Yves Chiron - Aletheia n°11 - 15 mars 2001
La Fraternité Saint-Pie X et la nouvelle messe
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X vient de faire paraître un ouvrage sur la réforme liturgique. D’après nos informations, l’ouvrage était en préparation avant l’ouverture des discussions avec Rome, mais celles-ci lui donnent un relief particulier. Aussi, cette étude est-elle précédée d’une Adresse au Saint Père, en date du 2 février, rédigée par Mgr Fellay. L’ouvrage, avant d’être rendu public, a été envoyé, au milieu du mois de février, au pape Jean-Paul II, et aux cardinaux Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, Medina, préfet de la Congrégation pour le culte divin et Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé et président de la Commission pontificale Ecclesia Dei..
C’est dire si, pour la Fraternité Saint-Pie X, il ne s’agit là pas seulement d’une étude de plus sur la nouvelle messe mais aussi d’une prise de position solennelle, en forme de manifeste et de revendication. L’ouvrage, imprimé depuis un certain temps, n’a pas été diffusé de suite dans le public, pour ne pas paraître une provocation au moment où les discussions avec Rome se poursuivaient. Puis, finalement, et alors que ces discussions continuent, l’ouvrage est livré au public. Il sera envoyé aussi à 22.000 prêtres de France, par l’intermédiaire de la Lettre à nos frères prêtres de l’abbé de La Rocque.
Intitulé Le Problème de la réforme liturgique (éditions Clovis, B.P. 88, 91152 Etampes cedex, 125 pages, 69 F), l’ouvrage n’est pas signé mais on croit reconnaître, entre autres, la méthode argumentaire qu’avait employée l’abbé Grégoire Celier dans son essai, La Dimension oecuménique de la réforme liturgique (Fideliter, 1987); et parmi les autres auteurs de cet ouvrage collectif, il y a aussi, sans doute, M. l’abbé de La Rocque, qui travaillait depuis longtemps à une étude de la nouvelle messe.
L’ouvrage se présente comme une “ étude théologique et liturgique ” du nouvel ordo. Sans se référer aux nombreuses études critiques déjà existantes, les auteurs font référence uniquement aux textes officiels de l’Eglise sur la réforme liturgique (notamment l’Institutio generalis Missalis romani, 1969) et aux nombreux théologiens et liturgistes qui ont inspiré ou collaboré à la réforme liturgique.
Dans son “ Adresse au Saint Père ”, Mgr Fellay demande, à propos de la Nouvelle messe, “ des clarifications doctrinales et liturgiques de la part de l’Autorité suprême ” (p. 7) et “ sa modification ou son abrogation ” (p. 7). Il demande aussi - ce fut, on le sait, une des deux exigences posées lors de l’ouverture des négociations avec Rome - que faculté soit donnée à “ tout prêtre de célébrer selon l’intègre et fécond missel romain révisé par saint Pie V, trésor précieux si profondément enraciné dans la tradition millénaire de l’Eglise Mère et Maîtresse. ”
L’étude s’articule ensuite en trois parties et en 122 paragraphes numérotés.
Une première partie tend à démontrer que “ pour désigner les différences entre le missel traditionnel et le nouveau missel le terme de rupture liturgique est plus juste que celui de réforme liturgique ” (p. 16).
Une deuxième partie veut montrer que “ les nombreuses et substantielles différences entre le missel traditionnel et le nouveau missel ” trouvent leur “ principe unificateur ” - et leur inspiration - dans la doctrine, nouvelle, de “ mystère pascal ” (p. 49). En une quarantaine de pages, les auteurs s’emploient à démontrer qu’appliquée à la liturgie cette “ nouvelle théologie ” - qui nierait “ la valeur expiatoire de la mort du Christ comme essentielle à l’oeuvre rédemptrice ” (p. 64) - aboutit à gommer ou à réduire la dimension sacrificielle de la messe.
La dernière partie, la plus brève, entend prouver que la nouvelle messe a introduit une “ rupture dogmatique ” et que “ le nouveau missel ne propage plus la lex credendi de l’Eglise, mais une doctrine à saveur hétérodoxe ” (p. 115).
Quelques remarques d’un fidèle du dernier rang
N’étant pas théologien, et simple fidèle du dernier rang (à la messe dans l’un ou l’autre rite), je me permettrai seulement de faire trois remarques.
• Cette étude, qui cite de très nombreux actes du Magistère, de différentes époques, et de très nombreux théologiens et liturgistes, ne fait pas une seule référence aux actes du Magistère qui, depuis le concile Vatican II, ont réaffirmé avec solennité la doctrine traditionnelle sur la Sainte Eucharistie. Entre autres, l’encyclique Mysterium fidei (1965) de Paul VI toute entière consacrée à mettre en garde, à propos du “ mystère très saint ” de l’Eucharistie, contre “ certaines opinions qui troublent les esprits des fidèles ”. Et du même pape, la Profession de foi (1968), qui réaffirmait, notamment, que la messe “ est le sacrifice du calvaire rendu sacramentellement présent sur nos autels ”.
• Quand les auteurs du Problème de la réforme liturgique font référence aux définitions du Catéchisme de l’Eglise Catholique (1992), ils le font, me semble-t-il, de manière partiale et minimalisante. Le CEC ne définit pas seulement la messe comme un “ mémorial sacrificiel ” mais définit bien l’Eucharistie comme “ un sacrifice ” (1365) et rappelle longuement les définitions du concile de Trente (1366 et 1367).
• Enfin, à propos de la la théologie du “ mystère pascal ”, que les auteurs contestent, on remarquera que l’ouvrage le plus important sur le sujet, celui du père Louis Bouyer, Le Mystère pascal, Cerf, 1945, n’est pas cité. Or, dans cet ouvrage, le père Bouyer, par exemple, faisait une vigoureuse mise en garde contre une conception erronée de l’offertoire et du sacrifice (p. 460, de la 5e édition revue et augmentée, 1957). Cette page rejoint exactement ce que disent les auteurs (p.19-21).
Ceci dit, on lira avec intérêt ce livre accessible à un grand public. On sera d’accord avec Mgr Fellay quand il demande à l’Autorité suprême “ modification ou abrogation ” de la nouvelle messe. Mais entre l’une ou l’autre décision, il y a une différence de taille et on voit mal comment pourrait disparaître une nouvelle liturgie dorénavant trentenaire ...