29 décembre 1984

[Itinéraires] Quinze ans de guerre religieuse contre la Messe

Itinéraires, n° 288 - Décembre 1984

1969
3 avril 1969
- Constitution Apostolique Missale romanum de Paul VI approuvant une nouvelle messe (1).
(1) Note sur la portée juridique de la Constitution Apostolique «  Missale Romanum » du 3 AVRIL 1969.
A) Nous disons bien : approuvant et non pas promulguant. La « promulgation » (une « promulgation »... sans publication !) fut opérée trois jours après, le 6 avril, par un décret de la congrégation des rites. Le texte lui-même de la messe ainsi approuvée puis « promulguée » ne fut publié que quelques semaines plus tard par l'imprimerie vaticane, accompagné d'une Institutio generalis qui en expliquait les intentions, les principes et les normes.
B) La bulle Quo primum de saint Pie V n'était pas abolie par ces décrets : son abolition éventuelle n'aurait pu être qu'explicite, elle ne peut être implicite. Par cette bulle, saint Pie V avait codifié, en 1570, la messe traditionnelle.
Juridiquement, donc, la nouvelle messe de Paul VI ne peut être considérée que comme une dérogation particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle Quo primum.
C) La nouvelle messe de Paul VI et son Institutio generalis furent plusieurs fois retouchées après l'« approbation » du 3 avril et la soi-disant « promulgation » du 6 avril 1969 ; l'édition « typique », c'est-à-dire officielle, ne parut qu'en mars 1970.
D) Encore tout récemment, le P. Joseph de Sainte-Marie, OCD, est revenu sur cette cascade d'anomalies (La Pensée catholique, numéro 212, de septembre-octobre 1984) : « Le début de cette instruction [celle du 20 octobre 1969] parle de la constitution apostolique « Missale romanum » comme ayant simplement « approuvé le nouveau missel romain » : approuvé et non promulgué. Et comment aurait-elle pu promulguer un missel qui n'existait pas encore ? Il reste déjà suffisamment anormal qu'elle ait couvert de son autorité, le livre fondamental de la liturgie catholique selon une édition qui fut retouchée plusieurs fois entre cette « approbation », qui lui était donnée comme un chèque en blanc, en quelque sorte, et sa publication effective (...). C'est l'un des autres aspects de ce drame : les nombreuses irrégularités de toutes sortes qui entachent ces documents. La précipitation et le désordre dans lesquels ils furent publiés le fait soupçonner ; leur analyse attentive le confirme. C'est ainsi que la constitution du 3 avril « approuvait » un Ordo Missae et une Institutio generalis qui n'étaient publiés que plusieurs semaines après et qui subissaient, entre temps, de nombreuses retouches. Mais surtout, cette constitution « approuvait » un missel dont la première édition typique ne voyait le jour qu'un an plus tard, au terme d'une lutte intense... »
E) Le titre même de la constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969 disait pourtant bien sa volonté de PROMULGUER : « Constitutio apostolica qua missale romanum ex decreto concilii oecumenici Vaticani Il instauratum PROMULGATUR. » - Mais lorsque le 26 mars 1970 un « décret » de la congrégation du culte PR0MULGUE l'édition officielle du nouveau missel, la première phrase de ce décret indique que la constitution apostolique Missale romanun du 3 avril 1969 avait APPROUVÉ les textes du missel en question : approuvé et non promulgué. Le décret figure à la première page de ladite édition officielle ; à la seconde, la constitution apostolique avec son titre inchangé et son « PROMULGATUR » démenti mais maintenu...
19 juin 1969
- Note du conseil permanent de l'épiscopat introduisant en France la communion dans la main.
Septembre 1969
- Lettre des Cardinaux Ottaviani et Bacci présentant à Paul VI un Bref examen critique de la nouvelle messe et demandant l'abrogation de cette messe nouvelle.
Publiés en France par la Contre-Réforme catholique de l'abbé Georges de Nantes et par la revue Itinéraires, cette lettre des cardinaux et ce Bref examen critique ont fait ensuite l'objet d'un tiré à part d'Itinéraires, puis d'un reprint chez DMM.
12 Septembre 1969
- Lettre de Mgr de Castro Mayer à Paul VI.
24 septembre 1969
- Premier article de Louis Salleron, dans l'hebdomadaire Carrefour, contre la nouvelle messe.
25 septembre 1969
- Premier article (anonyme) de l'abbé Raymond Dulac contre la messe nouvelle, dans le Courrier de Rome.
Octobre 1969
- Fondation à Fribourg (Suisse) par Mgr Marcel Lefebvre, avec neuf séminaristes, de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.
- Prise de position très détaillée de l'abbé Georges de Nantes, dans la Contre-Réforme catholique, contre la nouvelle messe.
20 octobre 1969
- Circulaire du Saint-Siège sur l'application progressive de la constitution apostolique Missale romanum.
Novembre 1969
- La revue « théologiques », selon la doctrine commune de l'Eglise, « sur quelques questions téméraires publie des « précisions actuellement controversées. - Le pontife romain, tête de l'Eglise. – II. - Les défaillances éventuelles du pontife romain. » : - III. - Le cas d'un « mauvais pape». - IV. - Le cas d'un « pape hérétique ». - V. - Le cas d'un « pape schismatique » (selon Suarez, un pape peut être schismatique en « renversant tous les rites traditionnels » ).
1er novembre 1969
- Imprimatur donné au premier Nouveau missel des di­manches (annuel) patronné par l'épiscopat français et conte­nant page 332, à titre de « rappel de foi indispensable », l'affirmation qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli ».
12 novembre 1969
Ordonnance de l'Episcopat français rendant obligatoire, à partir du 1er janvier 1970, la célébration de la nouvelle messe et l'utilisation de la traduction française établie par la commission épiscopale.
Cette ordonnance était juridiquement schismatique : en effet l'épiscopat français y prétendait décider lui-même, en ne se référant qu'à son propre pouvoir, le changement de rite en France. Il n'invoquait ni la constitution apostolique Missale romanum, ni la circulaire romaine du 20 octobre 1969.
Par cette ordonnance, l'épiscopat français interdisait, en fait, à partir du 1er janvier 1970, le rite traditionnel de la messe et, quel que soit son rite, le latin à la messe.
Décembre 1969
- Dans la revue contre l'interdiction de la messe traditionnelle : « Un petit livre rouge ». Itinéraires, éditorial de Jean Madiran 
1970
Janvier 1970
- Déclaration du P. Calmel, O. P., dans Itinéraires : « Je m'en tiens à la messe traditionnelle, celle qui fut codifiée mais non fabriquée par saint Pie V au XVIème siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'Ordo Missae de Paul VI ».
Février 1970
- Dans Itinéraires, l'abbé Raymond Dulac publie contre la nouvelle messe : « Les raisons d'un refus ».
26 mars 1970
- Décret de la congrégation romaine du culte divin promulguant l'édition dite « typique » (c'est-à-dire officielle) de la nouvelle messe (en latin). L'épiscopat français, comme on l'a vu, n'avait pas attendu cette promulgation officielle pour en rendre obligatoire une traduction à sa façon.
Octobre 1970
- Ouverture à Ecône, par Mgr Marcel Lefebvre, du Séminaire International Saint-Pie X, où seront instruits et ordonnés de jeunes prêtres pour célébrer la messe traditionnelle.
Décembre 1970
- Première édition du livre de Louis Salleron sur (et contre) La nouvelle messe, un volume de 188 pages aux Nouvelles Editions Latines. 
1971
9 juin 1971
- Déclaration du Cardinal Ottaviani (publiée dans l'hebdomadaire Carrefour par Louis Salleron qui est allé à Rome interviewer le cardinal) : « Le rite traditionnel de la messe selon l'Ordo de saint Pie V n'est pas, que je sache, aboli ».
14 juin 1971
- Notification de la congrégation romaine du culte divin pour la mise en place de la nouvelle messe (notification superfétatoire pour la France où les évêques ont déjà devancé et dépassé Rome).
Novembre 1971
- Le cardinal Heenan, à la demande de la Society, « association pour le rite tridentin » (adhérente à la Latin Mass Fédération internationale fait connaître l'autorisation donnée par Paul VI aux Anglais d'utiliser occasionnellement Una voce), le rite traditionnel de la messe. 
1972
10 octobre 1972
- Imprimatur à nouveau décerné au Nouveau missel des dimanches (annuel) de l'épiscopat qui, en sa page 383, réitère le « rappel de foi indispensable » de la première édition, selon lequel à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli ».
27 octobre 1972
- Lettre à Paul VI, de Jean Madiran : « Rendez-nous l'Ecriture, le catéchisme et la messe (...). Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Eglise catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Eglise serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence (...). Très Saint Père, confirmez dans leur foi et leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Eglise par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Ecriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique (...). Laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants : rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Ecriture. Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité... »
Novembre 1972
- Première édition de La messe, état de la question, par Jean Madiran.
- Contre la nouvelle messe, Henri Charlier publie dans Itinéraires : « La messe ancienne et la nouvelle », texte qui sera en 1973 édité en opuscule (24 p.) par DMM. 
1973
Janvier 1973
- « Mise au point » de Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), affirmant qu'« il est interdit, sauf indult, de célébrer selon le rite de saint Pie V, qui a été aboli (sic) par la constitution Missale romanum du 3 avril 1969 ». Mgr Adam précise : « La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l'Autorité. »
Juillet 1973
- Communiqué de l'Assemblée plénière des évêques suisses : « I1 n'est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V. »
Octobre 1973
- Au nom de Mgr Badré, évêque de Bayeux et de Lisieux, le doyen d'Orbec publie un communiqué affirmant : « Le souci d'obéissance à l'Eglise interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelques circonstances que ce soit. » 
1974
14 novembre 1974
- Communiqué de l'Épiscopat français qui, pour la première fois, cinq ans après coup, déclare explicitement interdite 1a messe traditionnelle (l'ordonnance du 12 novembre 1969 l'avait effectivement interdite, mais implicitement et par voie de conséquence, en rendant obligatoire la messe nouvelle en français).
Au communiqué est jointe l'Ordonance Épiscopale du 14 novembre 1974, qui «confirme sa décision antérieure », celle du 12 novembre 1969, mais cette fois « en application » de la notification romaine du 14 juin 1971 et non plus de sa propre autorité.
21 novembre 1974
- Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre : « Nous refusons de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile, dans toutes les réformes qui en sont issues. » 
1975
Mai 1975
- « Condamnation » (la « condamnation sauvage ») du Séminaire international d'Ecône et de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fondés par Mgr Lefebvre.
29 juin 1975
- Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre : « Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée. » 
11 octobre 1975
- Lettre du cardinal Villot, secrétaire d'Etat, approuvant, au nom de Paul VI, l'édition française du nouveau Missel et assurant que par sa constitution apostolique Missale romanum de 1969, le pape a « prescrit que le nouveau Missel doit remplacer l'ancien ».
Novembre 1975
- Louis Salleron publie La nouvelle messe en quoi (suivie de : Solesmes et la messe), un opuscule de 64 pages (édité par ITINÉRAIRES). En reprint chez DMM. 
1976
24 mai 1976
- Discours Consistorial de Paul VI réclamant que la messe traditionnelle ne soit plus jamais célébrée : « L'adoption du nouvel Ordo Missae n'est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles... Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l'ancien ».
Juin 1976
- Cinquième édition, revue et augmentée, de : La messe, état de la question, par Jean Madiran (un opuscule de 80 pages).
25 juin 1976
- Mgr Benelli, de la Secrétairerie d'État, écrit, au nom de Paul VI, à Mgr Lefebvre pour exiger « la fidélité véritable à l'Eglise conciliaire » (sic).
22 juillet 1976
- Paul VI frappe Mgr Lefebvre de « suspense a divinis ».
8 septembre 1976
- A Jean Guitton qui lui demande d'autoriser en France la célébration de la messe traditionnelle, Paul VI répond « sévèrement » : - « Cela, jamais ! »
(Cette violente répartie ne sera rendue publique qu'après la mort de Paul VI, dans le livre de Jean Guitton paru en décembre 1979 : Paul VI secret, p. 158.)
11 septembre 1976
- A Castelgandolfo, Mgr Lefebvre est reçu par Paul VI. Il demande au pape de « laisser faire l'expérience de la Tradition », c'est-à-dire notamment de lever l'interdiction qui prétend frapper la messe traditionnelle. Le pape répond qu'il réfléchira et consultera la curie.
29 septembre 1976
- Achevé d'imprimer de la seconde édition (augmentée) du livre de Louis Salleron : La nouvelle messe, un volume de 256 pages aux Nouvelles Editions Latines.
11 octobre 1976
- Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre exigeant (entre autres) l'abandon total et définitif de la messe traditionnelle. 
1977
27 février 1977
- Premier dimanche de Carême : Mgr Ducaud-Bourget, l'abbé Louis Coache, l'abbé Vincent Serralda et les fidèles du rite de saint Pie V s'installent dans l'église Saint-Niclas du Chardonnet à Paris, ainsi rendue, depuis ce jour, au culte traditionnel. 
1978
16 juin 1978
- Le cardinal Seper, préfet de la congrégation romaine de la doctrine, intervient de manière pressante auprès de Mgr Lefebvre pour qu'il renonce à ordonner des prêtres fidèles à la messe traditionnelle.
Malgré pressions, menaces et sanctions, Mgr Lefebvre procède aux ordinations, chaque année à Ecône, le jour ou aux environs de la fête des saints apôtres Pierre et Paul (29 juin). Ainsi les célébrations habituelles de la messe traditionnelle se multiplient. Le nombre des prieurés de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et des jeunes prêtres y exerçant leur ministère augmente régulièrement. 
1980
19 juin 1980
- La congrégation romaine du culte (dans une communication qu'elle aurait voulu garder secrète) demande à tous les évêques d'ouvrir une enquête sur la permanence éventuelle d'un attachement à la célébration de la messe en latin et selon le rite traditionnel. Jean Madiran révèle l'existence et le contenu de cette enquête dans ITINÉRAIRES, numéro 246 de septembre-octobre 1980, p. 153 et suiv.
L'enquête sera systématiquement faussée par le fait que les évêques vont omettre ou même refuser d'entendre justement les personnes et les groupes qui demeurent attachés à la messe traditionnelle. 
1981
Novembre 1981
- Mgr Antonio de Castro-Mayer, évêque de Campos, rend publique sa réponse à l'enquête liturgique en la publiant dans ITINÉRAIRES (numéro 257).
Il y déclare :
1° que conformément à la constitution conciliaire de Vatican Il sur la liturgie, n° 54 et n° 36, les prêtres de son diocèse « maintiennent la coutume de célébrer la sainte messe en latin » ;
2° que conformément au n° 4 de la même constitution conciliaire, qui veut que « tous les rites légitimement reconnus soient conservés et favorisés de toutes les manières », la messe traditionnelle, dite « tridentine », est « célébrée d'une manière générale dans les paroisses du diocèse ».
Décembre 1981
- Publication à Rome des résultats (faussés) de l'enquête liturgique. Conclusion officielle : il n'existe plus aucun problème concernant la messe traditionnelle, presque complètement disparue et presque complètement oubliée. 
1983
21 novembre 1983
- « MANIFESTE ÉPISCOPAL ». - Dans une « lettre ouverte au pape Jean-Paul II », Mgr Marcel Lefebvre et Mgr Antonio de Castro-Mayer contestent (entre autres) la « conception protestante de la messe » qui est celle de la messe nouvelle de Paul VI : « La désacralisation de la messe, sa laïcisation entraînent la laïcisation du sacerdoce, à la manière protestante. La réforme liturgique de style protestant est l'une des plus grandes erreurs de l'Eglise conciliaire... » 
1984
3 octobre 1984
- Déclarant obtempérer à un désir personnel du pape (« ipse summus pontifex » ), la congrégation romaine du culte, par une lettre aux présidents des conférences épiscopales, donne aux évêques la faculté de permettre, s'ils le veulent, des célébrations de la messe traditionnelle.
Mais la congrégation pose à l'octroi d'une telle permission, cinq conditions absurdes : cinq conditions qui reviennent en somme à ne consentir la messe traditionnelle qu'aux prêtres et aux fidèles qui ne la désirent pas ou ne la souhaitent guère.

15 décembre 1984

[Jean Madiran - Itinéraires] La Messe revient

SOURCE - Jean Madiran - Itinéraires - n° 288 - décembre 1984

La messe a survécu. Ils ne l'ont pas tuée. Ils n'ont pas pu. La messe catholique, interdite par l'Eglise catholique depuis quinze ans, la Messe catholique traditionnelle, latin et grégorienne selon le Missel Romain de Saint Pie V est toujours célébrée à travers le monde, et elle l'est de plus en plus. Le Saint Siège avait déclaré en 1981 que son sort était désormais réglé, qu'elle avait disparu, qu'elle était oubliée. Deux mille évêques avaient été invités à participer à cette tromperie, à la construire eux-mêmes, à la contresigner. L'enquête qui leur avait été impérée en juin 1980, on ne savait pas sur le moment, nous ne savions pas, Saventhem lui-même ne savait pas quelle était son arrière-pensée, et si elle nous était secrètement favorable ou défavorable. Mais les évêques, informés de première main, surent très vite ce que la bureaucratie vaticane attendait d'eux, et la plupart le firent docilement. On leur demandait de s'informer comme s'ils recherchaient partout des prêtres et des fidèles attachés à la messe traditionnelle, mais en tout cas de n'en trouver aucun. Ils n'en trouvèrent effectivement aucun, en évitant systématiquement d'interroger les personnalités et les groupes bien connus qui militaient publiquement pour le rite traditionnel, pour le latin et pour le grégorien. Ceux d'entre eux qui prirent l'initiative de se faire entendre de leur évêque, leur évêque refusa de les écouter. Les paisibles fidèles et les dirigeants circonspects de l’Una Voce française - circonspects et paisibles mais d'une piété indomptable - furent éconduits comme des trublions : ils l'ont raconté dans leur bulletin, et l'histoire saura retrouver leur témoignage, pour la honte des évêques truqueurs. La vérité truquée fut proclamée à Rome par la congrégation du culte tripotant avec gourmandise les résultats de son enquête : « no problème », plus de problème, la messe traditionnelle, ce n'est même plus la peine d'en parler.

Ils avaient tout fait depuis 1969 (et même avant) : raconté que c'était la messe des vieux, la messe des nantis, la messe des nostalgiques et des esthètes, ce fut une immense campagne de diffamation et de démoralisation qui trouvait son origine dans les consignes du stratège Hannibal Bugnini. Celui-ci s'était même vanté d'avoir, avec la nouvelle messe, réalisé un chef-d'oeuvre d'une splendeur sans précédent, qui écrasait la pauvre liturgie millénaire issue des âges obscurs. Toutes ces sottises avaient leur chance en une époque qui les aime d'un amour de prédilection et par connaturalité ; et toutes ces sottises avaient pour elles, en outre, la totalité des plus puissants media obsessionnels, audiovisuels, télévisés ou imprimés, magazines et journaux. Cela aurait pu leur suffire. Dès le début, ils avaient estimé que la persuasion par diffamation ne suffisait pas. Ils pou­vaient compter pourtant sur l'intimidation sociologique, sur la psychose de masse, sur la mort des vieillards nostal­giques et sur la montée d'une jeunesse sauvage, qui n'était plus instruite de rien, une jeunesse mentalement désarmée, offerte et vendue comme esclave aux princes de ce monde. Mais non. Ils y ont ajouté l'interdiction. Ayant tout fait, et avec quelle efficacité temporelle, pour que la messe traditionnelle tombe en désuétude, pour qu'elle soit mé­prisée et pour qu'elle devienne un grimoire incompréhensible aux générations nouvelles, ils ont en outre, dès le pre­mier jour de la messe nouvelle, décidé d'interdire l'ancienne. Je me suis longtemps interrogé sur cette mesure qui, compte tenu de ce qu'ils pensaient, aurait forcément dû leur paraître superfétatoire. J'en suis venu à comprendre que l'interdiction, ce n'était point par tactique, ce n'était pas en fonction d'une stratégie ou d'une pédagogie ; c'était gratuit, c'était pour se faire plaisir : c'était par cruauté, c'était par haine. C'était la signature du Diable.

Le plus condamnable en effet, le plus honteux dans toute l'affaire, c'est bien qu'ils aient osé interdire le rite millénaire de la messe catholique.

Et c'est ce qui subsiste de plus honteux, de plus condamnable dans la lettre-circulaire du Saint Siège en date du 3 octobre 1984.

La messe traditionnelle n'est plus tout à fait interdite, il y a un progrès, ou plutôt un léger moindre mal ; elle demeure cependant une messe suspecte soumise à auto­risation préalable, c'est un scandale énorme et insensé.

Je le dis aujourd'hui comme je le dis depuis quinze ans et comme je l'ai écrit en 1972 au pape Paul VI : aucun pontife ne peut valablement frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Eglise catholique.

S'il me fallait ne dire qu'une seule chose sur cet immense sujet de la guerre révolutionnaire à l'intérieur de l’Eglise et de sa liturgie, c'est celle-là que je dirais.

Est-ce une consolation latérale ou un motif de cons­ternation supplémentaire ? La circulaire du Saint Siège, dans la forme et dans le fond, est pleine de malfaçons, de méprises et de contradictions.

La méprise ou la malfaçon la plus criante, mais non la seule, est de faire référence à l'enquête liturgique de 1980 en des termes radicalement inexacts, comme si l'on avait oublié quelles questions au juste elle posait aux évêques.

La contradiction la plus violente est entre le dispositif, quasiment d'excommunication, institué à l'encontre des traditionalistes, et les sentiments attribués par deux fois au pape Jean-Paul II. A la fin de son texte, la circulaire du Saint Siège se donne comme le signe de la sollicitude du souverain pontife pour tous ses fils ; au début, elle précise même que le pape a voulu se montrer favorable aux groupes de prêtres et de fidèles qui demeurent attachés au rite traditionnel : ce qui a fait dire à La Croix du 17 octobre que c'était une « main tendue aux chrétiens traditionalistes ». Et simultanément, par la première des cinq conditions édictées, il est ordonné de n'avoir nullam partem avec eux. NULLAM PARTEM ! Toutes les traductions disent : « rien de commun », « rien à voir » ou « aucune connivence » avec ceux qui doutent de la messe de Paul VI. J'ai opté, on l'a vu, pour une traduction un peu moins écrasante : les tenir à l'écart, ou s'en tenir à l'écart. De toutes façons, des parias. Ce n'est pas ce qu'on appelle habituellement une « main tendue ».

Il faut bien voir, au demeurant, qui est ainsi écarté du bénéfice d'une autorisation éventuelle. Pas seulement ceux qui contestent la messe de Paul VI : mais jusqu'à ceux qui doutent. Et pas seulement ceux qui doutent mais jusqu'à ceux qui pourraient avoir quelque liaison ou quelque rapport avec eux. Cela peut aller fort loin. Exemple : Marcel Clément s'efforce depuis vingt ans de multiplier les preuves publiques qu'il n'a plus aucune « connivence », qu'il n'a désormais « rien à voir » avec moi, nullam partem. Mais il n'est pas assuré d'avoir convaincu tout son monde, dans le monde ecclésiastique où il aspire à un petit fauteuil et où il n'a pas encore gagné (en vingt ans) le moindre strapontin. Il demeure suspect. Qu'il s'en aille maintenant demander (hypothèse gratuite) l'autorisation de la messe traditionnelle, même à lui on pourrait la refuser, en faisant jouer la condition draconienne numéro 1.

La seconde condition draconienne, prise au pied de la lettre, édicte que la célébration de la messe traditionnelle sera strictement réservée aux fidèles mentionnés sur la liste nominative de la demande d'autorisation. La première condition supposait une inquisition incessante des sentiments intimes, la seconde exige des contrôles d'identité permanents. Par quoi ces deux conditions sont plus absurdes encore que draconiennes, plus inapplicables que cruelles. En outre, elles sont vicieuses : elles ne consentent en somme l'autorisation qu'à ceux qui n'ont aucun doute sur la messe de Paul VI ni aucune connivence avec les douteurs. Mais ceux qui n'ont aucun doute n'ont aucune raison pressante de demander la messe traditionnelle.

- Si vous n'avez aucun doute, pourquoi donc iriez vous abandonner notre superbe messe nouvelle ? Ce n'est pas raisonnable. Ou alors vous nous cachez quelque chose. Vous doutez en secret. Vous avez sans doute un peu trop écouté ceux avec qui vous ne devriez avoir NULLAM PARTEM. Ou bien vous n'êtes pas logique, ou bien vous n'êtes pas sincère...

Car il faut bien un motif à la demande.

Le motif acceptable sera d'être un vieillard nostalgique qui voudrait retrouver les souvenirs de sa lointaine enfance : on lui répondra que la messe n'est pas faite pour cela, mais qu'enfin, par grande condescendance, on pourra le lui permettre deux ou trois fois par an, dans quelque oratoire isolé, avec un vieux prêtre bien malade dont on n'attend plus rien.

Le schéma est soigneusement bouclé.

D'un côté, les seuls admis à demander l'autorisation sont ceux qui n'ont aucun motif de le faire: en tout cas aucun motif religieux.

De l'autre côté, ceux qui reçoivent la faculté

de donner l'autorisation sont ceux qui n'ont, pour la plupart, aucune intention de la donner : les évêques de la nouvelle messe et du nouveau catéchisme.

En effet, la circulaire du Saint Siège n'est pas un décret autorisant, fût-ce sous conditions, la messe traditionnelle. Elle décrète autre chose. Elle concède aux évêques la faculté de l'autoriser ou de ne pas l'autoriser, selon leur bon plaisir pastoral. Or ils ont dans leur grande majorité manifesté depuis quinze ans une hostilité hargneuse à la messe de leur ordination. Ils ont, par la parole, par l'exemple, par toutes sortes de mesures et sanctions administratives, montré qu'ils tenaient la messe nouvelle de Bugnini et de Paul VI en beaucoup plus haute estime. Ils n'ont aucune envie de se déjuger et d'autoriser une messe qu'ils ont déclarée dépassée, désuète, périmée, obstacle à l'évangélisation et masquant ce qu'ils nomment « l'esprit de l'Evangile ». Aux cinq conditions universellement obligatoires édictées par la circulaire du Saint Siège, ils ont au demeurant la faculté d'ajouter des conditions de leur cru, comme s'est empressé de le faire dès le 16 octobre Mgr Mamie, l’écoeurant évêque de Fribourg, Lausanne et Genève.

Bref, la circulaire romaine donne à ceux qui ont voulu supprimer la messe traditionnelle la faculté d'en autoriser la célébration à ceux qui font la preuve qu'ils n'ont aucun motif de la désirer.

Si ce n'est pas une excommunication des catholiques traditionnels, c'est à tout le moins un apartheid : NULLAM PARTEM. Cette exclusion qui vient par l'Eglise ne vient pas de l'Eglise. Son dispositif révèle son identité. Elle est ce pluralisme ouvert à toutes les consciences, à toutes les opinions, à toutes les religions, sauf au dogme catholique et à la tradition catholique. Une telle exclusion ne vient pas de l'Eglise mais du monde : du monde maçonnique, libéral-socialiste, rêvant d'union de la gauche avec le communisme. Mais une telle exclusion vient par l'Eglise, parce que l'Eglise est elle-même pénétrée, noyautée, occupée.

Dans le même document du Saint Siège, donc, dans cette même circulaire du 3 octobre coexistent d'une part un tel renforcement des mesures administratives de discrimination et de persécution, d'autre part l'énoncé d'une paternelle bienveillance personnelle du souverain pontife, qui déclare vouloir se manifester par une concession concrète.

C'est un autre « cas majeur et particulièrement manifeste » de ce que le P. Joseph de Sainte-Marie nomme « la division intérieure du Magistère » (1).

Concernant la nouvelle messe de Paul VI en elle-même, dont la circulaire du Saint Siège cherche à nous imposer de proclamer sine ambiguitate etiam publice, sans ambiguïté et même publiquement, que nous n'avons nullam partem avec ceux qui « mettent en doute » (in dubium vocant) sa valeur juridique et doctrinale, nous répondrons d'abord à cette invitation par une observation préalable :

- Heureusement qu'il y eut dès 1969 des théologiens et des cardinaux pour mettre en doute la rectitude de cette messe nouvelle: Cette contestation provoqua quelques corrections indispensables, notamment celle de l'article 7 de l'Institutio generalis, et ainsi « cela évita » , comme dit le P. Joseph de Sainte-Marie, « le scandale d'un missel romain introduit par une définition hérétique de la messe ». J'ajoute que cette messe nouvelle était le plus grand bouleversement jamais subi d'un seul coup par la liturgie de l'Eglise, et que cette « réforme » d'une ampleur sans précédent était approuvée, y compris la « définition hérétique », par Paul VI dans sa constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969. Les nouveaux textes, y compris toujours la définition hérétique, étaient publiés sous la signature de Paul VI. J'ai fait remarquer déjà plusieurs fois et, puisque la remarque n'a été ni entendue ni contestée, je répète aujourd'hui à la cantonade que ce plus grand bouleversement jamais subi par la messe, Paul VI, DANS L'HYPOTHÉSE LA PLUS BIENVEILLANTE, l'avait donc signé sans lire, ou bien avait lu sans comprendre. Il n'y a donc aucunement lieu de mettre tant de hauteur à vouloir nous écraser sous l'argument qu'il s'agit de « la messe promulguée par Paul VI ». L'argument n'a rien d'écrasant, quand il s'agit de la promulgation par un tel pontife dans de telles conditions. Quand il est établi, comme c'est le cas, que le souverain pontife a forcément signé sans lire ou bien lu sans comprendre une « définition hérétique de la messe », il ne suffit pas de corriger cette définition. Il faut prendre acte de l'anomalie et ne pas fermer les yeux sur les conséquences. C'est tout le nouvel Ordo, c'est toute la messe nouvelle qu'il avait en 1969 signé sans lire ou lu sans comprendre. Dans l'hypothèse la plus bienveillante. N'invoquez donc plus, de grâce, l'« autorité » de Paul VI. Vous finiriez par faire davantage que nous faire hausser les épaules.

Après cette observation préalable, mais non point subsidiaire, sur la dénommée « messe promulguée par Paul VI », il n'est pas inutile de préciser en outre que ce n'est point d'abord l'orthodoxie ou la légitimité de son texte que nous mettons en doute, c'est son existence : son existence en tant que rite défini, stable, identique à lui-même à travers l'espace et le temps.

Dès son premier refus de cette messe nouvelle, le P. Calmel déclarait

« Je refuse l'Ordo Missae de Paul VI parce que, en réalité, cet Ordo Missae n'existe pas. Ce qui existe, c'est une révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le pape actuel, et qui revêt pour le quart d'heure le masque de l'Ordo Missae du 3 avril 1969.»

Le P. Calmel avait vu juste dès 1969. Il ajoutait

« Commencée par le pape, puis abandonnée par lui aux Eglises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'enfer ».

Il n'y a pas, dans les faits, de messe de Paul VI ayant des contours définis et respectés. Il y a eu, tout de suite, sous ce nom, ce que Louis Salleron a désigné comme « la messe évolutive ».

Le Saint Siège lui-même n'arrive plus aujourd'hui à savoir exactement de quelle messe il parle quand il parle de la messe « promulguée par Paul VI ». La circulaire romaine du 3 octobre mentionne la légitimité et l'orthodoxie du missel romain « promulgué par Paul VI en 1970 ». Mais c'est le 3 avril 1969 que Paul VI, par sa constitution apostolique Missale romanum, a déclaré promulguer sa nouvelle messe. C'est le 12 novembre 1969 que l'épiscopat français a prétendu la rendre obligatoire : il ne pouvait rendre obligatoire en 1969 une messe qui ne serait promulguée qu'en 1970. Le brouillard juridique est complet. D'avril 1969 à mars 1970, la nouvelle messe a connu au moins trois éditions vaticanes distinctes, avec des versions différentes et deux définitions successives de la messe elle-même, par les deux versions du fameux article 7 de cette Institutio generalis qui énonçait les intentions et la doctrine de la messe nouvelle. A s'en tenir aux textes officiels, l'évolution continuelle et la « créativité » incessante y sont déjà visibles, comme le montrent (entre vingt autres exemples) les nouveaux canons suisses, introduits en 1980 dans les diocèses d'Italie et adoptés en 1983 dans la nouvelle édition officielle du missel romain en langue italienne. Les textes officiels bougent lentement, mais ils bougent : dans le sens d'un effacement progressif du caractère sacrificiel de la messe, d'une accentuation rampante du rôle de l'assemblée dont le prêtre n'est plus que le président. Quant aux faits, c'est-à-dire les célébrations telles qu'elles ont lieu en réalité, la révolution liturgique s'y donne libre cours. Il ne s'agit pas d'excès isolés. Il s'agit de manifestations exemplaires, voulues comme telles, ayant en effet valeur et fonction d'exemple, la messe télévisée, les cérémonies de cirque et de music-hall organisées en présence du pape, sans que personne veuille ou puisse rétablir l'« ordre de la messe » , l'Ordo missae, fût-ce celui de 1970, qui est de plus en plus méconnu, méprisé, tenu pour inexistant. C'est bien compréhensible. La révolution liturgique s'était engagée contre la liturgie figée des anciens rites ; elle ne respecte pas davantage le fixisme des nouveaux. Il n'y a pas une messe nouvelle : il y a les stades successifs et mouvants d'une décompo­sition de la messe catholique.

On avait voulu faire croire au peuple chrétien et au clergé catholique que la messe traditionnelle était abolie, qu'elle était interdite, qu'elle était morte. Cette imposture contre laquelle nous bataillons depuis quinze ans avait une sorte de cohérence globale, une brutale simplicité, qui s'imposait aux prêtres et aux fidèles peu instruits ou mal informés. Il va être beaucoup plus difficile de faire croire que la messe n'est qu'à moitié abolie, frappée d'une interdiction à éclipses, et qu'elle est tantôt morte et tantôt non.

A la nouvelle, lâchée sur les antennes à partir du 15 octobre, d'une circulaire datée du 3, l'opinion mondiale a compris que l'interdiction était levée et que la messe traditionnelle était à nouveau d'actualité : ni désuète ni enterrée. On avait voulu la supprimer, on y avait échoué. L'opinion ne s'est pas trompée, elle a seulement anticipé sur la dynamique de la messe retrouvée, sans entendre ni vouloir entendre rien aux chinoiseries ésotériques que l'on prétend opposer encore à une libre célébration. La messe a survécu, la messe revient.

Jean Madiran

25 septembre 1984

[Abbé Franz Schmidberger, Supérieur général - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°27)] "Le Séminaire d’Ecône entre dans sa cinquième année..."

SOURCE - Abbé Franz Schmidberger, Supérieur général - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°27) - 25 septembre 1984

Demeurez fermes dans la foi de vos pères; car il se lèvera une grande révolte dans la chrétienté. A ce moment prenez garde à ne pas être trompés par les nouveautés et les ruses du diable. Soyez unis, restez dans les pas de vos pieux ancêtres, gardez et suivez leur doctrine. Alors, assauts et tempêtes ne peuvent vous nuire.»
Saint Nicolas de Flüe, + 1487
Chers Amis et Bienfaiteurs,

Pendant qu'à Rome et dans les palais épiscopaux, sous le signe d'un faux œcuménisme, de faux droits de l'homme et d'une fausse liberté religieuse, les responsables conduisent toujours davantage l'Église à sa perte, alors que la foi catholique disparaît et que la charité du Christ se refroidit, en dépit de toute résistance et de toute opposition, se lève, à travers de bien humbles débuts, une nouvelle génération de prêtres, animée de deux seuls intérêts : glorifier Dieu Trinité et préserver les âmes immortelles de la communion éternelle avec le diable !

1. Nous refusons tout compromis entre le dogme catholique et le protestantisme libéral, de quelque nuance qu'il soit. Radoucir, diluer, ou encore falsifier la doctrine du Christ, c'est blasphémer contre Dieu, c'est humilier l'Église et causer aux âmes un dommage incalculable. Pour nous, catholiques, le Dieu que nous vénérons n'est pas le même que celui des juifs ou des musulmans, notre Rédemption ne consiste pas, comme celle des francs-maçons, en une fraternité universelle, notre conception de l'Église et de la grâce n'est pas celle des protestants. Au nom de la charité, nous devons opérer cette clarification des positions et nous écrier avec Lactance : « Seule l'Église catholique conserve le culte véritable. Là est la source de vérité, la demeure de la foi, le temple de Dieu. Qui n'y entre pas ou en sort perd tout espoir de vie et de salut. Que personne ne se fasse illusion par d'opiniâtres contestations : il s'agit de la vie et du salut : ce serait les perdre ou les éteindre que de n'y pas réfléchir attentivement et diligemment ».

Or l'entrée du Pape dans un temple bouddhiste en Thaïlande, son inclination devant le bonze bouddhiste, expriment toute l'humiliation de l'Église : on lui a arraché son sceptre et sa couronne. Dès lors le Christ n'est plus qu'une voie parmi d'autres, qu'une vérité entre beaucoup d'autres, qu'une vie laissée au libre choix.

2. La proclamation incessante des droits de l'homme fait oublier que ceux-ci ont pour fondement des devoirs correspondants, et de façon ultime les droits de Dieu: c'est dans le décalogue qu'ils trouvent leur norme et leur règle. Tout d'abord le premier commandement de Dieu : reconnaissance de Son autorité, sans « si » ni « mais », adoration et service en silence dans son Royaume: ensuite le quatrième commandement : rejet déterminé de tout égalitarisme et du travail de sape de l'autorité instituée par Dieu ; enfin le sixième: pureté, chasteté et pudeur, refus clair de la morale permissive. Alors dans les conditions spirituelles d'aujourd'hui, prôner les droits de l'homme n'aboutit qu'à flatter l'orgueil, l'habitude d'une critique égoïste, les tendances révolutionnaires, les mouvements d'émancipation destructeurs et la mentalité revendicatrice de nos contemporains, jusqu'à ce que, dans une adoration luciférienne de soi-même, ils jettent à la face de Dieu et de son Église le «non serviam» (Je ne servirai pas) !

3. La fausse liberté religieuse produit partout ses fruits délétères : le nombre des avortements augmente sans cesse (actuellement cinquante millions par an!), le divorce devient une mode, la libre cohabitation, l'état normal. A Rome va être établie à proximité du Forum une «Love City» pour attirer au péché et au vice. Les sectes se répandent comme des sauterelles sur le pays, le culte du diable, la magie noire, la sorcellerie prennent des dimensions inimaginables. Ces jours-ci justement, la télévision allemande présentait un film sur la sorcellerie et le culte de Satan, pour livrer manifestement tout un peuple au pouvoir du Malin. Le déicide social de l'ère conciliaire et post-conciliaire va coûter la vie éternelle à encore beaucoup de générations.

Nous disons ouvertement ce que nous pensons : Vatican II est le plus grand désastre de notre siècle ! Alors qu'il y a vingt-cinq ans, dans chaque église, du Nord au Sud, et de l'Est à l'Ouest, le Saint Sacrement recevait l'hommage de l'adoration amoureuse des clercs et des fidèles, voici maintenant cette adoration détruite jusque dans le dernier village, la plus petite chapelle de mission en brousse, par la réforme liturgique et l'activité progressiste ! L'indifférence, la profanation et le sacrilège ont pris sa place.

Quelle n'est donc pas notre joie de voir, sur ce sombre arrière-plan, se dégager le beau nombre d'ordinations sacerdotales de cette année (vingt-cinq pour la Fraternité et huit pour les communautés amies) ! Elles nous permettent d'étendre et de fortifier considérablement notre œuvre : nous avons fondé dix nouvelles maisons dans les derniers mois, dont une dans chacun de cinq pays: Hollande. Portugal, Mexique, Colombie et Afrique du Sud, où nous n'avions pas de fondation jusqu'ici. Avec la grâce de Dieu, un chiffre d'ordinations sensiblement équivalent l'année prochaine nous fait prévoir un accroissement semblable. Je ne puis vous donner ici tous les événements et développements des derniers mois concernant notre œuvre, la liste en serait trop longue. Toutefois le nombre d'entrées croissant dans nos quatre séminaires (cette année soixante en tout) nous pousse à chercher des possibilités de fonder de nouveaux séminaires. La formation de bons prêtres - porteurs et prédicateurs de la doctrine des Apôtres, dispensateurs fidèles des mystères de Dieu, médiateurs entre Dieu et les hommes - voici l'œuvre la plus importante, l'œuvre primordiale de la miséricorde pour les jours actuels. Nous nous préparons intérieurement à rétablir la mission universelle, et dans une première étape nous voulons fonder nos prieurés de façon disséminée, comme des avant-postes, des points de référence et des foyers ardents. Les libéraux veulent rendre le monde libéral, les socialistes, le faire socialiste, nous voulons le conquérir à la foi catholique.

Vous, chers amis, nous vous appelons à une action catholique véritable et résolue. Dans la grande bataille des esprits et des cœurs, ne laissez pas tomber le glaive ! Levez-vous pour la défense des droits de Dieu. Priez, jeûnez, faites des sacrifices, expiez, donnez l'aumône et faites le bien sans cesse. Si d'autres abandonnent et trahissent la foi, nous devons pour eux croire doublement ! Si d'autres se refroidissent dans la charité, nous devons nous substituer à eux par un triple amour! Si d'autres quittent le front, nous devons tenir à leur place. C'est pourquoi aidez-nous à former partout une élite spirituelle et à sauver de la ruine totale les institutions chrétiennes rachetées par le sang du Sauveur: séminaires et monastères, mariage et famille, Église et Cité catholique. Mais avant tout, en rendant ce service de bon samaritain, sauvez votre propre âme! Sauvez votre âme et celle de vos parents, amis, collègues et voisins. N'oubliez pas ceci: notre croissance en force est la faiblesse des libéraux, nos succès sont leurs défaites. Peut-être, grâce à vos prières incessantes, quelques évêques se décideront-ils malgré tout à rejoindre notre chemin. Ainsi l'un d'eux écrivait à Monseigneur en la fête de Saint Pie X, le 3 septembre : « Je pense très humblement que vous auriez votre parole à dire dans cette collégialité épiscopale qui m'a inspiré le besoin de m'adresser à votre cœur et votre intelligence pour vous prier de nous aider à vivre toujours davantage dans l'orthodoxie de la foi et des mœurs... Permettez-moi de vous dire toute mon affection fraternelle et mes sentiments d'estime et de considération ».

Un deuxième évêque veut nous aider à implanter notre œuvre dans son pays ; un troisième est d'accord, sinon en tout, du moins en grande partie, avec la lettre ouverte adressée au Pape en la fête de la Présentation 1983.

En la fête prochaine de l'Immaculée Conception, toute notre Fraternité, avec la branche de ses sœurs, avec ses frères et ses oblates et les membres de son Tiers-Ordre, veut se consacrer à la Très Sainte Vierge : qu'elle nous remplisse désormais de sa pensée et de ses vouloirs ; qu'Elle soit la vraie propriétaire de nos biens matériels, qu'Elle soit la « Domina » dans notre Maison, qu'Elle nous garde fidèles dans notre mission et ne nous permette pas de dévier du droit chemin. L'Immaculée Conception nous aidera à garder pur le dépôt de la Foi et à l'exposer saintement, la Mère des douleurs nous enseignera à comprendre toujours davantage le Saint Sacrifice de la Messe et à le vivre, la Reine du Ciel et de la Terre mènera pour nous le combat pour la construction du Royaume de son Fils, le Roi Jésus.

Soyez assurés de notre profonde et cordiale reconnaissance pour votre aide précieuse. Nos communautés récitent chaque jour le chapelet pour vous, vos intentions, soucis et nécessités. Et que le Dieu de bonté dirige vos jours dans sa paix, qu'il vous préserve de la damnation éternelle et vous réunisse, après la consommation de votre pèlerinage, au nombre des élus.

Rickenbach, en la fête de Saint Nicolas de Flüe, le 25 septembre 1984.

Avec ma bénédiction sacerdotale

Abbé Franz Schmidberger, Supérieur général

10 mars 1984

[Franz Schmidberger - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°26)] "Dans les grandes lignes le déclin continue dans l'Église et la société."

SOURCE - Franz Schmidberger - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°26) - 10 mars 1984

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Dans les grandes lignes le déclin continue dans l'Église et la société. Quelques coups d'œil sur les événements des derniers mois le mettent clairement en évidence.

Le nouveau Droit Canon, mise en forme juridique de l'esprit révolutionnaire du Concile est, malgré toutes les réserves et objections de théologiens prudents, mis en vigueur le premier dimanche de l'Avent 1983 par le parti progressiste. Il ne fait aucun doute, pour ne citer qu'un seul point, qu'avec l'adoption, au canon 204, de la malheureuse expression conciliaire, selon laquelle l'Église de Dieu subsiste dans l'Église catholique (et donc que l'Église de Dieu ne serait pas identique à l'Église catholique), on nie au moins implicitement la nécessité de l'Église catholique pour le salut, et l'on déclare moyens de salut d'autres confessions religieuses. C'est ainsi que l'on passe d'une Église missionnaire à une église mondiale œcuménique, et dans une prochaine étape à la synarchie, et que l'identité du Corps Mystique du Christ est minée dans son fondement.
   
Le Concordat entre l'Italie et le Saint-Siège est abrogé. L'Italie devient donc un État laïciste, l'enseignement de la Religion aux élèves n'est plus obligatoire.
   
De manière révélatrice le Vatican rompt les relations diplomatiques avec la Chine Nationaliste afin de pouvoir entrer en dialogue avec la Chine Rouge et vend ainsi un des derniers bastions de liberté.
   
Le Pape prêche le troisième dimanche de l'Avent dans une église protestante à Rome, et le 2 mars, dans un discours, il évoque de nouveau la perspective d'une union entre les Catholiques et les Luthériens.
   
En Hollande - où déjà en 1970 le Synode souhaitait que le Pape ne fût plus que le Secrétaire des Églises unies, que le célibat ainsi que le sacerdoce soient abolis, et que les femmes soient admises à l'ordination - un groupe plus important de professeurs de théologie et de prêtres réclame maintenant la bénédiction de l'Église pour le remariage des divorcés, pour l'homophilie et l'euthanasie!
   
En Allemagne, on met dans les mains de 130 000 jeunes catholiques le nouveau livre de chants, N° 2, aux visées complètement socialistes et marxistes, et aux chants blasphématoires.
   
La persécution de ceux qui tiennent ferme à la Tradition bi-millénaire de l'Église continue : en Afrique du Sud un de nos amis prêtres a été en janvier frappé de suspense, et un second en Allemagne ces derniers jours.
   
Quoi d'étonnant, si la théologie se mue partout en une théologie sociale d'orientation gauchiste, si la liturgie et la prière sont transformées en fonction du culte de l'homme et si l'apostolat sombre dans l'épuisement!
"Que fera donc le chrétien catholique, si une nouvelle épidémie cherche à contaminer non seulement une petite partie, mais toute l'Église en même temps ? Il aura à cœur de s'attacher à l'ancienneté, qui ne peut plus en aucune manière être corrompue par quelque trompeuse nouveauté. Il se préoccupera de tenir fermement ce qui partout, toujours et par tous a été cru". (Saint Vincent de Lérins)
Ainsi tandis que dans l'ensemble la débâcle progresse, à partir d'humbles initiatives, dans le combat pour gagner quelques âmes isolées, dans le soutien apporté à quelques familles, dans le rassemblement de religieux dispersés, par la fondation de nouveaux séminaires et couvents, s'accomplit la reconstruction et le renouvellement de toute l'Église, tâche où la Fraternité Saint Pie X se voit entièrement au service de la garde de ce feu que le Seigneur lui-même a jeté sur la terre afin qu'il y brûle. Selon leurs statuts, ses membres, en tant qu'Apôtres de Jésus et de Marie, ne tendent à rien d'autre qu'à faire de leur vie une Messe vécue quotidiennement, avec une âme sacerdotale, et dans un acte permanent d'offrande d'eux-mêmes, dans un esprit de prière, de souffrance et de charité rédemptrice.

Grâce à vos prières, chers Amis et Bienfaiteurs, à votre affectueux soutien, et à vos dons généreux, avons-nous pu au cours de la dernière demi-année consolider et édifier sensiblement notre œuvre : le 8 décembre, la nouvelle église de Sydney (Australie) fut solennellement inaugurée, le 8 janvier Monseigneur a consacré la nouvelle église de Marseille et moi-même le même jour la première église à Helmond (Hollande) dédiée à la Sainte Famille. Avec la grâce de Dieu, Monseigneur pourra cette année ordonner 29 prêtres uniquement pour notre Fraternité : 4 à Ridgefield (USA) le 13 mai, 19 à Écône (Suisse) le 29 juin et 6 à Zaitzkofen (Allemagne) le premier juillet. Nous pourrons ainsi étendre de manière considérable notre apostolat en France, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Italie, aux États-Unis et au Canada, et avoir en vue de nouveaux points d'appui en Hollande, Portugal, Colombie, Mexique et Amérique du Sud.

Les protestations des catholiques français contre la suppression de la liberté d'enseignement et d'éducation nous sont un nouveau stimulant pour consacrer une attention accrue à l'apostolat de la jeunesse, selon les paroles du Sauveur : « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est à eux ».

Et c'est pourquoi je m'adresse à vous, non avec un esprit hautain de revendication, mais dans l'attitude d'un humble mendiant : continuez à nous aider de vos ferventes prières et de vos généreux sacrifices, comme vous l'avez fait jusqu'à présent. Le soutien efficace de notre apostolat par votre fidélité à la foi et votre esprit combatif, votre sympathie compatissante et votre charité désintéressée sont une nécessité vitale pour notre œuvre : « Dieu aime celui qui donne largement », dit l'Apôtre.

Pour que notre activité se situe toujours plus dans le plan de salut de Dieu, que notre Fraternité puisse toujours grandir en fécondité, mérite et importance, nous avons prévu de la consacrer cette année en la fête de l'Immaculée Conception au Cœur Immaculé et douloureux de Marie. Puis-je vous demander de vous préparer dès aujourd'hui avec nous pour ce jour important ? Comme un saint Maximilien Kolbe s'est mis sans réserve au service de l'Immaculée Conception, nous voulons nous consumer au service de son apostolat dans le sanctuaire de son divin Fils.

Que la Vierge des Douleurs, pleine de compassion pour l'unique Sauveur du monde, daigne avec saint Joseph nous conduire dans sa clémence à travers ce carême, à travers la passion et la mort de Jésus-Christ, jusqu'à sa résurrection au matin de Pâques !

Réjouissez-vous, Vierge Marie, vous seule avez vaincu toutes les hérésies dans le monde entier.

Rickenbach, le 10 mars 1984

P. Franz Schmidberger, Supérieur général