Aletheia n°146 - 5 septembre 2009
Un livre de Gérard Leclerc sur les « lefebvristes » - par Yves Chiron
Gérard Leclerc, éditorialiste à France catholique, collaborateur de l’hebdomadaire Famille chrétienne, un des fondateurs, en 1971, de la Nouvelle Action Française (dissidence de l’Action française), et collaborateur, depuis cette date, du bi-mensuel Royaliste, publie un « Dossier » consacré à Rome et les lefebvristes[1].
Son essai, rapide – moins de cent pages – veut « prendre la mesure des désaccords, des possibles rapprochements, sans sous-estimer la difficulté d’un plein accord ».
Selon Gérard Leclerc, l’explication principale de la crise « lefebvriste » (qualificatif qu’il préfère à celui de traditionaliste) tient à une sorte de déficience théologique de Mgr Lefebvre et de ses partisans (p. 72, p. 76, etc.). Selon lui, Mgr Lefebvre « n’admit jamais qu’on pût distinguer des aspects positifs dans la recherche exégétique et doctrinale contemporaine. Tout ce qui échappe aux catégories de la scolastique telle qu’il l’a apprise est entaché d’erreur. Il n’y a pas de demi-mesures concevables » (p. 30). En écrivant cela, Gérard Leclerc reprend, de manière irréfléchie, la vulgate anti-lefebvriste d’un prélat d’Écône intellectuellement obtus. Des dizaines de faits montrent le contraire.
Par exemple, l’exégèse du Nouveau Testament a été enseignée au séminaire d’Écône, à partir de 1972, et pendant trois ans, par le P. Ceslas Spicq, dominicain, un des plus grands exégètes du XXe siècle.
Dans le petit livre de Gérard Leclerc, les approximations et les affirmations inexactes ne manquent pas[2]:
. Paul VI aurait « voulu arrêter la logique de la rupture » avec Mgr Lefebvre en le recevant au Vatican (p. 15 et p. 60). Il est avéré que Paul VI n’a reçu Mgr Lefebvre que sur l’insistance de certains membres de son entourage et avec la volonté d’obtenir sa pleine soumission à son autorité, à Vatican II et à la réforme liturgique.
. Mgr Lefebvre se serait engagé « pour les quatre ans que durera le Concile, dans une opposition irrémissible à l’élaboration des différents documents qui formeront le corpus de Vatican II » (p. 36). Il aurait manifesté une « incompréhension radicale […] à l’égard du travail conciliaire. Toutes les données théologiques, patristiques et scripturaires semblent lui échapper » (p. 37). Là encore, Gérard Leclerc ajoute l’erreur à la généralisation. Mgr Lefebvre n’a pas rejeté tout le travail accompli au concile et rejeté tous ses documents. Il est bien connu, par exemple, qu’il estimait très réussi le décret du concile Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, décret qui est loin de s’en tenir aux catégories de la scolastique et qui s’appuie, justement, sur de nombreuses données « patristiques et scripturaires ».
. Et encore, comment Gérard Leclerc peut-il citer longuement l’assertion simpliste du P. Chenu : « La théologie de Billot était totalement ignorante et insoucieuse de l’historicité de l’économie chrétienne, sans familiarité avec les sources scripturaires, élaborée hors de l’expérience pastorale de l’Église, et plus encore du peuple chrétien » (p. 74). Gérard Leclerc se contente d’ajouter : « Cette appréciation extrêmement sévère devrait sans doute être modérée ».
Le jugement du célèbre théologien dominicain sur son aîné n’est pas à son honneur ; il jetait le discrédit, de façon plus qu’outrée, sur l’œuvre considérable du grand théologien jésuite Louis Billot (1846-1931). Tout au contraire de ce qu’affirmait le P. Chenu, le cardinal Billot a, longuement, et à plusieurs reprises, scruté « l’historicité de l’économie chrétienne ». En témoigne encore la publication récente de certaines de ses pages[3].
Si l’on réussit à passer outre ces excès et ces erreurs, on relèvera quelques points intéressants dans les analyses de Gérard Leclerc. Sur la question liturgique, par exemple : « Il est certain que depuis les années 70, la question liturgique a beaucoup évolué. Tout d’abord, nombre d’abus qui avaient accompagné les premiers temps de la réforme se sont atténués […] Nous ne sommes plus dans la situation de blocage du pontificat de Paul VI. Le rite tridentin a reçu un statut officiel […] Les tendances iconoclastes qui avaient abouti à l’éclatement de l’espace sacré sont à reconsidérer et il est permis de revenir sur l’ensemble des réformes imposées » (p. 70-72).
Rectification
Contrairement à ce que j’ai écrit dans le précédent numéro d’Aletheia (n° 145, 6 août 2009), Mgr Fellay a bien célébré, en août 2000, une messe selon le rite traditionnel dans la basilique Sainte-Marie Majeure. Monsieur l’abbé Grégoire Celier, actuel rédacteur en chef de la Lettre à nos frères prêtres, craint que mon erreur factuelle, imprimée dans le n° 145, porte « atteinte […] à la réputation de Monsieur l’abbé de La Rocque et de la Lettre à nos frères prêtres ». Il me prie de préciser : « en dehors et en plus du pèlerinage jubilaire, Mgr Fellay a bien célébré, le 15 août de cette même année [2000], une messe chantée en la basilique Sainte-Marie Majeure ».
Pour résumer cet épisode de l’histoire de la FSSPX et du pèlerinage du Jubilé, on peut donc dire qu’aucun prêtre de la FSSPX, ni son supérieur général, ni aucun des prêtres « amis » qui accompagnaient le pèlerinage jubilaire, n’ont obtenu l’autorisation de célébrer la messe dans les basiliques majeures. Mgr Fellay lui-même l’a regretté dans son homélie prononcée lors de la messe célébrée en plein air, sur le Colle Oppio : « comme vous le voyez, il ne nous a pas été permis de célébrer dans les basiliques ».
Comment et pourquoi ce qui n’a pas été possible, ce qui n’a « pas été permis », les 8, 9 et 10 août 2000, l’a été cinq jours plus tard, une fois les pèlerins partis ? C’est une question qui reste irrésolue pour le profane. Mgr Fellay doit posséder la réponse.
On remarquera que ni Fideliter, ni La Tradizione cattolica (la revue officielle du district italien de la FSSPX) n’ont évoqué cette messe du 15 août dans leur compte-rendu du pèlerinage jubilaire.
Un des prêtres qui a été un des prédicateurs de ce pèlerinage jubilaire me précise dans une lettre : « je ne suis pas au courant [de cette] messe du 15 août de Mgr Fellay à Sainte-Marie Majeure, mais ça ne devait pas être la messe officielle du pèlerinage… achevé. […] ça ne pouvait ni devait être comme supérieur de la Fraternité St Pie X, organisatrice principale du pèlerinage, et peut-être alors ”concédée” pour quelque motif de charité. »
Y.C.
NOTES
[1] Ouvrage publié aux éditions Salvator, 95 pages.
[2] Sans parler des dérapages d’une plume trop rapide. Par exemple, Gérard Leclerc écrit que, dans la fameuse déclaration du 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre opposait « la Rome éternelle et la Rome temporelle, influencée par les idées du monde moderne » (p. 56). Mgr Lefebvre opposait, en fait, « la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité » à « la Rome de tendance moderniste et néo-protestante ».
[3] Louis Billot, Prophéties de l’Histoire, Éditions de L’Homme Nouveau, 2007, 127 pages.