26 octobre 2009

[La Croix] Dans les diocèses, le motu proprio a fait tomber certains murs

SOURCE - la croix - 26 octobre 2009

En 2007, Rome faisait une concession aux intégristes en libéralisant l’usage du Missel tridentin. Ce geste a eu un certain impact dans les rangs traditionalistes

Depuis l’entrée en vigueur du motu proprio Summorum pontificum, en septembre 2007, rares semblent être les intégristes qui ont évolué. Et ceux qui ont quitté l’entourage de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) pour rallier un diocèse rechignent à en parler. Sollicités par La Croix, ils disent préférer tourner radicalement la page, tant la rupture a suscité d’incompréhensions auprès de leurs proches et conduit souvent à des situations familiales très douloureuses.

Pour la grande majorité des fidèles intégristes, si le motu proprio a favorisé leur bienveillance à l’égard de Benoît XVI, il n’a en revanche rien changé dans les esprits ni dans les faits. Au contraire, alors que le dialogue théologique s’est ouvert lundi entre Rome et la FSSPX, la plupart attendent que le Vatican se range à leurs positions. « Je vais de temps en temps dans une paroisse de la Fraternité Saint-Pierre (NDLR : regroupant des prêtres lefebvristes ralliés à Rome) ou du Christ-Roi (NDLR : congrégation traditionaliste), il m’est arrivé aussi d’assister à la messe de Paul VI, mais je ne communie pas, témoigne Anne-Élisabeth, 23 ans, étudiante, paroissienne de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. On espère vraiment une remise en cause de certaines interprétations de Vatican II. »

Même son de cloche chez Audrey, 25 ans : « Le combat que je mène est le bon. On ne bougera pas. Au contraire, c’est le début d’un retour à la Tradition. Un jour, la “messe moderne” n’aura plus cours. J’ai confiance à 100 % dans mes évêques. »

"Un effet psychologique positif"


« On n’a pas observé de passages de familles entières dans les diocèses, confirme un prêtre de Versailles proche des milieux traditionalistes. Le motu proprio a eu un effet psychologique positif, les gens se sont sentis compris. Mais l’influence des pasteurs dans ces milieux est très forte et, tant que l’un des quatre évêques intégristes ne bougera pas, il n’y aura pas de mouvement. »

Si le motu proprio est loin d’avoir eu les effets escomptés côté intégriste, dans les rangs traditionalistes, en revanche, les lignes se déplacent. La libéralisation de la « forme extraordinaire » (72 lieux de culte ont été ouverts en deux ans au Missel de saint Pie V) a commencé à apaiser les esprits. « Nous qui avons vécu très douloureusement ce chambardement de la liturgie après le Concile, nous constatons qu’il y a moins d’animosité ou de regards de travers », témoigne Jean-Louis Laureau, paroissien de la cathédrale d’Angers où l’évêque a nommé recteur un ancien membre de la Fraternité Saint-Pierre, l’abbé Bruno Le Pivain.

Certes, des groupes, minoritaires mais très actifs sur Internet, continuent à revendiquer avec insistance de nouveaux lieux de culte. Mais on observe globalement un début de décloisonnement des milieux « tradi ».

À une semaine de leur Assemblée plénière à Lourdes, les évêques interrogés par La Croix n’ont pas souhaité donner leur sentiment à ce sujet.

Divisions internes 

« Les jeunes circulent d’une paroisse à l’autre, sans se poser les mêmes questions que leurs aînés : on retrouve les mêmes dans des communautés comme l’Emmanuel et au pèlerinage traditionaliste de Chartres, remarque le P. Pierre-Hervé Grosjean, vicaire à Houilles (Yvelines). C’est même déstabilisant pour leurs prêtres et leurs parents. Ils ne sont plus dans les catégories ecclésiales qu’on connaissait. » Jeune chef d’entreprise, adepte de la liturgie traditionaliste au Chesnay (Yvelines), Hervé Savy appuie : « Notre génération “Jean-Paul II” ne se retrouve pas dans des guerres de tranchées qu’elle n’a pas vécues. L’essentiel pour nous est de témoigner du Christ, chacun avec sa sensibilité. »

Signes de ce décloisonnement, qui ne va pas sans divisions internes au sein du monde traditionaliste, la demande récente de certains prêtres de ces communautés d’être incardinés dans les diocèses. Ainsi l’abbé Tancrède Leroux : issu de la première génération de la Fraternité Saint-Pierre, aujourd’hui recteur de l’église Saint-Georges à Lyon, il appartient à l’association diocésaine Totus tuus, érigée en octobre 2007 pour des prêtres attachés à la « forme extraordinaire » et dont le cardinal Barbarin vient de reconnaître les statuts. « J’avais le désir d’œuvrer en pleine communion avec le diocèse, explique-t-il. Les liens de confiance tissés avec le cardinal Billé puis son successeur m’ont fait évoluer. »

Même parcours pour l’abbé Gérald de Servigny, vice-chapelain de Notre-Dame-des-Armées, qui a quitté la Fraternité Saint-Pierre pour participer de manière plus étroite à la vie du diocèse de Versailles en octobre 2008, au terme d’une longue réflexion : « Pendant quelques années, dans le diocèse de Périgueux, je me suis rendu compte qu’on ne pouvait pas s’enfermer dans un petit monde, que le dialogue était nécessaire, même s’il n’est pas toujours très facile. » Aujourd’hui, il célèbre toujours selon la forme extraordinaire du rite romain, mais concélèbre avec l’évêque pour la messe chrismale.

"Un monde de plus en plus pluriel" 

« Nous avons gardé le même ministère, puisque nous nous occupons des mêmes fidèles, mais nous confrontons davantage nos approches », précise l’abbé de Servigny. Le chef de chœur de sa chapelle confirme : « Nous essayons d’enrichir nos programmes de chant, par exemple avec ceux du Renouveau charismatique, tout en gardant cette dimension d’intériorité et de silence qui nous est propre », explique Michel Lefebvre, investi par ailleurs dans un groupe de réflexion autour des questions de bioéthique créé par l’évêque.

Comme lui, bien des fidèles ont suivi. « Le motu proprio nous a aidés à leur faire comprendre notre démarche, et cela les a rassurés, souligne l’abbé Gérald de Servigny. Dans toutes ces querelles, en effet, il y a de part et d’autre beaucoup de peurs pas très rationnelles. Le monde traditionaliste est de plus en plus pluriel. Un jour, il s’intégrera complètement dans la vie diocésaine. »

Céline HOYEAU