SOURCE - Roberto de Mattei - Correspondance Européenne - 20 décembre 2017
Ces dernières semaines sont parues trois interviews d’autant de cardinaux éminents. La première a été accordée le 28 octobre 2017 par le cardinal Walter Brandmüller à Christian Geyer et Hannes Hintermeierdu Frankfurter Allgmeine Zeitung; la seconde le 14 novembre par le Cardinal Raymond Leo Burke à Edward Pentindu National Catholic Register; la troisième, par le Cardinal Gerhard Müller à Massimo Franco, est parue le 26 novembre dans les colonnes du Corriere della Sera (quotidien italien, n.d.t.).
Ces dernières semaines sont parues trois interviews d’autant de cardinaux éminents. La première a été accordée le 28 octobre 2017 par le cardinal Walter Brandmüller à Christian Geyer et Hannes Hintermeierdu Frankfurter Allgmeine Zeitung; la seconde le 14 novembre par le Cardinal Raymond Leo Burke à Edward Pentindu National Catholic Register; la troisième, par le Cardinal Gerhard Müller à Massimo Franco, est parue le 26 novembre dans les colonnes du Corriere della Sera (quotidien italien, n.d.t.).
Le cardinal Brandmüller a exprimé son inquiétude face à la possibilité que s’ouvre une division dans l’Église. «Le simple fait qu’une pétition avec 870.000 signatures adressée au Pape pour lui demander des éclaircissements reste sans réponse – 50 érudits de rang international ne recevant pas de réponse – soulève des questions. C’estvraiment difficile à comprendre». «Adresser au Pape des dubia, des doutes, des questions, a toujours été une manière absolument normale de dissiper des ambiguïtés. Pour dire les choses simplement, la question est la suivante: est-ce que quelque chose qui hier était un péché peut être bon aujourd’hui? On se demande en outres’il y a vraiment des actes – c’est la doctrine constante de l’Église – qui sont toujours et en toutes circonstances moralement répréhensibles? Comme, par exemple, le fait de tuer les innocents ou l’adultère? C’est là où je veux en venir. Si l’on répondait à la première question par un “oui” et à la seconde par un “non”, il s’agirait en fait d’une hérésie, et donc d’un schisme. Une scission dans l’Église».
Le cardinal Burke, qui a déclaré qu’il restait toujours en communication avec le cardinal Brandmüller, a formulé un nouvel avertissement «sur la gravité d’une situation qui ne cesse de se détériorer» et a réaffirmé la nécessité de mettre en lumière tous les passages hétérodoxes d’Amoris laetitia. Nous sommes en effet confrontés à un processus qui constitue «une subversion des éléments essentiels de la Tradition». «Au-delà du débat moral, le sens de la pratique sacramentelle s’érode de plus en plus dans l’Église, surtout en ce qui concerne la pénitence et l’Eucharistie».
Le Cardinal s’adresse une fois de plus au Pape François et à toute l’Eglise, soulignant «combien il est urgent que le Pape, exerçant le ministère qu’il a reçu du Seigneur, puisse confirmer ses frères et sœurs dans la foi, en exprimant clairement l’enseignement sur la morale chrétienne et sur la signification de la pratique sacramentelle de l’Eglise».
Le Cardinal Müller, pour sa part, affirme qu’il existe un danger de schisme au sein de l’Église et que la responsabilité de la division n’incombe ni aux cardinaux des dubia sur Amoris laetitia, ni aux signataires de la Correctio filialis au Pape François, mais au «cercle magique» du Pape, qui empêche une discussion ouverte et équilibrée sur les problèmes doctrinaux soulevés par ces critiques.
«Attention: si la perception d’une injustice de la part de la Curie romaine passe, presque par la force d’inertie on pourrait déclencher une dynamique schismatique, difficile à recomposer. Je crois que les cardinaux qui ont exprimé des doutes sur Amoris laetitia, ou les 62 signataires d’une lettre de critique, même excessive, au Pape, doivent être entendus, et non pas liquidés comme “Pharisiens” ou grincheux. La seule issue à cette situation passe par un dialogue clair et franc. Au lieu de cela, j’ai l’impression que dans le “cercle magique” du Pape, il y en a qui s’occupent principalement d’épier les adversaires présumés, empêchant ainsi une discussion ouverte et équilibrée. Classer tous les catholiques selon les catégories d’“amis” ou d’“ennemis” du Pape est le plus grave préjudice qu’ils causent à l’Église. On reste perplexe si un journaliste bien connu, en tant qu’athée, prétend être un ami du Pape; et en parallèle, un évêque catholique et cardinal comme moi est diffamé comme opposant du Saint-Père. Je ne crois pas que ces gens puissent me donner des leçons de théologie sur la primauté du Pontife romain».
Le cardinal Müller, selon son interlocuteur, n’a pas encore digéré la “blessure” des trois collaborateurs licenciés peu avant son non-renouvellement à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en juin dernier. «C’étaient de bons et compétents prêtres qui travaillaient pour l’Église avec un dévouement exemplaire», dit-il. «Les gens ne peuvent pas être renvoyés ad libitum, sans preuves ni procès, simplement parce que quelqu’un a dénoncé anonymement une vague critique du Pape par l’un d’eux…».
Quel est le régime en vertu duquel les gens sont traités de cette façon? Damian Thompson l’a écrit dans The Spectator du 17 juillet dernier.
Le licenciement des collaborateurs du cardinal Müller «fait venir à l’espritquelques-uns de sesprédécesseurs les plus autoritairesvoiremême un dictateurlatino-américain qui embrassait les foules et faisaitétalage de son humble style de vie alors que ses lieutenants vivaientdans la peur de sescolères». Cet aspect du pontificat du Pape François fait maintenantl’objet d’un livre, qui vient d’être publié sous le titresignificatif The dictator Pope (Le papedictateur). L’auteur est un historien qui se cache sous le nom de “Marcantonio Colonna”. Le style est sobre et documenté, mais les accusations portées contre le pape Bergoglio sont fortes et nombreuses.
Plusieurs des éléments sur lesquels il fonde ses accusations sont connus, mais ce qui est nouveau, c’est la reconstitution exacte d’une série de “cadres historiques”: le contexte de l’élection du Pape Bergoglio, pilotée par la “Mafia de Saint-Gall”; les vicissitudes argentines de Bergoglio avant son élection; les obstacles rencontrés par le cardinal Pell pour avoir tenté une réforme financière de la Curie; la révision de l’Académie Pontificale pour la Vie; la persécution des Franciscains de l’Immaculée et la décapitation de l’Ordre Souverain Militaire de Malte.
Les médias, prompts à fustiger avec indignation chaque épisode de mauvaise gestion et de corruption, taisent la source de ces scandales. Le principal mérite de cette étude historique est de les avoir mis en lumière. «La peur est la note dominante de la Curie sous la loi de François, avec la méfiance réciproque. Il ne s’agit pas seulement d’informateurs qui cherchent à tirer des avantages du fait de rapporter une conversation privée – comme l’ont découvert les trois subordonnés du cardinal Müller. Dans une organisation où des personnes moralement corrompues ont été laissées en place et même promues par le pape François, un chantage sournois est à l’ordre du jour. Un prêtre de la Curie a ironisé: “On dit que peu importe ce que vous savez, mais qui vous connaissez. Au Vatican, c’est comme cela: ce qui compte, c’est ce que vous savez sur qui vous connaissez”».
Bref, le livre de Marcantonio Colonna confirme ce que l’interview du cardinal Müller laisse dans l’ombre: l’existence d’une atmosphère d’espionnage et de délation que l’ex-Préfet de la Doctrine de la Foi attribue à un “cercle magique” qui conditionne les choix du Pape, tandis que l’historien le réfère au modus gubernandi du Pape François, qu’il compare avec les méthodes autocratiques du dictateur argentin Juan Perón, dont le jeune Bergoglio était un adepte.
On pourrait répondre nihil sub sole novum (Eccl. 1,10). L’Église a vu bien d’autres faiblesses du gouvernement. Mais si ce pontificat conduit réellement à une division entre les fidèles, comme le soulignent les trois cardinaux, les raisons ne peuvent se limiter à la manière de gouverner d’un pape, mais doivent être recherchées dans quelque chose d’absolument nouveau dans l’histoire de l’Église: la séparation du Pontife romain de la doctrine de l’Évangile, qu’il a, par mandat divin, le devoir de transmettre et de préserver. C’est le cœur du problème religieux de notre temps. (Roberto de Mattei)