2eme réponse du Père Guérard des Lauriers à la lettre aux Amis et Boenfaiteurs n°16 Lettre ouverte à Son excellence Mgr Marcel Lefebvre |
26 juin 1979 - mise en ligne: sodalitium.eu |
2ème RÉPONSE DU PÈRE GUÉRARD DES LAURIERS A LA LETTRE AUX AMIS ET BIENFAITEURS n°16 LETTRE OUVERTE À SON EXCELLENCE MGR. MARCEL LEFEBVRE DU RÉVÉREND PÈRE M.L. GUÉRARD DES LAURIERS, o.p. LE 29 JUIN 1979 Excellence, Votre lettre n° 16 "aux Bienfaiteurs" continue de susciter beaucoup de remous. Telle est la raison pour laquelle nous croyons devoir écrire une seconde fois sur ce même sujet. Le dossier publié dans le n° 233 d'Itinéraires est d'un très grand intérêt. Vos plus fidèles amis, ceux qui osent vous dire la Vérité, sont en plein accord et en résonance profonde avec vous, en ce qui concerne la majeure partie de votre lettre au Cardinal SEPER, du 28.2.78. Dans ces lignes, vous êtes "vous", vous êtes l'Evêque qui proclame et défend la Foi. Vous ne craignez pas d'appeler "blasphème et apostasie" (p.46) ce qui est blasphème et apostasie. Mais ces mêmes "bienfaiteurs et amis", au nom de qui le signataire de ces lignes écrit, ont été et demeurent profondément scandalisés par la lettre que vous avez écrite au pape le 24 décembre 1978 ; lettre rendue encore plus incompréhensible par contraste avec la doctrine que vous exposez au Cardinal SEPER avec tant de lucide fermeté. Quoi qu'il en soit d'une intention dont Dieu Seul est Juge et que nous croyons bonne, en fait, vous adoptez, concernant la Messe, une attitude qui tombe sous le coup des critiques que vous adressez fort justement à Vatican II au sujet du Droit civil de 1'Eglise. Car vous admettez comme étant pour le moins possible en droit puisque vous le souhaitez en fait, qu'il y ait, "pour le bien de l'Eglise", la Messe et la messe, "l'unité se retrouvant immédiatement au niveau de l'Evêque du lieu" (p. 139). Or cela, Monseigneur, vous deviez, non pas le demander à la "pseudo-autorité" qu'ainsi vous accréditez, mais le condamner même si cette pseudo-autorité l'avait imposé. Vous deviez, vous devez, le condamner, en vertu même des principes que vous exposez. En effet, ce que les papes ont condamné "le demeure" (p.5 1). Ce que S. Pie V a canonisé demeure à jamais canonisé ; et d'ailleurs, cela vous le croyez et le professez. "Un état de fait qui tend de plus en plus à être contraire à l'état de droit laisse néanmoins intact cet état de droit" (p.54). Qu'une pseudo-autorité ait tenté d'obroger la Messe traditionnelle, par une "pseudo-messe", aussi fausse dans l'acte de promulgation que dans le rite innové, laisse néanmoins intact que la Messe traditionnelle est la seule Messe. "On assiste donc, à Vatican II, à un renversement complet des conceptions, par rapport à la doctrine catholique" (p.55). Ce renversement, Monseigneur, vous le condamnez avec autant de force que de droit en ce qui concerne le Droit public de l'Eglise. Comment se peut-il qu'en fait vous acceptiez pour le Sacrifice de l'Eglise ce que vous refusez pour le Droit public de l'Eglise ? Vous demandez en effet l'"autorisation" (p. 139) de célébrer la Messe traditionnelle à une pseudo-autorité qui exemplifie typiquement le renversement complet de la conception de la Messe par rapport à la doctrine catholique. Or, en vous adressant à cette pseudo-autorité, au lieu d'attendre qu'elle s'adressât à vous, vous la reconnaissez comme étant l'"autorité", vous reconnaissez en fait quoique vous en vouliez le point de vue qui est celui de cette "autorité", et qui d'ailleurs seul justifie qu'une "autorisation" soit demandée. Vous défendez avec ardeur le Droit public de l'Eglise, même contre la pseudo-autorité. Pourquoi sacrifiez-vous le Sacrifice de l'Eglise au caprice de la pseudo-autorité? La situation dans l'Eglise, quant à la Messe, supposé qu'on la considère objectivement au point de vue de la Foi, est actuellement la suivante. La Messe traditionnelle est célébrée en de multiples lieux ; le Sacrifice continue d'être offert, et il le sera sur terre jusqu'à la fin du temps. Mais ces célébrations sont pour le moins désavouées, et en général condamnées, par l'église officielle. Il y a d'autre part, sous la mouvance plus ou moins lâche de cette même église officielle, de multiples "fidèles" qui manifestent leurs croyances originellement catholiques dans un culte qu'on peut désigner génériquement sous le nom officiel de "messe innovée", et qui en fait dégénère en multiples innovations. Disons, pour simplifier, que se trouvent en présence deux religions: l'une, catholique, s'exprime dans la Messe traditionnelle ; l'autre, protestantisée, se manifeste dans la messe innovée. La question, évidemment, se pose de déterminer quel doit être le rapport entre ces deux religions. Or cette question, il importe de la poser, conformément à la doctrine de l'Eglise, en respectant la primordialité de la Vérité. Il faut donc situer la messe innovée en fonction de la Messe traditionnelle, et non pas l'inverse. Il faut affirmer que, si la messe innovée peut être provisoirement tolérée pour les fidèles qui s'y trouvent attachés, célébrer ce culte n'est un droit pour personne et doit, de l'Eglise qui est sainte, être rejeté. Que ces fidèles protestantisés soient les plus nombreux, et qu'ils soient appuyés par une pseudo-autorité, c'est un état de fait qui est contraire à l'état de droit, "mais qui laisse intact cet état de droit" (p.54). Et ce serait un "renversement complet par rapport à la doctrine catholique" de situer la Messe traditionnelle en fonction de la messe innovée, et de poser en conséquence qu'il y aurait un droit à ce que la messe innovée soit célébrée, la Messe traditionnelle pouvant seulement être tolérée. Ce "complet renversement", Monseigneur, vous paraissez l'abhorrer. Ayant cité la clause litigieuse : "La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine", vous ajoutez: "Aucun catholique digne de ce nom ne peut souscrire une pareille infamie"(p.61). Or cette infamie, Monseigneur, que vous stigmatisez à propos du Droit public de l'Eglise, c'est vous-même qui y souscrivez à propos du Sacrifice de l'Eglise, "Laissez faire" (p. 139); vous demandez que la Messe traditionnelle soit tolérée. A qui le demandez-vous ? à la pseudo-autorité qui érige abusivement en droit que la messe innovée soit célébrée. Par cette demande, Monseigneur, vous consentez que ce qui est de droit divin n'ait dans l'église que le droit d'être toléré ; et vous reconnaissez que ce qui, dans l'église, pourrait tout au plus, en vue d'éviter un trop grand scandale. . . une "perturbation de l'ordre ecclésial", être provisoirement toléré, y jouirait d'un droit absolu en vertu de la pseudo-autorité. Nous louons votre zèle pour le Droit public de l'Eglise. Nous déplorons votre capitulation pour le Sacrifice de l'Eglise. Enfin, vous notez fort justement: "Le pluralisme finit toujours par profiter à l'erreur. Les Documents Pontificaux sont formels à ce sujet" (p.64). Et, en vertu de cette doctrine, vous condamnez à bon droit et sévèrement le faux principe de la "liberté des cultes" (p.64). Or, en fait, vous admettez ce même principe "intra muros", dans 1'"église" que vous assimilez à l'Eglise, puisque vous en reconnaissez l’"autorité". Vous admettez en fait le principe de la liberté des cultes, puisque c'est en reconnaissant la liberté de droit pour la messe protestantisée que vous demandez, pour la Messe qui est la Messe, une liberté diminuée. "Un catholique digne de ce nom peut-il souscrire pareille infamie" ? Un catholique digne de ce nom croit à l'enseignement de l'Eglise ; il tient par conséquent pour certain, que "le pluralisme finit toujours par profiter à l'erreur", que la dualité de rites finira par profiter à la messe innovée, à la complète évanescence de 1'"adoration en esprit et en vérité" (Jean 4.24). Un catholique digne de ce nom, et plus encore 1'"Evêque de la Tradition", se doit donc de rejeter un compromis aussi funeste par les conséquences que sacrilège dans le principe même. Nul, Monseigneur, ne suspecte ni la droiture de votre intention ni le désintéressement de votre zélé. Mais on est contraint d'observer que votre comportement spontané est bien différent selon qu'il s'agit, d'une part du Droit public de l'Eglise, d'autre part du Sacrifice de l'Eglise. "C'est une question de Foi ! L'Eglise peut-elle renoncer, hésiter à proclamer sa foi en la royauté sociale de NSJC ? qui est bien une vérité de foi catholique ! Pas davantage elle ne doit hésiter à proclamer son Droit public ; c'est-à-dire sa primauté, sa souveraineté dans la cité humaine!" (p.41). Ce qui porte atteinte à cette doctrine, vous le tenez pour une apostasie (p.41). Et vous concluez cette page toute vibrante d'irrésistible conviction : "La bouche du prêtre, de l'évêque, ne doit avoir aujourd'hui une plus grande vérité de foi à clamer que celle-ci: "oportet illum regnare". Voilà qui est parfait, et même exaltant. Mais comment peut-il se réaliser dans le monde, le Règne de Celui qui a Lui-Meme affirmé : "Mon Royaume n'est pas de ce monde. . . mon Royaume n'est pas d'ici-bas [c'est-à-dire: ne provient pas d'ici-bas]" (Jean 18.36) ? A cette question, S .Paul répond : "Il faut qu'il règne, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi d é t r u i t , c'est la mort" (1 Cor 15.25-26). Voilà l'affirmation du Règne, à laquelle vous vous référez : "Oportet illum regnare". Comment se peut-il que ce Règne qui n'est pas de ce monde, puisse et doive cependant se réaliser dans le monde ? La raison en est que le principe même de ce Règne est en radicale opposition avec l'esprit du monde. Et S. Paul, qui proclame le Règne, a pris garde d'en poser le principe, lequel n'est rien autre que l'Amour crucifié : "Je ne prétendais rien savoir de plus, au milieu de vous, que Jésus-Christ, et crucifié" (1 Cor 2-3). Le principe, sans lequel le Règne se dissoudrait dans le monde au lieu d'en être le ferment, c'est le Sacrifice de la Croix. Le fondement qui doit demeurer immanent au Règne jusqu'à la fin du temps, c'est le Sacrifice de la Messe. Ce que l'on affirme de "la Royauté sociale de NSJC, qui est une vérité catholique", il faut donc l'affirmer, d'abord et a fortiori, de la Messe catholique qui est la "source jaillissante" de ce Règne du Christ dans la société humaine. Si ce qui porte atteinte à la Royauté sociale de NSJC est, comme vous le dites justement, apostasie, A FORTIORI, ce qui porte atteinte au Sacrifice de NSJC est APOSTASIE ! Sur terre, in via et dans l'ardeur du combat, "la plus haute vérité de foi à clamer" n'est pas celle qui bercera la Victoire de demain; mais c'est que rien de saint ne peut se réaliser que dans le Sacrifice du Christ crucifié. "Parvus error in principio fit magnus in fine". On est donc profondément édifié, Monseigneur, que vous vous montriez si lucide et si intrépide, pour "clamer" 1'"oportet illum regnare", et pour rappeler que "l'Eglise doit proclamer son Droit public". Mais toutes les vérités de Foi sont également de Foi. Et, le Sacrifice étant au principe même du Règne, on ne comprend pas, pas du tout, que vous plaidiez devant 1'"autorité", en vue d'obtenir pour la Messe, comme pour un parent pauvre, un droit de cité auprès de la messe innovée ; alors que, dans 1'"admirable Lumière" dont vous développez inexorablement la logique en faveur de la Royauté sociale de NSJC et du Droit public de l'Eglise, il faudrait, il faut, tout simplement affirmer que, conçue en vue d'obroger la Messe qui est la Messe, LA MESSE INNOVEE EST UNE APOSTASIE. Cette non-cohérence est si manifeste qui nombre de fidèles l'ont observée. Ils s'efforcent de la résoudre en estimant que la " lettre au pape" (24.12.7Cool n'est qu'une "passe diplomatique". Vous favorisez vous-même, Monseigneur, cette hypothèse, en répondant oralement à la question posée par l'un des prêtres de vos prieurés : "Je ne demande pas l'autorisation de célébrer la Messe traditionnelle, je demande que soit proclamé par le pape le droit de célébrer la Messe qui existe depuis toujours". Telle est, très probablement, Dieu merci, votre intention profonde. Mais alors, vous adressant au pape, vous écrivez toute autre chose ; et même, en un sens, vous écrivez le contraire de ce que vous pensez. Semblablement, vous affirmez n'avoir jamais célébré la messe innovée. J'en rends grâce à Dieu, et j'en suis très heureux. Je maintiens cependant la véracité des faits observés que j'ai relatés dans la "Réponse à la lettre n° 16", en rectifiant une erreur de date : l'incident de Noël a eu lieu en 1970 et non en 1971. Mais je dois conclure que, célébrant la Messe traditionnelle, vous avez accompli les gestes extérieurs qui induisaient à penser que vous célébriez la messe innovée. Je ne me suis permis de communiquer ces choses que j'avais tues, que parce que la lettre n° 16 vous révèle inchangé ; et plus encore parce que cette lettre est l'occasion d'un très grave scandale pour les très nombreux fidèles qui vous suivent quasi aveuglément, et qui, sans même en prendre clairement conscience, "canonisent" en vous, par vénération pour votre personne, un comportement qui ruine insidieusement la proclamation de la très sainte Foi. Feindre, soit en actes soit en paroles, fût-ce avec les meilleures intentions, est incompatible, surtout dans le domaine du "Sacré", avec l'authentique Témoignage que Seul peut inspirer l'Esprit de Vérité, avec la Royauté que "le Christ exerce sur l'esprit des hommes, [principalement] parce qu'il est la Vérité" (Pie XI., Encyclique Quas primas, 11 décembre 1925). Monseigneur, vous vous défendez d'être le chef des fidèles attachés à la Tradition. Vous accueillez cependant très largement leurs suffrages ; et, au regard de "Rome", tout se passe comme si vous les représentiez. Nous nous trouvons donc contraints de déclarer que nous ne pourrons être de nouveau "avec vous", que si vous revenez, pour témoigner de la Foi, à la manière d'être, d'agir, de dire, que conseille expressément 1'"Auteur et Consommateur de la Foi" : EST, NON (Mat 5,37). SIC CLAM, SIC PALAM. |
27 juin 1979
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