Aletheia n°50 - 12 décembre 2003
REMI BRAGUE INTERROGE L’ISLAM
Rémi Brague fut, en 1975, un des fondateurs de la “ Revue catholique internationale ” Communio. Cette revue, d’inspiration nettement balthasarienne, se voulait l’anti-Concilium. Dans la revue, et dans sa collection, aux éditions Fayard, on a lu, outre Hans Urs von Balthasar et Henri de Lubac, avant qu’ils ne deviennent cardinaux, Karol Wojtyla, avant qu’il ne devienne Jean-Paul II, Joseph Ratzinger, avant qu’il ne devienne Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et d’autres auteurs partisans d’un “ retour au Centre ” (le “ Centre ” étant le Christ selon l’expression de Balthasar).
Rémi Brague est aujourd’hui professeur de philosophie aux universités de Paris I et de Munich. Spécialiste de la philosophie médiévale (chrétienne, juive et islamique), il a fait paraître, ces derniers temps, deux articles sur l’Islam qui, dans des perspectives très différentes, méritent de retenir l’attention et font espérer que l’auteur prolongera ses réflexions dans un ouvrage plus développé.
Le premier article, intitulé “ Quelques difficultés du dialogue avec l’Islam ”, est paru dans trois numéros successifs de la revue trimestrielle Œuvre d’Orient[1]. Rémi Brague présente différentes “ difficultés qui se présentent dans la compréhension mutuelle entre musulmans et non-musulmans ”. La première est qu’il n’existe qu’un seul terme pour désigner la religion et la civilisation musulmanes : “ islam ” ; alors que dans toutes les langues européennes, on distingue la religion ( ” christianisme ”) et la civilisation ( ” chrétienté ”). Cette univocité s’accompagne, paradoxalement, d’une aporie : “ L’islam, à la différence du christianisme, en tout cas dans sa version catholique, n’a pas de magistère ecclésiastique universellement reconnu, et il ne veut pas en avoir. ” Qui va alors dire ce qu’est l’islam “ véritable ” ? Qui peut alors affirmer que telle ou telle doctrine ou pratique ne correspond pas à l’islam “ authentique ” ?
Rémi Brague fait ensuite remarquer que la place de l’islam, dans l’Histoire, a beaucoup changé entre les siècles du Moyen Age et l’époque contemporaine. L’islam s’est très tôt considéré comme “ un post-christianisme, au sens hégélien de la Aufbehung : un effacement qui accomplit ”. L’Histoire a pu, pendant quelques siècles, sembler lui donner raison : l’Islam a conquis rapidement tout le sud et l’Orient méditerranéens, même comme civilisation il a pu apparaître “ à son apogée, plus développé, plus avancé que les autres branches de l’arbre des descendants d’Abraham ”. Aujourd’hui, et depuis au moins le XVIIIe siècle, il n’en est plus ainsi. Rémi Brague, avec un brin d’ironie, écrit : “ Le malaise de l’islam à l’époque moderne vient, entre autres, de ce que le niveau de la civilisation et de la revendication de la religion ont cessé de se confirmer l’un l’autre. L’islam comme religion est le dernier cri ; l’islam comme peuples connaît un état de civilisation démodé ”.
Considéré de manière plus immédiate comme religion, les difficultés de compréhension de l'islam ne sont pas moins grandes. Quand on cherche à ne cerner l’islam que dans ses sources (le Coran et les Hadith — les récits sur la vie de Mahomet), on se heurte bien vite à des contradictions. Rémi Brague estime : “ Cela n’a rien de surprenant, si l’on songe que, pour qui admet la doctrine reçue sur sa formation, il fut prêché sur une durée de vingt ans, et dans de conditions très différentes. Au début, Mahomet était un prêcheur isolé qui annonçait à sa ville natale la venue prochaine du jugement dernier. À la fin de sa carrière, il était le chef d’une communauté victorieuse aux membres de laquelle il dictait ses lois. Entre les deux, il lui fallut polémiquer avec des païens, des juifs et des chrétiens, mais aussi négocier avec eux, nouer avec les uns des alliances tactiques contre les autres. ” L’exemple, “ désagréable ”, que cite Rémi Brague est significatif de la difficulté soulevée. Je renvoie le lecteur curieux à l’article lui-même.
Dans une dernière partie de sa longue étude, Rémi Brague montre l’islam comme “ intrinsèquement fondamentaliste ” ( “ au sens “protestant“ du terme ”) et explique que le concept de “ tolérance ” est inopérant pour juger l’islam parce que c’est une idée “ née dans l’Europe de l’époque de la Réforme ”.
Enfin, Rémi Brague termine par un paradoxe : “ pour la dogmatique islamique, les Juifs ne sont pas d’authentiques Juifs, les Chrétiens ne sont pas d’authentiques Chrétiens. Les véritables Juifs et les véritables Chrétiens sont en fait… les Musulmans eux-mêmes. ” Paradoxe qui se prolonge par un “ plaidoyer pour la science ” : un dialogue authentique présuppose, certes, de bonnes dispositions morales de part et d’autre, mais aussi une “ bonne connaissance mutuelle ”. et celle-ci, sauf rarissimes exceptions, fait défaut aux amateurs, des deux bords, du dialogue islamo-chrétien.
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À peu près contemporaine de ce long article, paraissait, dans une autre revue, une autre étude de Rémi Brague intitulée : “ Le Coran : sortir du cercle ? ”[2]. La perspective est très différente des articles parus dans Œuvre d’Orient. Il s’agit, cette fois, d’une interrogation sur la composition du Coran, menée à partir de travaux érudits, essentiellement de langue allemande et anglaise.
Rémi Brague fait remarquer d’emblée : “ On croit lire, écouter, traduire le Coran ” alors qu’en lisant le texte actuel, dans quelque édition qu’il s’agisse, on ne fait que lire “ les interprétations des commentateurs qui, à partir de la fin du IXe siècle, en particulier à partir de Tabari (m. 923), ont cherché tout simplement à venir à bout du tissu d’obscurités qui constitue le “Livre clair“. ” On ne dispose pas, pour le Coran, d’éditions critiques comme il en existe pour l’Ancien et le Nouveau Testament.
Dans un livre récent, un orientaliste allemand, Christoph Luxenberg, Die syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Betrag zur Entschüsselung der Koransprache (Berlin, Das arabische Buch, 2000, IX-311 pages) montre que la langue dans laquelle le Coran a été rédigé n’est pas l’arabe classique mais un mélange d’arabe et de syriaque. Ce qui conduit Luxenberg à réviser, à partir du syriaque, la traduction de textes importants du Coran. Ainsi, et Rémi Brague en rapporte la démonstration, le célèbre passage sur les houris promises aux bons musulmans au Paradis, doit être lu dans un tout autre sens.
Une des conséquences de cette révision du Coran à partir du syriaque est de mettre en lumière des prières d’origine chrétienne dans plusieurs sourates du “ Livre saint ”. Luxenberg estime aussi que le Coran, à l’origine, n’est pas une révélation nouvelle reçue par Mahomet mais “ un lectionnaire ”. Luxenberg, cité par Rémi Brague, écrit : “ Si Coran signifie à proprement parler lectionnaire, on est autorisé à admettre que le Coran ne voulait être compris comme rien d’autre qu’un livre liturgique avec des textes choisis de l’Ecriture (Ancien et Nouveau Testaments), et nullement comme un succédané de l’Ecriture elle-même, c’est-à-dire comme une Ecriture indépendante. ”
La question essentielle ainsi posée — Christoph Luxenberg et Rémi Brague ne sont pas les premiers à la poser : quel fut le milieu d’origine du Coran ? Luxenberg émet l’hypothèse d’un milieu judéo-chrétien. Rémi Brague commente : “ la conception que le Coran se fait du Christ rappelle en effet la christologie des judéo-chrétiens. En revanche, il reste une grosse difficulté : nous n’avons pas de traces d’un lien direct entre le groupe judéo-chrétien expulsé de Jérusalem vers 66 et les événements situés six siècles plus tard [la naissance de l’islam]. ”
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Le faux voyant Roger Kozik honoré par Chicago et par la France
Le dernier numéro paru du bulletin Fraternité Notre Dame[3] nous apprend que “ Mgr Jean-Marie R. Kozik ” a été honoré, au printemps dernier, à Chicago, en hommage aux activités charitables de quelques-unes des “ religieuses ” de sa communauté établies dans cette ville. Le nom de “ Rev. Bishop Jean Marie R. Kozik ” a été donné à une rue de la ville au cours d’une cérémonie à laquelle ont pris part des autorités municipales et le consul de France à Chicago, en présence de “ Mgr ” Kozik et de plusieurs “ prêtres ” et “ religieuses ” de sa communauté. On veut bien croire que le consul de France à Chicago, bien connu par ailleurs pour plusieurs ouvrages récents d’un grand intérêt, a été abusé, qu’il a prononcé l’éloge de “ Mgr ” Kozik et qu’il a dévoilé la plaque en son honneur sans savoir à qui il avait affaire.
“ Mgr ” Kosik est en fait un ancien séminariste qui prétend avoir bénéficié d’apparitions de la Vierge depuis 1969[4]. En 1970, avec un ami, Michel Fernandez, il s’installe dans le petit village du Fréchou, dans le Lot-et-Garonne. En 1974, Kozik et Fernandez, se font ordonner prêtres par un pseudo-évêque, Mgr Laborie, de l’ “ Eglise catholique latine ”. Craignant que ces ordinations ne soient invalides, ils vont se faire réordonner par un autre pseudo-évêque, Mgr Enos, “ primat de l’Union des Petites Eglises Catholiques Indépendantes ”. Puis, en 1977, ils rallient l’Ordre des Carmes de la Sainte Face, de Clemente Dominguez Gomez (le faux voyant de Palmar de Troya qui deviendra, l’année suivante, le “ pape Grégoire XVII ”). Roger Kozik devient le “ Père Jean-Marie ”. Cette même année 1977, le 27 mai, Kozik et Fernandez, sont ordonnés prêtres, une troisième fois, par un pseudo-évêque de Palmar de Troya, puis, le même jour, ils sont sacrés évêques. Le 10 juin suivant, dans un bois, entre Andiran et Le Fréchou, Roger Kozik aura une première apparition publique de la Vierge, “ publique ” au sens où la Vierge aurait commencé à délivrer des messages destinés à être rendu publics. Tous les 14 du mois, la Vierge, jusqu’à aujourd’hui, serait fidèle à ce rendez-vous…
Les évêques successifs d’Agen, dès le 13 août 1977, ont multiplié les déclarations et les mises en garde contre ces apparitions considérées comme non-authentiques. Le 10 mai 1991, la cour d’appel d’Agen a confirmé une condamnation pour abus de confiance contre “ Mgr ” Kozik et trois autres membres de sa communauté : des peines de prison assorties de périodes de mises à l’épreuve et de privation de droit civique pendant cinq ans.
Le même bulletin du Fréchou nous apprend que le Président de la République, Jacques Chirac, a été “ incité ” à “ nommer Mgr Jean-Marie Kozik Chevalier de l’Ordre National du Mérite ”. Les autorités municipales de Chicago, le consul de France à Chicago et , éventuellement, l’Ordre National du Mérite auraient été bien inspirés de se renseigner un peu plus sur Roger Kozik avant de l’honorer. Il leur aurait suffi de consulter l’Annuario Pontificio pour se rendre compte qu’il n’est ni prêtre ni évêque, et d’entrer en relations avec l’évêché d’Agen pour en connaître un peu plus.
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Le Catéchisme de saint Pie X
Dans les années 1870, le futur pape saint Pie X était encore curé de Salzano quand il rédigea un catéchisme, en 577 questions et réponses. Il contenait un exposé progressif de la foi, depuis l’existence de Dieu jusqu’à la vie de la grâce par la prière et les sacrements. Ce catéchisme ne fut jamais édité de son vivant[5], mais utilisé par lui dans son enseignement de la foi (aux enfants et aux adultes) et abondamment corrigé.
Devenu pape, s. Pie X a promulgué, en 1905, une version révisée d’un catéchisme, classique, publié en 1765 par Mgr Michele Casati, évêque de Mondovi. C’est ce catéchisme, intitulé Abrégé de la doctrine chrétienne ou Catéchisme de Rome, et dont des traductions françaises avaient paru en 1906 et 1907, qui a été réédité, en pleine “ crise des catéchismes ”, par un numéro spécial de la revue Itinéraires (n° 116, septembre-octobre 1967, 393 pages), volume intitulé Catéchisme de S. Pie X. Ce premier catéchisme promulgué par s. Pie X fera l’objet d’autres éditions dans les milieux traditionalistes (en 1976 aux éditions de la Nouvelle Aurore, en 1984, aux éditions Dominique Martin Morin).
Mais s. Pie X, en octobre 1912, promulguait un “ catéchisme nouveau ”, le Catéchisme de la doctrine chrétienne. Ce catéchisme avait un ordonnancement différent du précédent et il était plus bref (433 questions-réponses). Dans la lettre approuvant ce nouveau catéchisme qui devait se substituer à l’ancien, s. Pie X estimait que “ ce livre, malgré sa brièveté, explique plus clairement et met davantage en relief les vérités qu’aujourd’hui, pour le plus grand dommage des âmes et de a société, on combat, ou déforme, ou oublie le plus. ”
Ce catéchisme de 1912 a connu, en Italie et dans beaucoup de pays, une diffusion ininterrompue. C’est lui que Jean-Paul Ier, en 1978, recommandait encore. En France, curieusement, il n’a pas eu le même écho. Il a bien eu, en 1913, une traduction, à la Maison de la Bonne Presse, mais aucune autre, apparemment, depuis.
Aujourd’hui, les éditions du Courrier de Rome, dirigées par l’abbé du Chalard, en publient une nouvelle édition, très élégante, dans un format pratique de poche : Catéchisme de saint Pie X (B.P. 156, 78001 Versailles), 10 ¤ en édition brochée, 20 ¤ en édition cartonnée. Un excellent cadeau de Noël.
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[1] Œuvre d’Orient (20 rue du Regard, 75278 Paris cedex 06), n° 731, avril-mai-juin 2003, p. 624-631 ; n° 732, juillet-août-septembre 2003, p. 661-664 ; n° 733, octobre-novembre-décembre 2003, p. 697-701 ; 0,75 ¤ le numéro.
[2] Critique, Editions de Minuit, mars 2003, p. 232-251.
[3] Fraternité Notre Dame, n° 54, Maison Notre-Dame, 47600 Le Fréchou.
[4] Cf. Yves Chiron, Enquête sur les apparitions de la Vierge, Perrin/Mame, 1995 (et édition de poche “ J’ai Lu ”, 1997) et Joachim Bouflet, Faussaires de Dieu, Presses de la Renaissance, 2000.
[5] Le manuscrit original a été intégralement reproduit sous le titre de Catechismo di don Giuseppe Sarto Arciprete di Salzano, Cancelleria della Curia Vescovile di Treviso, 1985.