31 mars 2009

[Yves Chiron - Aletheia] Monseigneur Lefebvre en attente de réhabilitation

SOURCE - Yves Chiron - Aletheia n°139 - 31 mars 2009

Lors de l’annonce, en janvier dernier, de la levée de l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X, certains fidèles et certains commentateurs se demandaient si la décision s’appliquait aussi aux deux évêques qui les avaient sacrés, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. L’abbé Laguérie, fondateur de l’Institut du Bon Pasteur, a écrit et répété en chaire que le cardinal Thiandoum, venu à Écône saluer la dépouille mortelle de Mgr Lefebvre en 1991, avait « levé l’excommunication, ” post mortem”, du prestigieux prélat défunt ».

Si elle avait été exacte, l’information, jusque-là inédite, aurait été d’importance. Elle aurait révélé un acte de mansuétude dans les sévérités du Saint-Siège.

M. l’abbé Simoulin, directeur du séminaire d’Écône à l’époque du décès du fondateur de la FSSPX, a démenti cette information : « Le cardinal Thiandoum, âgé et malade, a fait savoir son regret de ne pouvoir faire le voyage et a envoyé son secrétaire, l’abbé Hyacinthe Dione, pour le représenter aux obsèques de monseigneur. Ce prêtre a béni le cercueil, comme nous tous ! ».

L’abbé Laguérie a néanmoins maintenu que l’excommunication de Mgr Lefebvre avait bien été levée : « Je ne vois pas comment on pourrait sérieusement contester ce fait universellement raconté dans la Frat. [FSSPX] à l’époque, notamment aux obsèques de Mgr Lefebvre ».  Et il avançait un autre nom : Mgr Rovida, nonce à Berne, aurait levé l’excommunication « en tant que tel, représentant du Saint-Siège ».

Pour éclairer de manière définitive ce point d’histoire, j’ai interrogé Mgr Edoardo Rovida, qui m’a répondu, en date du 26 février 2009 :

Effectivement j’ai été à Écône le matin suivant de la mort de Mgr Lefebvre ; mais seulement pour prier, bénir et rendre hommage à sa dépouille mortelle.

Quant à une éventuelle levée d’excommunication, je vous assure qu’absolument rien n’a été fait de ma part.

La sentence d’excommunication de Mgr Lefebvre n’a donc pas été levée.

Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, dans sa lettre aux fidèles, le 24 janvier dernier, disait espérer « la prompte réhabilitation Mgr Lefebvre.
Mais cinq jours plus tard, dans la lettre qu’ils ont écrite au Pape pour le remercier de la levée des excommunications, les quatre évêques de la FSSPX estimaient que le décret du 21 janvier « réhabilite de quelque façon le vénéré fondateur de notre Fraternité sacerdotale ».

Cette interprétation du décret du 21 janvier est biaisée. La levée des excommunications du 21 janvier 2009 est une remise de peine qui ouvre la voie à une réconciliation, ce n’est en aucun cas la reconnaissance a posteriori de la licéité de l’acte posé par Mgr Lefebvre en 1988, acte qui lui a valu l’excommunication.

S’il est en quelque sorte une première étape de la réhabilitation de Mgr Lefebvre, et des laïcs qui ont combattu pour le maintien de la messe traditionnelle (avec Jean Madiran au premier rang), il faut la chercher dans le motu proprio du 7 juillet 2007 qui a rétabli, de droit, un rite qui avait été pour ainsi dire interdit, au moins jusqu’en 1984.

Les oppositions romaines au Pape

L’abbé Claude Barthe, ordonné prêtre par Mgr Lefebvre en 1979, passé ensuite par le sédévacantisme, co-fondateur de l’Institut du cardinal Pie (ICP) qui existe toujours, a fondé, il y a quelques années, la très discrète Société des prêtres auxiliaires, et il a obtenu, de la Commission Ecclesia Dei, un celebret.

En 2005, à la veille du conclave qui devait élire Benoît XVI, il voyait le collège cardinalice partagé en trois tendances : « progressiste », « modérée-libérale » et « modérée-restaurationniste ». Il pronostiquait : « les progressistes vont se rallier à un candidat modéré-libéral, qui pourrait bien atteindre, à la longue, la majorité requise. » (entretien accordé à Pacte, n° 91). Le pronostic s’avéra erroné.

Aujourd’hui, reprenant les mêmes catégories, plus politiques que religieuses (« centre-droit », « libéraux », etc.), il présente dans un petit livre ce qu’il appelle les « oppositions romaines au pape »[1].

Il décrit la Curie romaine comme le théâtre d’une continuelle lutte d’influences qui passerait principalement par le biais des nominations à la tête des différents dicastères. Il décrit aussi les tentatives et les manœuvres « pour freiner, aménager, corriger le cours de la nouvelle politique romaine ».

Certaines analyses sont intéressantes, mais elles sont parfois trop rapides et pas toujours convaincantes. On voit mal, par exemple, comment le cardinal indien Dias, nommé préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, peut être présenté comme trop tolérant à l’égard des « manifestations les plus singulières du dialogue interreligieux ». Le cardinal Dias, au contraire, est connu comme un des principaux rédacteurs de la déclaration Dominus Iesus (2000) et il a été, en 2001, à l’origine de la Notification publiée contre le livre du théologien Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux.

Les considérations sur les oppositions à Benoît XVI en matière liturgique doivent, elles aussi, être corrigées par la récente nomination du très « ratzingérien » cardinal Cañizares Llovera à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements.

Les oppositions à Benoît XVI sont bien plus fortes dans certains pays qu’à Rome. Et encore, faut-il nuancer. En France, par exemple, on ne peut opposer indistinctement « les évêques » au pape. Même si, pour le moment, les évêques français en syntonie complète avec la pensée et l’action de Benoît XVI sont une minorité.

Yves Chiron

NOTE
[1] Claude Barthe, Les oppositions romaines au Pape, Éditions Hora Decima (4 rue Galvani, 75017 Paris), 62 pages, 6 euros. L’ouvrage reprend et développe des articles parus dans L’Homme nouveau.