Yves Chiron - Aletheia n°24 - 27 janvier 2002
Le 14 janvier dernier, Mgr Roberto Gomes Guimarães, évêque du diocèse de Campos, au Brésil, et Mgr Licino Rangel, évêque de l’Union Sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney, établie à Campos, ont signé une “ Déclaration conjointe ”. Cette déclaration annonce que “ notre Saint-Père, le Pape Jean-Paul II, a signé le document d’accueil dans la pleine communion ecclésiale des prêtres de Campos, membres de l’Union sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney, ainsi que des fidèles catholiques assistés par eux. Ils sont de ce fait considérés comme parfaitement insérés au sein de la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine. ”
L’Union sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney avait été fondée par Mgr Antonio de Castro Mayer, qui dirigea le diocèse de Campos de 1949 à 1981. Son opposition au Novus Ordo Missae , promulgué en 1969, et à la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse, l’avait conduit à rejoindre Mgr Lefebvre dans son combat pour la Tradition. En 1988, il avait participé avec celui-ci à la consécration de quatre évêques pour la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X : Mgr Bernard Fellay, Mgr Alfonso de Galaretta, Mgr Bernard Tissier de Mallerais et Mgr Richard Williamson.
Le 25 avril 1991, Mgr de Castro Meyer décédait. Trois mois plus tard, le 28 juillet, Mgr Tissier de Mallerais, Mgr de Galaretta et Mgr Williamson se rendaient à Campos pour consacrer évêque Mgr Licino Rangel, de l’Union sacerdotale fondée par Mgr de Castro Meyer.
Aujourd’hui cette Union sacerdotale et son évêque se retrouvent à nouveau en communion avec le Saint-Siège. La cérémonie officielle de réconciliation a eu lieu le vendredi 18 janvier, dans la cathédrale de Campos, sous la présidence du cardinal Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé et président de la Commission pontificale “Ecclesia Dei ”, chargée des relations avec les communautés traditionalistes.
Ce même jour, un décret de la Congrégation des évêques érigeait l’Union Saint Jean-Marie Vianney en Administration apostolique personnelle et nommait Mgr Rangel à sa tête. Ce statut canonique accordé par le Saint-Siège pour intégrer Mgr Rangel et les 26 prêtres de l’Union sacerdotale est très généreux. Le Code de droit canonique le définit ainsi : “ L’administration apostolique est une portion déterminée du peuple de Dieu qui, pour des raisons tout à fait spéciales et graves, n’est pas érigée en diocèse par le Pontife Suprême, et dont la charge pastorale est confiée à un Administrateur apostolique qui la gouverne au nom du Pontife Suprême ” (can. 371, § 2).
Parallèlement, Mgr Rangel et les prêtres de la nouvelle Administration apostolique ont fait une déclaration que je cite intégralement dans la langue originale (pour n’en pas trahir les intentions):
- Reconheemos o Santo Padre, o Papa João Paulo II, com todess os seus poderes e prerrogativas, prometendo-lhe nossa obediência filial e offereendo nossa oração por ele.- Reconheemos o Concilio Vaticano II como um dos Concilios Ecumênicos da Igreja Catôlica, accitando-o à luz da Sagrada Tradição.- Reconheemos a validade do Novus Ordo Missae, promulgado pelo Papa Paulo VI, sempre que celebrado corretamente e com a intençao de ofereer o verdadeiro Sacrificio da Santa Missa.- Empenhamo-nos em aprofundar todas as questões ainda abertas, levando em consideração o cãnon 212 do Codigo de Direito Canônicoe com um sincero esperito de humilidade e de caridade fraterna para com todos. In principiis unitas, indubiis libertas, in omnibus charitas (S. Agostinho).
Cette Déclaration est très proche de la “ Déclaration doctrinale ” qu’avait signée Mgr Lefebvre en mai 1988 et qui constituait la première partie d’un protocole d’accord avec le cardinal Ratzinger ; accord qui n’a pas abouti comme chacun le sait.
Les réactions à l’accord de Campos
• Quelques jours avant la Déclaration conjointe de l’évêque de Campos et de Mgr Rangel, la revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé - n° 39, p. 194-197), revue des religieux dominicains proches de la Fraternité Saint-Pie X, publiait une “ Lettre ouverte aux prêtres de Campos ” par Dom Lourenço Fleichman, bénédictin brésilien. Dans cette lettre, le père Fleichman, traditionaliste, jusque là proche de Mgr Rangel, dit son hostilité à un accord avec Rome qui serait une “ trahison ”. Il dit écrire cette lettre “ sur le conseil et avec l’approbation de Mgr Fellay lui-même ”. Cet accord, écrit-il, se fera “ contre les conseils et les avis des évêques de la Fraternité [Saint-Pie-X] ”.
• Les réactions des autorités de la FSSPX à cet accord des traditionalistes brésiliens avec le Saint-Siège semblent, pourtant, beaucoup moins hostiles. Au début du mois de janvier, l’abbé Aulagnier, dans le n° 36 de son très riche bulletin d’informations hebdomadaire (D.I.C.I., Péricentre 4 - Bât. B, 149 rue de la Délivrande, 14000 Caen), estime que le chemin suivi par Mgr Rangel et la solution juridique trouvée “ seront, pour nous, un exemple ”.
Dans ce même numéro, l’abbé Aulagnier écrivait : “ Je regrette fortement la publication dans Le Sel de la terre, n° 39, de la lettre du RP Laurent. Cette lettre est une franche méchanceté. Le Père Laurent, du Brésil, aurait été bien inspiré de ne pas l’écrire et les Dominicains de ne pas la publier. (...) Mon ange, un jour, m’a dit : “Les Dominicains d’Avrillé font beaucoup de lefebvrisme. Avec cela, ils pourront faire beaucoup de mal et, peut-être, se perdre, eux-mêmes, un jour”. ”
• Le 18 janvier, l’agence de presse Fides, qui dépend de la Congrégation pour la Propagation de la Foi, publiait un communiqué sur la réconciliation qui avait lieu ce jour-là à Campos. Dans ce communiqué il était affirmé : “ Mgr Bernard Fellay, Supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a tenté d’empêcher ce retour, et s’est rendu personnellement au Brésil pour les convaincre de n’en rien faire. ”
Cette information mériterait d’être confirmée ou démentie, en tout cas précisée. Dans un entretien accordé à l’agence de presse APIC, le 9 janvier, Mgr Fellay, a considéré les accords de Campos comme un signe encourageant, même s’il reste très prudent. Il a déclaré : “ La façon dont on traitera les traditionalistes de Campos sera un véritable test. La balle est dans le camp des autorités romaines, qui doivent montrer quelle place ils entendent donner à la Tradition. ” Et aussi : “ Comme nous avons la même position doctrinale que Campos, je crois que les autorités romaines pourraient nous faire la même proposition. ”
• Le 21 janvier, La Croix, sous la signature d’un de ses rédacteurs en chef, Michel Kubler, estime que “ la réintégration d’un groupe lefebvriste brésilien dans le giron catholique romain pose autant de problèmes qu’elle en résout. ” Il se demande aussi : “ pourquoi tant d’efforts pour “récupérer” des ouailles qui en font si peu de leur côté, se prétendant seuls détenteurs de “la” Tradition, quand d’authentiques catholiques se sentent délaissés, tel le fils aîné de la parabole du prodigue...”
Cette réaction face à la réconciliation avec les traditionalistes brésiliens liés à la FSSPX laisse présager comment serait accueillie, dans certains milieux catholiques français, une réconciliation avec la FSSPX elle-même. Dans un entretien accordé au journal allemand Tagesanzeiger, le 5 janvier dernier, Mgr Fellay, a déclaré : “ So sagte er, die Versöhnung mit uns sei quasi unmöglich wegen der Opposition der europäische Bischöfe, namentlich von 65 französischen Bischöfen. ”
Assise, le syncrétisme et la religion naturelle
Le 24 janvier dernier, une nouvelle rencontre interreligieuse de prière pour la paix a eu lieu à Assise, renouvelant celle qui avait déjà eu lieu en 1986. Toutes les confessions chrétiennes et des représentants de toutes les grandes religions du monde étaient présents, rassemblés à l’appel du pape.
Contrairement à ce qui s’est dit et s’est écrit, ni en 1986 ni en 2002, il n’y a eu de prière commune entre chrétiens et non-chrétiens, au sens de prière unique faite en commun. Il y a eu juxtaposition de prières propres à la religion de chacun.
On doit relever aussi les avertissements répétés de la hiérarchie catholique, avant la rencontre, pour ne pas conclure au syncrétisme. Le 5 janvier 2002, dans un important article paru dans l’Osservatore romano, le cardinal Kasper, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, a rappelé que “ c’est seulement en Jésus-Christ que la vérité est révélée dans sa plénitude ” et que “ les chrétiens ne peuvent pas prier avec les membres des autres religions ”. Il ajoutait qu’à Assise : “ tout syncrétisme doit être exclu. Si les membres des différentes religions veulent collaborer, cela doit se faire dans des domaines comme celui de la justice, des valeurs morales, de la paix et de la liberté.”
Le 22 janvier, interrogé par Radio-Vatican, le cardinal Kasper est revenu sur le sujet et a souligné qu’ “ il y a une différence entre dialogue oecuménique et dialogue interreligieux ”. Ce dernier, a précisé le cardinal, a “ pour but l’amitié, la compréhension mutuelle entre les religions, sans qu’il y ait fondement commun de la foi en Jésus-Christ et dans le baptême ”. Il a répété aussi qu’à Assise, il n’y aurait pas de prière commune : “ nous pouvons nous rassembler et prier, mais nous ne pouvons pas prier “ensemble”. Chaque religion priera dans le lieu qui lui est assigné, mais nous ne prions pas ensemble au sens propre parce que nous ne voulons pas faire un “mélange” des religions. ”
Le lendemain, au cours de l’Angélus, Jean-Paul II avait cru devoir rappeler lui aussi : “ la journée de prière pour la paix n’entend en aucune manière conduire au syncrétisme religieux.”
Toutes ces déclarations des autorités catholiques doivent être prises en compte lorsqu’on évoque les journées d’Assise.
Après la rencontre d’Assise, Jean Madiran a publié dans le numéro 5001 de Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris), daté du 26 janvier, un article qui exprime très finement “ Le paradoxe d’Assise ”. “ Il y a l’esprit et le fait ”, explique-t-il. L’esprit d’Assise, tel que le définit Jean-Paul II, exclut tout syncrétisme religieux ; “ le fait est parfaitement contraire : partout la réunion d’Assise est reçue par les médias et par l’opinion publique, même catholique, comme une heureuse manifestation de syncrétisme... ” Le paradoxe est aussi que ce que les religions peuvent avoir en commun - la morale naturelle et la religion naturelle - “ est absolument contraire à la démocratie moderne sans Dieu, aux droits de l’homme sans Dieu, qui rejettent toute légitimité supérieure à leur supposée “volonté générale”. ”
A travers les revues étrangères
• Depuis le mois de mars 2001 paraît, en néerlandais, une revue consacrée uniquement aux apparitions mariales contemporaines : AVÈ. Nieuwsbrief over actuele verschijningen (Rudo Franken, Markt 7, NL - 6088 BP Roggel). Un de ses principaux rédacteurs est Mark Waterinckx, excellent connaisseur des apparitions contemporaines, notamment celles de Medjugorje. La caractéristique de cette publication est de considérer ces apparitions contemporaines au regard des critères traditionnels de discernement en la matière et en tenant compte des jugements de l’Eglise.
• Depuis le mois de septembre 2001, paraît une très belle revue mensuelle en langue anglaise, la Saint Austin Review (296 Brockley Road, London SE4 2RA). Dirigée par Joseph Pearce et Robert Asch, elle est proche des communautés anglaises qui ont bénéficié du motu proprio Ecclesia Dei. D’une très grande qualité esthétique, StAR est une revue culturelle catholique qui traite d’art, de musique, de littérature, de cinéma et d’histoire.
• La Tradizione Cattolica est la revue officielle du District italien de la FSSPX (Priorato Madonna di Loreto, Via Mavoncello 25, I - 47828 Rimini). Dans le n° 48, l’abbé Michel Simoulin, supérieur du District italien, qui a été mêlé de près aux négociations engagées entre le Saint-Siège et la FSSPX, publie un important dossier intitulé “ Roma e la Fraternità San Pio X ” (p. 48-63). Des précisions utiles et la publication intégrale de plusieurs documents.
• L’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (Villa Martelli, Via di Gricigliano 52, I - 50069 Sieci) publie, en français, une belle revue du même nom. Dans le dernier numéro, n° 23, on trouve un intéressant dossier sur Fatima. Outre les documents relatifs au troisième secret de Fatima, on trouve une longue étude de Mgr Rudolph Schmitz, “ Le message de Fatima et la crise de la foi aujourd’hui ”, et la publication d’une très intéressante correspondance échangée entre Mgr Hnilica et le cardinal Ratzinger. Cet échange porte sur la nature-même des apparitions de la Vierge, le mystère du Coeur Immaculé de Marie et son triomphe qui reste à venir.
Précision
Dans le précédent numéro d’Alethéia, j’indiquais qu’à ma connaissance le bienheureux Mgr Escriva de Balaguer, qui sera canonisé dans les mois à venir, avait célébré la messe selon le nouveau rite à partir du moment où il est entré en vigueur. Cette information était incomplète. Mgr Escriva de Balaguer a bien célébré selon le N.O.M. à partir de 1969 mais il en “ souffrait spirituellement ”. Par un intermédiaire, Mgr Del Portillo, permission lui a été accordée de célébrer à nouveau selon le rite traditionnel, ce qu’il a fait jusqu’à sa mort. Les correspondants qui m’ont signalé le fait divergent sur l’autorité qui a accordé cette permission : Paul VI ou le Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin.