SOURCE - L'Homme Nouveau - 24 septembre 2014
Au lendemain de la rencontre à Rome du cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et de Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, l'abbé Claude Barthe a bien voulu nous donner son analyse de cet événement et de ses possibles répercussions.
Vers la reconnaissance canonique ?
C’est donc hier, mardi 23 septembre, qu’au Palais du
Saint-Office (congrégation pour la Doctrine de la foi), s’est déroulé
l’entretien annoncé sans date entre le cardinal Müller, Préfet de la
Congrégation pour la Doctrine de la foi et Président de la Commission
pontificaleEcclesia Dei, et Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité
sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Étaient présents à l’entretien : du côté
de la Congrégation, Mgr Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, Mgr
Ladaria, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et Mgr Di
Noia, Secrétaire-adjoint de la CommissionEcclesia Dei ; et du côté de la
FSSPX, les deux assistants de Mgr Fellay, les abbés Pflüger et Nély. La
reconnaissance canonique de la FSSPX, si elle intervenait dans les temps qui
viennent, ne présenterait plus l’aspect et l’intérêt de tremblement de terre
qu’elle aurait revêtu à l’intérieur de l’Église, à la fin du pontificat de
Benoît XVI. En revanche, elle est devenue paradoxalement bien plus facile à
réaliser, dès l’instant que le Pape actuel – c’est le moins que l’on puisse
dire – n’a pas la réputation de traditionalisme qu’avait son successeur.
Plusieurs commentaires peuvent être faits :
- On note l’espèce de solennité donnée à la rencontre par le
Saint-Siège qui, après avoir conservé un secret hermétique sur le jour de sa
tenue, l’a fait suivre d’un communiqué officiel à la Salle de Presse, en forme
de document diplomatique aux termes dûment pesés.
- Le second est le retour sur le devant de la scène de la
petite Commission Ecclesia Dei et de son Secrétaire, Mgr Pozzo. Des
fuites ayant fait connaître la brève entrevue de Mgr Fellay avec le Pape, à la
Maison Sainte-Marthe, il y a plus de six mois, les observateurs avaient conclu
que des discussions visant à donner un statut canonique à la FSSPX,
interrompues en juin 2012, s’étaient à nouveau établies. Le très ratzinguérien
Mgr Pozzo s’avère en être l’artisan efficace, n’ayant pas hésité, dit-on, à
payer d’audace en certaines occasions.
- Le contenu du communiqué d’aujourd’hui reprend d’ailleurs
presque mot à mot celui de 2005. En 2005 « La rencontre s’est déroulée
dans un climat d’amour pour l’Église et de désir d’arriver à la communion
parfaite. Quoique conscients des difficultés, il a été manifesté la volonté de
procéder per gradi, par étapes, et dans un temps raisonnable ».
Aujourd’hui : « On s’est mis d’accord pour procéder per gradi et
dans un temps raisonnable vers le dépassement des difficultés et vers
l’avènement souhaité de la pleine réconciliation ». On note la
différence : la qualification du statut théologique de la FSSPX fait
l’objet d’un concept élaboré pour l’occasion. On ne parle plus pour elle
d’arriver à « la pleine communion », en l’assimilant par le fait, peu
ou prou, aux communautés séparées auxquelles est réservée l’expression (à tort
d’ailleurs, car la communion ne souffre pas de degrés) de « communion
imparfaite ». Mais le communiqué dit que la FSSPX doit retrouver la
« pleine réconciliation ». La FSSPX, déjà en pleine communion, n’est
pas encore en pleine réconciliation.
- À ce propos, on se souvient que le cardinal Castrillón,
lorsqu’il était en charge du dossier, tenait à affirmer que la FSSPX n’était
aucunement schismatique. On peut faire l’hypothèse, connaissant le mode de
fonctionnement de la gouvernance du Pape François, qui aime doubler les
circuits officiels d’information de la Curie par les siens propres, que le long
rapport oral fait par le cardinal Castrillón sur ce dossier auprès de lui, en
octobre 2013, avait eu un grand poids.
- L’aspect le plus important dévoilé par le communiqué de ce
jour est « politique ». Il est clair que Mgr Pozzo n’a pu agir, dans
cette nouvelle phase jusqu’à ce jour très discrète, qu’avec l’aval exprès du
Pape. Selon les usages du Saint-Siège, et sous le Pape François plus que
jamais, un communiqué de cette nature reçoit son approbation personnelle avant
publication. Si l’on ajoute que, lors d’une récente réunion dite
« secrète » de la Conférence épiscopale italienne (CEI) présidée par
le Pape, c’est-à-dire une des réunions de la CEI qui ne donnent pas lieu à
informations à la presse, le Pape, en réponse à une question épiscopale, a
affirmé que la réglementation concernant le Motu Proprio Summorum
Pontificum (la Lettre apostolique et l’Instruction d’application) restait
en vigueur, on peut dire qu’on se trouve ici en présence de la part « de
continuité » du présent pontificat avec celui de Benoît XVI. François le
« progressiste » ne serait pas fâché de réussir où a échoué Benoît
l’« intégriste ».
- Il reste que le point majeur reste enveloppé d’un profond
mystère, inconnu qu’il est de tous, y compris sans doute des plus
proches : qu’est-ce que Mgr Bernard Fellay désire faire ou, ce qui revient
au même, qu’est-ce qu’il s’estime en mesure de faire ?