Esto fidelis usque ad mortem, et
dabo tibi coronam vitae.
Apocalypse 2:10
Après des années de pas en tous
sens, Rome avoue enfin qu’elle ne veut rien céder sur le concile. En cela, le
cardinal Müller n’a pas exprimé un mouvement passager de mauvaise humeur, mais
bien un état d’esprit encore vivace au Vatican. Il faudrait tout accepter, tout
approuver et rien n’est discutable. Dont acte ! Cela va peut-être ramener
un peu de calme dans nos rangs, rassurer les méfiants et permettre à nos
supérieurs de préparer sereinement notre prochain chapitre pour les élections
du Supérieur Général et de ses assistants, et pour « vérifier si la
Fraternité applique consciencieusement les statuts et s’efforce d’en garder
l’esprit. »
Cela étant, alors que notre
doyenné vit en paix et dans une bonne entente générale, j’observe que, depuis
des années et des mois, se développe en France principalement une tournure
d’esprit plutôt sombre et pessimiste. Alors que les fidèles autrefois étaient
heureux de trouver chez nous des prêtres fervents et désireux de porter les
âmes vers Dieu en les entretenant des merveilles de la foi et de la vie
spirituelle, ils se heurtent trop souvent à des discours sombres sur l’état du
monde, de l’Eglise et de la Fraternité. Tout le monde (ou presque !) se
regarde avec méfiance, en se demandant ce que pense le vis-à-vis. Grâce à Dieu,
notre prieuré est épargné mais tous ne sont pas dans ce cas. Etonnez-vous si
tant de fidèles se tournent plutôt vers d’autres communautés !
Et pourtant, la voix et l’esprit
de Mgr Lefebvre demeurent gravés dans nos statuts. Il suffit de s’y référer
pour connaître notre devoir, et conserver le cap. En particulier, un paragraphe
traite des supérieurs locaux mais cela peut s’adresser à chacun de nous :
Ce sont eux surtout qui feront la preuve de la fondation providentielle de la Fraternité par son rayonnement surnaturel, de paix, de sérénité, de force dans la joie, de totale confiance dans Notre Seigneur et Sa Sainte Mère, dans l'attachement indéfectible à l'Eglise Romaine et au Successeur de Pierre agissant en vrai Successeur de Pierre, dans le respect des évêques fidèles à la grâce de leur sacre. Ils auront pour le Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ une dévotion sans limite à la mesure de l'infinité de Son Règne : sur les personnes, les familles, les sociétés. S'ils doivent manifester une option politique, ce sera toujours dans le sens de ce Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils répandront cette dévotion par le véritable sacrifice de la Messe et par la dévotion au Sacrement de l'Eucharistie, ainsi que par la dévotion à la très Sainte Vierge Marie. (Statuts V, 10)
Tout cela est simple, et
j’oserais dire élémentaire. Que serait un prêtre qui n’aurait pas le souci
premier d’entretenir dans les âmes la connaissance et l’amour des réalités
surnaturelles ?
Pour ma part, je ne suis pas
entré au séminaire pour combattre les erreurs modernes, le libéralisme ou le
concile, mais pour la Sainte Messe ! Et j’ai fait mon oblation dans la
Fraternité il y a presque quarante années à Notre-Seigneur Jésus-Christ, non à Mgr
Lefebvre ou au Pape !
Il serait bon parfois de
réfléchir un peu à l’ordre qui doit exister entre les moyens et la fin, et de
ne pas inverser les choses ! Le refus des erreurs modernes est un moyen nécessaire
pour assurer notre fidélité à Jésus-Christ et à l’Eglise, mais il convient de
ne pas se focaliser sur les moyens au point d’oublier la fin, ce qui me semble
être le cas de ceux qui craignent je ne sais quel abandon ou trahison de la
ligne de la Fraternité ou de l’esprit de Monseigneur, et vont parfois jusqu’à
renier leurs engagements.
A ce sujet, je suis frappé par
l’insistance voulue par Mgr Lefebvre sur la perpétuité de nos engagements dans
la Fraternité. « Seigneur, tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre
vous appartient, je désire m’offrir à Vous en oblation spontanée et demeurer
perpétuellement vôtre… je m’offre moi-même à vous aujourd’hui en serviteur perpétuel,
en hommage et en sacrifice de louange perpétuel ». « perpetue
permanere… servum sempiternum… sacrificium laudis perpetuae » ?
Sans doute ces engagements ne
sont pas des vœux, mais cette promesse m’a engagé de façon définitive envers
Jésus-Christ dans la Fraternité. Ma fidélité à la Fraternité est devenue le
moyen indispensable de ma fidélité à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si je reniais
mon engagement dans la Fraternité, qu’en serait-il de mon engagement envers
Jésus-Christ ? Comme l’indique la mention précédant la signature que j’ai
apposée au bas de mon oblation, j’ai donné mon nom à la Fraternité (do nomen in
perpetuum). Or, le nom signifie la
personne elle-même, et il s’agit bel et bien d’un don de tout soi-même à la
Fraternité et à Jésus-Christ dans la Fraternité !
Mon grand ami, Ernest Hello,
avait sur ce point de fortes remarques ;
Quelle serait, si le déshonneur avait une essence, quelle serait l'essence du déshonneur? Ce serait si je ne me trompe, promettre et ne pas tenir.
Si on interrogeait le mépris, pour lui demander son secret, le mépris répondrait: Je connais quelqu'un qui promet et qui ne tient pas.
Si vous dites à un homme: Vous avez eu gravement tort; vous êtes un criminel, cet homme se sent blâmé; mais il peut se sentir estimé, et, comme le blâme ne flétrit pas, il peut vous tendre la main sans effort et vous remercier sans douleur.
Si vous dites à un homme: Vous avez menti, cet homme se sent méprisé, fût-ce à propos de la chose du monde la plus insignifiante. Il a donné sa parole, et ce qu'il a dit n'était pas vrai. Donner sa parole signifie : promettre. Ces deux mots sont synonymes.
Peut-être y a-t-il des promesses implicites. Voyez l'ami qui a abandonné son ami. Celui-ci boit la honte comme de l'eau. C'est qu'il avait promis, explicitement ou implicitement, d'être fidèle. La fidélité est l'honneur des relations.
La fidélité et la franchise habitent le même lieu; car parole et promesse sont synonymes. L'ami qui trahit a menti avant de trahir.[…] Les expressions familières aident presque toujours l'éclaircissement des choses mystérieuses. Le langage dit d'un homme qu'il a fait honneur à sa signature. Le langage rapproche à chaque instant le mot honneur et le mot: signature.
Qu'est-ce qu'une signature? c'est une promesse.
Celui qui signe, s'engage à faire.
Et quel signe donne-t-il?
Le signe, c'est son nom. La signature d'un homme est son nom : son nom est sa parole, et sa parole est son honneur. C'est pourquoi le langage dit: déshonorer son nom.
Celui qui ne tient pas sa parole déshonore son nom.
Le nom en effet, le nom d'un homme, c'est lui-même. Donner son nom, c'est engager son honneur.
Le nom est la représentation de l'honneur; il l'exprime dans ce qu'il a d'intime, d'essentiel. Celui qui insulte le nom d'un homme fait plus, en un certain sens, que s'il insultait cet homme lui-même, d'une façon plus directe, mais moins solennelle. S'il l'insulte dans son nom, il l'insulte dans le lieu même où il faut être le plus nécessairement respecté.
On m’objectera sans doute, et
avec raison, que l’honneur n’est pas une vertu chrétienne ! « Nous
n’avons qu’un honneur au monde, c’est l’honneur de Notre-Seigneur ! »
Un chrétien ne cherche et ne sert que l’honneur de Jésus-Christ ! Cela est
vrai, et l’honneur personnel du chrétien se résume dans sa fidélité à ses
promesses de servir Notre-Seigneur, promesses du baptême, de la confirmation,
du sacerdoce ou du mariage ! L’honneur du chrétien c’est sa fidélité !
Cicéron disait déjà : « verum
decus in virtute positum est »
– le véritable honneur réside dans la vertu. L’honneur, de fait n’est
pas une vertu en soi, mais la récompense de la vertu. « L’honneur suit à
la vertu » dit St Thomas, et c’est pourquoi peu m’importe l’honneur, mais
je veux être fidèle à tout ce que j’ai promis ! Et la fidélité à mes
engagements dans la Fraternité est pour moi le moyen de vivre ma fidélité à
Jésus-Christ et à mon sacerdoce, et tant que cette première et vitale fidélité
n’est pas en péril, puis-je vivre dans un état de défiance envers mes
supérieurs ?
Deux motifs seulement pourraient
justifier cette défiance.
Le premier serait l’infidélité de
nos supérieurs à leurs charges. Que leur demandent nos statuts ?
Le Supérieur Général et ses deux Assistants feront tout ce qu'ils jugeront utile pour préserver, entretenir et augmenter dans les cœurs de tous ceux qui ont des fonctions et de tous les membres de la Fraternité une grande générosité, un profond esprit de foi, un zèle ardent au service de l'Eglise et des âmes. A cet effet, ils organiseront et dirigeront des exercices spirituels, des réunions qui aideront la Fraternité à ne pas tomber dans la tiédeur, dans des compromissions avec l'esprit du monde. Ils manifesteront dans leur attitude et leur vie quotidienne l'exemple des vertus sacerdotales. Ils favoriseront l'entretien d'une foi vive et éclairée par la constitution de bibliothèques bien munies des documents du magistère de l'Eglise, et par l'édition de revues ou périodiques susceptibles d'aider les fidèles à fortifier et à défendre leur foi catholique. Ces directives valent aussi, mutatis mutandis, pour tous les Supérieurs et spécialement les Supérieurs de districts. (Statuts V, 5).
Le deuxième motif, plus grave,
serait leur prédication contraire à la foi ou à la morale, ou même leur adhésion
publique par des actes concrets aux erreurs modernes, libérales ou
conciliaires.
Sur ces deux points je ne vois
nulle matière à défiance !
Peut-être n’aurais-je pas agi de
la même façon, ou aurais-je procédé différemment. Peut-être même dans la
direction de la Fraternité ou dans mon mode de communication, n’aurais-je pas
suivi les mêmes méthodes. Peut-être encore puis-je désapprouver telle attitude
ou telle déclaration. Mais sur aucun de ces deux points, je répète que je ne
vois matière à défiance, et j’ajoute en outre que je ne pense pas être en
mesure de juger sagement. Et ceux qui croient pouvoir juger ont-ils le droit de
le faire ?
St Thomas est très clair sur ce
dernier point, et n’a pas besoin de commentaire :
Un jugement est licite dans la mesure où il est un acte de justice. Or… trois conditions sont requises pour cela : la première, qu'il procède d'une inclination à la justice ; la deuxième, qu'il émane de l'autorité d'un supérieur ; la troisième, qu'il soit proféré selon la droite règle de la prudence. Là où l'une de ces conditions fait défaut, le jugement devient vicieux et illicite. D'abord s'il va contre la droiture de la justice, il est pervers ou injuste. Ensuite, quand l'homme juge en des matières où il n'a pas autorité, on dit que le jugement est usurpé. Enfin, là où la certitude fait défaut, par exemple lorsque sur de légères conjectures quelqu’un juge de choses douteuses ou cachées, son jugement est entaché de suspicion, ou téméraire. IIa-IIae 60,2.
Vous avouerez qu’il y a là de
quoi retenir un jugement peut-être trop naturel et spontané, de crainte qu’il
ne soit pervers, injuste, téméraire, voire – ce qui serait pire –usurpé, en usurpant
le droit de juger à la place de mes supérieurs, et celui de les juger !
Finalement, ce que nous voyons
prendre forme n’est rien d’autre que l’apparition d’une nouvelle secte
protestante, sans autre lien interne que le refus de l’autorité du Pape
(auquel, après l’autorité magistérielle on dénie à présent l’autorité
canonique ! que lui reste-t-il ?) et le libre examen par chacun des
intentions secrètes des supérieurs !
Virgo fidelis, ora pro nobis.