25 janvier 2004

[Aletheia n°51] Le débat sur la gnose - Un scoutisme catholique est-il possible? l'affaire Jeoffroid-Sevin

Yves Chiron - Aletheia n°51 - 25 janvier 2004
LE DEBAT SUR LA GNOSE
L’ouvrage de Paul Sernine, La Paille et le Sycomore. À propos de la “ gnose ” [1], déjà présenté ici, commence à susciter un débat. Les revues favorables aux thèses d’Etienne Couvert (Sous la Bannière, Lectures Françaises, Le Sel de la Terre) ont publié ou vont publier des réponses à Paul Sernine. Les Editions de Chiré, où Etienne Couvert a publié tous ses ouvrages, souvent à compte d’auteur, vont intervenir dans le débat, sans doute par un numéro de leur revue Lecture et Tradition.
La Fraternité Saint-Pie X n’a pas pris de position officielle sur la controverse, mais deux de ses prêtres y sont partie prenante : l’abbé de Tanoüarn, éditeur de l’ouvrage, et l’abbé Celier, principal diffuseur de l’ouvrage par le catalogue France Livres Clovis.
Un autre prêtre de cette Fraternité, l’abbé Christophe Beaublat, a publié dans son bulletin, Le Bachais, une violente charge contre l’ouvrage et son éditeur[2]. Sous le titre “ Subversion ”, il a mis en cause “ un méchant petit livre ”, l’estimant “ rempli de calomnies odieuses pour des personnes tout à fait estimables ”. Il dénonçait aussi “ des traditionalistes en peau de lapin ” et les “ gnostiques infiltrés dans nos rangs” (sans les nommer, il visait ainsi ses confrères les abbés de Tanoüarn et Celier).
Cette charge se terminait par un appel aux autorités de la FSSPX : “ Implorons du Ciel la lumière et la force […] pour les autorités de la Tradition, qui auront sans aucun doute des décisions pénibles à prendre. Que leur bras ne tremble pas ! ”.
D’après nos informations, l’abbé Beaublat a été blâmé par les autorités de la FSSPX pour avoir mis en cause certains de ses confrères et pour avoir apostrophé ses supérieurs.
Mais ce blâme adressé ne signifie pas que les autorités de la FSSPX aient pris une position publique dans le débat. Selon nos sources, les autorités de la FSSPX considèrent les démonstrations de Paul Sernine comme fondées sur une argumentation sérieuse et solide mais aussi que le sujet du livre – existe-t-il ou non une “ gnose ” immuable à travers toutes les erreurs de l’Histoire ? – appartient au domaine de l’opinion librement discutable entre catholiques.
L’abbé de Tanoüarn, dans l’ “ Avertissement ” au livre de Paul Sernine, estimait que “ d’autres études sont nécessaires pour compléter [ce] travail bien circonscrit ”. Parmi les sujets qui, selon lui, restent à étudier, il y a celui-ci : “ Existe-t-il un état d’esprit récurrent, au cours de l’Histoire, que l’on pourrait qualifier de “gnostique“ en ce qu’il rechercherait un salut par la connaissance ? ” (p. 11).
J’avais cité, dans un précédent numéro d’Aletheia, les interrogations du théologien autrichien Michael Waldstein sur le “ retour du gnosticisme ” dans la théologie contemporaine.
On y ajoutera, un article d’André Paul, dans le dernier numéro de Catholica[3]. L’auteur, exégète et historien de la Bible, fait une lecture critique du dernier livre du cardinal Lustiger, La Promesse. Il considère cet essai du cardinal archevêque de Paris comme “ une réduction désincarnatrice de la doctrine chrétienne ” et y voit la résurgence d’une “ gnose judéo-chrétienne ”. André Paul écrit : “ La première et grave omission dans le système religieux du cardinal Lustiger a pour objet la chair, plus largement tout ce qui relève des sens. Le champ sémantique du sôma, “corps“ en grec, est absent de l’ensemble du livre. Et dès lors, le fondement doctrinal du message chrétien, et en conséquence du christianisme comme société et comme culture, est tout naturellement omis. ” Et encore : “ Le message de Mgr Lustiger ne manque pas d’accents gnostiques. Il est volontiers manichéen, ségrégatif et pessimiste. ”
Venant d’un spécialiste du judaïsme ancien comme André Paul, éloigné des milieux traditionalistes, ce jugement mérite d’être relevé.
Encore une fois, la gnose dont il est question ici est celle du salut par la connaissance et non, comme chez Etienne Couvert, d’un système complet d’erreurs, reproductible à l’infini de génération en génération, auquel il faudrait rattacher toutes les doctrines et systèmes non-catholiques.

UN SCOUTISME CATHOLIQUE EST-IL POSSIBLE ?
L’AFFAIRE JEOFFROID-SEVIN (1924)
Il y a quelques mois, la controverse sur le scoutisme était relancée dans les milieux traditionalistes (cf. Aletheia n° 44, 10/08/2003). J’avais rappelé que les accusations de “ libéralisme pratique ”, de “ naturalisme ” et d’ “ œcuménisme ” portées contre le scoutisme n’étaient pas nouvelles et avaient déjà été lancées dans les années 1920 par certaines publications anti-libérales. Le P. Sevin, fondateur du scoutisme catholique en France, avait dû aller se défendre à Rome et Pie XI avait tranché en sa faveur, non sans recommander des affirmations plus claires.
Une étude est parue il y a quelques mois qui vient apporter des lumières nouvelles sur cette affaire[4]. Christophe Carichon a exploré différents fonds d’archives. Il montre que l’attaque contre les dangers du scoutisme trouve son origine dans une étude très documentée rédigée par le P. Henri Jeoffroid, Frère de Saint-Vincent-de-Paul. Le P. Jeoffroid est un intransigeant, antilibéral ; c’est aussi, écrit Christophe Carichon, “ un éducateur et un homme de terrain, fervent défenseur du patronage ”. À Rome, il a été pendant sept ans l’aumônier des Prati di Castello, célèbre patronage.
C’est donc en défenseur de la jeunesse chrétienne qu’il intervient. Le mémoire qu’il rédige – une centaine de pages – est résumé ainsi par C. Carichon : “ La théosophie est mauvaise, elle a été condamnée par l’Eglise. Il y a des relents de théosophie dans le scoutisme que l’on sait déjà imprégné de protestantisme et de franc-maçonnerie. Le scoutisme catholique, en vertu de la fraternité scoute, a des contacts avec les neutres et les protestants : donc, à l’intérieur, comme à l’extérieur, il existe de sérieux risques de contamination et de nombreux dangers pour le scoutisme même catholicisé. Tôt ou tard, il devra faire des concessions et risquera de se compromettre d’autant plus facilement que développant un anti-intellectualisme de fait, il n’est pas armé pour le combat. Il faut donc ne pas accepter le scoutisme catholique pour le salut des âmes des enfants… ”.
Le mémoire Jeoffroid commença à circuler à Rome en 1923. Mgr Benigni, l’ancien animateur de la Sapinière, le communiqua en France à la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, qui fit, dans son numéro 19, le 13 mai 1924, “ Le procès du scoutisme ”.
Le P. Sevin ira alors à Rome, avec le général de Salins, défendre la cause du scoutisme catholique. Il obtiendra d’être reçu en audience par Pie XI, pour se justifier et s’expliquer. De ce séjour à Rome, le P. Sevin tirera des résolutions : Les leçons de notre séjour à Rome. Sans entrer dans le détail de cet examen de conscience et des décisions prises, on peut dire qu’il y a la volonté de marquer davantage la spécificité du scoutisme catholique par rapport aux autres organisations scoutes et de l’ancrer parmi les autres œuvres catholiques.
L’année suivante, 10.000 scouts catholiques de différents pays défileront devant Pie XI qui, en la circonstance, prononcera une longue allocution, premier enseignement pontifical sur la nature, la spécificité et la vocation du scoutisme catholique.
Cette étude de Christophe Carichon éclaire très utilement la controverse de cette époque. Mais l’auteur est trop sévère quand il juge que le P. Sevin n’a ensuite “ pas été fidèle à ses Leçons de 1924 ”. Il y aurait eu, “ chez lui un manque évident de fermeté une fois l’orage passé. Il peut apparaître, alors, comme un véritable libéral, ou tout au moins un prêtre libéralisant, au sens catholique que ces termes recouvraient à l’époque. ”
L’auteur estime aussi qu’aucun mouvement scout, aujourd’hui, “ ne peur honnêtement se prévaloir des Leçons que le R.P. Jacques Sevin tirait en 1924 de son séjour à Rome. ” Affirmation pour le moins aventurée si l’on considère par exemple – entre autres – l’Institut de la Sainte Croix de Riaumont et les troupes scoutes qui lui sont rattachées.

Informations
. Le numéro 1 d’un bulletin intitulé Aletheia est paru, il y a quelque temps. Cette publication se présente comme la “ Revue de liaison entre les couronnes de l’œuvre Marie Mère de l’Unité en France ”. L’Œuvre de Sainte Marie Mère de l’Unité est une association privée de fidèles fondée par un prêtre équatorien qui a été reconnue comme telle par l’archevêque de Quito.
Malgré l’homonymie, notre modeste bulletin n’a aucun rapport avec cette Œuvre.
. En 2001, l’anaphore d’Addai et Mari, en usage dans l’Eglise assyrienne d’Orient (et qui ne comporte pasle récit de l’Institution) a été reconnue comme “valide”, pour la célébration de l’Eucharistie, par le Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens.
Si cette décision a été saluée comme “ une avancée œcuménique et liturgique ” par La Maison-Dieu, la revue du C.N.P.L. (Centre National de Pastorale Liturgique), elle a été vivement critiquée dans les milieux traditionalistes. Voir, notamment, l’étude du Professeur Heinz-Lothar Barth “ L’anaphore de Addai et Mari : Rome permet-elle une messe invalide ? ” in La Messe en question, Actes du Ve Congrès théologique de Si Si NoNo, Publications du Courrier de Rome, p. 403-445.
Divinitas, revue internationale de théologie, dirigée au Vatican par Mgr Gherardini, prépare un numéro spécial sur cette controverse.
. L’abbé Aulagnier, qui se présente toujours comme “ Prêtre de la FSSPX ”, et qui réside désormais à Vichy, anime depuis quelques semaines une “ paroisse catholique virtuelle ”, dédiée à saint Michel (s’inscrire au mail : abbeaulagnier@hotmail.com).
Dans chaque livraison internet hebdomadaire, on trouve le sermon du dimanche, une “ Leçon dogmatique pour adulte ”, une “ Leçon de morale ” et diverses informations.
. Alain de Benoist vient de faire paraître un ouvrage, Au-delà des droits de l’homme. Pour défendre les libertés, Editions Krisis (5 rue Carrière-Minguet, 75011 Paris), 150 pages, 19 euros. Il en sera rendu compte dans un prochain numéro.
Une Association des Amis d’Alain de Benoist s’est constituée, qui anime, notamment, un site internet où l’on trouve, en intégralité, des ouvrages de l’auteur, des articles et le texte d’entretiens récents ou anciens (www.alaindebenoist.com).
Je remercie les lecteurs qui comprennent que cette lettre d’informations, aussi modeste soit-elle, ne peut être imprimée et expédiée sans frais pour son unique rédacteur. Aletheia n’existe encore, pour la cinquième année, que par la générosité de quelques-uns (toujours les mêmes esprits de bonne volonté et de vraie charité) dont profitent les autres.
À tous les lecteurs, puisqu’il en est encore temps, je présente mes vœux les meilleurs pour 2004 en reprenant le souhait formulé par le RP Dom Gérard en 1988 – il y a seize ans, déjà : “ Puissions-nous ne pas nous épuiser en querelles intestines, en rivalités de clan ou de juridiction. En sens contraire, que demeurent dans une amitié fraternelle tous ceux qui combattent pour la Tradition : doctrine, prédication, messe, sacrements. Qui pourra nous diviser si nous travaillons pour le Christ-Roi ? ”.
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NOTES
[1] Éditions Servir, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris, 219 pages, 15 ¤.
[2] Prieuré Saint-Pierre-Julien-Eymard, 22 chemin du Bachais, 38240 Meylan.
[3] Catholica, n° 82, hiver 2003-2004, 42 rue Dareau, 75014 Paris, 11,50 ¤.
[4] Christophe Carichon, “ Un scoutisme catholique est-il possible ? L’affaire Jeoffroid-Sevin (1924) ” in Le scoutisme. Un mouvement d’éducation au XXe siècle. Dimensions internationales, Actes du colloque international organisé à l’Université de Montpellier les 21-23 septembre 2000, Publications de l’Université Paul Valéry, Montpellier, 2003, p. 107-122.