Abbé Troadec, fsspx - Lettres aux Amis et Bienfaiteurs du Séminaire
Saint-Curé-d’Ars (Flavigny-sur-Ozerain) - 2 février 2000
A une époque où la plupart des prêtres ont jeté leurs soutanes aux
orties, dans un siècle où l’homme moderne a de moins en moins le sens
religieux, il est bon de réfléchir sur les raisons de notre attachement à
cet habit. N’est-il pas un peu incongru, déplacé, exagéré de revêtir un
habit qui n’est plus de mode aujourd’hui, et qui peut parfois attirer les
quolibets ? Pour répondre à cette question, nous devons nous rappeler tout
d’abord le rôle du vêtement et voir ensuite l’intérêt de la soutane à
la fois pour celui qui la porte et pour son entourage.
En soi, le vêtement a pour but de couvrir le corps. C’est ce qui apparaît dans la Sainte-Ecriture après la chute de nos premiers parents. Le péché
originel a entraîné la perte des dons prénaturels et notamment la perte du
don d’intégrité qui assurait la soumissions parfaite des passions à la
raison, et de la raison à Dieu. C’est pourquoi aujourd’hui où nous
sommes atteints par la blessure de concupiscence, le vêtement nous permet de
nous protéger contre cette faiblesse.
Mais le vêtement a encore un autre rôle. En effet, comme vous l’avez
constaté, les vêtements sont divers en fonction des sexes, des cultures et
du rang social. Ainsi au-delà de sa fonction première, le vêtement est un
signe, c’est-à-dire qu’il désigne autre chose que lui-même. Il est un
signe de reconnaissance, un signe qui permet de reconnaître ce que nous
sommes. Il y a par exemple des vêtements féminins et des vêtements
masculins ; il y a des vêtements civils et des vêtements propres à
certaines fonctions sociales. Le gendarme, le soldat ou le contrôleur se
reconnaissent à leur uniforme.
Or ce qui est vrai de la société civile est vrai également de la société
religieuse. On reconnaît un capucin, un dominicain, un prêtre séculier à
son habit. La soutane est donc un signe de reconnaissance. Elle est aussi un
signe de séparation en raison de sa spécifié : elle nous met à part du
monde. Le prêtre, le frère sont des séparés.
Un aveu bien éclairant
Et c’est bien ce que la soutane rappelle à celui qui la porte. Partout où
il se trouve, le prêtre ou le ferre sait qu’il n’est pas un homme comme
les autres ; il sait qu’il n’est plus du monde et qu’il doit vivre en
conséquence. Voilà certainement un des plus grands bienfaits de l’habit
religieux, et pour mieux nous en convaincre, nous n’avons qu’à laisser
parler un ennemi de l’Église, Monsieur Ferdinand Buisson. Le 4 mars 1904,
à la chambre des députés, ce parlementaire franc-maçon s’exprimait ainsi
: " Je connais le proverbe qui dit : l’habit ne fait pas le moine.
Eh bien, moi, je soutiens que l’habit fait le moine. L’habit est en effet,
pour lui et pour les autres le signe, le symbole perpétuel de sa mise à
part, le signe qu’il n’est pas un homme avec tous les hommes. Cet habit,
c’est une force, c’est la force et la mainmise d’un maître qui ne lâche
jamais son esclave. Et notre rêve, c’est précisément de lui arracher sa
proie.
Quand l’homme aura déposé son uniforme du milieu où il est enrôlé,
forcément il retrouvera la liberté de s’appartenir, il n’aura plus une règle
qui enserre, moment après moment, toute sa vie, il n’aura plus un supérieur
à qui demander des ordres pour chaque acte de son existence… il ne sera
plus l’homme de la congrégation, il deviendra tôt ou tard, l’homme de la
famille, l’homme de la cité, l’homme de l’humanité.
Il faudra bien que le religieux sécularisé se mette à gagner sa vie
comme tout le monde. Nous n’en demandons pas plus, le voilà libre…
Longtemps peut-être, il restera attaché à ses idées religieuses et autres.
Gardons-nous de nous en plaindre… Laissons-le se laïciser tout seul, la vie
aidant. Comptons sur la nature pour reprendre tous ses droits… C’est par
la liberté que nous le gagnerons à la liberté. " (Discours repris
par l’Abbé Dulac dans la revue Itinéraires de novembre 1971 in L’auto-démolition
de la vie religieuse, page 152).
Ce texte montre très clairement le désir de nos ennemis de nous voir
quitter notre habit et il en donne la raison : l’habit étant un signe extérieur
de ce que nous sommes, et cela nous aide à rester ce que nous devons être,
à savoir des hommes de Dieu.
Par conséquent, en cherchant à arracher aux prêtres et aux religieux
leur habit, nos ennemis savent bien que la suppression du signe entraînera tôt
ou tard la suppression de la réalité qu’il signifie : Enlevez au prêtre
la soutane et vous verrez que le prêtre finira par perdre la conscience de sa
vocation.
[…]
Autres bienfaits de la soutane
La soutane est une aide pour le prêtre en lui rappelant sans cesse sa
vocation. Elle est également une protection dans les tentations. Elle a
encore l’avantage de nous protéger du respect humain : si nous étions en
civil, peut-être n’oserions-nous pas aborder certains sujets religieux, et
la soutane nous engage à le faire.
La soutane a dons bien des effets positifs sur nous. Mais elle en a aussi
sur les autres. Si l’uniforme quel qu’il soit ne donne pas la fonction, il
aide à la remplir. N’est-il pas, par exemple, plus impressionnant de se
faire arrêter par des gendarmes en uniforme que par des gendarmes en civil!
L’uniforme inspire le respect. De même, la soutane facilite l’ouverture
des âmes. Combien de fois ne le voit-on pas dans notre ministère ! l’habit
laisse rarement indifférent : il est source d’interrogations. cet été
encore je l’ai remarqué au cours de plusieurs voyages : des gens m’ont
abordé pour me donner des intentions de prières mais aussi pour parler
religion… sans ce signe extérieur, ils ne se seraient pas ouverts.
La soutane est donc source de respect pour l’entourage et permet
facilement d’élever les conversations au niveau spirituel. Mais elle est également
une prédication. On raconte, dans la vie de Saint François d’Assise, que
le saint demanda un jour à l’un de ses moines de l’accompagner pour prêcher
; et celui-ci fut tout surpris parce qu’ayant fait le tour du village, ils
sont rentrés au couvent sans avoir prononcé une seule parole. C’était une
leçon que saint François voulait donner à ces religieux : il voulait lui
faire comprendre que l’habit est à lui seul une prédication.
Aussi, chers fidèles, vous comprenez pourquoi les séminaristes sont fiers
de porter la soutane et de la porter avec honneur, sans complexe, heureux
d’avoir été choisis par Notre Seigneur pour le faire connaître et aimer,
par la leur vie tout d’abord mais aussi par leur habit.
Priez bien par conséquent, par tous ceux qui viennent de prendre l’habit
ecclésiastique : qu’ils se confirment aux exigences de leur vocation et
deviennent ainsi de dignes ministres de Dieu, capables de guider vos âmes sur
le chemin du ciel."
Abbé Patrick Troadec, Directeur
Le 2 février, en la Fête de la Purification de la Sainte Vierge