Fabrizio Cannone - Yves Chiron - Aletheia 204 ("Les Franciscains de l'Immaculée dans la tourmente") - 31 juillet 2013
Entretien avec Fabrizio Cannone
1. Avant d’évoquer le décret du 11 juillet, pouvez-vous nous présenter brièvement la congrégation des Franciscains de l’Immaculée, ses origines et son apostolat ?
La Congrégation des Frères Franciscains de l’Immaculée a été fondée en 1970 par deux prêtres franciscains conventuels, le P. Stefano M. Manelli (né le 1er mai 1933 à Fiume, au nord-est de l’Italie) et le p. Gabriele M. Pellettieri (né le 11 juin 1940 à Vaglio di Basilicata, dans le sud). Cette congrégation a été approuvée, selon le droit diocésain, par l’archevêque de Benevento, Mgr Carlo Minchiatti, en 1990. Le 1er janvier 1998, par volonté de Jean-Paul II, elle a été reconnue de droit pontifical.
Dans l’histoire et les péripéties des différentes réformes franciscaines, leur particularité est d’avoir ajouté un 4e voeu aux trois voeux traditionnels de religion : le voeu dit de consécration illimitée à la Vierge Marie, suivant en cela le charisme marial de saint Maximilien Kolbe. Un autre élément typiquement ”kolbien” est le zèle pour la conversion des âmes et l’apostolat à 360 degrés : les Franciscains de l’Immaculée, qui aujourd’hui comptent environ 400 religieux dans plus de 50 maisons, ont fondé des stations de radio et de télévision dans différentes parties du monde, ils gèrent plusieurs sites internet et ils ont publié auprès de leur maison d’éditions, Casa Mariana Editrice, des dizaines d’ouvrages de spiritualité et de formation catholique.
Ils se signalent aussi par le nombre et la qualité de leurs publications périodiques, notamment Annales Franciscani (revue annuelle d’histoire et de spiritualité franciscaines), Immaculata Mediatrix (revue internationale de mariologie, qui oeuvre pour une définition dogmatique de la Corédemption de Marie), les Quaderni di Studi Scotisti (revue de philosophie et de théologie), et Il Settimanale di Padre Pio (revue de dévotion et d’apologétique).
Entre temps est née la branche féminine de l’institut, les Soeurs Franciscaines de l’Immaculée, érigée de droit pontifical la même année que les Frères (en 1998) et qui compte plus de 400 religieuses. En 2006 se sont agrégées aussi à l’Institut les Clarisses de l’Immaculée, qui ont trois couvents en Italie. Enfin certaines Soeurs de l’Immaculée ont aspiré à vivre dans une plus stricte clôture et ce rameau a sa maison-mère dans le monastère Santa Chiara delle Murate à Città di Castello, en Ombrie. Les laïcs qui veulent suivre le charisme franciscano-marial de la communauté sont regroupés dans une sorte de tiers-ordre, la MIM (Missione dell’Immacolata Mediatrice), qui est une Association publique de fidèles, organisée en cénacles et guidée par les prêtres de la congrégation. L’Institut dans ses branches masculine et féminine est présent sur tous les continents, mais plus particulièrement en Italie et aux Philippines.
2. Quelles sont les conséquences concrètes du décret du 11 juillet ?
Sur les conséquences concrètes du décret, un canoniste expert serait plus à même de répondre. On constate qu’il y a la volonté de retirer aux autorités actuelles, y compris au Supérieur général et fondateur, le P. Stefano M. Manelli, la direction de la congrégation. Un Commissaire a été nommé, il guidera la communauté jusqu’au Chapitre général qui se tiendra à Rome en 2014 et qui, certainement, renouvellera les charges internes à l’Institut, à partir de l’organe décisionnel le plus élevé qui est le Conseil Général. Lachose qui a stupéfait beaucoup de gens et qui a suscité le plus de commentaires est l’interdiction de célébrer la messe selon la forme extraordinaire du Rite romain, appelé aussi, dans le décret du 11 juillet, Vetus Ordo (”Ancien ordo”). Depuis le motu proprio Summorum Pontificum (2007), on pensait communément qu’une disposition aussi générale contre un droit reconnu aussi clairement ne pouvait plus être prise. Tous les amis de la communauté, que je connais et fréquente depuis 2003, savent qu’avant le motu proprio de Benoît XVI aucun prêtre de la congrégation ne célébrait la messe avec le Missel de 1962. Depuis la ”libération” de 2007, beaucoup, et même certainement la majeure partie des prêtres, des séminaristes et des soeurs de l’Institut ont commencé à apprécier la messe traditionnelle, la sentant profondément en harmonie avec le charisme propre de leur fondation, charisme qui est non seulement apostolique mais aussi ascéticopénitentiel.
Par ailleurs, les Franciscains de l’Immaculée, avec un grand équilibre, dans tous leurs couvents,sauf ceux de vie strictement contemplative (comme l’ermitage d’Amandola, dans les Marches), célèbrent habituellement, depuis 2007, sous les deux formes liturgiques. Aussi, la prohibition du rite traditionnel contenue dans le décret paraît étrange et insuffisamment motivée.
3. On dit que le décret aurait comme origine une dissension au sein de la congrégation des Franciscains de l’Immaculée. Est-ce exact ?
Il n’est pas facile de répondre, s’agissant de choses délicates et en partie secrètes. Je crois néanmoins savoir, à travers la large connaissance que j’ai de la communauté et en particulier de plusieurs prêtres qui ont des charges importantes dans l’Institut, que depuis un certain temps il y avait des divergences entre les membres de l’Institut. Des divergences essentiellement de deux types. D’abord, il y a eu des critiques toujours plus fortes contre le Fondateur et supérieur général, qui a eu depuis peu 80 ans, et que certainsjugent ne plus être en mesure de bien suivre les multiples activités et le développement de l’Institut.
Typiquement, comme souvent dans ce genre de situations, ce genre de critiques émane des plus jeunes qui doivent encore mûrir et qui ont grandi trop vite. Il n’est pas facile de contenter tout le monde et des limites dans le gouvernement, de la part du Conseil Général, ne sont pas à exclure a priori.
Mais je dois dire, en toute sincérité, qu’outre avoir assisté à des dizaines de messes célébrées par le P.Stefano, spécialement à l’occasion de la profession religieuse d’amis devenus frères dans la communauté, j’ai eu la grâce d’avoir avec lui, un long entretien spirituel, entre quatre yeux, il y a trois ans à Frigento, Maison-Mère de l’Ordre. Je le considère comme un saint homme, digne fils de Padre Pio, qu’il a bien connu, à qui il a servi la messe tant de fois, de qui il a reçu la Première Communion et qui, en somme, l’a acheminé dans la vie chrétienne et religieuse.
La seconde critique interne s’est fait jour après le motu proprio de 2007 : si la majorité des prêtres aaccepté le document et en a fait un large usage, toujours néanmoins en respectant la pastorale diocésaine, certains religieux ont vu d’un mauvais oeil cette supposée ”tridentinisation”, peut-être inattendue. La cause selon moi significative est que l’Institut est peut-être l’unique au monde, au moins parmi ceux qui ont une certaine importance numérique, à avoir voulu passer, au moins pour les célébrations internes à la communauté, à la liturgie traditionnelle : et cela, je le répète, à la plus grande joie du plus grand nombre des prêtres, simples frères, religieuses et laïcs du tiers-ordre. Signe qu’il devait exister et qu’il existe un lien entre leur spiritualité et la spiritualité typique du rite traditionnel. Certains prêtres n’ont pas accepté cette évolution, pourtant prévue par le texte même du motu proprio, et ont commencé une fronde contre le P. Manelli, contre le co-fondateur P. Gabriele et les autres membres du Conseil. D’où la visite canonique, le décret et la nomination d’un Commissaire.
4. Ce décret du 11 juillet, pris par la Congrégation pour les religieux, a été approuvé de manière spécifique par le pape François. Doit-on considérer que ce décret est la première rupture du pape François avec la politique suivie par son prédécesseur en matière liturgique ?
Les commentaires, objectivement, s’égarent et beaucoup émettent des hypothèses au moins téméraires.La chose qui me stupéfie est la suspension de fait du droit concédé à tout prêtre de célébrer la messe selon le rite traditionnel. Certes, dans le Droit canon existe la suspensio a divinis, mais elle a toujours été conçue comme une mesure punitive et individuelle. Quelle faute peut avoir commis une congrégation tout entière pour se voir retirer un droit acquis ? Je ne sais pas si cette mesure, vraiment stupéfiante au regard des fruits rares des Franciscains de l’Immaculée, peut être considérée comme le début d’une nouvelle politique en matière liturgique. Mais cette disposition, bien qu’elle soit conditionnelle puisqu’elle laisse la possibilité d’utiliser le rite traditionnel après en avoir obtenu l’autorisation du Commissaire lui-même, semble en contradiction avec la pratique liturgique et théologique pluraliste soit de la Tradition (qui a toujours admis une ample pluralité de rites), soit avec l’esprit du Concile, lequel demande, me semble-t-il, de ne pas punir et de ne censurer personne dans l’Église, si ce n’est en cas d’absolue nécessité. Et cette mesure semble une mesure de punition, en ce sens que l’éventuel gouvernement déficient des Supérieurs et le supposé manque de sensus Ecclesiae, sont des choses différentes et éloignées de la forme liturgique adoptée. Qui plus est,dans ce cas, on constate aussi les nombreux fruits de jeunes vocations.
Propos recueillis et traduits par Yves Chiron