Mgr Fellay - DICI - 17 juin 2004
Et, chez les fidèles de la Tradition, le cardinal Castrillon Hoyos ne veut reconnaître qu’une «sensibilité» particulière et une «perception» propre, alors qu’il s’agit de fidélité à la doctrine de l’Eglise de toujours. Tous ces euphémismes montrent la diplomatie du cardinal, mais ils ne parviennent pas à masquer son embarras : comment régler la situation douloureuse de la Fraternité Saint Pie X sans soulever les questions doctrinales ? Franchement, s’il ne s’agissait que de dissiper la «perplexité» des évêques et de reconnaître la légitimité de la «sensibilité» traditionaliste, je crois que la crise aurait été résolue depuis longtemps. Mais ce qui est en jeu est d’une nature qui dépasse largement et la perplexité et la sensibilité.
Ce retrait du décret d’excommunication créerait un nouveau climat, indispensable pour aller plus avant. Il permettrait, entre autres, aux prêtres et aux fidèles persécutés de voir que leur attachement à la Tradition n’est pas coupable, mais qu’il a été motivé par tous ces scandales liturgiques graves que Redemptionis sacramentum relève très justement, sans toutefois en considérer la cause qui est sans doute la réforme liturgique elle-même.
C’est bien notre souci d’efficacité au service de l’Eglise et des âmes qui nous oblige à réclamer une vraie liberté pour la Tradition. L’état présent de l’Eglise et du monde est trop grave pour que nous puissions faire croire à Rome qu’avec une simple «sensibilité» traditionnelle — et qui plus est, en liberté surveillée ! — nous pourrions réellement lutter contre «l’apostasie silencieuse», dénoncée par Jean-Paul II dans Ecclesia in Europa. Ce serait profondément malhonnête. Mais les autorités romaines peuvent, si elles veulent, rendre à la Tradition son «droit de cité», partout et pour tous.
DICI : Dans cet entretien à la revue «Latin Mass», le cardinal Castrillon Hoyos propose plus qu’une main tendue aux fidèles attachés à la Tradition, il affirme que le Saint Père garde les bras ouverts. Etes-vous insensible à cette offre généreuse ?Mgr Fellay : Je suis très sensible à ce geste d’ouverture, et je ne doute pas de la générosité qui l’anime. Mais je suis obligé de constater, dans le même temps, que le cardinal atténue au maximum les difficultés réelles qui se posent de part et d’autre. Du côté des évêques diocésains, il ne veut voir qu’une «perplexité» et des «hésitations» à reconnaître le «droit de cité» de la messe tridentine, là où il y a une réelle opposition à la doctrine traditionnelle du Saint Sacrifice. Il suffit pour s’en convaincre de voir toutes les réactions épiscopales – plus que réservées - au récent document disciplinaire Redemptionis sacramentum. Apparemment personne n’est concerné par ce rappel à l’ordre ! Il n’y a ni abus, ni scandales liturgiques !
Et, chez les fidèles de la Tradition, le cardinal Castrillon Hoyos ne veut reconnaître qu’une «sensibilité» particulière et une «perception» propre, alors qu’il s’agit de fidélité à la doctrine de l’Eglise de toujours. Tous ces euphémismes montrent la diplomatie du cardinal, mais ils ne parviennent pas à masquer son embarras : comment régler la situation douloureuse de la Fraternité Saint Pie X sans soulever les questions doctrinales ? Franchement, s’il ne s’agissait que de dissiper la «perplexité» des évêques et de reconnaître la légitimité de la «sensibilité» traditionaliste, je crois que la crise aurait été résolue depuis longtemps. Mais ce qui est en jeu est d’une nature qui dépasse largement et la perplexité et la sensibilité.
D. Ne craignez-vous pas de paraître figé dans une attitude constamment critique et négative ?Mgr F. Au contraire, nous faisons, depuis le début des conversations avec le cardinal Castrillon Hoyos, des propositions positives. Mais il est nécessaire de s’assurer, avant tout, de la solidité des piliers qui porteront le pont entre Rome et nous. Ces piliers sont doctrinaux, on ne peut passer sous silence cette réalité, sous peine de voir - à plus ou moins court terme - tous les efforts de rapprochement voués à l’échec. La solution du cardinal est de proposer un accord pratique, en minimisant le plus possible les divergences de fond. Est-ce possible ? Peut-on conjurer la dureté de la crise qui secoue l’Eglise avec des expressions adoucies ? Je ne le pense pas.
D. C’est donc, à vos yeux, la doctrine et toute la doctrine, sinon rien ? Cette position du «tout ou rien» ne manque-t-elle pas de réalisme ?Mgr F. Nous sommes fermes, mais pas fermés. La doctrine est fondamentale sans aucun doute, mais nous pensons bien qu’il y a des étapes préalables à observer. C’est pourquoi nous avons proposé aux autorités romaines, dès le début, deux préalables qui permettraient de créer un climat de confiance favorable à la résolution du problème d’Ecône : le retrait du décret d’excommunication frappant les évêques de la Fraternité et le droit reconnu à tout prêtre de célébrer la messe traditionnelle.
D. Comment voyez-vous ce retrait de l’excommunication ?Mgr F. Ce qui a été fait pour les orthodoxes pourrait a fortiori s’appliquer à nous. Rome a levé l’excommunication qui les frappait sans qu’ils aient en rien changé leur attitude envers le Saint Siège. Ne pourrait-on prendre la même mesure à notre égard, nous qui ne nous sommes jamais séparés de Rome et avons toujours reconnu l’autorité du Souverain Pontife, telle que l’a définie le concile Vatican I ? En effet, les quatre évêques sacrés en 1988 ont prêté le serment de fidélité au Saint Siège, et depuis ils ont toujours professé leur attachement au Saint Siège et au Souverain Pontife. Ils ont pris toutes sortes de dispositions pour bien montrer qu’ils n’avaient pas l’intention de constituer une hiérarchie parallèle, — ce que j’ai encore rappelé lors de ma conférence de presse du 2 février dernier, à Rome.
Ce retrait du décret d’excommunication créerait un nouveau climat, indispensable pour aller plus avant. Il permettrait, entre autres, aux prêtres et aux fidèles persécutés de voir que leur attachement à la Tradition n’est pas coupable, mais qu’il a été motivé par tous ces scandales liturgiques graves que Redemptionis sacramentum relève très justement, sans toutefois en considérer la cause qui est sans doute la réforme liturgique elle-même.
D. Et vous demandez ce retrait unilatéralement, sans vous obliger à aucune contrepartie ?Mgr F. Si le décret d’excommunication était retiré, les évêques de la Fraternité Saint Pie X pourraient se rendre à Rome, comme les évêques diocésains effectuent leur visite ad limina. Ils rendraient ainsi compte de leur travail apostolique, et le Saint Siège pourrait constater le développement de «l’expérience de la Tradition» que Mgr Lefebvre a toujours souhaité faire pour le bien de l’Eglise et des âmes. Il ne serait pas nécessaire de prendre davantage d’engagements. Simplement rendre compte — pour la Fraternité —, et se rendre compte — pour Rome — du développement de l’expérience de la Tradition.
D. N’avez-vous pas l’impression d’avoir été entendu au moins sur votre deuxième préalable, la reconnaissance du «droit de cité» de la messe tridentine ?Mgr F. Je ne peux qu’approuver l’effort louable du cardinal Castrillon Hoyos pour réhabiliter la messe, mais là aussi je ne peux pas ne pas constater un certain embarras : un droit de cité concédé par le Saint Père, est-ce un droit ou une concession ? La différence n’est pas mince. Nous ne voulons pas de statut particulier, qui serait la marque d’un quelconque «particularisme liturgique». Nous demandons un droit qui n’a jamais été perdu : la liberté de la messe pour tous. Car, ce à quoi nous sommes attachés est le patrimoine commun de l’Eglise catholique romaine.
D. Même si vous n’êtes pas fermés au dialogue avec Rome, il n’empêche que vous donnez l’impression de cultiver un certain attentisme : wait and see ! Attendons voir ! Ne pensez-vous pas qu’il est temps de se dégager de cette position marginale, et de s’engager maintenant, comme on vous y invite, pour être plus efficace dans la situation très grave où se trouve l’Eglise ?Mgr F. La position de la Fraternité n’est pas wait and see, mais bien plutôt ora et labora, prier et travailler ! Sur le terrain, nos prêtres travaillent à la restauration du règne de Notre-Seigneur, au quotidien, auprès des familles, dans les écoles… Ces 450 prêtres sont plus qu’engagés, ils sont surchargés. Partout dans le monde, on les réclame. Il en faudrait trois fois plus ! Ce qui nous marginaliserait vraiment, ce serait une concession confinant la Tradition dans une réserve ou une enclave au sein de l’Eglise.
C’est bien notre souci d’efficacité au service de l’Eglise et des âmes qui nous oblige à réclamer une vraie liberté pour la Tradition. L’état présent de l’Eglise et du monde est trop grave pour que nous puissions faire croire à Rome qu’avec une simple «sensibilité» traditionnelle — et qui plus est, en liberté surveillée ! — nous pourrions réellement lutter contre «l’apostasie silencieuse», dénoncée par Jean-Paul II dans Ecclesia in Europa. Ce serait profondément malhonnête. Mais les autorités romaines peuvent, si elles veulent, rendre à la Tradition son «droit de cité», partout et pour tous.