23 novembre 2009

[Antoine - Le Forum Catholique] Le pragmatisme, un enjeu pour les discussions de la FSSPX

SOURCE - Antoine - Le Forum Catholique - 23 novembre 2009

On retrouve aujourd’hui principalement deux types d’objecteurs face aux modernistes, chez ceux qui s’interrogent sur la pertinence des discussions théologiques qui se tiennent actuellement entre la FSSPX et Rome,. Les uns prétendent que l’«on ne discute pas avec ennemi» quand les autres craignent qu’il ne s’agisse en fait que d’un suicide annoncé, pré-supposant que l’issue sera forcément un mal plus grand….

Il est très compréhensible que chacun se demande quelle sera l’issue de ces discussions avant même qu’elles n’aient commencées. Mais face à ces spéculations toutes plus hypothétiques les unes que les autres, il y a bien une chose qu’il faut avoir en considération, c’est la réalité de la situation présente.
Si l’on perd de vue un seul instant cette réalité dans laquelle se trouve l’Eglise, si l’on oublie un seul instant ce contexte particulier dans lequel baigne l’Eglise aujourd’hui, alors effectivement on ne peut plus comprendre les positions de la FSSPX, ni même celles de son fondateur. Les uns diront que la situation a définitivement changé et que Mgr Lefebvre ne ferait pas aujourd’hui ce qu’il fit hier, les autres affirmeront que, tant que Rome n’aura pas renié le concile, il sera impossible d’avoir toute discussion théologique tout en restant intègre.

C’est en cela que Mgr Lefebvre fut un grand homme d’Eglise, par son pragmatisme et sa lucidité face à la réalité, face aux contradictions, et c’est bien cela qu’il faut avoir à l’esprit en abordant la question. Son pragmatisme se trouvait confronté aux grands principes novateurs de l’Eglise.
Nous vivons dans un monde qui perd de vue la réalité, au nom de principes (ex : les droits de l’homme) et qui ne veut plus la voir : on ne définit plus les maux par ce qu’ils sont, mais par ce qu’ils ne sont pas. Un aveugle devient un non-voyant, un sourd devient un mal entendant, un schismatique devient un frère dans le Christ, un hérétique devient un catholique, le péché devient une liberté, etc …

Aujourd’hui, dans l’industrie, nous sommes à l’époque du Lean, et nous observons avec envie le pragmatisme japonais, cherchant à adapter nos modes de fonctionnement à repenser nos méthodes de résolution des problèmes pour arriver à leur niveau de performance et de qualité. Ces méthodes sont indéniablement efficaces et font leurs preuves chaque jour, au point que certains prétendent que les entreprises qui ne rentreront pas dans ce processus, en mourront …

A la base de ce retour au pragmatisme, se trouvent le terrain et les standards : c’est en étant sur le terrain, en ayant conscience des réalités du terrain, que l’on peut apporter des réponses efficaces, et c’est en vérifiant ses standards, en les améliorant que l’on progresse et que l’on écarte les risques d’erreur.
Certes, l’Eglise n’est pas une entreprise, mais le catholicisme est « raisonnable » et pragmatique, contrairement à d’autres religions, (ex : l’Islam qui impose à l’esprit d’adhérer à des contradictions en faisant taire la raison.).

Dans cette optique, il est assez simple d’écarter la seconde objection, car il n’est pas raisonnable de penser que les choses pourront s’arranger par elles-mêmes… En effet, comment serait-il possible de démêler le vrai du faux, si personne ne parlait jamais du vrai ? Qu’en serait-il de la mission donnée par Notre Seigneur d’aller et d’enseigner ce qu’Il nous a enseigné ?
Une entreprise utilisant de telles méthodes (taire la réalité du terrain à ceux qui ne la voient pas, même s’ils se la cachent) pour régler ses problèmes, irait très certainement au suicide…
C’est du simple bon sens.

Pour répondre à la première objection, il est nécessaire d’argumenter un peu plus.
Face à un problème, il y a toujours certaines appréhensions sur ce qui pourra découler des solutions retenues. Et pourtant, la façon Lean d’aborder le problème c’est bien de «checker» le problème avant d’amener des solutions : « Il y a un problème, ok. C’est pour nous l’occasion de progresser, de vérifier puis d’améliorer nos standards, d’identifier les risques et de s’en prémunir dans l’avenir. Certes on n’a pas encore de vision sur la façon dont le problème va se résoudre, mais on sait qu’on va progresser en résolvant ce problème ».

La encore, il ne s’agit pas seulement du monde industriel, l’industrie ne fait que revenir à des solutions connues et malheureusement oubliées (sauf par les japonais). L’Eglise a toujours tiré des bienfaits immenses de ses pires crises, et en a profité pour se réapproprier ses standard (le dogme), les améliorer (définir de nouveaux dogmes) et progresser (éradication et prévenir les erreurs).
Quant au mode de traitement retenu dans les processus Lean, c’est bien le mode de travail en chantier, qui consiste à réunir sur le terrain tous les acteurs et toutes les forces de proposition afin d’établir un constat partagé (identification du problème : QQOCP), de revenir sur les standards (sont ils bien robustes ? permettent-ils de bien prévenir les risques ? …), avant de mener un plan d’action pour éradiquer définitivement le problème.

Le monde industriel est en train de prendre un virage décisif, avec un but unique poursuivi : progresser pour survivre. Et dans ce contexte, on en revient inévitablement au pragmatisme, au bon sens paysan, c’est indispensable et nécessaire.

Alors pourquoi n’en serait il pas ainsi de l’Eglise ? Ce manque de pragmatisme ne serait-il pas un réel problème de société, ne pourrait-il pas toucher l’Eglise Elle-même? Nous voyons que certaines réalités sont fuies, nous voyons que certains sujets sont tabous, et que certaines vérités sont tues … Où sont les bons fruits dans l’Eglise, quelles sont les standards qui marchent, et pourquoi ? Est-ce que les standards sont suffisamment clairs et robustes ? (Par exemple on nous dit d’adhérer au concile, mais qu’est ce que ça veut dire ? à quoi devons nous adhérer ? quelles actions concrètes ? quels standards ? quels dogmes ?)

Eh bien aujourd’hui, la FSSPX et Rome ont décidé de s’inscrire dans cette démarche, et c’est une démarche forcément gagnante à partir du moment où chacun recherche le même but. Le but en soi, ce n’est pas de régler le problème de la FSSPX, mais de trouver des solutions aux oppositions théologiques (ce qui a toujours été refusé à Mgr Lefebvre). Les standards vont être présentés (le Dogme). Les standards non robustes devront être affinés et précisés, un plan d’action en sortira très certainement. Tout le monde a intérêt à ce que ce dialogue ait lieu, et tous en tireront profit.
Dans les méthodes de résolution de défauts, on ne s’attarde pas sur les personnes qui traitent du problème, mais sur le bon sens de la démarche. Il n’y a que comme ça qu’on avance. Des outils existent pour passer au-delà des caractères des personnes. On parle alors de démarches participatives, et les plus extrémistes deviennent alors souvent les plus humbles et les plus productifs.

Pour terminer, j’aimerais rebondir sur un exemple vécu la semaine dernière.
L’essentiel, disais-je, pour bien comprendre la position de la FSSPX, est d’avoir conscience des réalités du terrain, tout comme dans une démarche Lean.
J’ai parfois l’impression que ceux qui, ici, défendent Vatican II et se font les hérauts de la réforme liturgique ne sont en fait pas si proches du terrain que ce qu’ils croient. Eux aussi font le choix des paroisses où ils vont, eux aussi sont soucieux du catéchisme que reçoivent leurs enfants et font des choix qui les rendent parfois opaques à la réalité. Ils savent ce qui se passe dans leurs paroisses, mais bien souvent ils préfèrent le percevoir comme des circonstances particulières plutôt que comme des réalités qui sont bien présentes dans l’Eglise.

Il s’agissait d’une discussion de trois dames qui animent le catéchisme de la paroisse française. L’une d’elle, parlant de son mari, disait qu’il était catholique, même s’il n’allait pas à la messe le dimanche. Pour elle, il était tout à fait concevable d’être catholique et de ne pas aller à la messe. L’autre s’offusquait de ce fait, et prétendait qu’un catholique va forcément à la messe le dimanche.

Je trouve cette discussion très éclairante sur la situation réelle de l’Eglise. Tout comme le français n’a plus d’identité, le catholique a également perdu son identité. Avant le concile, on savait ce qu’était un catholique, maintenant, impossible de savoir … ou plus exactement, tout le monde est plus ou moins catholique. Être catholique, c’est mieux, mais ne pas être catholique, ce n’est pas un mal. (Idem pour la société).
Le dogme devient accessoire, ce qui est important c’est la conscience de chacun, c’est son ressenti. (liberté de conscience oblige).
L’homme, dans sa recherche spirituelle, a besoin de connaître précisément le cadre dans lequel il doit évoluer. Il a besoin d’être guidé, d’avoir, en quelque sorte, des standards robustes et précis. Il doit savoir ou se situe le bien et ou se situe l’erreur. Il doit connaître ce qui l’amène à Dieu et ce qui l’en éloigne.
Si notre standard de travail pour un opérateur en bord de ligne de production, c’est de dire : il faut monter cette pièce ici, et si l’on ne lui précise pas les outils à employer, les gestes à faire, les défauts à éviter, l’ordre de montage des pièces, la position à adopter pour ne pas se blesser, etc … , alors il est impossible de maîtriser la qualité, les délais, les coûts du produit livré au client.

J’ai souvent l’impression, en discutant avec les catholiques paroissiaux, que finalement la FSSPX représente précisément ce que les hommes d’Eglise ne veulent plus. Ces standards, ces automatismes qui permettaient aux catholiques de régler leur vie et d’éduquer leurs enfants en bons catholiques, ce que l’on appelle le dogme et la morale, sont précisément ce dont on ne veut plus dans la vie du catholique.

Ils ne veulent plus de la Croix, du sacrifice, ils ne veulent plus croire au péché qui nous sépare de Dieu (rien que le mot est tabou ….), ils rejettent une morale catholique trop exigeante pour leur volonté.

Voila la réalité. Et dans ce contexte, la FSSPX est forcément rejetée. Il n’est pas possible qu’il en soit autrement, tant que les principes ne seront pas redéfinis, tant que l’identité catholique n’aura pas été reconstruite, tant que le dogme n’aura pas été clairement réaffirmé et la morale réapprise…. Bref, tant qu’il n’aura pas été démontré que les principes appliqués avant le concile n’était pas le mal à abattre, mais au contraire le moteur de la catholicité. A partir de ce moment là, il sera facile à établir que les fidèles de la FSSPX sont catholiques.

C’est la réalité, et il faut avoir conscience de ces réalités pour avancer.

Il est nécessaire que ces discussions aient lieu, c’est indispensable si l’on souhaite que la FSSPX retrouve sa place dans l’Eglise.

Je suis donc parfaitement conscient dans l’avenir. Il se passera ce qui doit se passer, mais ce constat partagé sur le terrain doit être fait, c’est le bon sens qui l’impose, c’est le point de départ de toute démarche logique de résolution de problème.

Le retour au bon sens et au pragmatisme est en route dans l’Eglise, enfin… Rome aurait accepté ces discussions avec Mgr Lefebvre, nous n’en serions probablement pas là aujourd’hui.
Tout dépend maintenant du but qui réellement recherché par ceux qui mènent ces discussions.

Mais si l’on se place par rapport à la vérité, ce que je crois, le saint Esprit fera le reste …. Quoi qu’on en dise…

Merci Mgr Fellay, merci Benoît XVI pour l'ouverture de ces discussions.

Antoine.