Yves Chiron - Aletheia n° 5 - 20 novembre 2000
Sommaire :
I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande.
II. Medjugorje.
III. Soeur Lucie témoigne.
IV. Nouvelles.
I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande
En 1953, à Sabana Grande (Porto Rico), la Sainte Vierge serait apparue à trois enfants dans un lieu appelé “ El Pozo ” (le puits). Elle se serait révélée sous le vocable de “ La Vierge du Rosaire ” et serait apparue 33 fois. La dernière apparition aurait eu lieu le 25 mai 1953, accompagnée d’un prodige solaire qui rappelle la “danse du soleil” à Fatima. Des guérisons auraient eu lieu ensuite. Les messages délivrés à Sabana Grande connurent et connaissent encore une grande diffusion non seulement à Porto Rico mais aussi aux Etats-Unis, au Mexique, en République dominicaine et jusqu’en Espagne. A partir de 1978, le voyant principal de 1953, Juan Angel Callado, aurait reçu à nouveau sept messages de la Vierge. Cela relança, semble-t-il, la dévotion envers la “ Vierge du Rosaire ”. Une association de fidèles fut constituée sous le nom d’“ Association pour la dévotion à la Vierge du Rosaire ”. Elle fut approuvée par la Conférence Épiscopale Portoricaine le 28 mai 1986 ( “ sin pasar juicio alguno ” sur les supposées apparitions). L’Association se montra dès lors très active par des réunions de prières, l’édition de brochures et d’un bulletin.
L’abbé René Laurentin, dans son ouvrage classique Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui (Fayard, février 1991, 3e édition mise à jour) évoque les faits de Sabana Grande (p. 179-180) mais il ignore les mises en garde et les jugements de l’Eglise sur le sujet.
Mgr Fernando Felices Sanchez, chancelier de l’archevêché de San Juan (Porto Rico), m’a envoyé copie de tous les documents officiels sur le sujet, jusqu’à la récente condamnation romaine :
- le 3 avril 1989, au terme d’une enquête canonique sur les faits de Sabana Grande, situé dans son diocèse, Mgr Ulises Casiano Vargas, évêque de Mayagüez, publiait un décret affirmant que les faits étudiés ne répondaient pas “ aux critères établis par la Congrégation pour le foi en matière d’apparitions de la Vierge ” et ne permettaient pas d’“ établir leur origine surnaturelle ”.
- le 7 octobre 1989, les évêques de la Province Ecclésiastique de Porto-Rico (PEPC), publiaient un très long décret. Ils déclaraient que les supposées apparitions n’avaient aucune origine surnaturelle et ils retiraient l’approbation canonique qui avait été donnée jadis à l’Association. Les fidèles avaient désormais interdiction d’y adhérer et de se rendre au “ sanctuaire ” établi sur le lieu des prétendues apparitions.
- le 6 avril 1991, la PEPC réitérait son décret du 7 octobre 1989.
- le 3 octobre 1995, le Conseil Pontifical pour les Laïcs, saisi d’un recours par l’Association pour la Dévotion à la Vierge du Rosaire, confirmait que la Conférence Épiscopale Portoricaine avait respecté le droit en révoquant la reconnaissance canonique accordée jadis à la dite-Association.
- le 17 mars 1997, par une triple déclaration (“ A tous les prêtres de Porto Rico ”, “ Aux dévots de la Vierge du Rosaire du Puits ”, “ A tous les fidèles de l’Eglise catholique à Porto Rico ”), la Conférence Épiscopale Portoricaine renouvelait sa condamnation et ses interdictions.
Ces différents actes de l’Eglise enseignante n’ont pas suffi à faire cesser la dévotion à la Vierge du Rosaire de Sabana Grande, les pèlerinages sur les lieux et la diffusion des messages. Aussi, lors de leur visite ad limina à Rome, les évêques de Porto Rico ont-ils demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de se prononcer sur les prétendues apparitions. Le 25 août 2000, après étude du dossier, Mgr Bertone, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a adressé une lettre à Mgr Casiano Vargas, évêque de Mayagüez. La Congrégation romaine fait sien le jugement prononcé le 3 avril 1989 et estime, à son tour, que la surnaturalité des faits n’a pas été établie ( “ no consta la sobrenaturalidad de las presuntas “apariciones” de la Ssma. Virgen Maria en el Pozo de Sabana Grande ”).
II. Medjugorje
Cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les faits de Sabana Grande est une nouvelle illustration de l’attitude de l’Eglise en matière d’apparitions et révélations privées. De manière habituelle, et comme le prévoit le Droit canon (l’ancien comme le nouveau), c’est à l’évêque du diocèse où se déroulent les faits que revient la responsabilité d’enquêter et de porter un jugement. La Conférence Épiscopale peut être appelée à se prononcer à son tour. Mais, à l’encontre de ce qu’affirment certains auteurs, le Saint-Siège peut être amené aussi à intervenir en dernière instance, à la demande de l’ordinaire du diocèse. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1934, la Congrégation du Saint-Office a jugé que les apparitions et révélations d’Ezquioga (en Espagne) étaient “ dépourvues de tout caractère surnaturel ”.
Peut-être un jour - et c’est à souhaiter - la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se prononcera-t-elle de manière définitive sur les prétendues apparitions de Medjugorje, dans le diocèse de Mostar, comme elle l’a fait sur celles de Sabana Grande. Pour le moment, la Congrégation s’est contentée de rappeler, par une lettre en date du 26 mai 1998, la déclaration de la Conférence Épiscopale de l’ex-Yougoslavie, en 1991 ( “ Sur la base des investigations jusqu’ici conduites, il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelles ”) et d’estimer que la position de l’évêque de Mostar, Mgr Peric - “ constat de non supernaturalitate ” - était l’ “ expression d’une conviction personnelle ” La même Congrégation estime que les faits de Medjugorje “ demandent encore un examen par l’Eglise ”.
En 1998, après avoir publié plusieurs dizaines d’ouvrages sur Medjugorje et avoir mis au service de cette cause sa réputation de théologien et de mariologue, l’abbé René Laurentin avait annoncé, qu’à la demande de Mgr Peric, il cessait de publier sur le sujet. L’annonce était faite dans le volume 17 années d’apparitions à Medjugorje. Testament (éditions F.-X. de Guibert, 1998).
L’abbé Laurentin a changé d’avis. Il fait paraître un nouveau volume : Medjugorje. 18 années d’apparitions (F.-X. de Guibert, 148 pages). Le titre du livre, sa présentation, sa composition sont exactement à l’identique des dix-sept volumes précédemment parus. La seule différence est que l’abbé Laurentin n’en est plus officiellement l’auteur, il en est seulement le préfacier, son nom apparaît en gros caractères sur la couverture ...
Les ouvrages relatifs à Medjugorje et les bulletins qui diffusent les messages que la Vierge continuerait à y délivrer chaque mois sont innombrables, en toutes langues. Les études qui contestent l’authenticité des apparitions sont moins nombreuses et moins connues. Il n’est peut-être pas inutile de donner la liste des principales d’entre elles :
- Ivo Sivric, o.f.m., La Face cachée de Medjugorje, Editions Psilog, Saint-François-du-Lac (Canada), 1988, 399 pages.
- E. Michael Jones, Medjugorje : the untold story, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1988, 144 pages.
- frère Michel de la Sainte Trinité, Medjugorje en toute vérité, Editions de la Contre-Réforme Catholique, Saint-Parres-lès-Vaudes, 1991, 519 pages.
- Michael Davies, Medjugorje after fifteen years : the message and the meaning, The Remnant Press, St. Paul (Etats-Unis), 1997, 79 pages.
- E. Michael Jones, The Medjugorje Deception. Queen of Peace, ethnic cleansing, ruined lives, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1998, 385 pages.
- Joachim Bouflet, Medjugorje ou la fabrication du surnaturel, Editions Salvator, Paris, 1999, 243 pages.
Dans mon Enquête sur les apparitions de la Vierge (Perrin/Mame, 1995), j’ai évoqué les faits de Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Apparitions controversées ” et dans l’Enquête sur les miracles de Lourdes (Perrin, 2000) j’ai évoqué les supposées guérisons survenues à Medjugorje ou en lien avec Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Des miracles dans d’autres sanctuaires ”.
Ajoutons que le père Ivo Sivric, franciscain, natif de Medjugorje, longtemps professeur à l’université Duquesne, de Pittsburgh, va publier en 2001, avec Louis Bélanger, une nouvelle étude critique sur les “ apparitions yougoslaves ”, celles de Medjugorje mais aussi celles qui ont fleuri aux alentours, avant et après 1981, et qui n’ont pas eu le retentissement de celles de Medjugorje.
III. Soeur Lucie témoigne
Les entretiens accordés par soeur Lucie, en octobre 1992, au cardinal Padiyara et, en octobre 1993, au cardinal Vidal, sont contestés par certains (cf. les précédents numéros d’Alètheia) parce que la voyante de Fatima y exprime sa conviction que la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 a enfin correspondu à ce que la Vierge avait demandé.
Certains estiment que ces entretiens (dont la retranscription est parue en français sous le titre Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, 117 pages) sont emplis d’affirmations que, selon eux, soeur Lucie n’aurait jamais pu faire. D’autres vont jusqu’à mettre en doute l’existence-même de ces entretiens.
J’ai déjà cité une lettre du cardinal Vidal, archevêque de Cebu (Philippines), confirmant qu’il existait bien un enregistrement vidéo de l’entretien qu’il avait eu en 1993 avec soeur Lucie. On peut ajouter que Carlos Evaristo, présent aux deux entretiens comme interprète, possède cet enregistrement (dans le système vidéo américain NTSC) et qu’il possède aussi un enregistrement audio de trois heures (les deux heures de l’entretien de 1992 et l’heure de l’entretien de 1993).
Le débat - si débat il y a - ne devrait donc pas porter sur l’authenticité des entretiens et de leur retranscription mais sur les arguments avancés par soeur Lucie. Aucun de ceux qui contestent ces entretiens de 1992 et 1993 ne s’est livré à une analyse détaillée des raisons données par soeur Lucie.
IV. Nouvelles
• Une commission d’enquête sur les apparitions de la Vierge à l’Ile-Bouchard, en 1947, a été instituée par le nouvel archevêque de Tours, Mgr Vingt-Trois.
• Le Bureau Médical de Lourdes (65108 Lourdes) a élaboré un nouveau document de référence pour définir sa mission : le discernement des guérisons . Ce document de quatre pages, intitulé “ De la guérison au miracle ”, a été approuvé par le recteur des sanctuaires et par l’évêque de Tarbes-Lourdes. Il a été publié par le Bulletin du Bureau Médical (n° 272, octobre 2000). Il est disponible aussi en tiré à part, en cinq langues, et sur le site internet de Lourdes.
• Yves Nicolazic, mort en 1645, a été le bénéficiaire d’une apparition de sainte Anne, à l’origine du grand sanctuaire breton d’Auray. Son procès de béatification avait été ouvert en 1937 puis avait été plus ou moins délaissé. Il a été réouvert par l’évêque de Vannes. Une commission diocésaine a été créée et les premiers résultats de ses travaux ont été déposés à la Congrégation pour les causes des saints.
• Du vivant de Paul VI, et après sa mort pendant plusieurs années, des écrits ont circulé qui affirmaient que le “ vrai ” Paul VI était séquestré et qu’il avait été remplacé par un sosie. Ces affirmations rocambolesques se fondaient sur de supposées apparitions de la Vierge, sur de prétendus exorcismes, sur des photographies et sur des sonogrammes. Cette rumeur, répandue dans certains milieux traditionalistes, permettait, semble-t-il, de faire porter la responsabilité de la crise de l’Eglise non au pape légitime mais à son sosie, manoeuvré par les francs-maçons.
Une rumeur proche commence à se répandre à propos de Jean-Paul II. Alain Kérizo et Louis Long, dans L’Eglise à l’aube du IIIe millénaire. Apostasie ou résurrection (Editions Sainte-Jeanne d’Arc, Villegenon, 1999, 52 pages), dressent une liste des “ anomalies certaines ” qui, selon eux, attestent de la manifestation “ du Mystère d’Iniquité à l’oeuvre sous les voûtes du Vatican ”. Dans cette liste, on trouve : “ le triple assassinat probable du colonel des gardes suisses, de son épouse et de son ordonnance en mai 1998 ; il est confirmé que ce colonel avait été le sosie de Jean-Paul II, qu’il semble avoir remplacé dans certains déplacements jusque dans le début des années 1990” (p. 37).
La même élucubration est reprise à la page 26 d’un roman à clefs, publié par deux auteurs qui signent du pseudonyme Napoléon et Lafayette : Opération M.S.H., la dernière croisade humanitaire (Editions Sainte Jeanne d’Arc, Villegenon, 2000, 234 pages).