1 janvier 1970

1er juin 1964 [(Cinq pères conciliaires)] Lettre sur le danger des expressions équivoques

SOURCE - (Cinq pères conciliaires) - 1er juin 1964

Très Saint-Père,

Humblement prosternés aux pieds de Votre Sainteté, nous la prions très respectueusement de daigner accueillir la supplique que nous osons lui adresser.

A la veille de la troisième session du Concile, nous étudions les schémas proposés au vote ou à la discussion des Pères. Devant certaines de ces propositions, nous devons avouer notre émotion et notre vive anxiété.
   
Nous ne retrouvons absolument pas, dans leur énoncé, ce que demandait Sa Sainteté Jean XXIII, à savoir « la précision de termes et de concepts qui fait la gloire particulièrement du Concile de Trente et du Ier Concile du Vatican ». Cette confusion dans le style et les notions produit une impression quasi permanente d’équivoque.

L’équivoque a pour résultat d’exposer au danger d’interprétations fausses et de permettre des développements qui ne sont sûrement pas dans la pensée des Pères conciliaires. Certes les « formulations » sont nouvelles, et parfois tout à fait inattendues. Elles le sont, nous semble-t-il, au point qu’elle ne nous paraissent pas conserver « le même sens et la même portée », que celles que l’Eglise employait jusqu’ici. Pour nous qui avons voulu nous montrer dociles à l’encyclique « Humani generis », notre désarroi est grand.

Ce danger de l’équivoque n’est pas illusoire. Déjà les études faites par certains « experts du Concile », à l’adresse des évêques dont ils sont les conseillers, tirent des conclusions qu’on nous avait appris à juger comme imprudentes, dangereuses, sinon fondamentalement erronées. Certains schémas, et très particulièrement celui de « l’Œcuménisme », avec sa « Déclaration sur la liberté religieuse » sont ainsi, avec satisfaction et faveur, exploités dans des termes et dans un sens qui, s’ils ne les contredisent pas toujours, s’opposent du moins formellement aussi bien à l’enseignement du Magistère ordinaire qu’aux déclarations du Magistère extraordinaire, faites à l’Eglise depuis plus d’un siècle. Nous n’y reconnaissons plus la théologie catholique ni la saine philosophie qui doit pour la raison en éclairer le chemin.

Ce qui nous paraît aggraver encore la question, c’est que l’imprécision des schémas nous semble permettre la pénétration d’idées, de théories, contre lesquelles le Siège Apostolique n’a pas cessé de nous mettre en garde.

Nous constatons enfin que les commentaires qui sont faits des schémas à l’étude présentent les questions proposées comme quasi-résolues : ce qui ne peut manquer, l’expérience en fait foi, de faire pression sur les votes des Pères.

Notre propos n’est pas « d’avoir raison contre d’autres », mais il est très sincèrement de travailler au salut des âmes que la charité ne peut assurer que dans la vérité.

Nous nous permettons d’ajouter qu’un grand nombre de fidèles et de prêtres, à qui une presse extrêmement abondante présente ces perspectives « d’aggiornamento » hasardeux, se disent très troublés.

Notre prière, Très Saint-Père, voudrait, dans la plus humble soumission, obtenir de Votre Sainteté qu’à l’ouverture des prochains travaux du Concile, elle veuille bien rappeler solennellement que la doctrine de l’Eglise doit s’exprimer sans ambiguïté, que c’est en respectant cette exigence qu’elle apportera les lumières nouvelles nécessaires à notre temps, sans rien sacrifier des valeurs qu’elle a déjà dispensées au monde, et sans s’exposer à servir de prétexte à une résurgence d’erreurs sans cesse réprouvées depuis plus d’un siècle.

En sollicitant de Votre Sainteté la plus grande indulgence pour la liberté que nous avons prise, nous la prions de daigner agréer les sentiments de notre respect le plus filial et de notre docilité absolue, et de bien vouloir nous bénir.