SOURCE - DICI - 25 septembre 2014
A la veille de la parution du livre, Demeurer dans la
vérité du Christ (édition française : Artège ; le 25 septembre), dans
lequel cinq cardinaux répondent aux propositions du cardinal Walter Kasperd’autoriser
les divorcés remariés à communier (voir DICI n°296 du 16/05/14), plusieurs vaticanistes italiens ont
interrogé le prélat allemand afin de recueillir ses réactions avant même la
sortie de l’ouvrage où il est ouvertement cité.
Les cinq cardinaux qui
critiquent les propositions du cardinal Kasper sont : Walter
Brandmüller, Président émérite du Comité pontifical pour les Sciences
historiques ; Raymond Leo Burke, Préfet du Tribunal suprême de la
Signature apostolique ; Carlo Caffarra, archevêque de Bologne ; Velasio
De Paolis, c.s., Président émérite de la Préfecture des Affaires économiques du
Saint-Siège ; Gerhard Ludwig Müller, Préfet de la Congrégation pour
la Doctrine de la Foi. Leurs études sont complétées par les travaux de trois
autres auteurs : Mgr Cyril Vasil’, s.j., Secrétaire de la
Congrégation pour les Eglises Orientales ; le Père Paul Mankowski,
s.j., Scholar-in-Residence au Lumen Christi Institute (Chicago) ; et John
M. Rist, professeur émérite de littérature classique et de philosophie à
l’Université de Toronto, ancien titulaire de la chaire de philosophie Kurt
Pritzl o.p., de l’Université catholique d’Amérique. Toutes ces études sont
réunies et présentées par le Père Robert Dodaro, o.s.a., Président de
l’Institut de patristique Augustinianum (Rome).
– Voir ici des
extraits de cet ouvrage.
Le soutien du pape
Dans l’entretien accordé au
vaticaniste Andrea Tornielli pour Vatican Insider, le 18
septembre 2014, le cardinal Kasper déclare qu’en présentant une
possibilité de communion pour les divorcés remariés, il n’a pas « proposé
une solution définitive », mais ajoute-t-il : « après en avoir
convenu avec le pape, j’ai posé des questions et proposé des considérations
pour des réponses possibles. » Sur ce soutien du pape François, le prélat
insiste dans l’entretien qu’il a eu le même jour avec Antonio Manzo, dans Il
Mattino : « (J’ai parlé) deux fois avec le Saint-Père. J’ai tout
convenu avec lui. Il était d’accord. Ils (les cinq cardinaux) savent que je
n’ai pas fait ces choses par moi-même. J’en ai convenu avec le pape, j’ai parlé
avec lui deux fois. Il s’est montré content ». De fait, on se souvient de
l’hommage que François avait rendu au rapport du cardinal Kasper lors du
Consistoire du 20 février dernier, en termes très élogieux : « Je
voudrais remercier (le cardinal Kasper), parce que j’ai trouvé une théologie
profonde, et une pensée sereine dans la théologie. Cela fait plaisir de lire
une théologie sereine. J’ai aussi trouvé ce que disait saint Ignace, ce sensus
Ecclesiae, l’amour de la Mère Eglise… Cela m’a fait du bien et il m’est venu une
idée – excusez-moi Eminence si je vous fais rougir – mais l’idée est que cela
s’appelle ‘faire la théologie à genoux’. Merci. Merci. » – Certains
observateurs romains vont jusqu’à penser que le pape est intervenu
personnellement dans la rédaction de quelques passages du rapport du prélat
allemand.
Tornielli titre son entretien
avec le cardinal Kasper : « Le manifeste des cinq cardinaux et la
réponse de Kasper ». En fait de « manifeste », il s’agit bien
plutôt d’un ouvrage universitaire solidement documenté, de plus de 300 pages.
Il serait bien léger de prétendre y répondre sérieusement par de simples
entretiens dans les journaux.
Le souvenir du Bref
examen critique
Face à la réaction des cinq
cardinaux, le cardinal Kasper confie à Tornielli que cette dissension n’est pas
sans rappeler l’opposition que manifestèrent quelques prélats sous le
pontificat de Paul VI : « Pendant le concile Vatican II et
la période post-conciliaire, il y avait des résistances de certains cardinaux
au pape Paul VI, également de la part du Préfet du Saint-Office. Toutefois – si
je suis bien informé – pas avec cette modalité organisée et publique. Si les
cardinaux qui sont les plus proches collaborateurs du pape, interviennent de
cette façon, au moins en ce qui concerne l’histoire récente de l’Eglise, nous
sommes face à une situation inédite ».
Ici, le
prélat allemand fait allusion – sans les citer – aux cardinaux Alfredo
Ottaviani, Préfet du Saint-Office, etAntonio Bacci qui publièrent le Bref
examen critique du Novus Ordo Missae (25 septembre1969) où ils dénonçaient
un rite qui « s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme
dans le détail » de la définition catholique de la Messe, telle qu’elle
résulte des enseignements du concile de Trente.
A propos de la réponse des
cinq cardinaux que le prélat allemand qualifie d’« organisée et
publique »,Riccardo Cascioli a beau jeu de montrer, le 19 septembre
sur son site La nuova bussola quotidiana, qu’il « suffit d’un minimum
de mémoire historique pour se rappeler que ceux qui ont déclenché une offensive
sur la communion pour les divorcés remariés, tentant d’en faire le thème unique
du Synode, c’est justement Kasper et cie. » Et de rappeler, entre autres,
les manœuvres et déclarations, fin 2013, des présidents successifs de la
Conférence épiscopale allemande, Mgr Robert Zollitsch et le cardinal Reinhard
Marx…
De l’œcuménisme doctrinal à
l’œcuménisme moral
Mais la déclaration la plus
stupéfiante que le cardinal Kasper fait à Tornielli dans l’entretien du Vatican
Insiderest la suivante : « La doctrine de l’Eglise n’est pas un
système fermé : le concile Vatican II enseigne qu’il y a un développement dans
le sens d’un possible approfondissement. Je me demande si un approfondissement
similaire à ce qui s’est passé dans l’ecclésiologie est possible dans ce cas
(des divorcés remariés civilement, ndlr) : bien que l’Eglise catholique soit la
véritable Eglise du Christ, il y a des éléments d’ecclésialité aussi en dehors
des frontières institutionnelles de l’Eglise catholique. Dans certains cas, ne
pourrait-on pas reconnaître également dans un mariage civil des éléments du
mariage sacramentel ? Par exemple, l’engagement définitif, l’amour et le soin
mutuel, la vie chrétienne, l’engagement public qu’il n’y a pas dans les unions
de fait (i.e. les unions libres, ndlr) ? ».
En clair, le cardinal Kasper
utilise l’argument des éléments d’ « ecclésialité » qui, selon
Vatican II, se trouveraient dans les autres religions, et il l’applique au cas
du mariage civil où l’on trouverait des éléments de
« sacramentalité » : engagement définitif, amour et soin mutuel,
vie chrétienne, engagement public…, bien qu’en dehors du mariage
catholique ! C’est ainsi que l’œcuménisme doctrinal permettrait d’aller
jusqu’à un certain œcuménisme moral ! Comme le dénonçait le cardinal
Caffarra déjà dans Il Foglio du 15 mars 2014, en réponse au rapport
du cardinal Kasper : « Il y aurait (ainsi) un exercice de la sexualité
humaine extra-conjugale que l’Eglise considérerait comme légitime. Mais avec
cela on ruine le pilier de la doctrine de l’Eglise sur la sexualité. A ce point
on pourrait se demander : pourquoi n’approuve-t-on pas l’union libre ? Et
pourquoi pas les rapports entre homosexuels ? »
Un autre cardinal dénonce
Le cardinal Kasper aura une
occasion supplémentaire d’exposer ses théories puisque le cardinal George
Pell, Préfet du Secrétariat pour l’économie, s’oppose publiquement lui aussi à
la communion des divorcés remariés dans la préface d’un livre à paraître le 1er octobre
chez l’éditeur catholique américain Ignatius Press, quelques jours avant le
Synode sur la famille (5-19 octobre 2014). Cet ouvrage s’intitule L’Evangile
de la famille, reprenant le titre du livre du cardinal Kasper où est publié son
rapport au Consistoire du 20 février 2014.
Le cardinal Pell déclare dans
son avant-propos : « Une discussion, un débat courtois, documenté et
rigoureux, est nécessaire, spécialement durant le mois prochain, pour défendre
la tradition catholique et chrétienne de monogamie et d’indissolubilité du
mariage ». Et de préciser : « la doctrine et la pratique pastorale
ne peuvent pas se contredire. (…) L’on ne peut maintenir l’indissolubilité du
mariage en autorisant les divorcés remariés à recevoir la communion ».
Le prélat australien considère
que cette question est bien perçue comme un symbole à la fois par les
défenseurs et les adversaires de la tradition catholique. Il s’agit d’un
« trophée dans la bataille entre ce qui reste de la chrétienté en Europe
et un néo-paganisme agressif. Tous les opposants au christianisme veulent que
l’Eglise capitule sur ce sujet ».
(Sources : Vatican
Insider/Il Mattino/ Nuova Bussola/benoîtetmoi/Apic/IMedia – DICI n°301 du
26/09/14)