2 septembre 2015

[Carl Moy-Ruifey - Le Rouge et le Noir] La réconciliation avec la FSSPX s’accélère-t-elle ?

SOURCE - Carl Moy-Ruifey - Le Rouge et le Noir - 2 septembre 2015

Lettre du Saint-Père accordant l’indulgence à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde du 1er septembre a positivement surpris plusieurs observateurs attentifs des relations qu’entretiennent le Vatican et la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Cette document place l’année de la Miséricorde voulue par le Pape François sous trois éclairages : la miséricorde pour les prisonniers, le grave problème de l’avortement, et la réconciliation avec les fils de Mgr Lefèbvre. Il va de soi que ces trois « axes » ne sont pas à mettre au même plan, car le troisième était vraiment inattendu. Le Souverain Pontife a livré là un des coups de maître dont il a le secret et qui prennent à revers tant ses détracteurs que ses admirateurs.

La miséricorde pour les criminels et les personnes ayant participé à un avortement fait l’objet des deux principaux paragraphes. Il n’y a là rien d’étonnant. Notons au passage que si le Pape a pu en décevoir quelques uns par des déclarations qui semblaient trancher avec la détermination de ses prédécesseurs en la matière [1], il convient de saluer la main qu’il tend aujourd’hui aux femmes et aux médecins qui ont pratiqué l’avortement. Les media ont remarqué cela, mais se sont encore fourvoyés. Ils ont trouvé leur compte en dépeignant François comme un Pape progressiste contraignant une majorité de prêtres récalcitrant à pardonner aux femmes qui se présenteraient devant eux. Cette question est évidemment plus complexe. Elle n’apporte d’ailleurs rien de nouveau, parce qu’en France, par exemple, beaucoup de prêtres ont déjà reçu la faculté de lever l’excommunication liée à l’avortement sans en référer à l’évêque.

En revanche, les media n’ont pas parlé du dernier paragraphe, et non le moindre. Dans ce texte, le Pape loue d’abord la « bonne foi et pratique sacramentelle » des prêtres de la FSSPX. Une remarque intéressante car le leitmotiv était jusqu’alors de rappeler systématiquement que les sacrements délivrés par la FSSPX étaient au moins illicites, et parfois soupçonnés d’invalidité pour certains (confessions et mariages). Affirmant son souhait de trouver « dans un proche avenir (…) les solutions pour retrouver une pleine communion avec les prêtres et les supérieurs de la Fraternité », le Pape déclare valides et licites toutes les absolutions données par les prêtres de la FSSPX au cours du Jubilé de la Miséricorde : « J’établis, par ma propre disposition, que ceux qui, au cours de l’Année Sainte de la Miséricorde, s’approcheront, pour célébrer le Sacrement de la Réconciliation, des prêtres de la Fraternité Saint Pie X recevront une absolution valide et licite de leurs péchés. »

La nouvelle a de quoi surprendre ! Arrêtons-nous un instant sur ces dispositions jubilaires concernant les prêtres de la Fraternité. Si l’on s’en tient au point de vue officiel à Rome jusque sous Benoît XVI, il faudrait déduire de la décision du Pape qu’il confère à des prêtres qui demeurent apparemment frappés de suspense, le droit de conférer licitement un sacrement, à l’exclusion des autres [2]. On ne peut faire plus contradictoire. Il faudrait aussi déduire que les absolutions données par ces prêtres avant et après l’année de la Miséricorde ne sont pas ou ne seront pas valides en l’absence d’accord intervenu entretemps. Cette façon de voir les choses est évidemment incohérente.

Le Pape n’est pas plus canoniste qu’il n’est théologien. Par cet acte, le Pape témoigne surtout du peu de cas qu’il fait du formalisme juridique. Il paraît clair que, dans son esprit, s’il demeure un problème à surmonter, il s’agit moins de résoudre un schisme, que de réussir à donner un statut acceptable pour la FSSPX au sein de l’Église. Bref, en bon jésuite, François règle les choses sous un angle pastoral … pour ne pas dire politique.

L’initiative du Pape François a au moins trois conséquences :
  • elle associe d’une manière assez inédite la FSSPX à un événement important de l’Église « conciliaire » et manifeste que le Pape considère la Fraternité comme pleinement catholique ;
  • elle tend à conforter dans leur position ceux qui reçoivent régulièrement des sacrements de la part de prêtres et d’évêques de la FSSPX en ouvrant une brèche dans l’argumentation de ceux qui tiennent ces sacrements pour illicites voire invalides ;
  • elle manifeste clairement la volonté du Saint-Père d’achever le grand dessein de réconciliation voulu par Benoît XVI.
C’est un nouveau signe que le Pape serait prêt à aller plus loin et plus vite que son prédécesseur. Benoît XVI entendait réaliser cette pleine réunion de la FSSPX à l’Église sans faire l’économie de discussions et sans brader le concile Vatican II. Quant à François, il ne souhaite pas s’embarrasser de querelles théologiques parce qu’elles lui semblent aujourd’hui dépassées. En dépit d’un profil moins classique, François paraît faire moins grand cas de Vatican II que son prédécesseur.

Des sources très autorisées ont affirmé en privé que François serait prêt à accorder une prélature personnelle bénéficiant de l’exemption épiscopale à la FSSPX. Concrètement, la FSSPX, contrairement aux autres institutsEcclesia Dei, n’aurait pas à demander d’autorisation à un évêque pour ouvrir une maison dans son diocèse et y délivrer les sacrements. Cette concession n’a manifestement jamais été envisagée par Benoît XVI. Mais la contrepartie pour la FSSPX – dont la liberté de parole, y compris au sujet du Concile Vatican II, ne semble pas faire peur au Pape [3] – serait d’accepter d’entrer dans le chaos qui règne dans l’Église, de cohabiter avec un clergé et des fidèles pour qui la référence conciliaire est centrale et dont les positions sont souvent beaucoup plus hétérodoxes que celles des prêtres et des fidèles de la Fraternité. Mgr Fellay lui-même a affirmé que la FSSPX respectait 95% des enseignements du concile Vatican II [4]. Il est clair que sur beaucoup de sujets, dont la liturgie, la pratique commune des prêtres diocésains est aux antipodes de ce que demandait le concile. Que dire de la nette fidélité au magistère des prêtres et des fidèles de la FSSPX s’agissant de l’avortement, de l’euthanasie, du mariage des homosexuels, de l’ordination des femmes ou de la morale sexuelle ? Sur tous ces sujets, il est aisé de trouver au sein de l’Église réputée en communion avec Rome des prêtres et des fidèles en totale contradiction avec l’enseignement du Pape.

Cette situation difficile peut légitimement faire douter la FSSPX de l’opportunité de s’amarrer définitivement à la barque de Pierre, plutôt que de continuer à la suivre à distance. Cependant, il n’est désormais plus exclu qu’une réconciliation intervienne au cours de ce pontificat.
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[1] On pensera à des déclarations de ce type : « Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. » (Études, septembre 2013), ou à des déclarations malheureuses sur les «lapins».

[2] Il faut noter que le droit canonique permet à un prêtre frappé de suspense de conférer validement et licitement un sacrement, en cas de danger de mort. Mais il va de soi que cette situation est éloignée de notre cas de figure.

[3] Certains progressistes, eux-mêmes canoniquement inclus dans l’Église, ne se privent pas pour dénoncer en toute tranquillité le Magistère.

[4] C’est du moins ce qu’on peut lire dans un article stimulant de Sandro Magister, commentant et citant un théologien australien, John R.T. Lamont : « La FSSPX ne rejette pas Vatican II dans son intégralité : bien au contraire, l’évêque Fellay a affirmé que 95 % des enseignements de celui-ci sont acceptés par la Fraternité. Ce qui veut dire que la FSSPX est plus fidèle aux enseignements de Vatican II qu’une bonne partie du clergé et de la hiérarchie de l’Église catholique. »