SOURCE - Jerôme Anciberro - Témoignage Chrétien - 19 mars 2009
En écrivant aux évêques de son Église, Benoît XVI pensait sans doute apaiser le malaise grandissant chez les catholiques. Mais la stratégie d’autodéfense du Vatican semble bien floue et maladroite
Flou stratégique au Vatican par Jerôme Anciberro
TC a retrouvé le brouillon de la lettre adressée par Benoît XVI aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre. Nos lecteurs mesureront tout le travail de réflexion et de réécriture qui ont été nécessaires pour aboutir à la version diffusée ensuite par les services du Vatican. Voici les premières lignes de ce document exclusif, traduit en français : « À tous mes frères en épiscopat : Je me suis planté. Je suis vraiment désolé. C’est moi le patron, j’assume tout le bazar. Merci à ceux qui m’ont aidé à comprendre mes erreurs. Avec l’aide de Dieu et de son peuple, je ferai mieux la prochaine fois. D’ailleurs, depuis le 24 janvier, je tape dans Google le nom des gens avant de signer le moindre document les concernant. C’est fou tout ce qu’on trouve sur le Net… » Trêve de plaisanterie. Joseph Ratzinger n’est pas Barack Obama. Le « Sorry, I screwed up » du président américain se traduirait mal en latin d’Église. Mea culpa sonnerait trop liturgique. Certains passages de la lettre du pape sont pourtant presque touchants, si l’on oublie que les services du Vatican sont censés être gérés par des professionnels. Ainsi ce désarmant aveu sur « les informations auxquelles on peut accéder par Internet » dont la consultation aurait pu éviter « l’incident fâcheux imprévisible » de l’affaire Williamson. Retenons bien ce mot : « imprévisible ». De nombreux commentateurs l’ont déjà fait remarquer : ou bien les services de la Curie ne savaient rien des idées de Mgr Williamson et, dans ce cas, il convient de se poser des questions sur la capacité de ces services à se tenir informés de la marche du monde autrement qu’à la lecture du Bollettino de la Salle de presse du Saint-Siège ; ou bien ces services étaient au courant, et l’on se demande bien comment ils ont pu décider de passer outre.
Prise de conscience
Le seul fait que le pape se soit senti obligé d’écrire et de rendre publique sa lettre du 10 mars à ses « confrères dans le ministère épiscopal » témoigne toutefois d’une prise de conscience intéressante de la crise qui secoue actuellement l’Église. Une crise qui n’a sans doute d’équivalent dans l’histoire contemporaine du catholicisme que celle qui avait suivi la publication de l’encyclique Humanae Vitae en 1968. Certaines mises au point appuyées méritent d’être notées. L’acceptation du dernier concile est clairement évoquée par le pape comme une affaire « doctrinale ». Cette précision met à mal l’argument volontiers utilisé par les traditionalistes selon lequel Vatican II ne serait qu’un concile « pastoral » (sous entendu : non-dogmatique – ce qui est formellement exact – et donc sans véritable valeur doctrinale – ce qui est en revanche très hardi). Si le pape explique à son habitude que « Vatican II renferme l’entière histoire doctrinale de l’Église », il le fait après avoir affirmé qu' « on ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 » et que « ceci doit être bien clair pour la Fraternité [Saint Pie X, NDLR] ». L’annonce du rattachement de la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi marque aussi la volonté d’en finir avec le flou entretenu jusqu’ici sur la nature des relations entre le Vatican et la Fraternité. Enfin, Benoît XVI mentionne explicitement les dialogues œcuménique et interreligieux comme des aspects fondamentaux de la « priorité suprême » qui consiste à « conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible ».
Argumentation rodée
On peut donc percevoir une légère évolution dans la rhétorique ratzingerienne. Pour autant, le ton général de la lettre décevra beaucoup de fidèles, très au-delà des cercles prétendument « contestataires ». Certes, le pape n’est pas tendre avec les intégristes – il évoque la « suffisance » et la « présomption » de certains d’entre eux –, mais le principal accent critique de son texte porte sans équivoque possible sur les catholiques qui ont osé émettre publiquement leurs doutes sur le style actuel de gouvernement de leur Église. L’argumentation est rodée : ceux qui critiquent les décisions prises à Rome, aussi évidemment catastrophiques soient-elles, sont des diviseurs et des intolérants. Encore une fois, on entendra des dignitaires catholiques répéter que « l’affaire est close » – le premier avait été le cardinal Bertone au début du mois de février… Et il ne faudra ni rire, ni pleurer.
Flou stratégique au Vatican par Jerôme Anciberro
TC a retrouvé le brouillon de la lettre adressée par Benoît XVI aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre. Nos lecteurs mesureront tout le travail de réflexion et de réécriture qui ont été nécessaires pour aboutir à la version diffusée ensuite par les services du Vatican. Voici les premières lignes de ce document exclusif, traduit en français : « À tous mes frères en épiscopat : Je me suis planté. Je suis vraiment désolé. C’est moi le patron, j’assume tout le bazar. Merci à ceux qui m’ont aidé à comprendre mes erreurs. Avec l’aide de Dieu et de son peuple, je ferai mieux la prochaine fois. D’ailleurs, depuis le 24 janvier, je tape dans Google le nom des gens avant de signer le moindre document les concernant. C’est fou tout ce qu’on trouve sur le Net… » Trêve de plaisanterie. Joseph Ratzinger n’est pas Barack Obama. Le « Sorry, I screwed up » du président américain se traduirait mal en latin d’Église. Mea culpa sonnerait trop liturgique. Certains passages de la lettre du pape sont pourtant presque touchants, si l’on oublie que les services du Vatican sont censés être gérés par des professionnels. Ainsi ce désarmant aveu sur « les informations auxquelles on peut accéder par Internet » dont la consultation aurait pu éviter « l’incident fâcheux imprévisible » de l’affaire Williamson. Retenons bien ce mot : « imprévisible ». De nombreux commentateurs l’ont déjà fait remarquer : ou bien les services de la Curie ne savaient rien des idées de Mgr Williamson et, dans ce cas, il convient de se poser des questions sur la capacité de ces services à se tenir informés de la marche du monde autrement qu’à la lecture du Bollettino de la Salle de presse du Saint-Siège ; ou bien ces services étaient au courant, et l’on se demande bien comment ils ont pu décider de passer outre.
Prise de conscience
Le seul fait que le pape se soit senti obligé d’écrire et de rendre publique sa lettre du 10 mars à ses « confrères dans le ministère épiscopal » témoigne toutefois d’une prise de conscience intéressante de la crise qui secoue actuellement l’Église. Une crise qui n’a sans doute d’équivalent dans l’histoire contemporaine du catholicisme que celle qui avait suivi la publication de l’encyclique Humanae Vitae en 1968. Certaines mises au point appuyées méritent d’être notées. L’acceptation du dernier concile est clairement évoquée par le pape comme une affaire « doctrinale ». Cette précision met à mal l’argument volontiers utilisé par les traditionalistes selon lequel Vatican II ne serait qu’un concile « pastoral » (sous entendu : non-dogmatique – ce qui est formellement exact – et donc sans véritable valeur doctrinale – ce qui est en revanche très hardi). Si le pape explique à son habitude que « Vatican II renferme l’entière histoire doctrinale de l’Église », il le fait après avoir affirmé qu' « on ne peut geler l’autorité magistérielle de l’Église à l’année 1962 » et que « ceci doit être bien clair pour la Fraternité [Saint Pie X, NDLR] ». L’annonce du rattachement de la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi marque aussi la volonté d’en finir avec le flou entretenu jusqu’ici sur la nature des relations entre le Vatican et la Fraternité. Enfin, Benoît XVI mentionne explicitement les dialogues œcuménique et interreligieux comme des aspects fondamentaux de la « priorité suprême » qui consiste à « conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible ».
Argumentation rodée
On peut donc percevoir une légère évolution dans la rhétorique ratzingerienne. Pour autant, le ton général de la lettre décevra beaucoup de fidèles, très au-delà des cercles prétendument « contestataires ». Certes, le pape n’est pas tendre avec les intégristes – il évoque la « suffisance » et la « présomption » de certains d’entre eux –, mais le principal accent critique de son texte porte sans équivoque possible sur les catholiques qui ont osé émettre publiquement leurs doutes sur le style actuel de gouvernement de leur Église. L’argumentation est rodée : ceux qui critiquent les décisions prises à Rome, aussi évidemment catastrophiques soient-elles, sont des diviseurs et des intolérants. Encore une fois, on entendra des dignitaires catholiques répéter que « l’affaire est close » – le premier avait été le cardinal Bertone au début du mois de février… Et il ne faudra ni rire, ni pleurer.