SOURCE - Mgr Jacques Masson, publié par le site Hermas - 22 septembre 2009
« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (1)
« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! »
D’un Evêque français.
Mon Evêque,
Monseigneur Jacques Ménager,
alors Evêque de Meaux.
[Juillet 1971].
POURQUOI ET COMMENT JE SUIS ALLE A ECÔNE
Avant d’arriver à cette date de juillet 1971, date à laquelle j’étais Directeur du Séminaire d’Ecône, et d’évoquer les événements décisifs de 1972, un an plus tard, il est nécessaire de faire un petit saut en arrière, pour bien comprendre le déroulement des choses.
La première question qui se pose est en effet la suivante : pourquoi et comment ai-je été amené à aller à Ecône ?
Ma décision de quitter la France, l’Eglise de France, et de me joindre à Monseigneur Lefebvre, ne fut pas le fruit d’un caprice, mais le résultat d’une décision prise après mûre réflexion, conséquence de quatre années de ministère dans le diocèse de Meaux, au petit séminaire Sainte-Marie de Meaux tout d’abord, pendant trois ans, puis à la paroisse Saint Jean-Baptiste de Nemours ensuite, une année environ.
Après trois années de “purgatoire” au Séminaire Saint-Sulpice, à Issy-les-Moulineaux, que j’ai déjà évoquées. [On se reportera, sur le blog Hermas, aux articles publiés par Mgr Masson relatifs à cette période.]
Le petit-séminaire Sainte Marie de Meaux
J’ai été ordonné prêtre le 25 juin 1966, au titre du Diocèse de Meaux. Quelques semaines avant l’Ordination, l’Evêque, de passage à Saint-Sulpice, m’annonçait qu’il me nommait au petit séminaire Sainte-Marie de Meaux, en ces termes : « Je vous donne carte blanche, vous devez y remettre de l’ordre, de la discipline et de la spiritualité, et vous occuper plus spécialement des séminaristes et des Dimanches Apostoliques ».
Le Séminaire Sainte-Marie était un séminaire « mixte » en ce sens qu’il accueillait des séminaristes, mais aussi des élèves et des étudiants non séminaristes. Il ne tarda pas à devenir « mixte » au sens complet du mot, pour les classes de terminale.
Mon arrivée fit sensation : j’étais jeune alors, 29 ans, et je portais la soutane. Il y avait un autre prêtre qui portait la soutane, le Père Taroux, professeur en classe de Première. Mais il était « âgé », on le lui pardonnait… Ils sont toutefois parvenus à le faire se mettre en clergyman, après mon départ.
Sensation dans le corps professoral, prêtres professeurs, et professeurs laïcs, mais aussi chez les élèves et les étudiants, et en particulier chez les séminaires des « « grandes classes ». De fait, Monseigneur Ménager l’avait bien vu, il y avait un grand vide spirituel, une absence de formation, de discipline. L’arrivée d’un « nouveau », en soutane, attira tout particulièrement les séminaristes les plus grands, ceux qui étaient censés entrer à Saint-Sulpice, mais qui en avaient déjà perdu toute envie, après y avoir fait quelques visites ! Le peu qu’ils en avaient vu leur suffisait. Et je les comprenais très bien.
Ils se regroupèrent ainsi autour de moi, changèrent de directeur de conscience, ce qui est toujours un drame, surtout quand certains prêtres font la « chasse aux pénitents ». Et notamment le Directeur des Vocations, le Père Duranton, professeur de Lettres également pour les 3° et 2 : il valait mieux se mettre bien avec lui ! Paris vaut bien une Messe, n’est-ce pas ?
Je passe rapidement, car je pourrais écrire un livre sur ces trois années passées au petit-séminaire de Sainte-Marie de Meaux. Mais le fait est que les jeunes séminaristes s’étaient regroupés autour de moi, du moins les plus grands, surtout pour les « Dimanches Apostoliques », une fois par mois, où ils ne retournaient pas en famille, mais restaient pour un jour et demi de retraite au séminaire. J’étais responsable aussi de la liturgie. Et les jeunes adoraient le chant grégorien, recherchaient les Bénédictions du Saint-Sacrement, les Adorations du Saint-Sacrement. Les plus grands ont même obtenu de faire une nuit d’adoration du Sacrement, en menaçant d’occuper la chapelle, car le Supérieur, le Père Lherbier, le leur avait débord refusé. Le dimanche soir, on chantait même les Complies en latin. Et, bien souvent, les séminaristes (les plus grands) venaient dans ma chambre pour réciter le Chapelet. Cela n’existait pas à Sainte-Marie ! Pour assister à la Messe « officielle » du matin, il fallait une permission spéciale, exceptionnelle, du surveillant de la classe d’étude.
Mais ces jeunes se « battaient » pour pouvoir me servir la Messe le matin, en privé, à l’autel situé au fond de la Chapelle, alors qu’il y avait, dans le même temps, la Messe « officielle », célébrée par le Directeur des Vocations le Père Duranton, réduit bien souvent à parler dans le désert. Ce qui ne manqua pas de créer des tensions, bien sûr !
Le 8 décembre 1967, fête patronale du séminaire Sainte Marie, nous avons même eu une Messe Pontificale célébrée par Mgr Ménager. Rien n’y manquait : les Diacres assistants, les porte-insignes, bref, une vingtaine de servants dans le chœur. Les jeunes étaient « aux Anges », d’autant plus que j’avais préparé la chorale qui avait chanté tout le Kyriale des Messes solennelles n° 2 « Kyrie Fons Bonitatis ». Les jeunes, séminaristes et non séminaristes de la chorale, chantaient de tout leur cœur. A la fin de la Messe, Monseigneur Ménager m’a remercié, en ajoutant (in cauda venenum) : « Mais le Kyrie était beaucoup trop long ». Je lui répondis : « Certes ! Mais il a été composé par des gens qui méditaient, pour des gens qui méditent ».
Et ainsi, la situation s’est tendue, régulièrement, et devint rapidement insoutenable. D’autant plus que les jeunes qui se destinaient au Sacerdoce me disaient, dans leur langage affectueux « L’abbé, vous devez nous trouver un BON séminaire, parce qu’on n’ira pas à LEUR Saint Sulpice ». Trouver un bon séminaire ! « Hic jacet lepus » ! C’était bien là la difficulté ! J’étais devenu un « trublion », au point que le Père Duranton me demanda un jour s’il pouvait venir me parler dans mon bureau-chambre. Bien sûr, avant son arrivée, j’ai installé un magnétophone sous mon lit ! Je résume l’entretien en quelques mots : « Avec votre soutane, et vos idées préconciliaires, vous êtes un scandale pour tout le Diocèse ». Mais déjà pour Sainte-Marie, et surtout pour lui qui avait perdu une grande partie de ses pénitents. Il était bien « en cour » avec Mgr Ménager, et je m’attendais à être changé « pour faire un peu de pastorale en paroisse » et « être remis au pas en contact avec la réalité ». Le Père Lherbier m’avait soutenu, il me soutenait, il était heureux de chanter les Complies en latin etc. Mais c’était un faible, surtout devant le Père Duranton.
Je dois reconnaître que ce dernier ne me portait pas du tout dans son cœur. Surtout après une intervention de ma part auprès de Mgr Ménager. En 1969, Le Père Duranton, Directeur des Vocations, avait organisé deux journées de rencontre pour les jeunes gens et les jeunes filles du Diocèse, un samedi et un dimanche. Il avait prévu notamment une Messe « à étapes » : le samedi soir, dîner en commun dans la nature, si le temps le permettait, au cours duquel se déroulerait la première partie de la Messe : La Liturgie de la Parole.
Après cela, repos dans les greniers des fermes des environs, couchés dans la paille, garçons et filles mélangés, pour aider aux rencontres interpersonnelles, favoriser les contacts et les échanges et aider ainsi les jeunes à préparer leur avenir.
Pour le dimanche matin, le petit déjeuner comprendrait la liturgie de l’Offertoire, avec la présentation du pain et du vin. Et, pendant le repas de midi, on procèderait à la Consécration et à la communion.
Mis au courant de ce projet, préparé dans tous les détails, j’intervins auprès de Mgr Ménager, réticent d’abord sur une intervention, mais qui dut céder devant ma menace de déposer une plainte à Rome. La réunion des jeunes du Diocèse aurait lieu, comme prévu, mais la Messe serait célébrée, normalement, dans l’église du village qui nous accueillait. La Messe ? Les jeunes, assis, couchés sur le sol de l’église, discutant, riant, en tenue négligée après une nuit passée dans la paille, et dans quelles conditions (?) chantaient à tue-tête des chants hippies, accompagnés à la guitare, et qui n’avaient, pour la plupart, aucun rapport avec la Messe célébrée. Je m’étais réfugié, par prudence, au fond de l’église, et les séminaristes s’étaient joints à moi les uns après les autres.
Vint le moment de l’échange de la paix, qui se donna sous toutes les formes possibles et imaginables ; aussi, lorsque des jeunes, envoyés tout exprès par l’organisateur pour « nous donner la paix », j’ai répondu avec un grand sourire « Foutez-nous la paix ! ». A la sortie de l’église, au moment de quitter l’assemblée, un groupe de jeunes, guidé par l’Abbé Duranton, s’en prit à nous, à moi, en criant : « hérétiques, intégristes ».
Mon avenir était tracé !
A la fin du mois de juillet, Monseigneur Ménager m’annonça, non pas oralement, mais par lettre, que je reçus alors que j’étais en vacances avec ma famille, que j’étais nommé Vicaire à Nemours. A la mi-juin je lui avais parlé de bruits concernant mon changement ! Il m’avait répondu avec fermeté : « Il n’en est pas question ».
Parole d’Evêque.
[Note de TradiNews - la suite du texte a été publiée le 23 septembre 2009]
La paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours
Bref, au mois de septembre je me retrouvais comme vicaire à la paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours : une très belle Basilique gothique. J’étais chargé notamment de l’aumônerie du Lycée mixte qui accueillait plus de mille élèves. Inutile de dire le désarroi des séminaristes de Sainte-Marie ! Mais ils ont maintenu le contact, malgré la distance, et sont venus me voir régulièrement. Ce qui explique la suite.
Les paroissiens de Nemours m’ont très bien accueilli, et, très vite, des réunions de prière (avec récitation du chapelet), se sont multipliées dans des familles qui se regroupaient pour cela. Avant de prendre contact avec le Lycée, la rentrée n’était pas encore faite, j’ai reçu une visite inattendue : mon prédécesseur. Il était tout simplement venu me donner un « conseil fraternel » en me sommant de me mettre en civil, « sinon j’allais détruire tout le travail qu’il avait fait pendant des années au lycée ». Je lui ai demandé « fraternellement » de bien vouloir s’en aller, et de s’occuper de ses affaires.
Première journée au Lycée : j’étais arrivé un peu avant l’heure dans la salle de classe qui m’était attribuée. L’heure tournait, et personne ne venait. Je pris mon chapelet et commençais à prier. Une fille d’une quinzaine d’année arrive et me déclare sans ambages : « Voilà, je vais être franche avec vous. Je viens en ambassade, envoyée par mes copains et copines. Si vous me ‘plaisez’, tous viendront. Sinon, personne ne se déplacera ».
Je la fis asseoir, et nous avons parlé très simplement. Au bout d’une demi-heure, elle me dit : « Vous me plaisez, vous êtes ouvert, sympathique, ON viendra, toutes les classes viendront ! ». Les cours ont alors commencé, avec une affluence croissante. J’ai jugé qu’il était plus judicieux de leur demander de me poser les questions qui les préoccupaient, qui les intéressaient. Et nous avons eu de bonnes conversations, au cours desquelles j’ai pu me rendre compte (déjà !) de leur ignorance religieuse complète !
La glace a vite été brisée. J’attendais une question qui vint au bout de deux mois : « Pourquoi portez-vous la soutane ? ». C’était évident. J’ai expliqué. Et voici ce que me répondit la jeune fille qui était venue en ambassadrice : « Mon Père, vous nous plaisez, et vous n’êtes pas ce qu’on nous avait dit de vous. Le précédent aumônier nous avait averti qu’il allait être changé, et que son successeur serait un prêtre en soutane, aux idées arriérées, et qu’il serait bon de boycotter’ ses cours, de ne pas y assister, pour lui donner une leçon. On a vu que ce qu’il nous avait dit de vous n’était pas vrai, et, je dois vous dire que tous mes copains et copines sont contents de la manière dont vous leur présentez la religion, de la manière avec laquelle vous répondez aux questions que nous nous posons dans notre vie. Vous êtes un prêtre moderne et qui croit à ce qu’il fait. Vous nous plaisez ! ». Je n’en revenais pas !
Paroles de jeunes !
Au mois de mai 1969, il y eut un sursaut du mois de mai 1968 : le Lycée était fermé, bloqué par un piquet de grève composé d’étudiants et d’élèves. Je suis allé quand même au lycée, en garant ma voiture à l’extérieur. Devant le piquet, l’un me dit : « Nous sommes en grève, il n’y a pas de cours ». Je lui réponds : « Je ne fais pas de cours, je parle de religion, de Dieu, et je ne suis pas payé pour cela ! ». « Oui, c’est vrai, répond un autre : laisse-le entrer, lui, ce n’est pas pareil ! » Et j’ai fait cours, la seule salle de classe éclairée, des jeunes grévistes ayant même quitté le piquet de grève pour venir assister au « cours ». Un groupe de surveillance de la grève, voyant une salle de cours éclairée, se présente pour faire respecter l’ordre de grève : « Oh, excusez-vous ! Vous, ce n’est pas pareil. Et surtout, ne partez pas, car après cette heure de cours, c’est notre tour ! ».
Quelques semaines auparavant, en revenant du Lycée, j’avais eu une surprise. Sur le palier, devant la porte de mon appartement au presbytère, quelqu’un m’attendait. C’était Mgr Ménager, l’Evêque ! Il était venu tout exprès de Meaux, en 2 CV pour me voir, pour me parler. Je le fis entrer. Mais, avant de commencer notre conversation, je lui dis : « Monseigneur, je dois tout d’abord vous poser une question : entre vous et le Père Lherbier, il y a un menteur : l’un qui m’a dit que j’allais être changé, et l’autre qui m’a dit qu’il n’en était pas question ? Qui est le menteur ? ».
« C’est vrai, me dit Mgr Ménager : je ne voulais pas vous changer, et j’ai eu tort de céder aux pressions de certains prêtres de Sainte-Marie, et le Père Lherbier aussi, c’est un faible, vous le connaissez bien. Vous y faisiez du bon travail. Selon ce que je vous avais demandé ! Vraiment je regrette ! ». Je lui demande alors la raison de sa visite qui m’honorait. Il me fit part de sa grande préoccupation à propos de mon ministère auprès des jeunes… parce que je continuais à porter la soutane. N’y avaient-il pas d’autres problèmes plus importants dans le Diocèse, au petit séminaire déjà ? Faire 200 kms aller et retour pour cela !
La Providence est bonne : j’avais trouvé les cahiers de présence aux cours de religion, laissés par mon prédécesseur. J’avais préparé moi aussi un cahier des présences. Il y avait deux courbes opposées. L’une, descendante, tous au long des mois. L’autre ascendante, en augmentation régulière, avec une participation jamais atteinte par mon prédécesseur. Devant ces faits indéniables, Mgr Ménager ne sut que me répondre : « Je vous fais confiance, mais soyez prudent ! ».
Parole d’Evêque.
Le Clergé du Doyenné : Je dois être bref, là aussi, car on pourrait écrire un roman, un drame plutôt. Un exemple suffit pour montrer l’accueil dont j’ai été l’objet de la part de mes « confères » dans le Sacerdoce. Il y avait chaque mois un réunion de Doyenné, le Doyen étant le Curé de ma paroisse. Puis, nous nous retrouvions au restaurant pour un dîner « amical ». Au cours du deuxième dîner, donc peu de temps après mon arrivée, le prêtres d’une paroisse voisine me dit, à table, devant tout le monde : « Tant que tu auras la soutane, la porte de mon presbytère t’est fermée ». je lui répondis : « Sois tranquille, je ne veux pas prendre ton virus progressiste ! ». Un autre renchérit, et j’ai honte pour lui, aujourd’hui encore, et il me dit en haussant la voix : « Quand je te vois habillé avec ta robe, habillé en femme, j’ai envie de coucher avec toi ! ».
Un grand silence ! Je réponds à haute voix : « Tu es un beau salaud et un gros porc ! ». Puis, je me suis levé, et suis parti.. Je n’ai plus jamais assisté à aucune de leurs réunions. Le Doyen ne m’a jamais parlé ensuite de cet incident. Je me suis dit : « Qui ne dit mot, consent ».
Le Séminaire de Saint-Sulpice, le Petit-Séminaire Sainte Marie de Meaux, le ministère pastoral à la paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours présentaient un point commun, que je ressentais de plus en plus vivement au plus profond de moi-même. La « théologie nouvelle » présentée par les prêtres dans les catéchismes et dans les homélies, la célébration des Saints Mystères, la perte du sens du sacré, de la nécessité de la Confession, la perte progressive et uniformément accélérée de la conscience de la nature du prêtre et du Sacerdoce, sa « laïcisation » complète par le passage de la soutane au clergyman qui n’a été qu’une étape très brève vers l’habit civil, le « sens nouveau » de la Messe, considérée comme une Assemblée, un repas fraternel, avec l’introduction de la Sainte Communion dans la main surtout, la perte, voire même le mépris des dévotions habituelles de la vie chrétienne, comme l’Adoration du Saint-Sacrement, les Processions, la récitation du Chapelet, le Mois de Marie, le Mois de Saint Joseph, le Mois du Sacré-Cœur, le Mois du Rosaire, le Chemin de Croix : en bref, tout ce qui avait sanctifié les générations et les générations qui nous précédés, tout cela était « jeté aux orties ». C’était prendre à la lettre l’Ecriture qui dit « Et voilà que je fais toutes choses nouvelles ».
Ce que je ressentais, en conséquence, c’était que, pour un prêtre « catholique », il n’était pas possible, il n’était plus possible de rester en France, non pas à cause des fidèles, mais en raison du rejet fait par les prêtres et par les religieuses, de tout ce qui leur semblait être « d’avant LE Concile ».
Et ce que je ressentais alors, me fut confirmé quelques années plus tard (j’anticipe), en 1974 : J’avais quitté Ecône, convaincu depuis le mois de novembre 1972 que Monseigneur Lefebvre, malgré lui (? cf. ci-dessous), en arriverait à consacrer des Evêques. Et, mon départ avait été aussi le début du départ de plusieurs séminaristes d’Ecône, pour les mêmes raisons. Avec cette différence : j’étais prêtre. Ils n’étaient que séminaristes et, séminaristes d’Ecône, ils n’étaient rien. En effet, après avoir pris contact avec mon Evêque, Mgr Louis Kuehn, Evêque de Meaux, successeur de Mgr Ménager, pour lui dire que le temps était venu pour moi de reprendre un ministère pastoral dans mon Diocèse d’incardination, même une simple paroisse de campagne de 500 habitants, j’obtins cette réponse : « Il n’en est pas question : vous y feriez un pèlerinage d’intégristes » !
J’ouvre ici une petite parenthèse, intéressante : l’Evêque de Meaux refusait de me donner un ministère dans « mon » Diocèse. Mais, le 25 mars 1979 (j’étais alors à Rome depuis 1974, cf. ci-dessous), le Pape Jean Paul II fit une visite Pastorale à la Paroisse de Sainte Croix en Jérusalem, paroisse où les séminaristes sortis d’Ecône et moi-même étions hébergés. Son Excellence Mgr Martin, alors Préfet de la Maison Pontificale (le futur Cardinal Jacques Martin), qui m’honorait de son amitié, et protégeait ces jeunes, nous fit placer devant la porte de la Sacristie, pour être sûrs que nous rencontrions le Saint-Père, car nous n’avions pas été prévus dans la programme des rencontres avec le Saint-Père !
Et pour cause lors du déjeuner au Vatican, en préparation à la visite à la Basilique de Sainte Croix en Jérusalem, le Pape Jean Paul II avait interrogé le Curé de la paroisse, le Père Paolo, Cistercien sur le groupe « d’intégristes » qui se trouvaient en pension au Couvent Cistercien (qui me l’a raconté ensuite) : « ON » avait mis en garde le Saint-Père contre les anciens séminaristes d’Ecône, les « transfuges », et contre le prêtre qui les accompagnait, ancien Directeur d’Ecône, et qui célébrait chaque matin la Messe de Saint Pie V pour eux dans la Chapelle des Reliques de la Sainte Croix (devant l’écriteau en trois langues, vu par la Sainte Vierge) : il fallait se méfier d’eux, car ils ne pouvaient qu’être contre le Concile en désobéissant ainsi au Pape !
Et de fait, pendant la Messe, le Saint-Père nous dévisagea avec son regard scrutateur, mais bienveillant, se demandant certainement où était la vérité.
Avant la Messe, étant donné que le groupe des séminaristes assurait les chants en grégorien, et que nous devions recevoir la Sainte Communion des mains mêmes du Saint-Père, Monseigneur Noë, alors Maître des Cérémonies Pontificales, s’adressa à nous à ce sujet, en nous disant qu’il « était interdit de faire la génuflexion avant de recevoir la Sainte Communion ». Devenu Cardinal, puis Archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre, il interdisait toute célébration privée de la Messe de Saint Pie V même aux prêtres qui avaient l’indult ou le « celebret » !
[Note de TradiNews - la suite du texte a été publiée le 24 septembre 2009]
Pour cette visite du Pape Jean Paul II à Sainte Croix en Jérusalem, des amis m’avaient donné la consigne suivante : « Dites simplement au Saint-Père : J’ai été le premier Supérieur du Séminaire d’Ecône ».
Le Saint-Père sort de la sacristie, et me trouve devant lui, avec les séminaristes qui m’entourent. Je lui dis le « Mot magique » : « J’ai été le premier Supérieur d’Ecône » :
Le Saint-Père s’arrête alors, me pose un flot de questions. Puis il fait le tour des séminaristes pour les interroger sur leur situation et préciser mes dires.
Puis le Saint-Père revient vers moi. Il me dit : - « Et vous, quelle est votre situation ». - « Mon Evêque refuse de me donner un ministère dans le diocèse ». - « Qui est votre Evêque ? ». - « L’Evêque de Meaux ». Monseigneur Jacques Martin (futur Cardinal Jacques Martin) intervient alors : - « Le diocèse de Bossuet Très Saint-Père ! Ce que l’Abbé Masson vous dit est vrai, car je le suis depuis son arrivée à Rome ».
Le Saint-Père alors de se tourner vers le Cardinal Ugo Poletti, son Vicaire Général pour le Diocèse de Rome, et lui dit : - « Faites incardiner Monsieur l’Abbé Masson dans le Diocèse de Rome. Il a fait un long chemin, et il a assez souffert ! ». Puis, se tournant vers moi, il me dit, avec un grand sourire, plein de malice, d’affection et de « complicité » : « Comme cela vous échapperez à la tyrannie des Evêques de France ! » (sic !)
Parole de Pape.
[Je ferme la parenthèse]
Devant le refus de Mgr Kuehn de me donner un ministère je lui ai proposé de me laisser reprendre les études en théologie. Après une longue discussion sur les différentes Universités, j’obtins de venir à Rome.
Et c’est ainsi que je me retrouvais à Rome, guidé, je le crois, par la Providence. Mais, les séminaristes qui étaient partis avec moi, en même temps que moi ? Il y eut des contacts entre l’Evêque de Meaux, et Monseigneur Bernard, Evêque de Nancy. Il y eut même une réunion pour étudier cette question, avec les deux Evêques, les séminaristes, et des parents dans les Vosges, au Valtin, dans une maison, propriété de Mgr Kuehn. Beaucoup de promesses furent faites, des engagements à respecter la « sensibilité spirituelle » de ces jeunes, de reconnaître leurs études à Ecône, le port de la soutane, de les faire accepter au Séminaire Français de Rome, etc. C’était prometteur, c’était PROMIS.
Mais, il y avait d’autres Evêques en France. Dont Mgr Vilnet, alors Evêque de Saint Dié [qui avait eu Mgr Kuehn comme Vicaire Général], et qui déclara [Monseigneur Kuehn, en personne, m’a rapporté ses paroles début septembre 1974] : « La France n’a pas besoin de prêtres pieux et traditionnalistes. Il faut les envoyer au Vietnam qui est encore un Pays pieux » (sic !).
Tout ce qui avait été promis au Valtin, fut renié, quelques jours avant la rentrée universitaire, la rentrée au Séminaire Français : pas de reconnaissance des études faites, pas de soutane ni même de clergyman, une année de « mise à l’essai » pour « remettre ces jeunes dans la voie droite », les « désintoxiquer » [« un palier de désintoxication » déclara un jour Mgr Etchegaray, lors d’un repas-entretien à la Trinité des Monts avec Mgr Arrighi, pour étudier le problème des séminaristes venus d’Ecône, et ceux qui ne voulaient ni d’Ecône, ni des séminaires de France]. Mais la Providence veillait sur ces jeunes, et une solution serait trouvée. Peut-être en parlerai-je plus tard…
Non, un prêtre « catholique » ne pouvait pas rester en France sans y perdre sa santé, sa sérénité ! Mais les séminaristes qui étaient encore au petit séminaire de Meaux ? J’y arrive, tout doucement, tout comme au titre donné à ces « Souvenirs » ou « Mémoires » (à suivre).