SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°459 - 30 septembre 2014
Nous publions aujourd’hui la lettre d’un fidèle dont la perplexité fait écho à celle de nombreux paroissiens qui désespèrent d'obtenir, sept ans après l'entrée en vigueur du Motu Proprio Summorum Pontificum, l'application pleine et entière de cette mesure bienfaisante pour les catholiques du monde entier.
Nous publions aujourd’hui la lettre d’un fidèle dont la perplexité fait écho à celle de nombreux paroissiens qui désespèrent d'obtenir, sept ans après l'entrée en vigueur du Motu Proprio Summorum Pontificum, l'application pleine et entière de cette mesure bienfaisante pour les catholiques du monde entier.
Attaché à la forme extraordinaire du rite romain, actuellement célébrée deux fois par mois dans sa paroisse, il a entamé des démarches pour que cette célébration passe à un rythme hebdomadaire. Alors que cette liturgie est célébrée sans difficulté depuis trois ans, il s’est vu répondre par la négative, après des mois de tergiversations et de faux-semblants, au titre que « le développement de la forme extraordinaire mettrait en péril (sic !) l’unité paroissiale ».
Cette interprétation pour le moins anachronique du Motu Proprio – l'argument de la « division » que provoquerait « le retour de la messe en latin » est en effet celui que l'épiscopat français avait opposé, durant toute l'année 2006, au texte de Benoît XVI en préparation – mérite bien que nous y consacrions nos réflexions de la semaine.
I – LE COURRIER DE NOTRE LECTEUR
Chers amis de Paix Liturgique,
Je vous écris au nom d'un groupe de fidèles d’une paroisse d'une ville moyenne du sud-est de la France (*) où, après mille péripéties, nous avons obtenu il y a trois ans la célébration mensuelle, puis bimensuelle, de la messe dans la forme extraordinaire. Tout se passant bien, nous désirons maintenant passer à l'étape supérieure et disposer d’une vie liturgique complète et régulière. Voilà pourquoi, après avoir consulté les familles les plus impliquées dans notre "aventure", nous avons demandé à notre curé, maintenant qu’il avait pu constater le sérieux et le nombre des fidèles attachés à la forme extraordinaire (plus de 100 âmes lors de chaque messe) que cette célébration passe désormais à un rythme hebdomadaire, soit chaque dimanche et fêtes, afin de donner à notre communauté un caractère plus stable et normal. Pour répondre à notre demande le curé nous a, depuis dix mois, fixé trois réunions "pour rien" car à chaque fois il nous a renvoyé vers le vicaire général du diocèse qui, seul, serait à même de prendre la décision et, donc, de nous répondre.
Nous avons donc écrit au vicaire général.
Dans notre courrier, nous insistions sur le fait que, même si nous étions attachés à la liturgie traditionnelle, nous avions toujours pratiqué dans la paroisse, où nous avions nos amis et où nous participions activement à diverses activités, dont le catéchisme. Nous rappelions également que notre démarche avait dès le début été mise en œuvre dans un souci d’unité et de charité et que nous n’avions jamais demandé autre chose que de vivre notre foi catholique dans notre paroisse, c’est-à-dire sous l’autorité naturelle de notre curé, garant de l’unité.
Quelle ne fut pas notre surprise d’obtenir pour réponse que la célébration de la forme extraordinaire ne pouvait pas être accordée tous les dimanches car notre situation était déjà « privilégiée » et que cela « risquait de nuire à l’unité paroissiale » !
Le vicaire général nous écrit en effet qu’il est nécessaire d’assister régulièrement « à la messe dans la forme ordinaire, participant ce faisant à la vie de [notre] communauté chrétienne de proximité ». Comme si, lorsque nous assistions à la messe traditionnelle dans la paroisse, nous ne participions pas à la vie de la communauté paroissiale ??? Comme si nous n'avions pas de rapports avec les autres paroissiens qui, pour la plupart, sont des parents, des amis ou des relations naturelles de notre vie de tous les jours ??? Comme si nous étions des étrangers dans une paroisse où nous nous occupons du ménage et du catéchisme ???
M. le vicaire général poursuit même en écrivant que : « Par la possibilité d’une communion paroissiale effective, c’est l’unité de l’Église qui est ainsi servie, ce qui est la finalité des dispositions du Motu Proprio de 2007, comme l’expliquait Benoît XVI dans sa lettre aux évêques publiée à cette occasion ». Or, selon M. le vicaire général, la « possibilité d’une communion paroissiale effective » est assurée par le rythme seulement bimensuel de la célébration en forme extraordinaire « car ainsi, les familles de la paroisse peuvent aussi (il n'a visiblement pas osé écrire « doivent ») participer à la messe dans la forme ordinaire » et, ce faisant, à « la vie de leur communauté chrétienne de proximité»…
J'avoue que les bras nous en sont tombés ! Non seulement l’assistance hebdomadaire à la messe selon la forme extraordinaire ne permettrait pas une communion effective mais, en plus, on voudrait nous faire croire que Benoît XVI lui-même considérait que l’assistance à la liturgie traditionnelle dans le cadre paroissial ne permettait pas une communion effective !
Je ne vous cache pas mon incompréhension et ma colère. Avez-vous des conseils à me donner ? Comment faire avancer les choses ? Merci par avance de votre aide et de vos prières !
* Nous avons gommé volontairement les éléments pouvant permettre d'identifier la paroisse.
Extraits de la Lettre aux évêques du 7 juillet 2007
a) « Au cours des discussions sur ce Motu Proprio attendu, a été exprimée la crainte qu’une plus large possibilité d’utiliser le Missel de 1962 puisse porter à des désordres, voire à des fractures dans les communautés paroissiales. Cette crainte ne me paraît pas non plus réellement fondée. L’usage de l’ancien Missel présuppose un minimum de formation liturgique et un accès à la langue latine ; ni l’un ni l’autre ne sont tellement fréquents. De ces éléments préalables concrets découle clairement le fait que le nouveau Missel restera certainement la Forme ordinaire du Rite Romain, non seulement en raison des normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans laquelle se trouvent les communautés de fidèles. »
– La crainte que récuse Benoît XVI en 2007, c'est précisément celle qu'avait exprimé à haute voix la hiérarchie épiscopale française tout au long de 2006 et que M. le vicaire général ressort aujourd'hui. Preuve qu'il fait du texte pontifical un usage partiel et partial.
b) « J’en arrive ainsi à la raison positive qui est le motif qui me fait actualiser par ce Motu Proprio celui de 1988. Il s’agit de parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Église. En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Église n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ; on a l’impression que les omissions dans l’Église ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau. »
– Nul besoin de commentaire…
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Tout d’abord un grand bravo à ces fidèles pour leur détermination ! Malgré les difficultés qu’ils ont rencontrées depuis le moment où ils ont formulé leur première demande, il y a plus de cinq ans, ils continuent sans se lasser, comme de nombreux autres catholiques, à demander avec persévérance, l’application large et généreuse – donc hebdomadaire et dominicale – des bienfaits du Motu Proprio dans leur paroisse.
On peut dire que cette persévérance a quelque chose d’héroïque quand on mesure le mépris et la rouerie de ces étranges interlocuteurs qui paraissent toujours à la recherche de nouveaux arguments – quitte à en recycler d'éculés ! – pour freiner le développement de la célébration de la forme extraordinaire du rite romain en misant sur la lassitude des fidèles.
2) Force est de constater que le vicaire général a une théologie hasardeuse :
a) La « communion paroissiale » est forcément incluse dans la communion ecclésiale. Si les assistants à la messe en forme extraordinaire sont en communion avec le Christ et avec l’Église, ce qui est tout un, ils sont nécessairement en communion avec leur diocèse catholique, avec leur paroisse catholique, avec telle ou telle association catholique à laquelle ils appartiennent, etc. Les fidèles portugais ou polonais de telle paroisse parisienne, qui assistent à la messe dominicale dans leur langue, s’ils sont catholiques, sont par le fait en communion avec leur paroisse, si elle est catholique.
b) D’autre part, on ne voit pas comment l’assistance à telle forme rituelle (en l’espèce à la forme ordinaire du rite romain) serait un signe de communion, alors que l’assistance à telle autre (la forme extraordinaire) ne le serait pas : dès l’instant que la forme rituelle de l’eucharistie à laquelle on participe est catholique, elle est signe de communion avec l’Église du Christ (et donc avec la paroisse dans laquelle elle se déroule).
3) On relèvera une certaine mauvaise foi dans cette réponse du vicaire général. Alors que la réalité de la demande n’est plus à prouver (une centaine de fidèles réguliers aux deux messes mensuelles, depuis trois ans, alors que la messe anticipée du samedi ne regroupe qu'une quarantaine d'âmes) et que la célébration de cette messe traditionnelle ne pose aucun problème au sein de la communauté où chacun se connaît, le vicaire général décrète que le rythme non hebdomadaire de cette célébration doit rester tel quel car il permet une « communion paroissiale effective », c’est-à-dire la participation à la forme ordinaire du rite romain de plusieurs des fidèles de la messe « extra ».
Était-il vraiment nécessaire de mener les fidèles en bateau pendant dix mois pour arriver à une telle sentence ? Les réunions « pour rien » organisées par le curé n’avaient-elles pas d’autre but que de décourager les fidèles, pour finir par faire taire leur demande et pouvoir dire que celle-ci était satisfaite ?
Ce faux dialogue qui cache un vrai mépris est révélateur du fait qu’indépendamment de la clarté du texte et de l’esprit du Motu Proprio Summorum Pontificum et de l'instruction Universae Ecclesiae qui l'accompagne, certains « ayatollahs », clercs ou laïcs, continuent d’imposer leur vision de l’Église et font une application restrictive du Motu proprio, considérant les fidèles attachés à la forme extraordinaire comme des sous-fidèles ou des fidèles en quarantaine ayant besoin de leur dose régulière de forme ordinaire pour demeurer en « communion paroissiale effective ».
Nous posons la question : les fidèles habitués à la forme ordinaire seront-ils aussi priés d’assister à la forme extraordinaire occasionnellement ou bien la communion paroissiale version M. le vicaire général est-elle à sens unique ? Pourquoi les fidèles traditionnels sont-ils toujours obligés de montrer leur bonne volonté, de se soumettre à des conditions humiliantes, de multiplier les gages de « communion » ? Par « communion paroissiale effective », faut-il comprendre « alignement à la ligne du vicaire général » ?
4) Avec ce fidèle nous nous interrogeons : comment l’unité paroissiale pourrait-elle être mieux servie alors que ces fidèles demandent expressément l'application hebdomadaire du Motu Proprio DANS LE CADRE PAROISSIAL et non pas dans un cadre non paroissial spécialement dédié à la célébration de la forme extraordinaire. Le fait d’assister à la messe dans sa propre paroisse, côtoyant ainsi les autres paroissiens, quelle que soit leur diversité ou leur sensibilité, n’est-il pas plus authentiquement facteur d’unité que le fait de pratiquer dans des « réserves d’indiens » ou des « ghettos dorés » qui, tout sympathiques et confortables qu'ils soient, ne sont souvent mis en place par l’autorité diocésaine que pour éviter une contagion traditionnelle dans les paroisses ?
On reconnaît ici le paradoxe – pour ne pas employer un terme plus fort – des ennemis de la paix liturgique qui, d’une part, freinent le développement des lieux de culte traditionnel dédiés exclusivement à la liturgie traditionnelle en dénonçant, à juste titre, l’aspect « communautariste » et « l’entre soi » que peut inspirer ce type de lieu de culte mais qui, d’autre part, freinent également la célébration de la forme extraordinaire du rite romain dans le cadre paroissial au motif que cela nuirait à la communion… L’important pour ces conservateurs est que rien ne change et que l’apartheid liturgique continue de demeurer règle « pastorale ».
La nouvelle génération de fidèles, forte de l’expérience de ses aînés, n’aura certainement pas la patience de la génération précédente et n’acceptera pas de se faire encore et toujours « rouler dans la farine » par des prêtres mal disposés. Ces derniers doivent être conscients du fait que leurs manœuvres ne trompent plus personne.
5) À l’heure où l’opinion catholique tourne les yeux vers les chrétiens d’Orient en raison des persécutions qu’ils subissent, ne faut-il pas admirer chez eux la grande sagesse de l’Église qui a su conserver l’unité dans un foisonnement de diversités liturgiques, toutes aussi belles et toutes aussi riches les unes que les autres ?
6) Pour servir l’unité, ne faudrait-il pas que nos pasteurs commencent par accueillir la diversité ? Qu’ils accueillent avec charité les demandes des fidèles qui souhaitent bénéficier normalement, c’est-à-dire sans restrictions humiliantes, du Motu Proprio dans leur paroisse, et qui sont aujourd’hui contraints d’aller voir ailleurs ? Un beau signe de ce désir d’unité serait que tout curé, que tout évêque célèbre au moins une fois par an lui-même la forme extraordinaire, montrant ainsi qu’il est pasteur de TOUTES ses brebis. Plus que jamais, les curés doivent redevenir les prêtres de tous et non pas d’une poignée de « laïcs engagés ». Comme le répète inlassablement le pape François, le curé, père commun de tous ses paroissiens, par-delà leurs sensibilités liturgiques et leurs parcours, garant de l’unité paroissiale, tel est bien le modèle de pasteur que l’Église attend.