensée et l’action de Benoît XVI sont une minorité.
Yves Chiron
NOTE
[1] Claude Barthe, Les oppositions romaines au Pape, Éditions Hora Decima (4 rue Galvani, 75017 Paris), 62 pages, 6 euros. L’ouvrage reprend et développe des articles parus dans L’Homme nouveau.

[Yves Chiron - Aletheia] Monseigneur Lefebvre en attente de réhabilitation

SOURCE - Yves Chiron - Aletheia n°139 - 31 mars 2009

Lors de l’annonce, en janvier dernier, de la levée de l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X, certains fidèles et certains commentateurs se demandaient si la décision s’appliquait aussi aux deux évêques qui les avaient sacrés, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. L’abbé Laguérie, fondateur de l’Institut du Bon Pasteur, a écrit et répété en chaire que le cardinal Thiandoum, venu à Écône saluer la dépouille mortelle de Mgr Lefebvre en 1991, avait « levé l’excommunication, ” post mortem”, du prestigieux prélat défunt ».

Si elle avait été exacte, l’information, jusque-là inédite, aurait été d’importance. Elle aurait révélé un acte de mansuétude dans les sévérités du Saint-Siège.

M. l’abbé Simoulin, directeur du séminaire d’Écône à l’époque du décès du fondateur de la FSSPX, a démenti cette information : « Le cardinal Thiandoum, âgé et malade, a fait savoir son regret de ne pouvoir faire le voyage et a envoyé son secrétaire, l’abbé Hyacinthe Dione, pour le représenter aux obsèques de monseigneur. Ce prêtre a béni le cercueil, comme nous tous ! ».

L’abbé Laguérie a néanmoins maintenu que l’excommunication de Mgr Lefebvre avait bien été levée : « Je ne vois pas comment on pourrait sérieusement contester ce fait universellement raconté dans la Frat. [FSSPX] à l’époque, notamment aux obsèques de Mgr Lefebvre ».  Et il avançait un autre nom : Mgr Rovida, nonce à Berne, aurait levé l’excommunication « en tant que tel, représentant du Saint-Siège ».

Pour éclairer de manière définitive ce point d’histoire, j’ai interrogé Mgr Edoardo Rovida, qui m’a répondu, en date du 26 février 2009 :

Effectivement j’ai été à Écône le matin suivant de la mort de Mgr Lefebvre ; mais seulement pour prier, bénir et rendre hommage à sa dépouille mortelle.

Quant à une éventuelle levée d’excommunication, je vous assure qu’absolument rien n’a été fait de ma part.

La sentence d’excommunication de Mgr Lefebvre n’a donc pas été levée.

Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, dans sa lettre aux fidèles, le 24 janvier dernier, disait espérer « la prompte réhabilitation Mgr Lefebvre.
Mais cinq jours plus tard, dans la lettre qu’ils ont écrite au Pape pour le remercier de la levée des excommunications, les quatre évêques de la FSSPX estimaient que le décret du 21 janvier « réhabilite de quelque façon le vénéré fondateur de notre Fraternité sacerdotale ».

Cette interprétation du décret du 21 janvier est biaisée. La levée des excommunications du 21 janvier 2009 est une remise de peine qui ouvre la voie à une réconciliation, ce n’est en aucun cas la reconnaissance a posteriori de la licéité de l’acte posé par Mgr Lefebvre en 1988, acte qui lui a valu l’excommunication.

S’il est en quelque sorte une première étape de la réhabilitation de Mgr Lefebvre, et des laïcs qui ont combattu pour le maintien de la messe traditionnelle (avec Jean Madiran au premier rang), il faut la chercher dans le motu proprio du 7 juillet 2007 qui a rétabli, de droit, un rite qui avait été pour ainsi dire interdit, au moins jusqu’en 1984.

Les oppositions romaines au Pape

L’abbé Claude Barthe, ordonné prêtre par Mgr Lefebvre en 1979, passé ensuite par le sédévacantisme, co-fondateur de l’Institut du cardinal Pie (ICP) qui existe toujours, a fondé, il y a quelques années, la très discrète Société des prêtres auxiliaires, et il a obtenu, de la Commission Ecclesia Dei, un celebret.

En 2005, à la veille du conclave qui devait élire Benoît XVI, il voyait le collège cardinalice partagé en trois tendances : « progressiste », « modérée-libérale » et « modérée-restaurationniste ». Il pronostiquait : « les progressistes vont se rallier à un candidat modéré-libéral, qui pourrait bien atteindre, à la longue, la majorité requise. » (entretien accordé à Pacte, n° 91). Le pronostic s’avéra erroné.

Aujourd’hui, reprenant les mêmes catégories, plus politiques que religieuses (« centre-droit », « libéraux », etc.), il présente dans un petit livre ce qu’il appelle les « oppositions romaines au pape »[1].

Il décrit la Curie romaine comme le théâtre d’une continuelle lutte d’influences qui passerait principalement par le biais des nominations à la tête des différents dicastères. Il décrit aussi les tentatives et les manœuvres « pour freiner, aménager, corriger le cours de la nouvelle politique romaine ».

Certaines analyses sont intéressantes, mais elles sont parfois trop rapides et pas toujours convaincantes. On voit mal, par exemple, comment le cardinal indien Dias, nommé préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, peut être présenté comme trop tolérant à l’égard des « manifestations les plus singulières du dialogue interreligieux ». Le cardinal Dias, au contraire, est connu comme un des principaux rédacteurs de la déclaration Dominus Iesus (2000) et il a été, en 2001, à l’origine de la Notification publiée contre le livre du théologien Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux.

Les considérations sur les oppositions à Benoît XVI en matière liturgique doivent, elles aussi, être corrigées par la récente nomination du très « ratzingérien » cardinal Cañizares Llovera à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements.

Les oppositions à Benoît XVI sont bien plus fortes dans certains pays qu’à Rome. Et encore, faut-il nuancer. En France, par exemple, on ne peut opposer indistinctement « les évêques » au pape. Même si, pour le moment, les évêques français en syntonie complète avec la pensée et l’action de Benoît XVI sont une minorité.

Yves Chiron

NOTE
[1] Claude Barthe, Les oppositions romaines au Pape, Éditions Hora Decima (4 rue Galvani, 75017 Paris), 62 pages, 6 euros. L’ouvrage reprend et développe des articles parus dans L’Homme nouveau.

30 mars 2009

[Christus Imperat] Le schisme sans danger d'une Eglise sans lendemain

SOURCE - Austremoine - 30 mars 2009

Incompréhension d'un pape piégé par les herméneutiques

La lettre du pape Benoît XVI du 10 mars 2009 aux évêques catholiques montre l'incompréhension d'un pape face à une Église déchirée par un schisme latent. Une incompréhension mais aussi un certain désarmement tant il constate l'impossible réconciliation entre un épiscopat qui brandit le concile Vatican II pour mieux rejeter 2000 ans de magistère et une Fraternité St-Pie X qui ne souhaite ni plus ni moins le délaissement de ce Concile.

Cette lettre résonne comme un cri sorti du cÅ“ur, comme un cri dans le désert d'une Église exsangue après quarante ans de réformes. Un appel aux accents d'une sincérité poignante où le pasteur de l'Église universelle tente de faire entendre que ce Concile, fustigé par les uns et brandi par les autres, se situe dans la longue tradition de l'Église.

Parce que si l'aile progressiste de l'Église a pu constater ces dernier mois que le pape Ratzinger n'est pas un inconditionnel des réformes issues du Concile, et notamment des réformes liturgiques qu'il a, à maintes reprises, dénoncées, il n'est pas non plus ce pape conservateur et traditionnaliste que certains espèrent voir en lui.

Benoît XVI est un pape viscéralement attaché au concile Vatican II, et comme il l'avait rappelé à Mgr Fellay lors de leur entretien au mois d'aoà»t 2005, il ne peut pas concevoir qu'un catholique ne soit pas imbibé de l'esprit du Concile, mais d'un esprit qui interprète le Concile à la «lumière de la tradition».

Tradition ou tradition ?

Vieille formule que celle-ci, formule qui devait sceller l'accord entre le St Siège et Mgr Lefebvre en 1988. Formule ambiguë et trompeuse tant elle prête à confusion. Car il ne faut pas s'y tromper, aujourd'hui Benoît XVI continue de poser des actes et de prôner des doctrines qui sont en rupture avec la Tradition. L'œcuménisme, la collégialité et la liberté religieuse sont les plus importants. Pourtant Benoît XVI dit se situer dans la Tradition de l'Église, un tel désaccord s'explique par le fait que la notion de la tradition n'est pas la même pour tout le monde.

C'est pourquoi Mgr Fellay rappelle dans son communiqué du 12 mars 2009, consécutif à la lettre du Souverain Pontife, la définition de la Tradition telle que l'entend la FSSPX et, surtout, le magistère de toujours :

«Loin de vouloir arrêter la Tradition en 1962, nous souhaitons considérer le Concile Vatican II et l'enseignement post-conciliaire à la lumière de cette Tradition que saint Vincent de Lérins a définie comme «ce qui a été cru toujours, partout et par tous» (Commonitorium), sans rupture et dans un développement parfaitement homogène. C'est ainsi que nous pourrons contribuer efficacement à l'évangélisation demandée par le Sauveur. (cf. Matthieu 28,19-20)»

Face à cela le pape Benoît XVI prône une herméneutique de la continuité, pourtant bien conscient que le Concile marque une rupture qui pour lui reste purement apparente :

«Le Concile Vatican II, avec la nouvelle définition de la relation entre la foi de l'Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité ou également corrigé certaines décisions historiques, mais dans cette apparente discontinuité, il a en revanche maintenu et approfondi sa nature intime et sa véritable identité.»

Le pape Benoît XVI reste très attaché à l'aspect traditionnel de l'Église, surtout dans son aspect liturgique et extérieur, et pense même que c'est essentiel afin que l'Église opère les mutations doctrinales d'adaptation au monde moderne. D'une façon imagée, il voudrait que le Concile change le contenu tout en conservant l'aspect du contenant : la rupture dans la continuité. C'est ce qui ressort par exemple du livre du Cardinal Razinger «Les principes de la théologie catholique» :

«De tous les textes du IIe Concile du Vatican, la constitution pastorale «sur l'Église dans le monde de ce temps» (Gaudium et spes) a été incontestablement le plus difficile et aussi, à côté de la constitution sur la liturgie et du décret sur l'œcuménisme, le pus riche en conséquences. Par sa forme et la direction de ses déclarations, il s'écarte dans une large mesure de la ligne de l'histoire des conciles et permet, par le fait même, plus que tous les autres textes, de percevoir la physionomie spéciale du dernier Concile. C'est pourquoi il a été considéré de plus en plus après le Concile comme le véritable testament de celui-ci...

[...]

Si l'on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu'il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus. Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus de Pie IX tout simplement comme un défi à son siècle; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il a tracé une ligne de Séparation devant les forces déterminantes du XIXe siècle: les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme.

[...]

Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l'Église avec le monde tel qu'il était devenu depuis 1789...»

Il y a là un désaccord profond sur la nature de la Tradition, qui touche à la conception même du magistère et donc de la nature et de la mission de l'Église.

Les fruits de 40 années d'une «tradition» conciliaire

Ce mot honni de «tradition» que le pape ne craint pas mais que les évêques dans leur grande majorité ont voulu opposer à la modernité en l'assimilant à une conception passéiste et sclérosée du magistère et de la liturgie est aujourd'hui l'objet d'une attention toute particulière.

Cela prête presque à rire de voir ces épiscopes des plus progressistes que les erreurs modernes aient engendré tenter de sauver leurs délires révolutionnaires en les revendiquant de la tradition de l'Église. L'exemple de Mgr Claude Dagens, Evêque d'Angoulême, qui ne passe pourtant pas pour être des plus progressistes, est très éclairant :

«Il me paraît impossible de revisiter le Concile ou de distinguer ce qui serait conforme ou non à la Tradition. Le Concile forme un tout cohérent. Il n'a pas été une trahison de la Tradition. On ne peut pas céder à sa révision. Si cet acte de réconciliation nous oblige à relire le chemin parcouru depuis cinquante ans, nous le ferons avec fierté, et non pas en nous battant la coulpe.»

Ce même évêque qui s'est notamment rendu, entre autres scandales, le 15 novembre 2008 à la célébration du 250ème anniversaire de la franc-maçonnerie en Charente. Ce même évêque, membre de l'Académie Française qui n'a pas émit la moindre réserve devant l'élection de l'avorteuse Simone Veil à la même institution. Est-ce là sa conception de la tradition, est-ce là tout simplement sa façon d'être catholique ?

On connaît les accointances de certains prélats avec la Franc-maçonnerie. Elle n'étonne plus depuis bien longtemps. Ce qui étonne beaucoup plus est le silence pesant d'une grande majorité de l'épiscopat devant le génocide de l'avortement. Où est la conception de la tradition des 99 évêques français qui n'ont pas soutenus la marche pour la vie ?

Le pape Benoît XVI, tout en restant fidèle à sa conception de l'herméneutique de la continuité ne s'y est pas trompé :

«Cependant, à certains de ceux qui se proclament comme de grands défenseurs du Concile, il doit aussi être rappelé que Vatican II renferme l'entière histoire doctrinale de l'Église. Celui qui veut obéir au Concile, doit accepter la foi professée au cours des siècles et il ne peut couper les racines dont l'arbre vit.»

Le schisme est consommé

Inutile de réécrire ce qui l'est déjà . Changeons de pays afin de varier les exemples. Reprenons le communiqué de l'abbé Franz Schmidberger, supérieur du district d'Allemagne de la FSSPX :

«5. Les évêques exigent de la part de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X la reconnaissance de l'autorité du Pape, bien que la FSSPX n'ait jamais mis en doute cette autorité. Cela indique que les évêques n'ont pas débattu substantiellement sur les positions de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, ni ne veulent ce débat.

6. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X constate au contraire un refus subconscient de l'autorité du Pape au sein de l'épiscopat allemand. Le comportement de ce dernier à l'égard des toutes dernières publications du Pape le prouve :

a) Le souhait du pape de corriger les mauvaises traductions des paroles de la consécration a été, à ce jour, ignoré des évêques allemands.

b) Le Motu Proprio pour la libéralisation de la messe ancienne est traité par certains évêques de façon tellement restrictive qu'il a dà» rester presque sans effet.

c) Les intentions du Vendredi Saint du Pape ont été elles aussi faussement dénoncées par certains théologiens d'Allemagne comme «antisémites».

d) En Allemagne, la position claire du Pape concernant la notion d'Église attribuée au sein des communautés protestantes s'est majoritairement heurtée à l'incompréhension.

e) Malgré plusieurs rappels, les évêques allemands n'ont pas retiré la Déclaration de Kà¶nigstein qui rend inefficace l'Encyclique "Humanae vitae" de Paul VI.

f) Enfin, la déclaration "Dominus Jesus" a elle aussi été vivement critiquée justement par les théologiens allemands parce qu'elle signifie que l'unique chemin de salut est l'Église.

7. Considérant ces faits, nous voyons que certains évêques refusent le chemin indiqué par le Pape, chemin de la clarté et de la réconciliation. Ils veulent évidemment l'abandon complet de tous les points de vue conservateurs au sein de l'Église. Cette opposition contre le Pape ne s'exprime pas encore ouvertement, mais elle existe depuis longtemps de façon sous-jacente dans de nombreuses manifestations.»

Ce n'est que l'illustration du fait que la grande majorité des évêques, et notamment des pays occidentaux, cela même qui utilisent la «communion» qui, prétendent-ils, les unirait au siège apostolique, n'accordent aucune importance aux désirs du pape et au bien de l'Église.

Dans le triste constat dressé par monsieur l'abbé Franz Schmidberger, il est intéressant et dramatique de constater que les évêques vont à l'encontre du pape et de l'Église en trois endroits :
- en matière de doctrine
- en matière de loi
- en matière politique

Il n'est pas possible dans un cas comme celui-ci de parler même de «communion imparfaite », car de communion, il n'y a pas du tout.

Une révolution sans engeance

L'échec de l' «aggiornamento» est aujourd'hui patent. Et les faits sont têtus. Ce n'est pas Mgr Hyppolite Simon, archevêque de Clermont-Ferrand, qui interdit à ses prêtres d'accompagner les défunts au cimetière pour l'absoute sous prétexte que les Chrétiens doivent apprendre à se débrouiller tout seul, qui le niera. Ni même Mgr Rouet, repris par Pèlerin Info :

«L'archevêque de Poitiers, Mgr Albert Rouet, teste une nouvelle voie dans son diocèse. Des «communautés locales» de laïcs y prennent en charge toute l'intendance, des finances à l'animation liturgique, afin de permettre aux prêtres de se recentrer sur le cœur de leur ministère : assurer le lien entre les communautés chrétiennes et leur apporter la parole de Dieu. Soit un véritable retour aux premiers siècles du christianisme, pour une Église qui n'a plus les moyens, désormais, de fonctionner comme un service public dans chaque village.»

Certes si l'Europe parait plus sinistrée que le reste du monde, au moins au niveau des statistiques, cela n'empêche pas le pape Benoît XVI de crier son inquiétude :

«à notre époque où dans de vastes régions de la terre la foi risque de s'éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s'alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d'ouvrir aux hommes l'accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l'amour poussé jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1) - en Jésus Christ crucifié et ressuscité. En ce moment de notre histoire, le vrai problème est que Dieu disparaît de l'horizon des hommes et que tandis que s'éteint la lumière provenant de Dieu, l'humanité manque d'orientation, et les effets destructeurs s'en manifestent toujours plus en son sein.»

Le constat est là : la Foi s'éteint, car elle ne trouve plus à s'alimenter. L'aliment de la Foi ce sont les sacrements, distribués par les prêtres ordonnés pour le sacrifice source de toutes grâces, dans un rite qui exprime la Vérité et la Force qui se déversent par ce moyen dans le cœur de l'homme. Et sans une Foi nourrie par une doctrine sûre, le don à Dieu dans le sacerdoce disparaît. Et sans prêtre, plus de sacrement, et sans sacrements, plus de chrétien.

Le schisme sans danger de conséquence

Face à une frange progressiste qui appelle de ses vœux une Église sans prêtres, qui ne respecte ni la doctrine, ni la discipline et ni la politique de l'Église Catholique, dont les fruits sont la destruction complète de la foi et de la culture chrétienne, et qui refuse de remettre en question son idéologie que tous constatent mortifère, le schisme de cette frange n'est pas une menace mais une chance, et ne représente aucune conséquence dommageable bien au contraire.

Les hommes qui refusent le sens de l'histoire sont voués à l'oubli ou au mépris. Et le sens de l'histoire montre à l'Église qu'il faut qu'elle renoue avec sa Tradition, doctrinale et liturgique. Le pape marche dans cette direction. Les chiffres montrent cette évidence. Aujourd'hui, en France, alors que l'ancienne messe avait été déclarée interdite par l'épiscopat français et même mondial, un prêtre sur quatre est ordonné pour le rite tridentin. Les pays où les réformes conciliaires ont été appliquées avec le plus de dureté sont ceux dont la déchristianisation est maintenant achevée.

Qu'importe la «communion» des destructeurs du sacerdoce, ces loups déguisés en brebis qui hurlent avec les hordes infernales. Ils refusent l'évidence des faits, ils refusent la doctrine de l'Église. Si le schisme n'est pas prononcé il n'en est pas moins effectif. Il serait bon maintenant, afin d'éclairer les âmes dans cette tempête déchaînée, que ceux-ci soient dénoncés et fermement condamnés.

«Les docteurs d'impiété. Aversion et mépris : voilà ce qu'ils méritent. Ce sont ou bien des ignorants qui s'attachent à la religion sans la connaître et qui se gardent bien d'en étudier les preuves ; ou bien des menteurs qui affichent des convictions qu'ils n'ont pas, car il est impossible à un homme d'être convaincu que la religion est fausse ; ou bien des cœurs gâtés qui blasphèment la religion uniquement parce qu'elle gêne leurs vices. Ignorants, menteurs, impudiques ou voleurs : parmi ceux qui attaquent habituellement la religion, il n'y en a pas un qui ne rentre dans l'une ou l'autre de ces quatre catégories. [...] Fermez-leur impitoyablement votre porte ; à l'occasion, imposez-leur silence, surtout quand vos enfants sont là .» Saint Alphonse de Liguori

Cette Église conciliaire qui masque le visage de l'Epouse virginale du Christ doit mourir. La Vérité doit être proclamée et l'erreur condamnée. Et malgré le déchaînement des puissances infernales, l'Église resplendira de nouveau, pour le salut des hommes, car «les portes l'enfer ne prévaudront pas contre elle» (Mt 16, 18).

Austremoine

[Christus Imperat] Requiem pour l'aggiornamento

SOURCE - Côme Prévigny -30 mars 2009

Souvenons-nous. C'était il y a un peu moins de cinquante ans. En ouvrant le concile Vatican II devant les deux mille cinq cents évêques réunis dans la basilique Saint-Pierre, le pape Jean XXIII prédisait «une aurore resplendissante qui se lève sur l'Église». Appelant les Catholiques à en ouvrir bien grand les fenêtres pour qu'un air frais vienne ragaillardir le peuple chrétien, il semblait déjà le subodorer de manière résolument optimiste : «Tout ici respire la sainteté et porte à la joie» disait-il. Cette joie, cette lumière, cette senteur nouvelle, ce sont autant d'images qui figurent l'union entre l'Église et le monde, également résumée dans le maître mot du pape Roncalli : l'aggiornamento, c'est-à -dire la mise à jour de l'Église aux temps nouveaux. En inaugurant la deuxième session de Vatican II, «fenêtre ouverte sur le Monde», son successeur Paul VI accentua l'ouverture d'un Concile qui devait «travailler à jeter un pont vers le monde contemporain» pour le réconcilier avec l'Église. Il défiait ainsi le pape Pie IX qui condamnait en 1864 ceux qui estimaient que le pontife romain pouvait et devait se réconcilier avec la civilisation moderne.

Un demi-siècle a passé et la lumière s'est estompée, les rangs se sont clairsemés, les bonnes odeurs se sont comme évanouies et les piles du pont qui devait relier la papauté au monde moderne n'ont finalement pas été posées. Pire, leurs quelques fondations semblent inexorablement s'écrouler. Entre déclaration tronquée et lynchage médiatique, l'actualité récente a même montré que, dès que l'Église sortait d'un silence qui le confortait, c'est ce même monde qui s'ingéniait résolument à détruire toute tentative d'alliance. Alors que Rome proposait il y a cinquante ans une réconciliation, la civilisation moderne lui répond aujourd'hui par un net refus. Pire, elle couvre le successeur des Apôtres de quolibets. Elle en fait son premier ennemi. Dès lors, entre la papauté et le monde coule ce flot de la désunion sur lequel dérive l'épave de l'aggiornamento tandis que retentit soudainement cette parole de l'Ecriture : «Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier repose sur le mauvais». De part et d'autre, le Christ appelle les hommes pour leur rappeler à nouveau : «Qui n'est pas avec moi est contre moi et qui n'amasse pas avec moi dissipe».

Côme Prévigny

23 mars 2009

[Paix Liturgique] Paul Claudel serait-il le père de l'expression "liturgie traditionnelle" et le grand-père de "Paix Liturgique"?

SOURCE - Lettre de Paix Liturgique n°170 - 23 mars 2009

Quelques semaines avant sa mort, l’écrivain Paul Claudel signait un article intitulé « La messe à l’envers » dans le Figaro littéraire. Plus de cinquante ans après, ce texte prophétique de l’académicien n’a pas pris une ride.

La messe à l’envers

Je voudrais protester de toutes mes forces contre l’usage qui se répand en France de plus en plus de dire la messe face au public.

Le principe même de la religion est que Dieu est premier et que le bien de l’homme n’est qu’une conséquence de la reconnaissance et de l’application dans la vie pratique de ce dogme primordial.

La messe est l’hommage par excellence que nous rendons à Dieu dans le sacrifice que le prêtre Lui fait en notre nom sur l’autel de Son Fils. C’est nous derrière le prêtre et ne faisant qu’un avec lui qui allons vers Dieu pour lui offrir hostias et preces. Ce n’est pas Dieu qui vient se proposer à nous comme à un public indifférent pour nous rendre témoins à notre plus grande commodité du mystère qui va s’accomplir.

La liturgie nouvelle dépouille le peuple chrétien de sa dignité et de son droit. Ce n’est plus lui qui dit la messe avec le prêtre, qui la « suit », comme on dit très justement, et vers qui le prêtre se retourne de temps à autre pour s’assurer de sa présence, de sa participation et de sa coopération, dans l’œuvre dont il s’est chargé en notre nom. Il n’y a plus là qu’une assistance curieuse qui le regarde travailler de son métier. Les impies ont beau jeu de la comparer à un prestidigitateur qui exécute son numéro au milieu d’un cercle poliment émerveillé.

Il est bien certain qu’avec la liturgie traditionnelle une grande partie touchante, émouvante, du Saint Sacrifice échappe au regard des fidèles. Elle n’échappe pas à leur cœur et à leur foi. Cela est si vrai que pendant tout l’Offertoire, au cours des grand-messes solennelles, le sous-diacre au pied de l’autel se voile le visage de la main gauche. Nous aussi, nous sommes invités alors à prier, à rentrer en nous-mêmes, et non pas à la curiosité, mais au recueillement.

Dans tous les rites orientaux le miracle de la transsubstantiation s’accomplit hors de la vue des fidèles, derrière l’iconostase. Ce n’est qu’ensuite que l’Officiant apparaît sur le seuil de la Porte sacrée, le corps et le sang du Christ entre les mains.

Un reste de cette idée s’est perpétué longtemps en France, où les vieux eucologes ne traduisaient pas les prières du canon. Dom Guéranger a protesté avec énergie contre les téméraires qui enfreignaient cette réserve.
Le déplorable usage actuel a complètement bouleversé l’antique cérémonial au plus grand trouble des fidèles. Il n’y a plus d’autel. Où est-il, ce bloc consacré auquel l’Apocalypse compare le corps même du Christ ? Il n’y a plus qu’un vague tréteau recouvert d’une nappe qui rappelle douloureusement l’établi calviniste.

Naturellement, la commodité des fidèles étant posée en principe, il a fallu débarrasser autant que possible ladite table des « accessoires » qui l’encombraient : rien de moins, non seulement que les flambeaux et les vases de fleurs, mais le tabernacle ! Mais le crucifix lui-même ! Le prêtre dit sa messe dans le vide ! Quand il invite le peuple à élever son cœur et ses yeux … vers quoi ? il n’y a plus rien au-dessus de nous pour servir de frontispice au soleil levant !

Si on maintient les flambeaux et le crucifix, le peuple est encore plus exclu que dans l’ancienne liturgie, car alors non seulement la cérémonie, mais le prêtre lui est tout entier dissimulé.

Je me résignerais, avec un immense chagrin, puisque, parait-il, on ne peut plus demander à la foule aucun effort spirituel et qu’il est indispensable de lui fourrer dans la figure les mystères les plus augustes, à voir la messe réduite à la Cène primitive, mais alors c’est tout le rituel qu’il faut changer. Que veulent dire ces : Dominus vobiscum, ces Orate frates, d’un prêtre séparé de son peuple et qui n’a rien à lui demander ? Que signifient ces vêtements somptueux des ambassadeurs que nous déléguons, la croix sur les épaules, du côté de la Divinité ?

Et nos églises mêmes, est-ce qu’il y a à les laisser telles quelles ?

23 janvier 1955
Paul Claudel
De l’Académie française.

LES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1/ Ce texte de Paul Claudel, poète élu à l’Académie Française en 1946, n’est pas l’œuvre de n’importe qui. Ce n’est pas le délire d’un « marginal », ni le cri d’un « nostalgique obscur » ni encore la lamentation d’un « ignorant aigri ».
Ce n’est pas nouveau, l’attachement à la grande tradition de l'Église n’est pas le fait d’une minorité ignare à laquelle trop d’ennemis de la paix aimeraient voir réduits les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l'Église.

2/ Ces mots que le grand Claudel prononçait plus de 10 ans avant même la réforme liturgique issue de Vatican II sont en quelque sorte prophétiques. En effet, en s’élevant ainsi contre la perte du sens du sacré, en faveur de la liturgie traditionnelle, contre la vulgarisation des rites, Claudel portait un diagnostic juste sur les dérives dont il était témoin déjà avant le Concile. Plus de cinquante ans après l’analyse de Claudel, force est de reconnaître que les faits lui ont donné plus que raison.

3/ Il est de bon ton dans l'Église de France de répéter de manière incantatoire « qu’il n’y a pas de problème liturgique ». La provocation de Monseigneur Le Gall (archevêque de Toulouse) dans les colonnes de La Croix en date du 13 octobre 2006, « En France, nous avons fait un grand travail de formation en matière de liturgie. Et même s’il reste encore beaucoup à faire, nous n’en sommes plus aux errements des années 1970 ! Je pense que notre pays, plus que d’autres, a trouvé un équilibre en la matière », aussi énorme soit-elle, est pourtant encore révélatrice de l’aveuglement et de l’idéologie qui continuent de sévir dans les plus hautes sphères de l'Église de France. Ceci, contre toutes évidences depuis plus de cinquante ans…

[Lucie Martin - Riposte Laïque] L’intégrisme catholique ou la dé-intégration d’une communauté

SOURCE - Lucie Martin - Riposte Laïque - 23 mars 2009

Beaucoup de militants laïques, à juste titre, surveillent de très près l’intégrisme islamique. Mais il ne faut pas oublier, au prétexte qu’il est moins visible, l’intégrisme catholique qui risque de poser des problèmes majeurs dans quelques années, ne serait-ce que parce qu’il pourrait bien s’allier avec l’islam radical.

Très actif en France, l’intégrisme catholique se répand sournoisement à tel point que la télévision suédoise, pays où les catholiques sont moins de 5 %, s’alarme d’un processus de conversion à l’intégrisme catholique de jeunes suédois issus de milieux athées. On estime à 120.000 le nombre d’intégristes en France, mais leur part dans les catholiques pratiquants a été multipliée par 20 en 40 ans, passant de 0,5 % à 10 %.

Les intégristes catholiques ont calqué leurs nouvelles méthodes sur celle des musulmans et on assiste à un processus de « dé-intégration » inverse de celui des communautés immigrées. Alors que la « première génération » des intégristes catholiques (1970) était tellement intégrée dans la société qu’elle recrutait essentiellement dans la grande bourgeoisie, la « troisième génération » a plus de points communs avec les milieux islamistes qu’avec le reste de la population française dont on se demande s’ils en font encore partie !
Voici quelques points communs entre les deux intégrismes, le vert et le noir :

1 – Fort taux de natalité : les intégristes catholiques ont une natalité explosive, en augmentation continuelle, qui dépasse même celle des musulmans et des Africains ! Selon un reportage paru dans 20 minutes, elle est de 7 enfants par femme, alors que leur natalité était à peine supérieure à celle des Français en 1970 (3 enfants par femmes). Ces milieux sont donc constitués en majorité de jeunes, donc qui n’est pas prête de s’éteindre. Un jour viendra où ils seront majoritaires chez les catholiques, ce qui explique que Benoît XVI cède à toutes leurs demandes.

2 – Milieux fermés : en ce domaine, la troisième génération des intégristes catholiques a tourné le dos aux précédentes en appliquant un schéma d’immigré de première génération. Comme les intégristes musulmans vont souvent chercher femme ou mari en Turquie ou en Afrique du Nord, les intégristes catholiques se marient désormais exclusivement entre eux. Ils appellent même « mariages mixtes » les unions conjugales avec des Français. Une étude faite dans une paroisse du centre de la France a montré que tous les « couples mixtes » de la deuxième génération avaient cassé, généralement à cause de la différence grandissante du style de vie et de désaccords dans l’éducation des enfants. Les rares personnes épousant des intégristes catholiques sans en être sont « travaillés au corps » pour qu’ils se convertissent, ce qui est souvent le cas.

3 – Pauvreté et « exclusion » : Alors qu’ils étaient essentiellement bourgeois et électeurs de la droite conservatrice, les milieux intégristes catholiques se sont paupérisés dans ces 10-15 dernières années, ce qui n’est pas sans incidences sur le plan politique et sociologique. Cette paupérisation est due à deux facteurs : le premier, au fait qu’ils ont de plus en plus d’enfants à élever avec un seul salaire ; le second est que, dans l’ensemble, la « troisième génération » bien que plus diplômée que les précédentes, connaît une certaine difficulté d’insertion professionnelle, ce n’est plus une ascension mais une chute sociale. Ce qui implique salaire plus bas. Il y a aussi le cas des « convertis », ces gens devenus intégristes, généralement arrivés par le biais des partis d’extrême droite et dont le profil est assez typé : milieu populaire, diplômé et sans situation (ou situation en décalage avec les diplômes) trouvant dans la religion intégriste une « famille » voire une « patrie » de substitution.
Cette pauvreté peut avoir un impact électoral certain : perte de voix pour la droite réactionnaire qui pourrait se transférer sur la gauche (de nombreuses familles intégristes ne vivent que grâce aux allocations familiales, la gauche les augmentant plus souvent et la droite étant à leur yeux aussi favorable que la gauche à l’avortement et à la « décadence des mœurs », ils pourraient voter socialiste plutôt qu’UMP au 2e tour), abstention massive faute de candidat les intéressants (le FN en général et Marine Le Pen en particulier sont totalement discrédités dans ces milieux) et possible récupération par des mouvements de nature fascistes.

4 – Autarcie culturelle : Comme chez les intégristes musulmans, les intégristes catholiques vivent dans une autarcie culturelle totale : ils ont leurs journaux, leurs livres, leurs maisons d’édition, leur radio, leurs sites Internet et refusent tout apport extérieur. Même chose pour les écoles avec un réseau d’établissements hors-contrat et une université qui fait qu’un enfant intégriste catholique peut ne jamais côtoyer un autre enfant. Les intégristes n’ont pas la télévision (ils s’en sentent exclus), ne vont jamais au cinéma (sauf pour le film de Mel Gibson La Passion) jugé hostile à leurs « valeurs », n’ont pas Internet à domicile, bref, censurent et excluent tout vecteur culturel ne faisant pas de place à leur « culture » selon ce raisonnement : « pas de livres de mon bord à la bibliothèque, la bibliothèque ne veut pas de moi, je n’y vais pas… ». Un jeune intégriste bachelier est ainsi totalement déconnecté de la société : il connaîtra certes par cœur Racine ou Molière, mais pas un seul écrivain connu après 1940, pas une seule référence culturelle commune…

5 – Hostilité au « pays d’accueil » : La troisième génération d’intégristes catholique a tourné le dos avec l’esprit cocardier de leurs parents qui militaient souvent au FN. La France, ils la détestent, comme les petits musulmans fanatiques des banlieues. Leurs modèles : tous ceux qui ont trahis la France : les Vendéens réactionnaires de 1793, les collabos de 1944 (il suffit de voire que le modèle de la jeune génération n’est plus Vichy et Maurras mais le général nazi Degrelle), les terroristes de l’OAS… Ils se sont rapprochés des mouvements régionalistes comme Bloc Identitaire et rêvent même d’un état indépendant appelé Tradiland. La jeune génération admire la Russie de Poutine, l’Iran, est viscéralement hostile aux USA et à Israël, et prône l’alliance avec l’Islam contre la société française dégénérée. On voit même ça et là la défense de l’Islam radical sur les sites Internet intégristes. Le problème est que les deux intégrismes infiltrent l’armée…

6 – Solutions ? : Une politique active contre l’intégrisme catholique et pour la défense de la laïcité doit se développer en trois axes pour un but final : empêcher tout basculement dans l’action directe et toute alliance avec l’Islam.
- Premier point : savoir ne pas aller trop loin. Tout ce qui pourrait passer pour des « persécutions », notamment des fermetures d’écoles ou des condamnations de leurs « intellectuels » ou de leur « clergé » pour des délits d’opinion est à proscrire ou du moins à modérer. La forte solidarité de ce milieu fait que les dégâts seraient plus nombreux que les avantages. Saint-Nicolas-du-Chardonnet est l’exemple d’une gestion intelligente : les intégristes sont regroupés en une église, facile à surveiller. Les en exclure, outre le fait que cela ne sera pas sans morts, risque de les faire basculer dans une révolte désespérée, que l’on écrasera, certes, mais à quel prix…
- Second point, lien direct du premier : s’arranger pour qu’ils aient toujours quelque chose à perdre et également pour qu’ils ne puissent pas se présenter comme des « exclus ». Leur donner quelques églises de village pour qu’ils évacuent leurs chapelles en villes construites généralement à partir de lieux non prévus pour cela et qui leur donne un côté « exclus » dont ils tirent profit. De plus, la réfection et l’entretien de ces églises de village écornera sérieusement leurs réserves financières, qui ne seront plus utilisées à l’expansion. Même chose pour les aides genre RMI qui doivent être utilement. Qu’est ce qui est le plus profitable à la société ? Avoir des élites intégristes infiltrées dans la société ou – par un habile panachage de RMI, d’allocations familiales et d’aides sociales – les en maintenir en dehors avec juste ce qu’il faut pour qu’ils vivotent et ainsi les « neutraliser » ?
- Troisième point : donner habilement par des concessions sans intérêts l’impression qu’ils font partie de la communauté nationale, en donnant par exemple aux mères de familles intégristes catholiques des « médailles des familles nombreuses » (dont, apparemment, elles sont privées pour des raisons inconnues), histoire de leur dire « mais si vous êtes Français ». Ça ne mange pas de pain et ça désamorce. Même chose pour toutes leurs composantes : un prix littéraire de 4e zone pour un de leurs « écrivains », une ou deux nominations au Conseil Economique et Social… Cela pour éviter qu’ils ne se rapprochent des musulmans intégristes en leur fournissant les cadres qui leurs manquent, ce qui serait grave pour la survie de la République. Si on les humilie sans relâche, ils nous le feront payer par pure vengeance. A méditer. 

Lucie Martin

21 mars 2009

[Famille Chrétienne] Mgr Jean-Pierre Ricard : "Maintenant, c’est aux lefebvristes d’avancer"

SOURCE - 21 mars 2009

Le cardinal Jean-Pierre Ricard, qui accueille dans son diocèse de Bordeaux l’Institut du Bon-Pasteur (issu de la Fraternité Saint-Pie-X), réagit à la lettre de Benoît XVI avec espérance et réalisme.
Comment recevez-vous la lettre du Saint-Père ?

Je suis frappé par le ton très personnel du pape. On sent combien celui-ci a été atteint, blessé, par les réactions très vives qui se sont manifestées lors de la levée de l’excommunication.

Ce qui l’a touché au plus profond, c’est le double procès d’intention que certains lui ont fait : premièrement, de remettre en question le dialogue juifs-catholiques par la levée de l’excommunication d’un évêque négationniste. Deuxièmement, de "brader" le Concile.

Dans cette lettre, le pape veut répondre à ces critiques qui lui paraissent injustes. Ensuite, il se veut solidaire de ses collaborateurs, il assume ses responsabilités, mais, en même temps, il reconnaît que du côté du Saint-Siège, il y a eu des ratés dans sa communication et dans son information.

Donnant un certain nombre de précisions sur le sens de la levée de l’excommunication, qui n’est pas la pleine réintégration, le pape souligne les difficultés qui sont à affronter, en particulier au niveau doctrinal. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’amènent à rattacher la commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui est chargée de suivre les questions doctrinales. La composition même de la Congrégation, qui regroupe des préfets de congrégations, des cardinaux et des évêques du monde entier, est beaucoup plus large que celle de la commission Ecclesia Dei.

Avez-vous été surpris ?

Ce qui m’a paru le plus fort dans la préoccupation du pape, c’est sa volonté de situer la démarche de réconciliation dans la perspective de l’évangélisation. C'est-à-dire de reprendre l’affirmation de saint Jean : "Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas", renvoyant ainsi à la parole du Christ qui dit : "C’est à ce signe de l’unité – de la communion fraternelle – qu’on verra que le Père m’a envoyé".

Les disciples du Christ ne peuvent pas être témoins d’un Dieu Père sans vivre une attitude fraternelle. Donc, quand il y a difficulté, rupture, il doit y avoir volonté de réconciliation. Et là, le pape unit ce qu’on aurait tendance à opposer : la réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie-X, la réconciliation avec les frères des Églises séparées, et aussi le travail de rencontre fraternelle avec les autres religions. Habituellement, on a l’impression qu’il faut choisir entre la réconciliation avec les frères de la Fraternité Saint-Pie-X ou bien l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Le pape lui-même explique que non, que c’est la même dynamique.

La polémique est donc close ?

C’était important que le pape ait pu donner ses raisons profondes ; je regrette un peu que ses collaborateurs proches n’aient pas pu dire ces choses avant, au moment où la décision a été prise et rendue publique. Cela aurait facilité la réflexion et l’accueil de la décision – même si l’affaire Williamson est venue brouiller profondément les choses.

Maintenant que Benoît XVI a redit les raisons profondes de sa décision, il nous faut entrer dans la compréhension de cette volonté du pape, et œuvrer à cette dynamique de réconciliation en vivant tout à la fois la charité fraternelle et le service humble et clair de la vérité.

Est-ce que les évêques de France sont confortés par ces exigences du pape ?

Il est bon que le pape ait apporté quelques clarifications. Il a rappelé sa position par rapport au concile Vatican II qu’il voit comme une continuité, une reprise de la tradition précédente, et non pas comme une rupture avec tout ce qui le précéderait.

Dans cette perspective, lui-même pense que l’acceptation du Concile, du magistère de l’Église, et du magistère des papes qui l’ont précédé, est une condition sine qua non d’une pleine réconciliation. Il est assez clair sur cette question.

Moi-même, je n’en ai jamais douté dans la mesure où j’ai eu l’occasion de le fréquenter lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (j’en suis membre depuis 2002) et de parler avec lui. J’ai toujours senti chez lui une volonté de tendre une main fraternelle.

Il est conscient aussi qu’il y a dans la Fraternité Saint-Pie-X une réalité ecclésiale d’un certain poids avec plusieurs centaines de prêtres, des séminaires, et des œuvres d’Église. Il mise d’autre part sur un dynamisme apostolique présent chez certains de ces prêtres, et enfin sur une possibilité d’évolution dans l’avenir. Il n’enferme pas la Fraternité dans ses positions les plus dures – qu’elle peut encore exprimer aujourd’hui. Il a ce regard d’espérance.

Mais, en même temps, lui-même est au clair sur l’obéissance qui est due au Magistère et sur les points-clés du Concile, sur lesquels il ne transigera pas. Dès le départ, il a prévenu que l’œcuménisme et le dialogue inter-religieux étaient des tâches qu’il voulait poursuivre pendant son pontificat. Il ne les barrera pas d’un trait de plume.

Partagez-vous le regard d’espérance de Benoît XVI sur la possibilité d’une réconciliation avec les lefebvristes ?

Mon attitude de foi me fait l’espérer. Cela dit, je crois que le chemin risque d’être long, car je ne vois pas aujourd’hui, dans les déclarations de la Fraternité Saint-Pie-X, ce désir d’entrer vraiment dans un mouvement de conversion et de réconciliation fraternelle, en faisant comme un examen de conscience. Je sens beaucoup d’assurance et un discours qui dit : "Prenez-nous comme nous sommes, point à la ligne".

Si cette position devait se maintenir ainsi dans sa sécheresse et sa dureté, je ne vois pas comment le dialogue pourrait avancer. Dialoguer, c’est chercher ensemble la vérité, et accepter aussi qu’il y ait un déplacement. Si aucun déplacement n’est possible, n’est envisageable, le dialogue sera très difficile. Mais, j’espère que l’avenir démentira ces craintes et que le pire ne sera pas toujours le plus sûr.

Jean-Claude Bésida

[Le Nouvelliste] La mise au point de l’évêque de Sion sur ses relations avec Ecône

SOURCE - Le Nouvelliste - 21 mars 2009

Mgr Norbert Brunner, évêque de Sion et Mgr Joseph Roduit, Abbé de Saint-Maurice, ont fait une mise au point commune au sujet de la Fraternité Saint-Pie X (Ecône). Ils l’ont adressée, dans sa version française, “à tous les prêtres, diacres et agents pastoraux laïcs de la partie francophone du diocèse de Sion et du territoire abbatial de St-Maurice”. La voici in extenso:
“Chers Confrères, chers collaborateurs et collaboratrices en pastorale,

La levée de l’excommunication des évêques de la fraternité S. Pie X a eu un grand retentissement médiatique particulièrement en raison des déclarations inadmissibles de Mgr Williamson. Dans les divers communiqués parus dans la presse ou diffusés sur les ondes, il y a eu beaucoup de confusions et de fausses interprétations. Je tiens donc à vous donner quelques renseignements importants et surtout, à vous préciser les conséquences de la levée de l’excommunication. Par décret du 21 janvier 2009, le Préfet de la Congrégation pour les évêques, Giovanni Baptista Cardinal Re, en vertu des pouvoirs que lui a conférés le Saint Père, a levé l’excommunication des quatre évêques de la fraternité sacerdotale S. Pie X (cf. texte du décret en annexe). Le Saint Père a consenti à cette démarche, espérant que ce premier pas sera suivi très rapidement d’une réconciliation totale et que l’Eglise retrouve ainsi son unité. Le Saint Père a déjà fait d’autres pas dans la même direction par sa rencontre personnelle avec Mgr Bernard Fellay et la promulgation du Motu proprio « Summorum Pontificum ». La levée des sanctions liées à l’excommunication est un autre signe du Pape en direction de la Fraternité. Personnellement, je salue ces démarches du Saint Père en vue de rétablir la réconciliation et l’unité à l’intérieur de l’Eglise. Cependant, se pose la question des conditions fixées pour la levée de l’excommunication. Nous n’avons pas connaissance de tout le contenu de la lettre adressée par Mgr Bernard Fellay le 15 décembre 2008 au président de la Commission « Ecclesia Dei ». Il ne ressort pas des passages connus que les quatre évêques aient donné des signes de regrets et de repentance. (Or un tel signe est nécessaire selon l’enseignement de l’Eglise pour la remise d’une peine.) Le Pape a malgré tout donné satisfaction aux exigences que la Fraternité sacerdotale avait posées comme condition préalable à une reprise des discussions : réhabilitation de « l’ancien Rite » et levée de l’excommunication (excommunication dont ils ont d’ailleurs toujours contesté la validité). Pour nous, se pose la question des suites immédiates à donner à ce décret dans nos rapports avec les membres de la Fraternité d’Écône. Voici quelques remarques préliminaires à ce sujet. Premièrement, il faut retenir que la levée de l’excommunication, selon les paroles du Pape et de ses collaborateurs, est le début d’un chemin qui doit conduire à la réconciliation et à la complète unité. Tout dépend maintenant de la réponse de la Fraternité à la proposition du Pape. Une déclaration d’intention comme celle du 15 décembre 2008 (selon le contenu rendu public) ne suffira certainement pas. Elle doit, de la part de la Fraternité, être suivie de démarches concrètes dans le sens de l’acceptation de tous les enseignements du Concile et de la nouvelle liturgie. Deuxièmement, il faut garder à l’esprit que l’irrégularité des ordinations d’Écône (et donc de la « suspensio a divinis » des diacres et prêtres ordonnés – depuis les premières ordinations de 1976) reste en vigueur jusqu’à ce que le statut canonique de la Fraternité ait été fixé et qu’une entente ait été trouvée sur les questions litigieuses. Les évêques et les prêtres de la Fraternité ainsi que les adeptes de la fraternité d’Écône ne peuvent dès lors, maintenant comme auparavant, ni conférer ni recevoir licitement les sacrements. Cela signifie concrètement que nos églises et chapelles restent interdites aux prêtres et aux fidèles d’Écône et que les prêtres d’Écône ne peuvent recevoir la délégation pour la célébration d’un mariage. Toutes les autres interdictions prévues par l’Église à l’égard de la Fraternité Saint-Pie X restent en vigueur. En résumé, nous pouvons dire que rien n’a changé dans les relations avec les membres de la Fraternité sacerdotale. Cela ne doit cependant pas nous empêcher de prier pour sa réconciliation prochaine et entière avec l’Église ainsi que pour l’unité de l’Eglise. Avec mes vœux les meilleurs et mes salutations cordiales.”
Et cet extrait d’un texte sur le même sujet paru dans Le Nouvelliste d’aujourd’hui.

Nous avons demandé à Mgr Brunner ce qu’il voulait dire en écrivant «nos églises et chapelles restent interdites aux prêtres et aux fidèles d’Écône». Il nous a répondu:«Un évêque ou un prêtre de la Fraternité S. Pie X ne peut pas, quel que soit le lieu, exercer son ministère sacerdotal et tout particulièrement célébrer les sacrements d’une manière licite. Il ne peut donc bien évidemment pas non plus célébrer licitement dans les églises et chapelles du diocèse. La raison en est la suivante: malgré la levée de l’excommunication des quatre évêques, les évêques et prêtres de la Fraternité restent « suspensi a divinis», c’est-à-dire suspendus.» Et l’évêque de Sion ajoute: «Les fidèles n’ont pas le droit de participer aux célébrations des sacrements conférés par les évêques et les prêtres de la Fraternité S. Pie X (et cela indépendamment du lieu de la célébration) parce qu’ils n’ont pas le droit de participer à une célébration illicite. La participation à leurs célébrations est objectivement illicite parce qu’elles ne sont pas faites en communion totale avec l’Eglise et qu’elles sont sources de grave scandale et de division de la communauté ecclésiale.»

Et en sens inverse pour ce qui est de la participation éventuelle de traditionalistes valaisans aux offices célébrés par les prêtres «officiels» du diocèse dans nos églises paroissiales? Mgr Brunner nous a répondu: «Tous les fidèles unis à l’Eglise catholique peuvent participer aux célébrations dans nos églises à la condition d’accepter la totalité de la doctrine de l’Eglise et d’accepter comme valide la forme ordinaire de la célébration de la messe (et des autres sacrements). La forme ordinaire est, comme vous le savez, la forme introduite par le Pape Paul VI.»

19 mars 2009

[Jerôme Anciberro - Témoignage Chrétien] Flou stratégique au Vatican

SOURCE - Jerôme Anciberro - Témoignage Chrétien - 19 mars 2009

En écrivant aux évêques de son Église, Benoît XVI pensait sans doute apaiser le malaise grandissant chez les catholiques. Mais la stratégie d’autodéfense du Vatican semble bien floue et maladroite

Flou stratégique au Vatican   par Jerôme Anciberro

TC a retrouvé le brouillon de la lettre adressée par Benoît XVI aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre. Nos lecteurs mesureront tout le travail de réflexion et de réécriture qui ont été nécessaires pour aboutir à la version diffusée ensuite par les services du Vatican. Voici les premières lignes de ce document exclusif, traduit en français : « À tous mes frères en épiscopat : Je me suis planté. Je suis vraiment désolé. C’est moi le patron, j’assume tout le bazar. Merci à ceux qui m’ont aidé à comprendre mes erreurs. Avec l’aide de Dieu et de son peuple, je ferai mieux la prochaine fois. D’ailleurs, depuis le 24 janvier, je tape dans Google le nom des gens avant de signer le moindre document les concernant. C’est fou tout ce qu’on trouve sur le Net… » Trêve de plaisanterie. Joseph Ratzinger n’est pas Barack Obama. Le « Sorry, I screwed up » du président américain se traduirait mal en latin d’Église. Mea culpa sonnerait trop liturgique. Certains passages de la lettre du pape sont pourtant presque touchants, si l’on oublie que les services du Vatican sont censés être gérés par des professionnels. Ainsi ce désarmant aveu sur « les informations auxquelles on peut accéder par Internet » dont la consultation aurait pu éviter « l’incident fâcheux imprévisible » de l’affaire Williamson. Retenons bien ce mot : « imprévisible ». De nombreux commentateurs l’ont déjà fait remarquer : ou bien les services de la Curie ne savaient rien des idées de Mgr Williamson et, dans ce cas, il convient de se poser des questions sur la capacité de ces services à se tenir informés de la marche du monde autrement qu’à la lecture du Bollettino de la Salle de presse du Saint-Siège ; ou bien ces services étaient au courant, et l’on se demande bien comment ils ont pu décider de passer outre.

Prise de conscience

Le seul fait que le pape se soit senti obligé d’écrire et de rendre publique sa lettre du 10 mars à ses « confrères dans le ministère épiscopal » témoigne toutefois d’une prise de conscience intéressante de la crise qui secoue actuellement l’Église. Une crise qui n’a sans doute d’équivalent dans l’histoire contemporaine du catholicisme que celle qui avait suivi la publication de l’encyclique Humanae Vitae en 1968. Certaines mises au point appuyées méritent d’être notées. L’acceptation du dernier concile est clairement évoquée par le pape comme une affaire « doctrinale ». Cette précision met à mal l’argument volontiers utilisé par les traditionalistes selon lequel Vatican II ne serait qu’un concile « pastoral » (sous entendu : non-dogmatique – ce qui est formellement exact – et donc sans véritable valeur doctrinale – ce qui est en revanche très hardi). Si le pape explique à son habitude que « Vatican II renferme l’entière histoire doctrinale de l’Église », il le fait après avoir affirmé qu' « on ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 » et que « ceci doit être bien clair pour la Fraternité [Saint Pie X, NDLR] ». L’annonce du rattachement de la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi marque aussi la volonté d’en finir avec le flou entretenu jusqu’ici sur la nature des relations entre le Vatican et la Fraternité. Enfin, Benoît XVI mentionne explicitement les dialogues œcuménique et interreligieux comme des aspects fondamentaux de la « priorité suprême » qui consiste à « conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible ».

Argumentation rodée

On peut donc percevoir une légère évolution dans la rhétorique ratzingerienne. Pour autant, le ton général de la lettre décevra beaucoup de fidèles, très au-delà des cercles prétendument « contestataires ». Certes, le pape n’est pas tendre avec les intégristes – il évoque la « suffisance » et la « présomption » de certains d’entre eux –, mais le principal accent critique de son texte porte sans équivoque possible sur les catholiques qui ont osé émettre publiquement leurs doutes sur le style actuel de gouvernement de leur Église. L’argumentation est rodée : ceux qui critiquent les décisions prises à Rome, aussi évidemment catastrophiques soient-elles, sont des diviseurs et des intolérants. Encore une fois, on entendra des dignitaires catholiques répéter que « l’affaire est close » – le premier avait été le cardinal Bertone au début du mois de février… Et il ne faudra ni rire, ni pleurer.

[Luc Chatel - Témoignage Chrétien] Jours de colère

SOURCE - Luc Chatel - Témoignage Chrétien - 19 mars 2009

Les courriers reçus à la rédaction de Témoignage chrétien suffisent à mesurer la profondeur de la crise : à la colère s’ajoute la souffrance.

À la protestation suscitée par les propos de Mgr Williamson et Mgr Sobrinho succède le doute. Peut-on encore rester dans cette Église ? s’interrogent de nombreux catholiques. Certains décident de franchir le pas : en France mais aussi en Allemagne, en Italie, en Suisse. Par milliers ils demandent à être débaptisés. Devant une telle crise, la réponse de l’institution paraît bien timide. Bien sûr il y a eu la condamnation de Mgr Sobrinho par quelques évêques français. Certains ont exprimé leur compassion à l’égard de la jeune fille brésilienne qui s’est fait avorter. Des mots touchants, souvent. Mais pourquoi faut-il une crise pour que des évêques fassent parler leur cœur, pour qu’ils quittent un instant les terres froides du droit canonique, les frontières étroites de l’obéissance hiérarchique ? Les catholiques ont horreur du scandale. On préfère régler ses comptes à l’abri des pierres froides, dans les soupirs et les chuchotements.

Cette fois, la prudence ne suffit plus. La colère déborde. Elle vient après des années de retenue. Autant certains chrétiens, à TC notamment, n’ont pas hésité à dénoncer le courant de restauration théologique à l’œuvre depuis une vingtaine d’années au Vatican, et sa morale si loin du monde et de nos vies, autant la majorité des catholiques, animée d’un même malaise, avait choisi le silence, la confiance, l’espoir. Cette confiance est aujourd’hui trahie, et l’espoir épuisé. Derrière les propos de deux prélats sans cervelle et sans cœur, apparaît une théologie qui a perdu, elle aussi, du cœur. « Avant d’être une Morale, l’Évangile est une Bonne Nouvelle », a coutume de dire le théologien franciscain Arnaud Corbic. Ni Benoît XVI, ni les cardinaux, ni les évêques, dans leur immense majorité, n’ont fait le choix, ces dernières années, de porter la Bonne Nouvelle avant d’asséner leur morale. De clamer haut et fort le message d’amour, de compassion et de miséricorde de l’Évangile. L’Église ne sait plus parler au monde. La lettre du pape aux évêques, bien que sincère, est très loin du compte. À ces croyants désemparés, à ces fidèles attristés, les appels au calme et à l’unité ne suffisent plus. Il faut maintenant des actes. Le programme existe, il s’appelle Vatican II.

18 mars 2009

[Mgr Jean-Luc Bouilleret - la Vie] "la lettre du pape nous sera utile sur le terrain"

SOURCE - Mgr Bouilleret - propos recueillis par Joséphine Bataille - La Vie - 18 mars 2009

« Le pape a voulu expliquer sa démarche, et la clé en est avant tout spirituelle : il l’exprime en citant la Bible et la nécessité de se réconcilier avec « le frère qui à quelque chose contre toi ». Mais il a choisi de s'adresser à nous en frère évêque et non plus en chef, ce qui est très inhabituel, et plein de chaleur pour nous. Dans cette lettre c'est à la fois le cœur et la raison qui s’expriment. J’ai été particulièrement content de la recevoir parce que dans notre diocèse, nous sommes confrontés à un positionnement très fort des membres de la fraternité Saint Pie X. Mi janvier, ils ont envahi la cathédrale pour célébrer l’eucharistie ; ils rejettent l’argument que je leur oppose, selon lequel ils n’ont aucune légitimité sacramentelle. Que le pape ait écrit noir sur blanc que la Fraternité n’a pas de statut canonique et que ses ministre n’ont aucune légitimité pour les sacrements est donc un enjeu important pour nous sur le terrain. Par ailleurs il a redit aussi avec force, et avec toute son autorité pontificale, que le magistère de l’Eglise ne s’arrête pas en 1962, mais qu’il inclut le concile Vatican II, et donc qu’il n’y a pas d’écart entre le pape et le concile, quand tout le jeu de la Fraternité est précisément de jouer « le pape contre le concile » ; comme si on pouvait reconnaître le magistère du premier sans reconnaître celui du second. Le pape rappelle aussi qu’après le règlement de la question disciplinaire, on est entré dans la phase doctrinale, et il ne préjuge pas de son issue. Car l’unité a aussi ses conditions : elle ne peut se faire sans s’articuler avec la vérité. Il attend de la Fraternité qu’elle entre dans la communion plénière , et pour elle, c’est sa dernière chance de le faire. »

Jean Luc Bouilleret, évêque d’Amiens

[Nicolas Senèze - La Croix] La faute du cardinal Castrillon Hoyos

SOURCE - Nicolas Senèze - La Croix - 18 mars 2009

La semaine prochaine, le cardinal André Vingt-Trois emmènera à New-York une dizaine d’évêques et cardinaux (français, mais aussi un Ghanéen et un Coréen) à la rencontre de la communauté juive orthodoxe. Ils visiteront notamment l’Holocauste Museum et le Jewish Heritage Museum. Peut-être le cardinal Dario Castrillon Hoyos devrait-il réserver une place pour ce voyage…

Dans un entretien au quotidien colombien El Tiempo, celui qui est encore pour un temps président de la commission pontificale Ecclesia Dei (en charge du dialogue avec les lefebvristes) explique en effet que, s’il avait eu connaissance des propos négationnistes de Mgr Williamson, il n’aurait pas demandé pour autant sa rétractation avant la levée de l’excommunication.

« C’est un problème historique et non moral », affirme en effet le cardinal colombien.

Sur le fond, ce canoniste, qui s’est spécialisé en sociologie religieuse, en économie politique et en éthique économique, a parfaitement raison : l’excommunication des quatre évêques intégristes avait été prononcée en raison de leur ordination épiscopale illicite par Mgr Lefebvre. Et non en raison des opinions négationnistes de l’un d’eux.

Mais par ses propos, le cardinal Castrillon Hoyos confirme les craintes que le Dr Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France, exprimait le 2 mars à La Croix : certains, au Vatican, auraient estimé les positions de Mgr Williamson sur la Shoah secondaires par rapport au retour des brebis égarées.

« Il me semble que, confrontés à la question de savoir s’il fallait tout faire pour éviter un nouveau schisme ou s’en tenir à l’esprit de Vatican II (notamment dans les rapports avec les juifs), certains, au Vatican, ont choisi la première solution », regrettait cet ami sincère de l’Église catholique.

Et de rappeler le véritable problème moral du négationnisme : « Nier la Shoah est un mensonge et une perversion de la morale. (…) Car les propos de Mgr Williamson sont la dénégation complète de ce qui nous est commun, juifs et catholiques : la dignité humaine ».

En Europe, l’Église catholique a pris à bras le corps la question de la Shoah. À la suite de Jean XXIII, de Paul VI, de Jean-Paul II, les responsables catholiques, et une bonne partie des fidèles, ont compris combien l’antijudaïsme chrétien a, pendant des siècles, servi de ferment à l’antisémitisme. À travers ses nombreuses visites aux synagogues de Cologne, New-York ou Washington, Benoît XVI a lui aussi été sans ambiguïté sur ce sujet. Et personne ne peut douter qu’il ait ignoré les positions de Mgr Williamson.

Mais peut-être que dans d’autres Églises, au-delà de l’Europe, un travail est encore nécessaire sur la Shoah. Peut-être, par exemple que le Colombien Castrillon Hoyos n’a pas bien perçu l’importance de ce qui s’est passé en Europe dans les années 1930-1940.

Du coup, cet homme attaché au dialogue (il s’était fait connaître en Colombie pour ses ouvertures vis-à-vis des Farc), soucieux que les catholiques traditionalistes n’apparaissent pas « comme des fidèles de seconde zone », a pu penser que ce qui lui apparaissait comme une question plus politique ou historique pouvait être minoré. Erreur de jugement ? Sans aucun doute.

En avril 2002, le cardinal Castrillon Hoyos rappelait dans une lettre à Mgr Fellay le déjeuner auquel il avait invité ce dernier et Mgr Williamson. Une « rencontre avec des frères évêques » qui « se voulait un geste d’amour fraternel, l’occasion d’une connaissance réciproque » et au cours laquelle « nous n’avons traité d’aucun sujet de fond ».

Connaissant la grande courtoisie de Mgr Fellay, la culture de Mgr Williamson (qui, sur son blog, disserte à plaisir de Mozart et Beethoven), on imagine sans peine l’ambiance cordiale du déjeuner…

Au point que le cardinal Castrillon Hoyos n’ait pas cherché à plus se renseigner sur l’évêque anglais qui avait, pourtant, déjà tenu des propos négationnistes ou antisémites ? Le cardinal affirme en tous les cas qu’il ne connaissait rien du sulfureux personnage.

Une telle ignorance de la part de celui que les papes ont délégué depuis 2000 pour gérer le dossier intégriste ne pourrait être qu’une erreur si elle était involontaire.

Mais le cardinal Castrillon Hoyos affirme aussi avoir volontairement éludé la question. « Il ne s’agissait pas d’étudier la vie de ces évêques, explique-t-il à El Tiempo. L’unique chose qu’il fallait savoir (à propos de Mgr Williamson) est qu’il a été ordonné par Mgr Lefebvre sans autorisation. »

Faire ainsi du négationnisme de Mgr Williamson une question secondaire est plus qu’une erreur : c’est une faute.

Nicolas Senèze