Aletheia n°148 - 29 novembre 2009
Louis XVI peut-il être canonisé ? par Yves Chiron
L’abbé Edgeworth de Firmont, qui a assisté Louis XVI dans ses dernières heures et au pied de la guillotine, a laissé un témoignage émouvant et authentique sur cet épisode dramatique de notre histoire[1]. Il a montré comment Louis XVI avait accepté sa mort prochaine dans un esprit chrétien. Le roi condamné s’est préparé, comme tout bon chrétien doit le faire, à comparaître devant son juge, Jésus-Christ.
Pour l’abbé de Firmont, qui fut le dernier confident et le dernier confesseur de Louis XVI, la mort du roi n’est pas sans ressemblance avec la Passion du Christ. Il était persuadé que Louis XVI allait recevoir une immédiate « récompense », c’est-à-dire que son âme irait en Paradis.
Il ne faisait aucun doute pour lui, et pour de nombreux Français, prêtres, religieux, religieuses ou laïcs de cette époque, que Louis XVI mourait en authentique martyr chrétien. Cette certitude fut ensuite affirmée par le pape Pie VI.
L’allocution de Pie VI
Le 17 juin 1793, soit cinq mois après la mort du roi, le Pape prononce, en consistoire, une longue allocution tout entière consacrée à Louis XVI.
Il fait référence explicitement aux conditions posées par Benoît XIV dans son célèbre traité sur la béatification et la canonisation et il montre qu’on peut considérer Louis XVI comme un authentique martyr. Il donnait trois raisons essentielles :
• la cause de sa mort est bien la haine de la foi catholique ;
• le roi a accepté sa mort non seulement avec courage, mais dans un esprit de foi et de sacrifice ;
• si dans sa vie privée ou publique, le roi défunt a commis des fautes, il les a regrettées, il s’en est confessé et elles ont été amplement lavées par le sang du martyr.
Cette magnifique allocution du pape, écrite dans l’émotion du moment, a été connue de l’Europe entière par de nombreuses traductions et éditions[2].
Mais, le pape Pie VI n’a pas proclamé Louis XVI comme « martyr » ; il n’a pas voulu contourner les procédures canoniques habituelles.
Or la cause de béatification de Louis XVI n’a jamais été ouverte, malgré les tentatives qui ont été faites.
La réponse de la Congrégation des Rites
Au début de la Restauration, soit un peu plus de vingt ans après la mort de Louis XVI, la mémoire du roi-martyr restait vive. En 1816, sur la proposition de Sosthène de La Rochefoucauld, la Chambre des Députés a voté une loi qui faisait du 21 janvier un jour de deuil national.
En 1820, la duchesse d’Angoulême, c’est-à-dire Marie-Thérèse, la fille survivante de Louis XVI et de Marie-Antoinette, fit part au nonce du pape à Paris de son désir de voir introduite la cause en béatification de son père. Le nonce, Mgr Macchi, en référa au cardinal Consalvi, secrétaire d’Etat de Pie VII.
Le cardinal fit examiner la requête par la Congrégation des Rites chargée, à l’époque, des causes de béatification et de canonisation. Il en résulta un long mémoire, en italien, qui a été envoyé au nonce à Paris en septembre 1820[3].
La Congrégation des Rites rappelait diverses notions théologiques et quelques principes canoniques. Était rappelée la définition du martyre donnée par saint Augustin : « ce n’est point le supplice, mais la cause du supplice qui constitue le véritable martyre ».
En d’autres termes, ce n’est pas la façon dont le chrétien est mort qui en fait un martyr mais la raison pour laquelle il a été mis à mort. Tout chrétien innocent mis à mort n’est pas pour autant un martyr. Pour qu’il y ait martyr, il faut non seulement que le persécuteur ait agi en haine de la foi mais aussi que la victime soit morte pour conserver intacte cette foi, ait préféré la mort plutôt que de renier la foi.
En 1820, donc, la Congrégation des Rites a estimé qu’il n’était pas possible de démontrer irréfutablement que la mort de Louis XVI réunissait ces conditions. Le mémoire dit : « comment pourra-t-on démontrer qu’il fut immolé par les impies en haine de la foi, et non pas pour des motifs temporels ».
La Congrégation des Rites donnait deux raisons :
• la Révolution a sacrifié Louis XVI d’abord pour « affermir […] la République naissante » ;
• même si Louis XVI avait accepté « tous les principes irréligieux et tous les décrets abominables » de la Révolution, il aurait été mis à mort.
La Congrégation des Rites rappelait aussi que la procédure en vue d’une béatification doit être engagée par le diocèse où est mort Louis XVI, c’est-à-dire par l’archevêque de Paris. Le Procès diocésain consistera essentiellement en une audition de témoins pour recueillir, sous serment, toutes données factuelles permettant de reconstituer la chronologie de l’événement et d’établir la preuve du martyre au sens traditionnel.
Si les preuves sont jugées suffisantes, alors la cause pourra être introduite à Rome auprès de la Congrégation des Rites. Même si les causes du martyre étaient reconnues comme telles, il fallait encore, à l’époque, que deux miracles soient reconnus pour que le martyr soit proclamé bienheureux et deux autres pour qu’il soit proclamé comme saint.
En précisant ces étapes d’une procédure possible, la Congrégation des Rites ne faisait que rappeler les règles canoniques alors en usage.
La prudence des archevêques de Paris
Le moins qu’on puisse dire est que ce mémoire de 1820 était peu encourageant ; il estimait que l’issue d’une éventuelle procédure était « très incertaine ».
L’archevêque de Paris en fonction en 1820, Alexandre de Talleyrand de Périgord (oncle du célèbre Talleyrand, l’évêque défroqué), n’osa pas s’engager dans une entreprise que la Congrégation des Rites estimait « pour le moins douteuse ».
Son successeur, Mgr de Quelen, archevêque de 1821 à 1836, n’ouvrit pas non plus d’information.
Les divisions et les difficultés politiques de la Restauration ont contribué à rendre un éventuel procès canonique de plus en plus délicat. Après la Révolution de 1830, la monarchie de Juillet a supprimé, en 1833, le jour de deuil national voté dix-sept ans plus tôt.
Au XIXe et au XXe siècle, plusieurs mémoires ont été publiés, par des particuliers, pour inciter à l’introduction de la cause de béatification et de canonisation de Louis XVI.
L’image et l’idée de Louis XVI « roi martyr » ont perduré jusqu’à aujourd’hui. En 1943, le marquis de La Franquerie publiait un petit livre avec ce titre[4]. L’ouvrage était préfacé par l’archevêque d’Avignon, Mgr de La Villerabel, qui souhaitait, clairement, la béatification de Louis XVI comme martyr.
À partir de 1950, et pendant un demi-siècle, Paul et Pierrette Girault de Coursac ont publié de nombreux ouvrages pour réhabiliter la mémoire de Louis XVI. Leur premier livre s’intitulait, Le roi stigmatisé, publié en 1950. En 1976, ils faisaient paraître Louis XVI roi martyr ?, le point d’interrogation n’était là que pour ne pas préjuger de la décision de l’Eglise.
En 1992, les deux auteurs ont adressé au Saint-Siège un mémoire pour demander l’ouverture de la cause de béatification de Louis XVI. Le cardinal Felici, alors préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, leur a répondu : « Cette congrégation reçoit quelquefois des lettres postulatoires en faveur de cette cause, mais, selon les dispositions juridiques actuelles, elle ne travaille que sur une documentation envoyée par les ordinaires des lieux où sont morts les Serviteurs de Dieu. En cette matière, les évêques sont les premiers juges de l’opportunité d’une cause… »[5].
Finalement, jusqu’à ce jour, aucune procédure canonique n’a jamais été engagée. L’initiative ne pourrait en venir, aujourd’hui, que du cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, puisque c’est dans ce diocèse qu’est mort Louis XVI.
Déjà, en 1820, la Congrégation des Rites estimait qu’il y aurait lieu de « s’interroger, avant d’esquisser le moindre pas, sur le fait de savoir s’il convient, dans les circonstances actuelles, d’ouvrir une cause qui ne manquera pas de susciter quelque tapage ».
Aujourd’hui, on voit mal l’archevêque de Paris courir le risque d’un « tapage » médiatico-politique.
L’Institut du Bon Pasteur et diverses associations ont organisé, le 21 mars dernier, un colloque consacré à Louis XVI. Les Actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Faut-il canoniser Louis XVI ; ils sont disponibles à l’Institut du Bon Pasteur (12 rue Saint-Joseph, 75002 Paris).
Je publie ici une version révisée et corrigée de ma communication à ce colloque.
EPISCOPI VAGANTES
En 1961, le pasteur anglican Henry Brandreth, recteur d’une des églises anglicanes de Paris, recensait quelque 200 episcopi vagantes dans le monde, c’est-à-dire des personnes qui prétendaient avoir reçu une consécration épiscopale sans être pourtant en communion avec une des Églises historiques (Église catholique, Communion anglicane, orthodoxes)[6].
Aujourd’hui, même en se limitant aux seuls episcopi vagantes qui se réclament de l’Église catholique, on dépasse très largement ce chiffre.
Celui qui signe ”MRJV”[7] avait publié, en mars 2007, un Organigramme des successions épiscopales thucistes et leurs différents liens, que j’avais recensé ici. Aujourd’hui, il publie une nouvelle version du même travail, dans une édition plus claire (avec flèches et courbes), corrigée et complétée[8].
Cela nous vaut un long organigramme (29 cm de haut sur 2,18 m de large), où sont présentées les différentes successions épiscopales parallèles : « thucistes », « palmariennes », « guérardiennes » et autres.
Deux regrets : que Mgr Lefebvre et les évêques qu’il a consacrés illicitement en 1988 figurent encore dans cet organigramme alors que ceux-ci ont bénéficié d’une levée d’excommunication. Deuxième regret : qu’un index des noms ne vienne pas compléter l’organigramme, il rendrait le document plus aisément consultable.
Parmi les successions épiscopales qui se forment, on relèvera celle de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie V (dissidence de la Fraternité Saint-Pie X, née aux Etats-Unis) : après la consécration épiscopale de Clarence James Kelly en 1993, il y a eu celle de Joseph Santay en 2007.
Les choses se compliquent lorsque l’évêque consacré, par souci de légitimité ou pour des raisons plus bassement clientélistes, cherche à se faire consacrer à nouveau par un autre évêque illégitime. Ainsi Hugues-Georges de Willmott-Newman a été consacré évêque onze fois ! Il a lui-même sacré d’autres évêques. MRJV signale quatre évêques consacrés par Willmott-Newman, en fait il y en a eu vingt entre 1944 à 1966.
Sur cet organigramme figure, parfois, le nom des prêtres ordonnés par ces episcopi vagantes. Si l’auteur avait voulu indiquer toutes les ordinations sacerdotales effectuées par ces episcopi vagantes, il lui aurait fallu mentionner des centaines de noms. Pourquoi avoir retenu certaines ordinations et pas d’autres ? Ainsi pourquoi mentionner « T. Cazal » (en fait, Thomas Cazalas) ordonné par l’évêque guérardien Mc Kenna et ne pas mentionner Michel Adriantsarafara ordonné par un autre évêque guérardien, Geert Stuyver ? Pourquoi mentionner encore l’ordination d’un prêtre – dont je ne citerai par le nom – ordonné de manière illicite par Mgr Ngo Dinh Thuc en 1981 mais qui, depuis, a fait régulariser sa situation canonique ?
La complexité du réseau des episcopi vagantes, la multiplicité des affiliations, le caractère souvent secret des consécrations et reconsécrations épiscopales, sans parler des prétentions infondées, rendent difficile l’information exacte et exhaustive.
Tel qu’il est, le travail de MRJV rendra néanmoins de grands services aux chercheurs et aux curieux. Il devrait aussi éclairer les fidèles catholiques qui s’interrogent sur la légitimité voire la validité de telle messe, de telle confirmation ou de telle ordination sacerdotale célébrées par tel ou tel « évêque ».