SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°608 - 31 aout 2017
Vendredi 7 juillet 2017, nonobstant le début des vacances scolaires, la nef centrale de Notre-Dame de Paris était remplie de fidèles venus participer à la messe solennelle d’action de grâces célébrée à l’occasion du dixième anniversaire de la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum par le pape Benoît XVI. Les principales paroisses parisiennes où est offerte la forme extraordinaire étaient représentées, la messe étant célébrée par le chanoine Guelfucci, curé de Saint-Eugène-Sainte-Cécile, assisté de l’abbé Damaggio, jeune prêtre parisien de la Fraternité Saint-Pierre et de l’abbé Claude Barthe. C’est Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de la cathédrale qui a accueilli les pèlerins au nom du cardinal Vingt-Trois et prononcé l’homélie que nous vous proposons cette semaine, accompagnée de nos réflexions.
Vendredi 7 juillet 2017, nonobstant le début des vacances scolaires, la nef centrale de Notre-Dame de Paris était remplie de fidèles venus participer à la messe solennelle d’action de grâces célébrée à l’occasion du dixième anniversaire de la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum par le pape Benoît XVI. Les principales paroisses parisiennes où est offerte la forme extraordinaire étaient représentées, la messe étant célébrée par le chanoine Guelfucci, curé de Saint-Eugène-Sainte-Cécile, assisté de l’abbé Damaggio, jeune prêtre parisien de la Fraternité Saint-Pierre et de l’abbé Claude Barthe. C’est Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de la cathédrale qui a accueilli les pèlerins au nom du cardinal Vingt-Trois et prononcé l’homélie que nous vous proposons cette semaine, accompagnée de nos réflexions.
I – LE SERMON DE MGR CHAUVET
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Fêter l’anniversaire d’un acte ecclésial important comme le fut le motu proprio, c’est d’abord rendre grâce pour l’action de l’Esprit-Saint, non seulement dans le cœur du pape Benoît, mais aussi dans l’Église. Ce motu proprio est lié à la nouvelle interprétation du Concile (Vatican II) qu’avait voulu le pape Benoît qui ne soit pas une interprétation de rupture mais bien de continuité. Et, rappelant que le missel promulgué par Saint Jean XXIII en 1962 n’avait pas été abrogé, portant aussi le souci pastoral de l’unité de l’Église Catholique, le Pape Benoît savait que la liturgie était le lieu source. La possibilité de pouvoir célébrer selon le missel romain du bienheureux Paul VI et celui de Saint Jean XXIII doit être un facteur d’unité car, je le cite, « ces deux expressions de la lex orandi de l’Église n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église. Ce sont en effet deux usages de l’unique rit romain. » Ainsi, ce que nous vivons dans nos paroisses parisiennes depuis près de dix ans, mais j’allais dire pour St-Eugène depuis plus de vingt-cinq ans grâce au cardinal Jean-Marie Lustiger, montre combien ces deux formes du rit romain peuvent s’enrichir.
Il n’est pas question ce soir de vous faire une conférence sur tous les fruits de ce motu proprio. Je souhaite simplement souligner un seul fruit : la liturgie est mystère. Où, si vous voulez, elle est une entrée dans le mystère de Dieu. Tout curé construit sa pastorale à partir de la célébration de l’eucharistie, tout simplement parce que la sainte messe est source de grâces et c’est le sommet de toute évangélisation. Les fidèles qui viennent à la sainte messe veulent vivre en plénitude leur vocation sacerdotale en devenant vivante offrande à la louange de Dieu le Père. Oui, il s’agit d’entrer dans le sacrifice du Christ, c’est-à-dire dans son mouvement d’amour à son Père. Merveilleux échanges où nos pauvretés deviennent richesses, où nous devenons ce que nous avons reçu, le corps du Christ pour reprendre le grand Saint Augustin. J’en suis persuadé, plus les fidèles vivront leur fonction sacerdotale, plus ils susciteront des fonctions sacerdotales. Les jeunes répondront à l’appel du Christ s’ils voient que le peuple fidèle a soif de Dieu, a soif d’une spiritualité profonde.
La sainte messe est aussi le lieu privilégié d’une profonde intimité avec le Seigneur. Le saint curé d’Ars en montrant le tabernacle de sa petite église disait pendant un quart d’heure à ses paroissiens : Il est là ! Il est là ! Oui, le Christ est réellement présent sur l’autel. Oui, le Christ veut nous parler. Et je vous ferai volontiers une confidence. C’est le jour de ma première communion – ce n’était pas hier ! – dans le silence de l’action de grâces et le silence de mon cœur que le Seigneur m’a appelé pour être prêtre. Et, depuis 37 ans, ma plus grande joie c’est de célébrer chaque jour l’eucharistie. Rester en silence avec Jésus, le cardinal Sarah y insiste dans son dernier ouvrage. Certes, il y a d’autres moments de notre vie spirituelle où le silence s’impose comme la lectio divina, la lecture priante de la parole de Dieu, l’oraison, mais le cœur-à-cœur avec le Christ présent dans l’eucharistie est un sommet d’amour. C’est une véritable ascèse car notre esprit parle beaucoup et le Saint-Esprit a du mal à en placer une. Je vous invite vraiment à entrer dans le silence pour votre action de grâces.
Enfin, la liturgie sera une entrée dans le Mystère si le temps et l’espace nous conduise là où est célébrée l’unique liturgie avec l’unique Grand Prêtre. Les chœurs de nos églises doivent être beaux, doivent être propres. Le pauvre curé d’Ars n’avait pas hésité à dépenser tout son argent pour acheter son superbe calice, son ciboire, l’ostensoir. Rien n’est trop beau pour le Seigneur. Les ornements liturgiques nous disent où est la Source. La beauté attire nos yeux du chœur vers le haut. Que notre offrande soit portée par ton ange en présence de ta gloire sur ton autel céleste afin qu’en recevant ici par notre communion à l’autel le corps et le sang de ton fils nous soyons comblé de ta grâce et de tes bénédictions. La liturgie nous parle du Royaume en faisant croître en nous le désir d’y entrer. Et croyez-moi ce qui caractérise le Royaume, c’est l’Amour. Et l’Amour est plénitude. Quant au temps, nous avons à vivre cette tension entre le temps et l’éternité. Une belle liturgie nous fait découvrir ce qu’est l’éternité. Tout comme une véritable amitié nous fait découvrir un peu l’éternité.
Le pape Benoît grâce à ce motu proprio a rappelé que c’est bien la communion sacramentelle qui construit l’Église s’inscrivant ainsi selon la tradition de nos Pères. Que chacun selon ses sensibilités liturgiques participe à la construction du corps ecclésial. Nous savons bien l’unité n’est pas l’uniformité. C’est vrai à l’intérieur de l’Église. Mais cela suppose que la liturgie soit reçue et respectée comme un don du Seigneur, un don qui ne nous appartient pas, que nous avons à faire fructifier pour notre vie intérieure, pour ce véritable chemin de sainteté et de bonheur. Ainsi soit-il !
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Continuité, unité, enrichissement. Mgr Chauvet souligne en peu de mots les lignes directrices du motu proprio de Benoît XVI : il ne saurait y avoir de rupture dans l’Église expliquait avec constance le cardinal Ratzinger et l’Église, Corps Mystique du Christ, ne saurait souffrir aucune division. 10 ans après le motu proprio, il est bon que ces principes, assurément assez volontaristes, en faveur de l’unité, soient rappelés par un ecclésiastique français, surtout si l’on se souvient de la guerre menée entre 2006 et 2008 par notre épiscopat national contre la libération du missel latin et grégorien par Benoît XVI. Entre le début de l’étude du projet de motu proprio dans les plénières des congrégations romaines, où siégeaient d’influents prélats français, et le voyage du Pape à Lourdes à la rentrée 2008 (au cours duquel le Pape rappela avec autorité que « nul n’est de trop dans l’Église »), nombre de nos évêques de l’époque ont en effet ramé et tramé contre l’acte de justice et de réconciliation voulu par Benoît XVI. 10 ans plus tard, comme le confirment les propos de Mgr Chauvet, la messe traditionnelle a bel et bien gagné droit de cité dans l’Église de France et c’est une grande joie pour tous.
2) Mystère, sacrifice, intimité, silence, présence réelle : Mgr Chauvet dégage avec clarté les qualités qui rendent si attractive la forme extraordinaire du rite romain et expliquent sa survie malgré son bannissement brutal à l'orée des années 70 ; et son renouveau actuel, en dépit des obstacles qu’elle doit affronter, à commencer par son exclusion des programmes de formation des séminaires. Pressant et inévitable dans les années 60 et 70, l’impératif prétendument œcuménique de protestantiser la messe en gommant sa dimension sacrificielle a bel et bien disparu, balayé tout à la fois par l’irrésistible aspiration au sacré qui se niche en chacune de nos âmes et par les bouleversements accélérés du panorama religieux qui ont modifié les paramètres de l’œcuménisme : irruption des sectes évangéliques et effritement des cultes protestants européens, renouveau du monde orthodoxe libéré de l’oppression communiste et, enfin, explosion de l’islam. Malheureusement, la réforme liturgique, fruit des principes de la fin des années soixante, est restée immuable – « irréversible » vient de dire le pape François –, alors que ses principes fondateurs sont, eux, devenus obsolètes. La « concurrence » de la messe traditionnelle n’en est que plus prégnante.
3) En rappelant, exemple du saint curé d’Ars à l’appui, que rien ne saurait être trop beau pour le culte divin, Mgr Chauvet souligne une vérité que certains s’obstinent cycliquement à nier et met ses pas dans ceux de feu Monseigneur Maxime Charles, ancien recteur de Montmartre. La pauvreté n’est pas le paupérisme et le dépouillement n’est pas la vulgarité. En ces temps où le vœu du pape François d’une « Église pauvre pour les pauvres » vient souvent, instrumentalisé et confondu, volontairement, avec un programme politique, il est bon que l’archiprêtre de Notre-Dame, gardien de quelques-uns des plus beaux trésors de la foi, de l’architecture religieuse et de l’art sacré, défende cette via pulchritudinis si chère à Benoît XVI.
4) En préambule de son homélie, Mgr Chauvet a rappelé qu’il était toujours le vicaire épiscopal chargé de la mise en place du motu proprio dans le diocèse de Paris. À ce titre, nous ne pouvons que formuler nos plus vives prières pour que l’accueil et les belles paroles qu’il a réservés au peuple Summorum Pontificum ce 7 juillet 2017 puissent se concrétiser au quotidien dans le diocèse. Il y a encore, à Paris, des demandes non seulement non satisfaites mais aussi non reçues. Certes, « tout se passe sans heurts » comme le disait Mgr Chauvet le 26 janvier 2017 sur Radio Notre-Dame, parce que les fidèles sont désormais rompus à l’alternance dominicale entre forme ordinaire et forme extraordinaire. Toutefois, à commencer par Saint-François-Xavier, l’ancienne paroisse de Mgr Chauvet, les demandeurs de l’application dominicale du motu proprio existent et répondraient présents si la messe grégorienne du matin était célébrée selon le missel de saint Jean XXIII et pas simplement de Paul VI. Évidemment, répondre à la demande, c’est aussi avaliser le fait que les catholiques parisiens attachés à la forme extraordinaire sont plus que les « 1100 personnes » officiellement décomptées par Mgr Chauvet.
5) Selon les chiffres du diocèse de Paris, invariés depuis 2009, 300 fidèles dominicaux assistent à la messe à Saint-Eugène-Sainte-Cécile, 200 à Notre-Dame-du-Lys, 300 à Ste-Odile, 100 à Sainte-Jeanne-de-Chantal, 100 à Saint-Germain-l’Auxerrois, et une centaine en d’autres lieux. Des chiffres qui nous apparaissent sous-estimés car il y a chaque dimanche une proportion de visages différents à chacune de ces messes. Si l'on considère que la FSSPX rassemble près de 4000 fidèles tous les dimanches entre Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Notre-Dame-de-Consolation et la chapelle de la rue Gerbert, on peut dire, au total, que plus de 5000 personnes assistent tous les dimanches à la messe traditionnelle à Paris. Soit, environ 5% des 100 000 pratiquants dominicaux présumés (1). Un chiffre à rapporter des 24% de pratiquants hebdomadaires qui assisteraient volontiers chaque semaine à la forme extraordinaire si celle-ci était célébrée dans leur paroisse et des 47% de pratiquants mensuels qui passeraient à la forme extraordinaire si elle était offerte par leur paroisse (enquête Harris Interactive de janvier 2010, voir notre lettre 220). A minima, le nombre de fidèles désireux de la forme extraordinaire à Paris peut donc être multiplié par 5...
6) 5000 pratiquants effectifs pour un potentiel de 25000 personnes, cela signifie qu'il y a environ 20 000 catholiques parisiens en attente, silencieuse, de l'arrivée du motu proprio dans leur paroisse. Pour les satisfaire, un premier geste pourrait être de mettre en œuvre la projection faite en 2009 par Monseigneur Chauvet lui-même qui estimait « normal, qu'à terme, la forme extraordinaire soit célébrée dans tous les doyennés de Paris ». Pour le dixième anniversaire du motu proprio, ce serait un grand signe de paix et de charité envers ces milliers de Silencieux qui souhaiteraient simplement vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire. Dans leur paroisse.
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(1) Chaque année, l'archevêché effectue, durant trois dimanches consécutifs, un décompte des pratiquants à la sortie des églises parisiennes. Hélas, les résultats de ce comptage « ne sont pas destinés à être communiqués au public » nous a-t-il été répondu par téléphone. Le chiffre de 100 000 pratiquants n'est donc qu'indicatif et correspond au rapport entre la population parisienne (2,2 millions d'habitants) et le pourcentage de messalisants (4,5% selon l'Ifop en août 2010).
(2) Lors d'une réunion du GREC (Groupe de Rencontre Entre Catholiques).