SOURCE - Abbé Christian Thouvenot - FSSPX Actualités - 27 octobre 2017
Le Motu proprio du pape François modifiant les règles de traduction des livres liturgiques a été rendu public le 9 septembre 2017. Avant les nouvelles dispositions du souverain pontife, il revenait au Siège apostolique d’approuver et d’autoriser les « traductions en langues vernaculaires et de veiller à ce que les règles liturgiques soient fidèlement observées partout ».
Le Motu proprio du pape François modifiant les règles de traduction des livres liturgiques a été rendu public le 9 septembre 2017. Avant les nouvelles dispositions du souverain pontife, il revenait au Siège apostolique d’approuver et d’autoriser les « traductions en langues vernaculaires et de veiller à ce que les règles liturgiques soient fidèlement observées partout ».
Dorénavant, ce seront les Conférences épiscopales qui auront la responsabilité de traduire, d’approuver et de publier les textes liturgiques « pour les régions relevant de leur compétence, après confirmation par le Siège apostolique ». La Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements aidera et vérifiera le travail des Conférences épiscopales. FSSPX.Actualités a rendu compte de cette décision du pape, le 19 octobre 2017 (mise à jour de l'article le 25 octobre), sous le titre « Magnum principium : le risque d’une tour de Babel ».
Dans la continuité du Concile
Ces nouvelles dispositions ne sont pourtant pas des nouveautés. Le document s’inscrit résolument dans la continuité de la réforme liturgique voulue par le concile Vatican II, et se réclame des principes qui l’ont inspirée. La première phrase du Motu proprio est à cet égard révélatrice : « L’important principe (magnum principium) confirmé par le concile œcuménique Vatican II, selon lequel la prière liturgique rendue accessible au peuple devait être compréhensible dans sa langue, a fait porter aux évêques la lourde responsabilité d’introduire la langue vernaculaire dans la liturgie et de préparer et approuver les différentes traductions des livres liturgiques ».
La question des traductions est bien une conséquence de la volonté du Concile de rendre accessible la liturgie au peuple de Dieu. Le pape François affirme qu’il en va du bien des fidèles et de « leur droit à une participation consciente et active aux célébrations liturgiques ». Plus loin, il explique pourquoi il lui paraît opportun que ces mêmes « principes transmis depuis le Concile soient plus clairement réaffirmés et mis en pratique », « afin que se poursuive le renouveau de la vie liturgique tout entière».
L’abandon de la langue vivante de l’Eglise
Ce « renouveau » est passé en particulier par le retournement des autels, la refonte totale des rites de la messe et des sacrements, et l’abandon du latin, la langue sacrée de l’Eglise. Cet abandon, le pape François l’assume, à la suite du pape Paul VI : « L’Eglise latine était consciente du sacrifice qui en découlait, d’abandonner partiellement sa langue liturgique en vigueur à travers le monde entier au cours des siècles. Elle ouvrit cependant volontiers la porte au fait que ces traductions, qui font partie des rites mêmes, deviennent la voix de l’Eglise qui célèbre les mystères divins, aux côtés du latin ». Malgré cette dernière incise, qui vise peut-être la reconnaissance par Benoît XVI en 2007 du rite traditionnel, dit « extraordinaire », et malgré l’adverbe partiellement qui semble vouloir limiter l’importance du changement opéré par la liturgie réformée, force est de constater que la nouvelle messe est toujours et dans l’immense majorité des cas célébrée en langue vulgaire, et qu’elle a bel et bien consacré l’abandon du latin.
Jamais sans doute le magistère n’aura varié si considérablement sur une question en si peu de temps. Le 22 février 1962, le pape Jean XXIII avait publié la Constitution Veterum sapientiæ dans laquelle était loué l’usage du latin. « Langue propre du Siège apostolique », manifestant la romanité en même temps que l’universalité de l’Eglise, le génie du latin était chanté comme rarement il le fut. Le lien d’unité qu’il crée entre les peuples et les différentes cultures était si bien mis en avant que le pape ordonnait qu’il soit encouragé dans les études comme dans la liturgie : « Le latin est la langue vivante de l’Eglise », écrivait-il. Elle n’allait pas tarder à devenir une langue morte.
L’année suivante, la première Constitution du concile Vatican II rappelait pourtant : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins » (Sacrosanctum concilium, 4 décembre 1963, n° 36, 1). Mais c’était aussitôt pour ajouter qu’il serait possible « d’accorder une plus large place » à « l’emploi de la langue du pays » (n° 36, 2). La brèche ouverte, il ne suffisait plus que de l’agrandir et de s’y engouffrer.
Le latin et le grégorien sacrifiés
C’est ce que fit le pape Paul VI le 7 mars 1965 en déclarant place Saint-Pierre : « C’est un sacrifice que l’Eglise accomplit en renonçant au latin, langue sacrée, belle, expressive, élégante. Elle a sacrifié des siècles de tradition et d’unité de langue pour une aspiration toujours plus grande à l’universalité ». Sacrifier l’unité pour mieux exprimer l’universalité : n’est-ce pas se risquer à connaître le même sort que Babel ?
Le 26 novembre 1969, en présentant le nouveau rite, Paul VI revenait sur ce sacrifice jugé nécessaire : « Pour quiconque connaît la beauté, la puissance du latin, son aptitude à exprimer les choses sacrées, ce sera certainement un grand sacrifice de le voir remplacé par la langue courante. Nous perdons la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l’expression sacrée. Nous perdons ainsi en grande partie cette admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu’est le chant grégorien. Nous avons, certes, raison d’en éprouver du regret et presque du désarroi… »
Pourtant, tout ceci est sacrifié en vue de satisfaire les besoins humains du « peuple de Dieu » : « Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane ».
Un ferment d’anarchie est introduit au cœur de l’expression la plus sublime du mystère chrétien. Le culte rendu à Dieu devient l’occasion de parler au peuple qui veut et qui exige – démocratie oblige. C’est un renversement complet de perspective. A ce compte-là, il n’y a aucune raison de ne pas traduire la messe en slam (« poésie urbaine scandée »), spoken word (ancêtre du slam), pidgin (« langue véhiculaire simplifiée ») ou n’importe quel sabir. Il en va de la « compréhension » et donc de la « participation » de n’importe quel groupe de fidèles.
De cette logique ne peut sortir que la désagrégation de la liturgie. Le Motu proprio du pape François, presque cinquante ans après la nouvelle messe, reprend à son compte les principes qui l’ont inspirée : « L’Eglise latine était consciente du sacrifice qui en découlait, d’abandonner partiellement sa langue liturgique en vigueur à travers le monde entier au cours des siècles ».
En mesurait-elle alors toutes les conséquences ? Oui, répond le pape : « au sujet de l’utilisation des langues vernaculaires dans la liturgie, l’Eglise était consciente des difficultés qui pouvaient survenir en la matière. » Mais le droit des fidèles « à une participation consciente et active aux célébrations liturgiques » devait l’emporter.
Magnum principium met en pratique Sacrosanctum concilium
Ainsi donc, les problèmes de traduction liés à l’utilisation des langues vernaculaires dans la liturgie font partie de la dynamique conciliaire consécutive à l’abandon du latin. Bien loin d’innover, le pape François ne fait qu’appliquer les principes du Concile afin qu’ils soient « plus clairement réaffirmés et mis en pratique ».
En effet, la Constitution Sacrosanctum concilium indiquait déjà qu’il revenait à l’autorité ecclésiastique locale de considérer « avec attention et prudence ce qui, en ce domaine, à partir des traditions et du génie de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin. Les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège apostolique pour être introduites avec son consentement » (n° 40, 1). Et encore : « il revient à l’autorité ecclésiastique qui a compétence sur le territoire (…), de statuer si on emploie la langue du pays et de quelle façon, en faisant agréer, c’est-à-dire ratifier, ses actes par le Siège apostolique » (n° 36, 3).
Cette dernière incise, à laquelle renvoie explicitement le Motu proprio Magnum principium, manifeste la volonté pontificale de ne pas revenir en arrière et de s’en tenir aux dispositions prévues par les Pères conciliaires. François le réaffirme : « il faut communiquer fidèlement à un peuple donné, en utilisant sa langue, ce que l’Eglise a voulu communiquer auparavant avec le latin ». Il s’agit bien d’un abandon par substitution. La liturgie de la parole exige ce sacrifice, au nom de « la participation active et consciente » des fidèles. Le prix à payer, au-delà du désarroi, est la désagrégation de l’unité liturgique et la désacralisation du culte divin.
Une incalculable erreur
Ces choses avaient été annoncées avant même la promulgation de la nouvelle messe, dès 1969. Le Bref Examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci concluait déjà :
« Aujourd’hui, ce n’est plus à l’extérieur, c’est à l’intérieur même de la catholicité que l’existence de divisions et de schismes est officiellement reconnue. L’unité de l’Eglise n’en est plus à être seulement menacée : déjà elle est tragiquement compromise. Les erreurs contre la foi ne sont plus seulement insinuées : elles sont imposées par les aberrations et les abus qui s’introduisent dans la liturgie.
« L’abandon d’une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles le signe et le gage de l’unité de culte, son remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être qu’une cause de division par les licences innombrables qu’elle autorise implicitement, par les insinuations qu’elle favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés, comme une incalculable erreur ».
Abbé Christian Thouvenot